12 Paul et la loi - Les trompettes d`argent

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12 Paul et la loi - Les trompettes d`argent
12 – Paul et la loi
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12 - Paul et la loi
Rm 7.1-12.
Ga 3.23-29.
Parce que Christ est ressuscité, parce qu’il met en nous l’espérance, nous
sommes invités à vivre selon l’Esprit. Si nous vivons par l’Esprit du Christ, personne
ne peut nous condamner en rien. L’Esprit est la nouvelle économie religieuse
introduite par Paul, et elle s’oppose à l’économie de la loi.
Nous avons vu que Paul était bien placé pour connaître les impasses de la loi.
C’est en tant que Juif pratiquant, circoncis le huitième jour, de la lignée d'Israël, de
la tribu de Benjamin, Hébreu né d'Hébreux; quant à la loi, pharisien ; quant à la
passion, persécuteur de l'Église ; quant à la justice de la loi, irréprochable1 qu’il a
été persécuteur de l’Église. Nous avons décrit cette expérience comme la tragédie qui
est au commencement de sa théologie : en pensant suivre la loi, Paul n’a pas œuvré
pour Dieu mais contre lui. On comprend mieux ses réticences fondamentales par
rapport à la loi et c’est du haut de son expérience qu’il a pu dire que le
commandement qui mène à la vie se trouva pour moi mener à la mort 2.
Pourtant il déclare aussi que le même commandement mène à la vie, il dit
même deux versets plus loin que la loi est sainte et le commandement saint juste et
bon 3 ? Cette tension nous conduit à reprendre sa compréhension de la loi.
Les ambiguïtés de la loi
Dans son catéchisme, le Juif Paul a appris que le mot loi, torah, évoque la
bénédiction de Dieu pour son peuple. Avant d’être une obligation, la loi est un don,
avant d’être un commandement, elle est un privilège.
Dans le livre de l’Exode, lorsque Dieu a libéré son peuple en le faisant sortir
d’Égypte, il lui a offert la loi comme mode d’emploi de la liberté. Au départ la loi
était donc liée à la libération ; le problème est, qu’avec le temps, elle a perdu cette
articulation pour devenir sa propre fin.
Dans le livre du Lévitique, une phrase justifie l’obéissance aux
commandements : Vous serez saints car je suis saint 4. C’est au nom de cet appel à la
sainteté que le peuple est appelé à être différent des autres. Un commentaire
rabbinique raconte que, lorsque Dieu a voulu donner sa torah, il a commencé par
interroger les autres peuples. Quand il leur a demandé s’ils voulaient la torah, le
premier a répondu : « Qu’y a-t-il dans la torah ? » Dieu a dit : « Tu ne commettras
pas d’adultère », alors ce peuple a répondu qu’il n’était pas intéressé par une telle
loi. Les autres peuples à qui Dieu a proposé sa torah n’ont pas voulu s’interdire le
1
Phi 3.5-6.
2
Rm 7.10.
3
Rm 7.12.
4
Lv 11.44-45.
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vol ou la violence, l’idolâtrie ou le repos pour les esclaves. Finalement, Israël seul a
accepté la torah, c’est pourquoi elle lui a été confiée 5. Selon ce commentaire, la torah
singularise Israël dans le concert des peuples de la terre. La loi était pour Israël un
don et une vocation, un privilège et une exigence. Le problème est qu’avec le temps,
la loi s’est pervertie en devenant un sujet d’orgueil.
La loi relève de l’identité pour Israël. Si une identité est positive en ce qu’elle
me permet de savoir qui je suis, elle peut aussi dégénérer lorsqu’elle se pervertit en
identitaire qui cultive l’orgueil de la différence au mépris du prochain. C’est la
perversion que nous trouvons dans la parabole du pharisien et du collecteur
d’impôts 6. Le pharisien est un homme qui respecte la loi, il monte régulièrement au
temple pour prier, il jeûne deux fois par semaine et il donne la dîme de tout ce qu’il
gagne. En toute chose, il respecte la loi sauf que cela le conduit à mépriser le
collecteur d’impôts lorsqu’il dit dans sa prière : Je te rends grâces de ce que je ne
suis pas comme le reste des hommes, qui sont accapareurs, injustes, adultères, ou
même comme ce péager.
En appelant à la prière, au jeûne et à l’offrande, la loi est sainte, juste et bonne
mais en conduisant le pharisien à mépriser le collecteur d’impôts, elle le conduit à la
mort. C’est cette dérive qu’a vécue Paul lorsqu’il a persécuté la première Église.
C’est au nom de son expérience personnelle qu’il a été intransigeant contre toutes les
tentatives de vouloir réintroduire des éléments de légalisme dans la première Église.
