Tourisme et boom immobilier en Espagne: un secteur lesté par le

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Tourisme et boom immobilier en Espagne: un secteur lesté par le
Via@ - revue internationale interdisciplinaire de tourisme
Tourisme et boom immobilier en Espagne: un secteur lesté par le
béton ?
Alfonso Fernández Tabales & Enrique Santos Pavón
- Un nombre considérable de ces logements a été
vendu à des acheteurs étrangers (estimé à environ
15 % des ventes). Ce sont ceux qu’on nomme
"géronto-immigrants" ou "immigrants climatiques",
qui les acquièrent, spécialement dans les aires
touristiques, pour y résider durant leur la retraite.
Pendant cette période, l'entrée de capital étranger
pour l’achat de biens immobiliers en Espagne a
représenté, chaque année, plus de 0,5 % du Produit
Intérieur Brut national, avec un maximum de 0,9 %
en 2003.
- La chute de la construction du fait (en même
temps que cause) de la crise peut être vraiment
décrite comme un effondrement. À titre d'exemple,
la vente de ciment a baissé de 45 % entre 2007 et
2009 ; les nouveaux logements lancés en 2010
n’atteignent pas 10 % des chiffres de 2006.
- La conséquence finale est l'existence d'un
gigantesque "stock" de logements invendus, dont
l'estimation oscille entre 750 000 et 900 000 unités,
situés principalement dans les zones touristiques du
littoral méditerranéen et les deux archipels (des
Baléares et des Canaries). Ceci représente l'un des
principaux problèmes de l'économie espagnole, car
les entreprises immobilières cumulaient, en Juin
2011, des dettes bancaires à hauteur de 308 425
millions d'euros, dont 176 000 millions classés
comme "actifs toxiques" en raison de
l'improbabilité de leur remboursement (selon des
données de la Banque d'Espagne).
C'est un fait bien connu que l'Espagne représente
un cas singulier, au niveau européen et mondial, de
spectaculaire cycle d’expansion du secteur de la
construction immobilière, entre les dernières
années du XXe siècle et l'éclosion de la crise en
2007-2008, qui a entraîné la paralysie pratique de
l'activité.
Benidorm - © A. Fernández Tabales
Quelques brèves données1 semblent révélatrices
pour dimensionner l’importance du phénomène :
- En 2006, considéré le moment sommet du cycle
expansif, 14,17 % de la population espagnole était
employée dans le secteur de la construction (la
deuxième position de l'Union européenne après le
Luxembourg). Par conséquent, l'impact sur les
chiffres de chômage a été brutal (selon les
dernières données annuelles connues, avec la chute
d'affiliés à la Sécurité Sociale en 2010, dont 90 %
venaient du secteur de la construction).
- Le parc immobilier espagnol a augmenté de 4 100
000 nouveaux logements dans la période 20012008, ce qui représente une croissance accumulée
de 18,5 % à cette étape. Comparativement, la
valeur la plus élevée a été atteinte en 2006, avec le
chiffre de 18 000 nouveaux logements par million
d'habitants, contre une moyenne de 5 000 par
million dans l'Union européenne. Le résultat est
qu'en 2008 l'Espagne prend la tête de la statistique
de l'U.E., avec 544 logements pour 1 000 habitants.
Playa de Matalascañas (Andalousie), juin 2011, où presque tout
est à vendre ou à louer (ou les deux) - © R. Knafou
Dans ce contexte critique, quelles sont les
conséquences pour l'activité et les espaces
Brèves – Mai 2012
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touristiques ? Pourquoi le phénomène présente-t-il
d'un grand intérêt pour la communauté scientifique
spécialisée en tourisme ?
D’autre part, les conséquences du "boom"
immobilier se sont traduites par une détérioration
de la qualité globale des espaces touristiques, où la
saturation de l'urbanisation a entraîné une
dégradation généralisée et une banalisation des
paysages,
ainsi
que
l’aggravation
du
fonctionnement ou du “métabolisme" des sites
(transport, gestion de l'eau, traitement des déchets,
équipements et services urbains, etc.).
Un premier point à noter est que la dimension du
phénomène a entraîné la réaction, déjà au milieu de
la première décennie du XXIe siècle (c'est-à-dire,
avant l’effondrement du modèle), des entreprises
touristiques, qui ont vu les bases de leur activité se
détériorer rapidement (et ainsi, ils se joignent aux
cris d'alarme émanant des milieux académiques et
des groupes écologistes).
