La facture des Tablâ :

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La facture des Tablâ :
La facture des Tablâ :
Les peaux parcheminées, arrivées sèches à l’atelier de Bashiruddin, sont triées suivant leur
qualité et découpées aux dimensions des différents usages auxquels on les destine. Elles seront ensuite
trempées, laissées à reposer et triturées pour retrouver leur souplesse et la plasticité d’un tissu trempé.
Commence alors le travail du facteur de Tablâ. Notons que la réalisation des « têtes » de Tablâ et
de Bâyân met en jeu des opérations analogues, comme on peut le constater sur les photos. La principale
différence entre les deux est la place de la pastille noire, appelée Gab ou Shiai, centrée sur le Tablâ,
décentrée sur le Bâyân. L’accord du Tablâ est aussi beaucoup plus rigoureux.
Sur la « bouche » du Tablâ, ce n’est pas moins de trois ou quatre épaisseurs de peau qui vont se
superposer ; une seule sera sélectionnée pour sa sensibilité musicale supposée : c’est elle qui sera frappée
et donnera son timbre au Tablâ.
La première opération consiste à installer successivement, en les centrant, deux peaux circulaires
sur la « bouche » du Tablâ. Le facteur plaque manuellement les bords de la première peau - c’est la
musicienne - sur le haut du cylindre pour la tailler exactement.
Il pose ensuite la seconde en prenant soin de réserver, par une fine ligature,
une future prise au centre de la peau.
Puis il pratique des incisions latérales sur les deux peaux réunies,
sur le pourtour du sommet du fût, à l’aide d’un ciseau et d’un maillet.
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Après avoir retiré avec précaution les deux peaux accolées du Tablâ,
pour les garder associées, il les coud l’une à l’autre en faufilant
un cordeau au travers des incisions conjointes, à leur périphérie. !
La première phase de réalisation d’une « tête » de Tablâ commence
par la mise en place d’une couronne de morceaux de peau mouillée
sur le bord de la « bouche » du fût. "
Une deuxième couronne de peau, sèche celle-là, est ensuite déposée dessus. #
Les deux couronnes ainsi installées protègent la peau qui sera frappée et souvent accordée, de l’usure par
friction sur le bord du fût et consolideront la liaison avec le Pagri.
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On dépose ensuite sur ces deux couronnes les deux peaux associées auparavant
(avec la ligature centrale vers l’extérieur).
Le laçage qui va les mettre en tension s’appuie sur la couture au cordeau qui les lie,
et sur le fond du Tablâ.
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Après avoir solidement lié de plusieurs tours de corde
le milieu du tambour, pour immobiliser le laçage de tension,
le facteur pratique de nouvelles incisions latérales à travers
les quatre épaisseurs de peau, toujours à l’aide d’un ciseau et
d’un maillet métallique.
Ces incisions vont permettre d’introduire les lanières de peau de buffle destinées au savant « tressage » du
Pagri.
Le laçage du Pagri, ou anneau, est l’une des étapes les plus importantes de la construction du Tablâ, du
fait du triple rôle de l’anneau : il maintient intimement les couches de peau ensemble, assure la mise en
place permanente de la tête du tambour grâce aux lanières qui le traversent, et s’avère indispensable pour
la stabilité de l’accord.
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Trois ou quatre lanières sont d’abord successivement enfilées, à l’aide d’une broche, dans quelques
incisons latérales.
Chacune à tour de rôle va recouvrir les autres en un enroulement oblique et passer sous les peaux par
deux incisions avant de retrouver sa place dans le faisceau central du Pagri. Avant qu’une longueur de
lanière ne s’épuise, une remplaçante est intégrée dans le cœur du rouleau.
Le facteur garnit ainsi tout le tour du haut du Tablâ et ferme l’anneau du Pagri en serrant les derniers
enroulements de lanières de cuir sur les extrémités initiales et finales de celles-ci.
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Quelques coups de marteau sur le Pagri, judicieusement placés, équilibreront l’ensemble.
Enfin, la couche supérieure de peau est découpée en son centre, pour rendre plus aisée la finition du
Kinnar, ou bordure de frappe, et faciliter le séchage de ce premier montage.
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Commence alors la deuxième phase : une fois sèche, la « tête » de Tablâ est libérée de ce premier
montage ; il ne reste plus qu’à découper également les deux couches inférieures de peau autour de la
bordure pour faire de la couche médiane la seule membrane résonante du tambour.
Un anneau de cuir est ajusté serré sur le socle du Tablâ.
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La « tête » de Tablâ est alors posée sur la « bouche » du Tablâ, et maintenue par un laçage en croix.
Le laçage d’environ 10 mètres de Chota (lanière de peau de buffle) va relier cet anneau au Pagri et
remettre en tension la tête du Tablâ.
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La couche supérieure de peau va être découpée
plus exactement pour laisser la place au Gab.$
La pastille noire, appelée Gab ou Shiai, est réalisée à partir
d’une mixture de riz bouilli, de poudre d’oxyde métallique et
d’eau, moulue en fine pâte, et appliquée au centre de la peau.
La pâte est d’abord finement écrasée
à la meule de pierre, avant d’être étalée
sur la peau, du bout de l’index. $
De nombreuses couches circulaires et
concentriques, au diamètre décroissant, sont
ainsi successivement appliquées ; le Gab d’un
Tablâ « professionnel » peut nécessiter deux
heures d’une intense concentration, et d’écoute
permanente de la plus subtile variation de
timbre ou de ton.
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Le même galet qui a servi à affiner la pâte sur la meule sert maintenant à homogénéiser la couche qui
vient d’être déposée.
Un racloir, constitué d’une lame flexible, vient périodiquement régulariser son épaisseur.
Cette étape très délicate est essentielle pour assurer la tenue prolongée de la note, caractéristique des
Tablâ (plus de poids sur le centre de la peau entretient la vibration). La longueur de cette opération tient
également à la nécessité de pouvoir obtenir une note unique pour toute frappe sur le pourtour de la
« tête » ; l’accordage s’effectue avec de nombreux petits coups de marteau sur le Pagri.
La découpe finale du Kinnar (bordure de frappe) dans la couche supérieure de peau est une opération
périlleuse : la lame est à quelques millimètres de la peau « musicienne » !.
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Il faut enfin, avec la même lame, racler délicatement la surface comprise entre le Gab et le Kinnar et
introduire avec un tournevis un fil entre le Kinnar et la peau vibrante du tambour).
Un dernier contrôle, et le dessus de la tête de Tablâ est terminé.
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A ce stade, la tête de Tablâ peut être commercialisée telle quelle : en effet la maison Bashiruddin vend et
expédie toutes les tailles de têtes de Tablâ et Bâyân ; les artisans de l’atelier changent aussi les peaux pour
les musiciens et fournissent des instruments neufs.
Pour la mise en tension finale de ces derniers, de petits cylindres de bois appelés Gullis sont placés sous
les lanières de cuir du Tablâ terminé ; ils servent à modifier la tension de la peau pour un premier accord
approximatif.
L’accord fin est réalisé en frappant l’anneau lacé autour de la peau, vers le haut ou vers le bas, avec un
petit marteau d’accord élégant. Il est absolument nécessaire, pour qu’un Tablâ développe toutes les
qualités de son timbre, que chaque frappe à quelque endroit du Kinnar dote une note rigoureusement
identique !
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