Lire un extrait - Editions Persée
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LE SECRET DES NOIX Jacques-Victor Caramin Le secret des noix Roman Editions Persée Ce livre est une œuvre de fiction. Les noms, les personnages et les événements sont le fruit de l’imagination de l’auteur et toute ressemblance avec des personnes vivantes ou ayant existé serait pure coïncidence. Consultez notre site internet © Editions Persée, 2015 Pour tout contact : Editions Persée — 38 Parc du Golf — 13856 Aix-en-Provence www.editions-persee.fr L’histoire est un roman qui a été, le roman est une histoire qui aurait pu être. Journal avec Jules de Concourt Bonjour, Avant tout, je tenais à vous remercier de votre choix, nul n’a besoin de savoir si ce livre était à la hauteur de ses espérances. En revanche, j’ai mis quatre années à savourer chaque instant décrit dans ce roman, il est bordé de romantisme, d’érotisme, de chaleur et d’intrigues. Je remercie avant de l’oublier la goutte de rosée (Katr Nada el taja), elle fut la première source d’inspiration. Elle cherche toujours le prince charmant et je lui souhaite tout le bonheur du monde dans ses recherches. D’autre part, je tire ma révérence à toutes ces personnes qui m’ont fait porter le bonnet d’âne en me soulevant une souffrance, qui faisait de moi le cancrelat. Exemples : — « Tu perds ton temps, retourne d’où tu viens. » — « T’es un bon à rien. » — « Si tu continues comme cela, c’est à coups de bottes que tu marcheras. » Je découvre avec le temps que toutes les personnes qui pensent avoir une vie, se sont largement trompées, il y a la vie vécue et celle qui reste à vivre. Ce livre relate un fait qui pourrait être vécu, mais je reste le seul à savoir de qui s’agit-il, mais cela n’y pense pas. En revanche, je vis avec une petite phrase qui pourrait peut-être un jour vous faire réfléchir, de la même manière que j’y pense toujours. 7 — Maman, pourquoi dois-je porter de l’eau sur ma tête pendant qu’à l’autre bout du monde, ils font caca dedans ? — Ils ne connaissent pas la valeur des choses, répondait-elle. Né à Bruxelles en 1962, Caramin, Jacques-Victor est passionné de tout, sauf de la lecture et de la littérature. Il commence par écrire, mais tardivement, quand son âme, plutôt perturbée par une souffrance interne et interminable, ne le lui laisse pas le temps de voir que sa passion sera dans l’écriture. Il se sent à l’écart des siens, pense avoir trouvé l’issue de secours qui le sortirait de son cauchemar. Il vivait au jour le jour sans se soucier du qu’en-dira-t-on, il souffrait dans le silence, sans mot dire et grandissait dans une famille qu’il pensait chaleureuse, s’épanouissait dans la solitude, la tristesse et l’incertitude. Il déposait chaque matin ses écrits, des fragments de pensées, ses moments vécus, sous une forme désordonnée. Il réunissait les actes de sa vie, qu’il accumulait dans une boîte à chaussures, date par date, facteur après facteur, sans penser qu’un jour, ses délires resurgiraient au grand jour. Il n’y a rien de plus logique et naturel pour un romancier de prendre sa plume, son ordinateur, de pondre un texte, une nouvelle, un roman, comme si l’on prenait une douche. Quand les phrases pleuvent les unes derrière les autres, rien n’est plus joyeux et simple que de conter. Mais l’oisillon se sentait égaré dans cette jungle de verbes et d’adjectifs. C’était complètement fou et tout à fait mon cas. Je ne voulais pas m’appliquer à un langage de Rimbaud ou de Baudelaire, ni même de Verlaine, mais plutôt utiliser des phrases simples et des paroles que tout le monde pouvait comprendre, sans devoir promener un dictionnaire, ce qui était contraire aux fantaisies de Molière. Je sentais et vivais seulement un instant d’initiation, même si ceci n’avait pas trop d’importance, même si j’étais le seul à comprendre, même si mes récits n’avaient ni queue ni tête, même 8 si je ne voyais ni de début, ni de fin. Ce dont j’étais convaincu et certain, je désirais partager quelque chose, quelques verbes qui pouvaient accrocher. À contrevent, je dialoguais, espérant vainement une précieuse réponse, un sentiment de bien-être, peut-être même une satisfaction personnelle. Je pensais avec les astres, mais elles n’étaient pas avec moi, que celles-ci m’auraient appuyé, mais aucune manifestation. J’étais vraiment seul, livré au jeu dont j’étais le protagoniste. Je prenais un dictaphone et mémorisais quelques phrases que je pensais utiles, comme le rédacteur en chef d’une chronique. Je m’exilais au loin, entre la fin du ciel et le début de la mer, comme si j’errais dans une spirale, comme dans une sphère lointaine, loin de tout, comme