À ce sujet, on doit faire référence à la prise de
position publique en 2005 d'Exceltur (l'Alliance pour
l'Excellence Touristique, l'association qui groupe les
principales entreprises touristiques espagnoles),
avec son document intitulé "l'Impact des modèles
de développement touristique dans le littoral
méditerranéen et les îles" qui manifestait déjà sa
préoccupation devant la dérive des principaux
espaces touristiques vers la massification et la
saturation urbaine, en affirmant que celles-ci
diminueraient à moyen terme la compétitivité des
destinations et, avec cela, la rentabilité de leurs
propres entreprises.
Cette détérioration de la qualité des espaces
provoque une descente des niveaux de satisfaction
des segments les plus qualifiés de la demande, dont
les premiers signes ont été déjà détectés dans les
enquêtes sur les lieux touristiques, segments qui
s'orienteront présumablement vers d'autres
destinations avec de meilleures conditions.
Ce diagnostic semble en contradiction avec les
excellents résultats que le tourisme espagnol a
enregistrés en 2011 ; cependant, ces résultats,
mesurés en arrivées de touristes ou en nuitées,
peuvent être trompeurs par rapport à la réalité
sous-jacente, puisqu'il conviendrait de tenir
compte, d'une part, de la situation d'instabilité des
pays du sud de la Méditerranée (la Tunisie, le
Maroc, l'Égypte), ce qui a entraîné un
détournement des flux touristiques vers l'Espagne
comme destination-refuge; et, d'autre part, du fait
que la dépense moyenne par touriste a reculé, ce
qui montre un scénario d’augmentation des
arrivées couplé à une réduction du rendement par
visiteur, combinaison qui peut être qualifiée de
risque sérieux pour nos destinations à moyen et
long terme.
Les impacts les plus significatifs que cette situation
a entraîné dans les destinations touristiques
peuvent être distingués selon deux points
principaux.
D'une part, et en raison de l'augmentation
accélérée des prix du foncier qui a accompagné le
cycle expansif, la difficulté - dans certains cas
presque impossibilité - de développer de vrais
projets touristiques (des hôtels dans son expression
la plus évidente) en raison du prix très élevé du sol
dans les aires touristiques les plus renommées. De
tels prix ne pouvaient pas être assumés par un
projet hôtelier, dont les délais d'amortissement
sont plus longs, mais uniquement par les produits
résidentiels permettant de récupérer (ou d’espérer
récupérer) rapidement l'investissement réalisé,
grâce à la vente du logement à l'acheteur. Cette
problématique a limité les initiatives des
entrepreneurs proprement touristiques (distinctes
des sociétés immobilières) pendant les dernières
années dans les espaces présentant les plus grandes
potentialités d'usage touristique; il est à noter que
bien que dans la dernière étape on ait constaté une
certaine baisse des prix du foncier du fait de la crise,
l'ampleur de cette diminition est pour le moment
plus faible que prévu et ainsi le problème persiste.
Enfin, et en centrant l'analyse sur le moment
présent, le plus surprenant, presque déconcertant,
est que l'étude des Plans de développement urbain
municipaux qui sont élaborés et en approbation
aujourd'hui, montrent une claire tendance à
répéter les modèles de l'expansionnisme urbain de
la décennie précédente, avec même des taux de
croissance prévus supérieurs à ceux connus dans la
dite décennie, dans l'attente illusionnée, et illusoire,
de présumés acheteurs européens susceptibles
d’acquérir le "stock" de logements invendus. Tout
cela confirme l'hypothèse qu’actuellement, à
travers une pratique erronée de la planification
urbaine et territoriale, sont jetées les bases ou les
fondements normatifs de la prochaine crise,
démontrant l'inertie d'une culture publique et
privée qui a déjà prouvé, dans le passé et le
présent, son inefficacité économique et sa non
soutenabilité territoriale.
Brèves – Mai 2012
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NOTES
1 Le détail des sources statistiques des données citées dans le texte sont disponibles dans la publication:
Fernández Tabales, A. y Cruz, E. (2011): “Territorio y actividad constructora: del "tsunami" a la crisis. Factores
explicativos y propuesta de indicadores a escala municipal en Andalucía”. In Boletín de la Asociación de
Geógrafos Españoles, Nº. 56, 2011, págs. 79-110.
POUR CITER CET ARTICLE
Référence électronique :
Alfonso Fernández Tabales & Enrique Santos Pavón, Tourisme et boom immobilier en Espagne: un secteur lesté
par le béton ?, Via@, Brèves, mis en ligne le 31 mai 2012.
URL : http://www.viatourismreview.net/Breve2.php
AUTEURS
Alfonso Fernández Tabales & Enrique Santos Pavón
Université de Séville
TRADUCTION
Alfonso Fernández Tabales
Université de Séville
Rémy Knafou
Université Paris 1 - Panthéon Sorbonne
Brèves – Mai 2012
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