A propos du pôle lyrique, symphonique et chorégraphique lorrain

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A propos du pôle lyrique, symphonique et chorégraphique lorrain
A propos du pôle lyrique, symphonique
et chorégraphique lorrain :
des questions brûlantes
Un projet apparemment solide sur le papier, mais qui n’en suscite pas moins d’interrogations qui
donnent à réfléchir. Ainsi, Christiane Stutzmann, cantatrice, de l’Opéra de Paris, professeur de chant et
d’art lyrique, présidente honoraire et membre de l’Académie Stanislas de Nancy, nous a fait part, en sa
qualité de conseillère artistique et membre du Cercle Lyrique de Metz, de ses inquiétudes quant à la
concrétisation de ce projet. Elle a répondu aux questions que le président du C.L.M., Georges Masson,
lui a posées.
Georges Masson : Quelles sont les observations qui, globalement, vous ont conduite à être sceptique
quant à ce projet ?
Christiane Stutzmann : Globalement, je vous dirai que la fusion des deux scènes lyriques de Nancy et
de Metz ne garantit pas un moindre coût, et que le projet de fusion entraînera un plan social, lourd de
conséquences sur les plans économique et humain. De ce fait, elle affectera inévitablement la qualité de
la création artistique, qui, elle, doit rester absolument prioritaire. De plus, la fusion n’est pas
automatiquement compatible avec une image culturelle forte de la Lorraine. Celle-ci exige un
rayonnement pluridisciplinaire de qualité. D’autre part, une programmation commune conduirait à
diminuer l’offre, puisque l’on ne pourrait, évidemment, pas jouer simultanément dans les deux villes.
LES CONSEQUENCES : UN APPAUVRISSEMENT
G.M. : Est-ce une perspective de décroissance que vous appréhendez ?
Ch.S. : C’est une constatation : le point fort de Nancy est, incontestablement, sa scène lyrique, et celui
de Metz est son orchestre. Faut-il pour autant les réunir à tout prix en ignorant les conséquences d’une
telle décision ? La conséquence en sera, inévitablement, un appauvrissement. La solution serait de
s’orienter plutôt vers un rapprochement, une coordination, forte et cohérente.
G.M. : Pouvez-vous nous fixer dans leurs détails, les objections d’ensemble que vous formulez ?
Ch.S. : Le premier des inconvénients, en cas de fusion, est d’ordre technique. Dans une production
lyrique faite pour la scène de l’Opéra National de Lorraine (Nancy), le décor serait complètement
sacrifié, comme ce fut le cas précédemment pour « Carmen » et pour « L’Italienne à Alger » (saison
2011-2012), et ceci, afin de pouvoir tenir sur la scène de l’Opéra-Théâtre de Metz, en raison de la
différence de taille des deux scènes, celle de Metz étant la plus petite de France. Ce qui conduirait à une
programmation adaptable aux deux scènes et réduirait, d’emblée, à Nancy, la programmation d’opéras à
grand spectacle, dignes d’un Opéra national.
Ma seconde objection est d’ordre économique. Non seulement aucune économie ne serait
envisageable, mais, au contraire, en ce qui concerne l’Opéra, les frais occasionnés par les déplacements
incessants des personnels techniques et artistiques entre les deux théâtres, engloutiraient une partie
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importante de la subvention dans les transports. Je vous donne un exemple : 20.000 euros de bus pour les
seules répétitions de « Carmen » à Metz !
15 OUVRAGES PAR AN : MISSION IMPOSSIBLE !
G.M. : En quoi la programmation lyrique fusionnée relèverait-elle d’une mission impossible ?
Ch. S. : Il serait illusoire de penser qu’une fusion des deux scènes pourrait permettre une saison lyrique
qui comporterait 10 à 15 ouvrages par an, comme cela a été annoncé. 7 à 8 productions maximum sont
envisageables, puisqu’un ouvrage lyrique nécessite un mois à un mois et demi de répétitions scéniques et
musicales, sans compter les dates des spectacles eux-mêmes, et sans oublier la disponibilité du plateau,
des techniciens, des chœurs et de l’orchestre. Quant à augmenter le nombre de spectacles, il faut se
souvenir qu’en matière de théâtre lyrique, plus on joue, plus cela coûte cher !
G.M. : Votre diagnostic en ce qui concerne la concentration des orchestres ?
Ch.S. : Quant à rapprocher les deux orchestres, il ne faudrait pas comparer le cas de villes comme
Bordeaux et Lyon qui possèdent deux orchestres (un orchestre symphonique et un orchestre lyrique) au
sein de la même ville et non à 60 km de distance !