Dans l’épître aux Colossiens, il en vient à affirmer que les interdits du judaïsme : Ne
prends pas, ne goûte pas, ne touche pas... sont des commandements et des
enseignements humains… qui n'ont en fait aucune valeur et ne contribuent qu'à la
satisfaction de la chair 7. On mesure la violence du propos pour un Juif pour qui les
commandements de la torah sont à la base de sa compréhension de la religion. En
déclarant qu’ils ne servent qu’à la satisfaction de la chair, Paul prévient l’orgueil
qui peut se nicher derrière toute pratique religieuse.
Le maître hassidique Nahman de Braslav a demandé à ses disciples quelle a
été la plus grande catastrophe de l’histoire du judaïsme, selon eux ? le premier a
répondu : « La destruction du premier temple par l’armée de Nabuchodonosor, le
second : « La destruction du second temple par l’armée de Titus » et le troisième
l’expulsion des Juifs d’Espagne. Le maître a déclaré à ses élèves : « Ces événements
ont été de grandes catastrophes mais chaque fois le judaïsme s’en est relevé. La plus
grande catastrophe dont il ne se relèvera jamais, c’est le jour où l’écoute de la Torah
est devenue une religion 8. » En nous inspirant de ce dialogue, nous pouvons dire que
la plus grande catastrophe qu’a connue le christianisme n’a été ni la persécution qui
a touché les premiers chrétiens, ni le schisme de 1054, ni les guerres de religion,
mais le jour où la foi a été remplacée par une doctrine et la vie de l’Esprit par
l’obéissance à une loi.
Gardons-nous de croire que le pharisaïsme ne concerne que les Juifs, c’est une
5
D’après Edmond Fleg, Moïse raconté par les sages, Albin Michel, collection Espaces
libres, Paris 1997, p.98.
6
Lc 18.9-14.
7
Col 2.21-23.
8
Marc-Alain Ouaknin, Les dix commandements, Paris, Seuil, 1999, p.8.
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dérive qui menace tous les croyants de toutes les religions. Plus on est sérieux dans
sa façon de vivre sa foi et plus on court le risque de juger les autres et de croire que
le monde irait tellement mieux si tout le monde faisait comme nous. C’est la dérive
des bons chrétiens, des honnêtes gens qui, comme l’a écrit Péguy, « ne mouillent pas
à la grâce. » 9 Pour eux la morale est une armure qui les rend insensibles au prochain.
Contre la dérive du pharisaïsme, il convient de toujours revenir au fondement
de la loi.
Juste positionnement de la loi
La tradition rabbinique rapporte qu’Abraham a obéi à toute la torah. Mais
comment cela est-il possible puisqu’il ne la connaissait pas, la torah ayant été donnée
à Moïse des siècles plus tard ? La réponse est qu’avant d’agir, Abraham se posait
toujours une question : « Est-ce que ce que je me prépare à faire va faire grandir en
moi l’amour de Dieu ? Si oui, je le fais, si non je m’abstiens. » En faisant cela,
Abraham a accompli toute la torah 10.
Nous trouvons une autre illustration de ce principe dans le jugement de
Salomon. L’histoire est la suivante : Deux prostituées se disputent le même enfant et
vont porter leur différend devant le roi Salomon. Ce dernier les écoute puis il
propose une solution : « Que l’on coupe l’enfant en deux et que chacune en prenne la
moitié ! » Une des deux femmes accepte la solution mais pas l’autre : elle préfère
laisser l’enfant à sa rivale plutôt que de le voir découpé. Salomon conclut que cette
dernière est la vraie mère, parce que c’est celle qui aime le plus 11 . Devant un
problème de justice, Salomon en est venu au fondement de la loi, l’amour, pour juger
selon la loi.
Ces exemples mettent en exergue un principe d’interprétation que nous
pouvons facilement reprendre à notre compte. Pour nous chrétiens, le cœur du
Nouveau Testament est la révélation du Christ qui nous dit l’amour de Dieu. Nous
pouvons donc considérer que tout l’enseignement se rapporte à ce cœur et affirmer le
principe suivant : Tout ce qui me rapproche du Christ et de son amour va dans le
sens du Nouveau Testament et que tout ce qui m’en éloigne est contraire à
l’enseignement du Nouveau Testament.
Dans nos Églises, nous pouvons assimiler ce que représente la loi dans le
judaïsme à nos différentes traditions, notre façon de célébrer le culte, de vivre notre
foi dans les différents compartiments de notre vie. Nous sommes invités à relire
toutes nos traditions à cette lumière pour vérifier qu’elles sont bien au service de ce
qui est central dans l’Évangile.
Dans une communauté religieuse, le fondateur avait un chat qu’il aimait
beaucoup. Tout le monde appréciait l’animal, mais il avait le défaut de se promener
dans l’Église au moment des offices et de perturber les membres de la communauté
pendant leur prière. Le responsable de la communauté a alors pris l’habitude
d’attacher son chat à la porte de l’Église pendant les offices. Lorsque ce responsable
est mort, on a continué à attacher son chat en mémoire du fondateur de la
9
Charles Péguy, Note conjointe, Paris, Gallimard, 1935, p.101.
10
W.B. Silverman, The sages speak : rabbinic wisdom and jewih values, Aronson 1989 p.19.
