Sandrine Bailly – 6 – Biathlon 3
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Sandrine Bailly – 6 – Biathlon 3
Sandrine Bailly Biathlon Entretien : Fontainebleau, Juin 2009 6 – Le biathlon (partie 3) As-tu déjà été blessée ? (Rires) Ouh là, oui. Ouh là ? (Rires) Pas tant que cela en fait. J’ai eu une fracture de fatigue au pied, et je me suis cassé le poignet il y a deux ans. En fait, je n’ai jamais trop de problèmes. Je n’ai pas à me plaindre. Y a-t-il un gabarit idéal pour le ski de fond ? Est-ce que les cinq meilleures, bizarrement, font à peu près la même taille ? Non, pas du tout. Tout le monde pense qu’il faut être mince et grande, alors que certaines filles sont petites… Comme je disais tout à l’heure, il faut faire avec ses qualités. Certaines sont plus musclées, d’autres plus légères. Il n’y a pas un type de fille. Quel est ton gabarit ? 1 mètre 73, 58 kg. Et… Je suis parmi les plus grandes, et les plus fines. La majorité des filles sont plus petites et plus musclées que toi ? Oui. As-tu ou as-tu eu une préparation mentale ? Non. Je mets longtemps avant de faire confiance à quelqu’un, donc je n’ai jamais voulu faire la démarche d’aller voir quelqu’un, pour lui expliquer de A à Z ce qu’est le biathlon, parce que beaucoup ne comprennent pas trop. Je me suis toujours dit que c’était le rôle de mes entraîneurs. Je ne sais pas si c’était une bonne chose ou pas. Mes échecs m’ont servie ; j’apprends par l’échec, c’est aussi ce qui m’a fait avancer. Cette année, j’ai beaucoup travaillé avec Patrick Bailly-Salins, un ancien athlète qui a été champion du monde, et il a les qualités pour me transmettre ce qu’il faut au niveau mental, pour arriver le jour J dans le bon état d’esprit pour gagner. Ensuite, je ne sais pas si cela marchera, mais, avec lui, c’est un peu différent de ce que je peux faire avec d’autres personnes, mes entraîneurs par exemple. C’est peut-être lié à son palmarès : il était vraiment hyper doué. Une fois, je me souviens que nous avions eu des intervenants sur de la P.N.L. (N.d.A. : Programmation NeuroLinguistique), et je m’étais aperçu que je passais beaucoup de temps à leur expliquer ce que je ressentais, et ils n’étaient pas là quand j’avais besoin d’eux. 1 À quel âge as-tu connu tes premières victoires ? À vingt-et-un ans. J’ai gagné ma première coupe du monde en arrivant sur le circuit. Et avant, jeune ? J’avais gagné des coupes d’Europe. À quel âge cela commence-t-il ? Nous restons sur le circuit national jusqu’à quatorze ou quinze ans. Et tu étais déjà dans les meilleures ? Au début, je pratiquais le ski de fond. J’étais dans les meilleures skieuses, mais je n’étais pas la première, disons dans les huit meilleures. Ensuite, j’ai commencé le biathlon, et je suis vite partie en coupe d’Europe junior. Au début, j’ai eu du mal, je ne tirais pas comme il fallait, mais je sentais que j’avais du potentiel. Et mes entraîneurs aussi. En fait, j’ai eu la chance de toujours avoir eu des entraîneurs qui croyaient en moi. Ensuite, j’ai gagné la coupe d’Europe senior, et je suis montée en coupe du monde. Je pose souvent la question : « Pourquoi ce sport plutôt qu’un autre ? », mais dans ton cas, la réponse est évidente… Oui. Ce n’est pas donné à tout le monde de faire du biathlon. Parfois, je reçois des lettres de gamines qui me disent : « Comment je pourrais faire pour pratiquer du biathlon ? ». C’est râpé pour elles : si tu n’es pas dans une région de ski, tu ne peux pas pratiquer. Il faut un club, des conditions de neige… J’avais tout réuni. En dehors de tes entraîneurs, as-tu des gens qui t’ont « mis le pied à l’étrier » ? Quelle était l’attitude de ta famille par exemple ? Je te pousse, je te retiens ? À la base, ils m’ont poussée, à l’adolescence en particulier. Ensuite, j’ai eu de la chance d’avoir de bons entraîneurs qui ont cru en moi, depuis que je suis junior. J’ai retrouvé l’entraîneur qui m’avait fait essayer le biathlon en junior, puis à nouveau en équipe de France senior. C’est un peu grâce à lui. Il y a plein de gens autour, pas une personne en particulier. Sans être ingrate, tu vas travailler avec une personne pour ce qu’elle t’apporte puis changer quand cela ne va plus. C’est vrai pour les entraîneurs, mais aussi pour les kinés, les ostéopathes, les diététiciens. Conseillerais-tu le biathlon à un jeune ? Oui. Le biathlon concilie deux sports, donc il y a plus de choses à travailler ; c’est moins monotone. Et le tir est ludique, même aux entraînements, cela change du physique seul, qui peut être rébarbatif pour un gamin. Et c’est en plaine nature, et ce n’est pas monotone, parce qu’il est possible de s’entraîner de plusieurs manières différentes. Vu qu’il y a manipulation d’armes, à partir de quel âge est-il possible de commencer le tir ? 