le courage d`abolir les amp
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VISION D’AVENIR LES AMP FONT TELLEMENT PARTIE DU PAYSAGE DE LA MÉDECINE AU QUÉBEC QU’ON NE LES REMET PLUS EN QUESTION PAR FRANÇOIS-PIERRE GLADU, MD [email protected] MÉDECIN DE FAMILLE PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION DES JEUNES MÉDECINS DU QUÉBEC (AJMQ.QC.CA) LE COURAGE D’ABOLIR LES AMP Créées en 1991-92 et initialement «vendues» aux jeunes par la FMOQ comme faisant partie d’un plan de pratique comprenant une période de 10 ans en établissement, les activités médicales particulières (AMP) ont ensuite été allongées à 20 ans. Les AMP font tellement partie du paysage de la médecine au Québec que nombre de médecins, jeunes et moins jeunes, ne les remettent plus en question. La FMOQ négocie présentement pour que la prise en charge en cabinet devienne une AMP : c’est le contexte des AMP mixtes. Mais nous serions toujours les seuls au Canada avec des AMP. L'urgence demeurerait l’AMP des AMP, donc la porte d'entrée favorisée du système... alors qu'il faut au contraire avoir de la vision et transférer des heures-médecins en dehors de l'urgence et vers les cabinets. Bref, les séquelles du psychotraumatisme de 2002 (mort à l'urgence de Shawinigan) sont encore bien présentes dans l'esprit des politiciens. Nous ne pensons pas qu'ils soient encore tout à fait conscients de l'ampleur des effets néfastes des AMP, comme l'hospitalocentrisme qui caractérise le système de santé du Québec. Or les preuves en ce sens s’accumulent depuis 10 ans et de plus en plus de médecins veulent l’abolition des AMP et non pas des discussions interminables sur la gestion interne des salles d'urgence qui ne mènent à rien. Sans compter les visées des infirmières et des pharmaciens sur le champ de pratique qui fut évacué à la suite des AMP. L’abolition des AMP est-elle réalisable? Sera-t-elle salvatrice ou déstabilisante? Il y a 8000 médecins de famille au Québec, soit 15 % de plus par personne qu'ailleurs au Canada. Par contre, 26 % de la population n'a pas de médecin de famille, par rapport à 10,9 % dans le ROC. Le seul élément qui explique ce paradoxe est l'implication hospitalière deux fois plus importante des médecins de famille du Québec (43 % contre 20 %). Ainsi, alors que les médecins de famille du ROC suivent en moyenne 950 patients, ceux du Québec n'en suivent que 750. Cette « pénurie ressentie » de médecins de famille a pris de l'ampleur au fur et à mesure que les nouvelles cohortes de médecins ont été assujetties aux AMP depuis 1992, car les nouveaux médecins de famille consacrent 80 % de leur temps de pratique aux hôpitaux, ce qui leur en laisse bien peu pour des activités en cabinet (ttableau 1). depuis vingt ans, ce qui a créé de toutes pièces la pénurie de médecins de famille que connaît le Québec et a entraîné la déstabilisation du réseau. Les 2500 médecins de moins de quinze ans de pratique sont les plus touchés par ces mesures de planification à la soviétique, tandis que les AMP touchent peu les autres médecins. Si l'on permettait à ces 2500 médecins de famille de servir la population là où c'est plus efficace, soit dans la prise en charge et en cabinet, à raison de 50 % de leur semaine de travail et en quadruplant progressivement leur présence, 60 % des patients orphelins auraient un médecin de famille. En revanche, il faudrait que les 5500 autres modifient leur pratique en fonction de l’un des scénarios qui suivent : 1) qu’ils diminuent leurs activités sans rendezvous dans les heures de bureau pour mieux partager la responsabilité hospitalière, par l’entremise de mesures incitatives accessibles à tous, comme ailleurs au Canada; 2) qu’ils fassent du sans rendez-vous durant les heures défavorables pour éviter le recours à l'urgence, ce qui devrait équivaloir à du temps hospitalier; 3) une combinaison des deux premières modalités (ttableau 2). Les jeunes médecins de famille sont obligés de pratiquer à l'hôpital où les contraintes administratives (AMP, PEM, gardes, comités) les poussent à y passer 70 à 80 % de leur temps de travail. Aucune juridiction n'a suivi le Québec depuis l'imposition des AMP aux jeunes médecins. Toutes les autres y sont allées de mesures incitatives accessibles aux médecins de tous âges. Par conséquent, la part du temps de pratique des médecins de famille en centre hospitalier ne cesse d'augmenter Tableau 1 Répartition temps médecin de famille Année 2010 15 ans de pratique et moins CH CLSC/cabinets médicaux de première ligne RV SRV Total 2500 70,0 % 40,0 % 12,0 % 60,0 % 18,0 % 30,0 % 5500 30,0 % 76,7 % 53,7 % 23,3 % 16,3 % 70,0 % 42,5 % 70,7 % 40,7 % 29,3 % 16,8 % 57,5 % Plus de 15 ans de pratique Total 8000 Note 1: Les hypothèses qui sont utilisées ici sont basées sur les plus récentes données disponibles. Note 2: À 1840 h de contacts-patients par année, 40,7 % du temps de pratique équivaut à 750 patients suivis en moyenne par médecin. 