si j’étais unique en mon genre, comme si la préhistoire était présente, comme si le futur n’était que vécu. Je me faisais un bla-bla fou, mais j’étais heureux, j’étais… Moi. Ce que je radotais n’avait aucun sens, sans doute même que j’étais à la recherche d’un personnage, une courte nouvelle, un roman inachevé, que peu à peu je visualisais et structurais en récit. Peut-être même un instant qui pouvait avoir été vécu. Cette histoire n’est que pure fiction, elle est née de mon imagination débordante, aucun nom ni personnage n’existe, pur fruit d’une fluctuation de neurones qui se disputent la première ligne d’une histoire, sans doute le cataclysme d’une famille, ou d’une petite bourgade, peut-être d’un petit village paisible, d’une commune sans soucis ou d’une capitale tumultueuse et romantique, près de chez vous, ou peut-être près de chez moi. Quoi qu’il en soit, quelque part dans ce monde une personne supportait avec difficulté et tristesse cette histoire sur ses épaules. Tout s’anéantit, tout périt, tout passe ; Il n’y a que le monde qui reste. Il n’y a que le temps qui dure. (Dumas Alexandre, 1802-1870) 9 Vichy, le 12 mai 1942. L’aube semblait sereine, le silence touchait toute la vieille ville, un léger brouillard se dissipait, comme un voile blanc que l’on ôtait à la nuit et qui s’éclipsait lentement, laissant le jour prendre forme et s’installer en quelques rayons rosés. On distinguait péniblement l’heure au cadran de l’église, la rosée, le jasmin, soulevait quelques effluves de ce mariage dans une aube apaisée. Six heures trente, rue d’Alger, tout semblait calme ; pourtant, un son presque inaudible émanait des berges, quelques résistants s’étaient livrés à la beuverie – ils n’avaient cure des directives allemandes – ou quelques citoyens enfreignaient le couvre-feu. Au loin, résonnaient un claquement de bottes, un martèlement sur le pavé, comme si les godasses s’ancraient dans les sols, pour rompre la quiétude, quelques bruits d’armes, un attirail de fer, un fracas de tous les diables, on pouvait à peine les distinguer ; pourtant, tout restait si mystérieux. Le jour s’était levé, deux coups de feu retentissaient en fin de nuit, quelques mouvements de panique et puis, un mutisme. Deux hommes gisaient à même le sol, le visage face contre terre, baignant dans leur sang, Deux corps qui n’étaient ni couchés, ni debout, ni assis, ni accroupis, pourtant ils tenaient tous les deux, les mêmes caractéristiques, une position fœtale, sur les genoux. 10 L’exécution ne faisait aucun doute, l’histoire d’un moment venait de s’inscrire ; un jeune militaire d’une quinzaine d’années tenait un revolver Luger à la main, le canon encore fumant, l’adolescent faisait partie de la nouvelle mouvance hitlérienne. Ce jeune homme et son complice venaient de mettre un terme à la vie de deux citoyens polonais, personne ne pouvait expliquer les raisons ni les gestes qui avaient conduit ces ados à cet acte infâme, pourtant il avait eu lieu. Pour qui et pour quoi ? Personne ne parlerait jamais de ce cas et personne ne discuterait des deux personnes qui perdaient leur vie. La gazette du 13 mai 1942 ne faisait aucune référence quant aux actes commis la veille, à l’exception de deux petites lignes qui ne tiraient aucune réflexion ni aucun suivi. Une soirée glauque, un vent soufflait dans les ruelles de la cité, au loin on entendait des bottes qui claquaient le sol, comme s’il s’agissait d’une parade militaire, le soleil se cachait derrière quelques bâtiments en ruines. L’histoire n’en parlera plus ; entre-temps l’affaire Daniel Haufman avait été classée sans suite. « La raison du plus fort est toujours la meilleure. » (De Jean de La Fontaine, extrait de : « Le loup et l’agneau ») 11 Chevanceaux-les-Druides, mai 1970. Thomas et Maeva se sont connus il y a quelques années, dans un petit village des Charentes. Un petit couple sans histoires. Que pouvait-on leur reprocher, sinon d’être un duo plein de vie, plein de romantisme et d’érotisme ? Leur vie était pénible, sous le seuil de la pauvreté et surtout à la limite de la ruine. Ils vivaient simplement dans l’humilité et les peines de la terre. Ils étaient très estimés et très appréciés au village, tout le monde connaissait la situation délicate de Thomas et l’état de Maeva. Le budget familial ne permettait aucune folie, ni fioritures. Malgré leurs infortunes, les tourtereaux allaient s’unir dignement devant le maire du bourg, pour le meilleur et pour le pire, quoique le spectre du sinistre fût de mise et journalière. Quant au meilleur, il avait de la peine à se dessiner. De cette union naîtront quatre filles, Élisabeth la cadette, Juliette, Sandra et Victorine. Ce n’est pas que Thomas était contre la contraception, mais son modeste solde ne lui permettait pas de superflus, il mettait donc un sérieux coup de frein dans ses ébats d’étalon… À chaque coup de reins, Maeva se retrouvait prise. J’ai déjà quatre pouliches, ça suffit, disait-il à contrevent. Si je continue ainsi, je vais devoir bûcher double pour nourrir cette marmaille. » Tout en regardant la croix du saint homme, qui ne prêtait aucune attention à ses remarques. 