Par ailleurs un autre problème technique se pose, à Nancy, en raison de la taille de la scène de la Salle
Poirel, qui ne pourra accueillir raisonnablement l’Orchestre National de Lorraine, dont l’effectif actuel de
70 musiciens devra passer, sous peu, à 90 voire 110 musiciens, afin de correspondre aux normes d’un
orchestre au label national. Dans ces conditions, où se produirait cette grande formation à Nancy qui ne
dispose pas d’une grande salle de répétition, ni d’une salle équivalente à celle de l’Arsenal de Metz ?
Où seraient les sièges administratifs de l’orchestre fusionné et celui de l’Opéra fusionné ?
DES SOLUTIONS PLUS RATIONNELLES
G.M. : Auriez-vous des propositions à faire, des solutions à apporter, afin d’éviter ce que j’aurais
tendance à qualifier de catastrophe annoncée dans le cas d’une fusion ?
Ch.S. : Oui. Car un pôle lyrique, symphonique et chorégraphique lorrain pourrait véritablement être
envisagé, à condition de créer des structures fortes et indépendantes dont la programmation originale
offrirait un éventail exceptionnel de diversité qui consisterait à créer, à l’Opéra-Théâtre de Metz, par
exemple, une saison composée d’ouvrages adaptés à la taille de sa scène (Opéra, Opéra baroque, Opéracomique, Opérette, Ballet, Comédie musicale). Ils toucheraient tous les publics et toutes les tranches
d’âge. On pourrait même y insérer une troupe de jeunes chanteurs qui fournirait une grande partie des
besoins tout en étant beaucoup moins coûteuse.
G.M. : Quid du Ballet de Nancy, des ateliers de décors, de la vocation des deux orchestres … ?
Ch.S. : D’abord, à Nancy, l’Opéra National de Lorraine programmerait des Opéras de plus grande
envergure en respectant l’équilibre des époques (Grand baroque, Opéra classique, romantique et période
contemporaine) avec son propre orchestre. Quant aux deux orchestres, en dehors de leur saison
symphonique habituelle, un échange (ou deux) entre les deux villes, pour un grand Oratorio (par
exemple), ou une Symphonie à grand effectif, pourrait être programmé entre les deux maisons dans des
lieux appropriés afin de rayonner dans toute la région.
En ce qui concerne le Ballet National de Nancy, hors de sa programmation internationale, il pourrait
donner un ou deux spectacles à Metz et à Nancy chaque année, et participer également aux ouvrages
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lyriques qui réclament la présence de la danse, comme c’est le cas fréquemment dans le répertoire
d’Opéra français.
Enfin, l’atelier de décors et de costumes de chaque ville pourrait s’associer pour participer chaque
année à la préparation d’une création ou d’une reprise commune.
L’ECHEC D’UNE FUSION ? DES CONSEQUENCES IRREVERSIBLES
G.M. : Pourriez-vous nous livrer malgré tout, une conclusion plutôt encourageante de cette analyse
pessimiste mais cependant lucide et ouvrir aux responsables ainsi qu’aux artistes des institutions
concernées, comme aux lyricophiles et autres mélomanes, les fenêtres de l’espérance ?
Ch.S. : Je voudrais vous dire, en résumé, que les sensibilités messines et nancéiennes, sont également au
cœur du problème qui est avant tout sociologique dans ces deux villes, tellement différentes dans leur
mentalité et leur histoire. Et si elles ont des politiques culturelles très fortes, il serait hautement préférable
de parler de coordination et de complémentarité plutôt que de rivalité.
Il faut se rappeler aussi qu’il n’y a aucune carence de fréquentation en Lorraine pour la musique
classique et que les fusions de certains Théâtres en France ont été un désastre financier ! Le risque
d’échec de cette fusion pourrait entraîner des conséquences irréversibles qui touchent également des
arguments économiques qui favorisent l’installation des entreprises dans le cas de propositions
culturelles de qualité. Les 500 employés de ces théâtres auxquels il convient d’ajouter les artistes invités
qui participent à la vie commerciale de ces spectacles dans nos villes, ne sont pas à négliger.