2 Vers treize ou quatorze ans. Avant, nous utilisons des carabines à plombs. Pour les parents, ce n’est pas évident : il faut investir dans une carabine et cela reste une arme. L’arme que tu utilises, c’est une carabine… 22 long rifle, avec un chargeur de dix balles. Cela peut tuer, c’est dangereux ; ce ne sont pas des petits plombs. Sur le pas de tir, personne n’est autour j’imagine ? Non, c’est sécurisé : soit il n’y a rien derrière, soit nous passons derrière le pas de tir, mais il y a des buttes très hautes. C’est très strict. Il n’y a jamais eu d’accident ? Si, si. À ma connaissance, il n’y a pas eu d’accident pendant un entraînement ou une compétition, mais plutôt des gamins qui nettoyaient leur carabine et qui avaient oublié d’enlever une balle, et la balle est parti dans le gamin d’en face. Il y a vraiment eu des trucs horribles… Il y a un chargeur, c’est cela ? Oui. À l’arrivée des courses, ils nous ouvrent la culasse. Cette année, il y a encore eu une histoire, quelque chose de très dangereux. Nous faisons souvent des coups « à sec » (N.d.A. : sans balle). Nous nous mettons en position, nous enclenchons le chargeur et nous faisons comme si nous avions une balle, mais il n’y a rien. C’est pour la stabilité. Aux championnats du monde, une Allemande se met en position couchée, elle appuie et il y avait une balle : la balle a fait un trou dans le mur, et s’il y avait eu des gens derrière… Elle a eu de la chance, il n’y a rien eu. Mais elle a été interdite de course à cause de cette erreur. C’est vite arrivé. La 22 long rifle, c’est une arme qui a une portée de plusieurs centaines de mètres, non ? Cela va jusque deux kilomètres, je crois. C’est ce que j’avais à l’esprit. J’imagine que vous avez beaucoup de relations avec les athlètes de ski de fond. Vous vous entraînez peut-être ensemble ? Non, pas trop, en fait. Nous ne nous voyons pas trop parce que nous sommes sur des stages différents. Les fondeurs ne sont pas obligés de tirer, donc ils n’ont pas de stages de biathlon ; ils sont à des endroits différents. Nous les voyons sur le glacier parfois, au mois d’octobre. Ce qui est bien avec les journées militaires, c’est que nous nous revoyons tous : les alpins, les fondeurs… C’est seulement dans ce cadre que vous sous voyez ? Oui, parce que nous ne sommes pas du tout dans les mêmes stages. Nous nous connaissons grâce à l’armée, et nous nous rencontrons une ou deux fois dans l’année, pour la journée presse ou le stage préolympique, comme celui qui s’est déroulé en Corse récemment. Sinon, nous ne nous voyons pas malheureusement. C’est dommage, parce que nous adorons nous 3 retrouver ; nous nous suivons, nous savons ce que chacun a fait comme résultats, c’est un peu une famille. Mais nous n’avons pas le temps de beaucoup se voir. Quand on additionne les biathlètes, les fondeurs, les alpins, la délégation française de ski en sens large, cela donne quel nombre ? Je ne sais pas. Aucune idée. C’est assez gros quand même… Nous sommes dix, les fondeurs aussi… Sincèrement, je ne sais pas. Contrairement à d’autres sports, j’ai l’impression que le biathlon a une médiatisation et un positionnement à peu près équivalents pour les hommes et les femmes. Oui, c’est vrai. Je crois même que les filles sont plus regardées que les garçons. Pourquoi, je ne sais pas… Même au temps de Raphaël Poiré ? Oui. Il y a toujours eu des athlètes qui faisaient vivre le sport. Il y a peut-être plus de masse chez les hommes, mais chez les filles, il y a des duels, des batailles. Moi, j’étais en concurrence avec l’Allemande il y a deux ans : nous nous sommes battues jusqu’au bout, c’était intéressant. En relais, les Russes ont deux minutes d’avance : là, c’est chiant, mais cela peut arriver chez les hommes aussi. Et comme c’est du biathlon, et que nous tirons aussi bien que les garçons, c’est peut-être le seul sport où il est possible de comparer. C’est clair qu’en termes de performances pures, c’est impossible. C’est peut-être pour cela que nous sommes beaucoup regardées. Cela dépend de l’horaire aussi. Au tir, les toutes meilleures sont au niveau des hommes ? Il faudrait voir les moyennes, mais je pense que c’est similaire. Les distances sont les mêmes ? Oui, c’est exactement pareil. Cette année, je pense que les filles ont mieux tiré que les garçons sur le circuit de la coupe du monde, donc en général. On voyait des scores excellents chez les filles, 20 sur 20 pour les cinq premières, tandis que chez les garçons, c’était plus exceptionnel. C’est vrai pour cette année… C’est bien, nous pouvons rivaliser avec eux. Il y a très peu de sports où les hommes et les femmes sont mélangés. Au tir… Non, c’est différencié. L’un des rares sports où c’est mélangé, c’est la voile… Sur les voyages, c’est une contrainte, un plaisir ? Les voyages en eux-mêmes : prendre l’avion pendant des heures, je n’aime pas du tout. C’est beaucoup d’attente, nous sommes chargés, il faut déclarer les carabines. Une fois dans l’avion, cela va, mais ensuite, il y a encore de l’attente : les trajets sont rarement directs. Et comme 4 nous sommes chargés, nous n’avons pas le parcours idéal : nous prenons la compagnie qui accepte nos bagages. Trente heures de voyage, c’est pénible, et c’est fatigant. Prochaine lettre : Sandrine Bailly 7 – La vie en général. © Loïc Henry / 2009 – 2010. 5