14 Santé inc. juillet / août 2011 Illustration originale par Paul Therrien juillet / août 2011 Santé inc. 15 VISION D’AVENIR Il faut opérer cette conversion de manière ordonnée. Nous proposons que tous les six mois, on lève l'obligation d'AMP pour une cohorte de cinq ans à la fois, ce qui permettra de réévaluer la situation de la prise en charge en cabinet et de son pendant, la demande de services hospitaliers. Nous commencerions à la mi-2011 par la cohorte des 11 à 15 ans de pratique (tableau 3), soit environ 800 médecins. Puis, six mois plus tard, on passerait à celle des 6 à 10 ans, pour terminer, un an plus tard, avec celle des 0 à 5 ans (tableau 4). Chacune des trois étapes correspondrait respectivement à une baisse de 14 %, 18 % et 18 % du temps de pratique des jeunes en CH. Au total, cela correspond à un ajout net de 700 médecins dédiés à la prise en charge en cabinet, soit 1,25 million de patients orphelins qui seraient pris en charge. Au début 2013, nous devrions avoir pu abolir les AMP. Tableau 2 Répartition temps médecin de famille Partage fin 2011 : 15 ans de pratique et moins CH CLSC/cabinets médicaux de première ligne RV SRV Total 2500 60,0 % 52,5 % 21,0 % 47,5 % 19,0 % 40,0 % 5500 31,5 % 78,8 % 54,0 % 21,2 % 14,5 % 68,5 % 40,4 % 73,3 % 43,7 % 26,7 % 15,9 % 59,6 % Plus de 15 ans de pratique Total 8000 Note: 43,7 % du temps de pratique équivaut à 804 patients suivis en moyenne par médecin Tableau 3 Répartition temps médecin de famille Partage mi-2012 15 ans de pratique et moins CH CLSC/cabinets médicaux de première ligne RV SRV Total 2500 49,0 % 60,0 % 30,6 % 40,0 % 20,4 % 51,0 % 5500 30,5 % 78,8 % 54,8 % 21,2 % 14,7 % 69,5 % 36,3 % 74,1 % 47,2 % 25,9 % 16,5 % 63,7 % Plus de 15 ans de pratique Total 8000 Note: 47,2% du temps de pratique équivaut à 868 patients suivis en moyenne par médecin. «Aurons-nous la vision et le courage nécessaires pour aller de l’avant?» Tableau 4 Répartition temps médecin de famille Partage idéal, fin 2012 15 ans de pratique et moins Ces projections supposent que le nombre d'heures travaillées par médecin et le nombre de médecins de famille restent constants. Mais une partie des 600 nouveaux médecins prévus entre 2010 et 2014 auront alors commencé à pratiquer. Si on passe de l'état actuel de la répartition du travail des médecins à la répartition proposée ici, ces 600 médecins ne suivront pas 130 000 patients, mais bien 500 000, un gain de 370 000 personnes ou 4 fois plus. Au total, 1,8 million de patients orphelins auront un médecin de famille. Chaque médecin de famille suivra alors autant de patients que ses collègues du Canada anglais (tableau 5). CH 2500 40,0 % 66,7 % 40,0 % 33,3 % 20,0 % 60,0 % 5500 29,5 % 78,7 % 55,9 % 21,3 % 15,1 % 71,0 % 32,8 % 75,4 % 50,9 % 24,6 % 16,6 % 67,6 % Plus de 15 ans de pratique Total 8000 Note: 50,9 % du temps de pratique équivaut à 936 patients suivis en moyenne par médecin. Tableau 4 Répartition temps médecin de famille Partage idéal, 2014 15 ans de pratique et moins CH CLSC/cabinets médicaux de première ligne RV SRV Total 3100 35,0 % 70,0 % 45,5 % 30,0 % 19,5 % 65,0 % 5500 27,5 % 78,6 % 57,0 % 21,4 % 15,5 % 72,5 % 30,2 % 75,7 % 52,9 % 24,3 % 16,9 % 69,8 % Plus de 15 ans de pratique Total 8600 Cela suppose que l'augmentation de 12 % de temps en prise en charge entre 20112013 se traduise par une diminution de 12 % de la demande en médecins hospitaliers. De plus, il faudra prévoir une enveloppe régionale, gérée par le DRMG, pour financer les incitatifs afin d’éviter des bris de service à l’urgence ou ailleurs. On valorise ainsi l’acte prioritaire; on ne dévalorise pas les autres activités. des médecins de famille du Québec, 40 % de plus qu'ailleurs au Canada. Mais le déséquilibre coûteux induit par les AMP aura été grandement résorbé : les deux millions de citoyens sans médecin de famille en auront trouvé un et pourront le voir plus souvent et plus rapidement qu'actuellement. En 2014, les jeunes médecins de famille du Québec seraient toujours 30 % de plus en hôpital que les autres, et l'ensemble Comme la fidélité à un cabinet permet de diminuer les coûts de santé d'une clientèle (l’expérience des GPSC en Colombie- 16 Santé inc. juillet / août 2011 CLSC/cabinets médicaux de première ligne RV SRV Total Note: 52,9 % du temps de pratique équivaut à 973 patients suivis en moyenne par médecin. Britannique est éloquente à ce sujet), et comme les patients vus en cabinet coûtent 8 à 10 fois moins cher qu'à l'urgence, on peut aussi prévoir une diminution des coûts des soins de santé et une diminution du recours à la privatisation des soins pour garantir l'accès en temps voulu. Nous aurons ainsi institué un cercle vertueux dans l'organisation de la première ligne de services médicaux. Aurons-nous la vision et le courage nécessaires pour aller de l’avant? ⌧