PLUTÔT LE RAPPROCHEMENT ET LA COORDINATION
« Le rapprochement et la coordination seraient peut-être la seule manière de faire des économies en
utilisant les ressources des deux villes », ajoute Christiane Stutzmann, qui n’élude pas les problèmes
syndicaux, le chômage généré par les plans sociaux dont la presse s’emparerait dans les pires conditions
de cette période de crise…
Son mot de la fin qu’elle nous a livré ne contient-il pas une dose de scepticisme et de philosophie,
lorsqu’il exprime ce qui suit à propos de « Lordculture », pilote de l’opération : « Lordculture, qui a
pour mission d’effectuer un <accompagnement opérationnel> sur cette possible fusion, ne tiendra
sûrement pas compte des éléments que je viens de donner, car ses compétences, bien qu’étant multiples,
ne sont nullement spécialisées dans ce domaine ». Voilà qui est dit.
Propos de Christiane Stutzmann, recueillis par Georges Masson (novembre 2012)
Un article qui fait des vagues !...
Nous reproduisons, pour information, un extrait de l’article, paru en pages Région (Culture) du 22
septembre 2012 de l’Est républicain qui titrait : « Préludes et fugues en Pôle majeur », avec un portrait
du nouveau directeur général de l’ONL Christopher Bayton, après un concert donné sous la direction
de Jacques Mercier directeur artistique, et portant sur la symphonie n°6 de Mahler qui réunissait les
deux orchestres lorrains, sous le titre de « Metz et Nancy à l’unisson ».
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« A l’issue du concert, qui ne fut pas si simple à mettre en place, l’ONL s’est fendu d’un petit texte
qui, mine de rien, a secoué le cocotier lorrain dont la conclusion était :
Cette collaboration est le fruit d’une réflexion importante menée entre les deux orchestres et
l’ensemble des partenaires qui doit aboutir à la création d’un Pôle lyrique, symphonique et
chorégraphique. Le pôle symphonique est basé à Metz et le restera…
« Des inquiétudes syndicales se sont immédiatement manifestées, les musiciens craignant une fusion
des deux orchestres.
« Ch. Bayton a été auditionné sur le sujet et devait réfléchir sur ce rapprochement et non sur cette
fusion dont le mot a été prononcé en 2010, et qui lui fait peur, car «qui dit fusion dit plan social ».
Dans son projet, il y a la création d’un ensemble de musique contemporaine, un ensemble plus
populaire du style Boston Pops Orchestra et un ensemble baroque. Le tout avec les musiciens des
deux orchestres. Et de conclure « Il faut deux orchestres pour que l’offre culturelle et pédagogique
en Lorraine soit maintenue ». Le rapprochement est une manière de faire des économies et nous
sommes à l’heure de la mutualisation en utilisant les ressources des deux villes…
« A Nancy, Laurent Hénart joue une partition plus « mezza voce » et redoute qu’on ne retourne
dans d’énièmes polémiques ! Il reproche au communiqué de l’ONL d’être inexact et
unilatéral…Nancy attend les conclusions du cabinet « Lordculture » qui doit également auditer les
partenaires sociaux et préconise d’observer le protocole. »
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LORDCULTURE :le texte de la Mission d’accompagnement opérationnel
Texte de « LordCulture » au sujet de la Mission d’accompagnement opérationnel portant sur la mise en place d'un
pôle lyrique, symphonique et chorégraphique en Lorraine
(2012 - en cours)
Le contexte- notre mission
La Lorraine bénéficie actuellement d’une offre lyrique, symphonique et chorégraphique d’une
grande richesse, bâtie sur une multiplicité d’acteurs d’excellence et d’équipements de renommée
incontestable. Ces atouts culturels ont permis de construire une identité forte pour la région. Afin
d’accroître la visibilité et la qualité de cette offre culturelle, la région Lorraine a engagé un
processus de rationalisation des moyens – humains, matériels, techniques, artistiques et financiers -,
en créant un pôle dédié à ces domaines. La région Lorraine vise ainsi à concrétiser la mise en œuvre
de synergies nouvelles, de rapprochements des différents intervenants pour une gestion optimisée
des ressources et des pratiques. Lordculture a été retenu, en association avec le cabinet d’avocats
SCP SARTORIO & Associés, pour l’accompagnement opérationnel portant sur la mise en place de
ce pôle lyrique, symphonique et chorégraphique. La mission se déroule en deux phases avec :
-
l’identification des hypothèses de rapprochement des différents partenaires (tranche ferme). Dans
cette phase, Lordculture mène une étude diagnostique et définit des scénarii de regroupement,
mutualisation et rapprochement.
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-
l’accompagnement de la mise en œuvre du plan d’actions (tranche conditionnelle). Dans cette
phase, Lordculture élabore un plan d’actions opérationnel et accompagne le maître d’ouvrage au
cours des différentes étapes de mise en œuvre.
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