11
1 R 3.16-28.
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communauté. Lorsque le chat est mort à son tour, la communauté a pensé qu’il était
juste de trouver un autre chat pour le remplacer afin de garder toujours le souvenir
du fondateur et de son amour pour les chats. Cela a continué pendant des siècles et
avec le temps des théologiens très sérieux ont écrit des ouvrages savants sur la
nécessité d’attacher un chat à l’entrée de l’Église pour le bon déroulement du
service 12.
Nous sourions à l’évocation de cette histoire mais sommes-nous certains que
quelques chats ne se sont pas introduits dans nos propres traditions ?
La loi comme pédagogue
Après avoir souligné les dérives de la loi, il ne faut pas oublier que Paul dit
aussi à son sujet qu’elle est sainte, juste et bonne. Il convient alors de mettre en
valeur le bon positionnement de la loi. Nous le ferons à l’aide de l’épître aux Galates
dans laquelle il écrit : Avant que la foi vienne, nous étions gardés sous la loi,
enfermés, en vue de la foi qui allait être révélée. Ainsi la loi a été notre surveillant
jusqu'au Christ, pour que nous soyons justifiés en vertu de la foi. La foi étant venue,
nous ne sommes plus soumis à un surveillant 13.
Ces versets mettent en tension la loi et la foi. Ils affirment que, tant que nous
ne sommes pas dans la foi, la loi est une protection qui nous garde ; et qu’une fois
que nous sommes dans la foi, la loi devient inutile. Cette articulation nous rappelle
que la foi est toujours au-delà de la loi, jamais en deçà.
Les enfants ont besoin de loi pour structurer leur environnement, pour
comprendre qu’ils ne sont pas seuls dans l’univers et qu’ils sont invités à laisser de
la place aux autres. Ce n’est qu’une fois qu’ils ont intégré les acquis de la loi qu’ils
peuvent déployer leur liberté.
Si la foi est une marche, Paul Tournier a rappelé qu’il ne fallait pas confondre
la marche d’Abraham avec la fuite de Caïn. La fuite de Caïn est une errance car elle
est antérieure à la loi alors que la marche d’Abraham est une marque de liberté.
Si la loi précède la foi, elle est aussi en tension avec cette dernière. Prenons
un exemple caricatural. La foi dit d’aimer son prochain et la loi dit de le respecter.
Tant que je suis dans la foi et que j’aime mon prochain, je le respecte aussi et je n’ai
pas besoin de la loi. Mais je sais que je ne suis pas toujours dans la foi et qu’il arrive
des moments où je n’arrive pas à aimer. C’est à ce moment que la loi intervient pour
me dire que, si je n’aime pas mon prochain, je dois au moins le respecter. Comme
l’écrivait Jacques Ellul, lorsque « nous prenons prétexte de la grâce pour négliger la
Loi et vivre en dessous de ses commandements… nous sommes des fornicateurs de
l’amour de Dieu 14. »
Le juste positionnement de la loi permet de prévenir les deux dérives que sont
d’un côté les pharisiens qui s’enferment dans une obéissance hypocrite de la lettre
12
Rapporté par Jean Vernette, Paraboles de bonheur, Paris, Bayard, 1996, p.146.
13
Ga 3.23-25.
14
Jacques Ellul, Ethique de la liberté, Tome 1, Labor et fides Genève, p.173s
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des commandements en en oubliant le sens, et de l’autre les libertins qui, au nom de
la liberté chrétienne, ne vivent qu’en fonction de leurs désirs. Ces deux dérives ont
existé dans l’Église alors qu’une juste méditation de la pensée de Paul aurait permis
de les prévenir. La loi est un pédagogue qui permet de conduire à la liberté qui la
rend alors inutile. Elle n’est que cela mais elle est tout cela.
La menace de la grenouille
Jean Climaque, un moine du sixième siècle qui a récapitulé l’enseignement
des pères du désert, a écrit : « Quand nous tirons de l’eau à la fontaine, nous
ramenons parfois une grenouille sans nous en apercevoir ; de même, quand nous
travaillons à pratiquer les vertus, nous cherchons souvent à satisfaire des vices qui
sont imperceptiblement entrelacés avec elles. Par exemple, la gourmandise se mêle à
l’hospitalité, la luxure à l’amour, la ruse au discernement, la malice à la prudence, la
duplicité, la lenteur, la paresse, la contradiction, la libre-disposition de soi et la
désobéissance à la douceur, le mépris de l’enseignement au silence, l’orgueil à la
joie, l’indolence à l’espérance… » 15
La loi pour le judaïsme comme toutes nos pratiques de foi peuvent être
passées au tamis de cette remarque. Devant Dieu, je me dois d’être lucide et de
toujours traquer les grenouilles qui viennent s’introduire dans ma vie de foi.
15
Cité par Daniel Bourguet, Un chemin de liberté, l’ascèse, Lyon, Olivétan, 2004, p.118.
5