12 Chaque fillette avait tout au plus un an d’écart, et Maeva s ’épuisait de toutes ces grossesses répétées, surtout la dernière, qui était une véritable sinécure, une part d’injure à la nature. Maeva éprouvait une énorme fatigue à éduquer cette ribambelle, elle n’en pouvait plus et ne voulait plus d’enfants. Seulement, l’enthousiasme de son homme était plus sain et convaincant que la peine de son épouse. Dans le village, tout le monde commentait que Thomas avait le sexe aussi long que celui d’un étalon et qu’il forniquait comme un lapin. Même une des doyennes confirmait une petite phrase amusante au passage. « Si le Thomas continue, on va avoir plus de membres de sa famille que les citoyens du village », en riant comme une cane après lui avoir jeté de vieux croûtons. En 1979, Maeva se retrouvait à nouveau fécondée, après cinq années d’abstinence, mais l’accident arrivait un soir où les deux tourtereaux fêtaient leur anniversaire de mariage et s’envoyaient quelques rasades d’un bon vieux pineau des Charentes, de conception artisanale à la teneur éthylique autre que la normale. Thomas emmenait sa donzelle au vieux moulin à huile des Rigaud et ravivait la friandise défendue, il culbutait à fond sa demi-orange, dans les ballots de foin qu’il engrangeait pour l’hiver. La vitalité du bel étalon engendrait de force une nouvelle vie dans les entrailles de sa belle demoiselle, qui en prenait de plus belle après ces quelques années de liberté. Elle pensait bien avorter, ce petit dernier, mais Thomas en décidait tout autrement : « Si notre croix est d’avoir ce petit, nous assumerons nos actes. Hors de question de nier nos responsabilités », s’exclamait-il avec force. Tout était dit, pour Thomas, sans penser un seul instant que cette peine n’était pas dans ses viscères, mais dans le corps de sa femme et qu’elle n’avait pas eu droit de répondre, même si elle communiait parfaitement la pensée de son mari. 13 Maeva passait une période de gestation plutôt compliquée et douloureuse, elle vivait un enfer, jour après jour, mois après mois. L’année 1980 était une année où la culture fut néfaste, Thomas prenait de petits boulots, sans estimer la valeur des travaux accomplis, les intempéries de la fin d’hiver avaient mis à mal sa culture. Thomas ne baissait pas les bras, son budget fondait comme neige au soleil, il redoublait de courage et prenait tout ce qu’il pouvait encore prendre. Maeva happait le taureau par les cornes et saisissait de petites prestations de couturière, révisait et réparait des draps pour les huppés de la métropole voisine, où les monnaies étaient encore plus rondelettes que dans ce hameau perdu. Dans la famille Leumas, on ne mourait pas de faim, mais il n’y avait pas de viande tous les jours, le potage était plus de coutume qu’un bon jarret ou un gésier, mais il fallait faire avec, comme aimait à dire Thomas avant de passer à table. Maeva occupait son temps avec son mari, tous deux allongeaient les câbles de fer et préparaient le montage des tuteurs de vignes. Thomas regardait de loin sa femme, il riait, contemplatif devant les rondeurs féminines de celle-ci. Qu’elle est belle, se disait-il en scrutant sa femme, vêtue d’une robe blanche, qui laissait entrevoir l’ombre de son ballon, sous le rayonnement des ultraviolets. Maeva descendait vers lui, le sourire aux lèvres, tout un programme, elle se sentait depuis un bon moment sujet à ses mirages brefs et se sentait épiée par son mari. — Qu’as-tu donc à me reluquer, sans cesse ? d’une voix à demi suave et mielleuse. — Rien, répondait-il avec une petite idée derrière sa cervelle. Oh, j’te mettrais bien un petit coup, tellement tu es belle, s’exclamait-il avec la pensée que ses dires seraient des ordres. 14 — Ça suffit, lançait-elle de sa voix sulfureuse. Il n’est pas encore dehors que tu en mettrais un autre dedans ! s’écriait-elle en rajustant ses dires. Thomas riait aux éclats et se sentait à la fois confus. — Oublie ce que je viens de dire, murmurait-il à voix basse, tout en restant sur une envie qui marquait une bosse vivante à son pantalon, ce qui laissait Maeva douteuse et rêveuse, quant à ses besoins de le faire vibrer. 15