Coup de foudre Pour de l`argent il ferait tout ! Pas simplement se

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Coup de foudre Pour de l`argent il ferait tout ! Pas simplement se
 Coup de foudre
Pour de l’argent il ferait tout ! Pas simplement se lever tôt et se coucher tard avec un dur
labeur. Mais bien d’autres choses, bien moins avouables… Dès son plus jeune âge, il
convoitait les piécettes dorées qui tintaient dans le porte-monnaie de sa mère. Il en imaginait
le poids dans le creux de sa main, il se voyait les faire rouler : si rondes, si parfaites, si
brillantes. Sa fascination avait évolué très vite avec l’âge vers le froissement du papier. Le
bruissement de l’argent que l’on compte, le pouce qui frôle le billet pour le détacher de la
liasse. Une mélodie si douce…
A vingt-cinq ans, Arnaud est conscient d’avoir une addiction profonde mais ne s’en formalise
pas. Il se dit que sa passion est partagée par des milliers d’autres personnes. Sauf que ces
autres n’emploient pas tous les moyens, mais çà : cela reste un détail.
Il aime déambuler dans les rues de la côte d’Azur, le soleil du printemps réchauffe la peau
sans brûler et l’atmosphère est encore préservée de la horde des touristes de l’été. Une journée
calme, sereine qui commence. Il va peut-être déjeuner dans sa brasserie habituelle sur le port,
à voir, il se laisse encore le choix.
Son univers bascule en l’espace d’une demi-seconde. Il aura suffi d’une chevelure brune aux
reflets doux, une silhouette fine et élancée habillée de noir. Les détails s’impriment dans sa
rétine, dans son cœur, dans sa peau : un sac rouge grenat, une ceinture dorée, des lunettes de
soleil qui lui mangent le visage et le chatoiement d’un bracelet aux yeux saphir.
Il ne peut s’empêcher de la suivre. Son corps aimanté ne fait plus qu’un avec la femme qui
s’éloigne. Elle entre dans un hôtel : il épouse son pas, subjugué. Elle le laisse frustré, elle
disparait dans un ascenseur. Il se sent abandonné, perdu. Il erre quelques secondes sans savoir
quoi faire. Il se sait un homme d’action, il se reprend sur le champ et file vers la réception. Il
faudra à Arnaud moins de cinq minutes pour obtenir le nom et l’histoire de la silhouette
aperçue. Elle s’appelle Elena, russe, elle est venue au soleil soigner un rhume persistant. Mais
ça c’est la version officielle. La femme de chambre a entendu une conversation houleuse entre
Elena et son riche mari. Elle ne subira pas de nouvel affront, elle veut qu’il fasse du ménage
dans ses amours inconvenants avant qu’elle ne revienne. Pensant être protégée par la barrière
de la langue elle n’a pas baissé le ton. « Mal lui en a pris, ou au contraire tant mieux… », se
dit Arnaud, satisfait.
Le soir même il est installé au bar de l’hôtel quand Elena fait son entrée. Il apprécie son
charme discret et son élégance. Elle a le pas assuré, indifférente au regard des autres mais
sans s’imposer, tout en souplesse. Elle s’installe au bar : c’est presque trop facile pour
Arnaud. Il noue la conversation sans avoir l’air de rien et il ne faut pas une heure et quelques
verres pour qu’ils devisent amicalement. Il n’insistera pas trop et s’échappera à l’heure du
dîner avec un « à bientôt peut être » charmeur mais distant.
1 Il attendra deux jours entiers, longs, où chaque minute s’égrène comme une éternité, pour
revenir auprès de sa belle. Elena est charmée mais Arnaud est toutefois bien jeune. Elle a
quand même neuf ans de plus que lui ! Elle voit son regard fervent posé sur elle. Elle ne veut
pas lui cacher sa situation mais ne veut pas confier ses souffrances. Que peut-il connaître des
aléas de la vie conjugale ? Son avenir est devant lui… Elle se laisse quand même charmer par
ses mots, ses gestes en douceur et son indifférence tranquille. Il a la tête remplie de projets
tous neufs, il est curieux de tout et ne cesse de poser des questions.
Malgré ses réticences Elena va l’aimer. Elle l’aimera avec l’insouciance des vingt ans qu’elle
n’a plus. L’amour c’est retomber en enfance dit-on : cela sera le cas pour elle. Elle restera
subjuguée par leur premier baiser, doux et brulant à la fois. Les mains d’Arnaud se glisseront
dans ses cheveux et lui caresseront le dos. Elle fondra sous ses baisers et se surprendra à
sourire à son reflet, seule devant le miroir.
Ils sortiront beaucoup, il lui fera découvrir les merveilles de l’arrière-pays. Main dans la main,
heureux, ils marcheront le long de la promenade des anglais. Parfois la nuit, blottie contre lui,
elle se réveillera et écoutera son cœur battre contre elle, son souffle régulier soulever
doucement sa poitrine. Instant de bonheur et d’éternité qui feront perler une larme au coin de
ses yeux.
Arnaud aussi est amoureux, chaque jour il admire l’objet de sa félicité. Il n’en croit ni ses
yeux, ni sa chance, comment est-ce possible ? Quand des amis à lui racontaient leur coup de
foudre, leur bonheur à deux et la multitude de projets qui naissaient dans leurs têtes, il n’y
avait pas cru. Force est de constater son erreur : chaque seconde loin d’elle est une torture, un
manque immense l’emplit et il se précipite pour la rejoindre. Il est alors bien : rassuré, ravi,
ému. Des kyrielles de projets se profilent à l’avenir, tellement différents de tout ce qu’il a
imaginé jusque-là ! Aucune autre pensée ne peut faire son chemin en lui. Son esprit et son
cœur battent à l’unisson.
Ce samedi matin Arnaud paresse dans les draps encore chauds. Ils se sont réveillés à l’aube,
ont longuement fait l’amour avec le soleil naissant et ont projeté une escapade à Monaco pour
visiter le musée océanographique. Elena s’étire à côté de lui, elle a chaud, elle quitte les draps,
pose quelque chose sur la table de chevet puis elle se retourne et lui fait un clin d’œil.
-
Je vais prendre une douche, rejoins-moi si le corps t’en dit…
Arnaud sourit, il aime les quelques fautes de langue qui parsèment les paroles d’Elena. Elle
maîtrise bien le français mais il y a parfois des incohérences.
-
Peut-être…
Elle disparait dans la salle de bain. Il s’étire à son tour et se retourne. Son regard accroche un
éclat. Elena a quitté son bracelet. Pour la première fois depuis qu’ils sont ensemble le bracelet
2 est posé là, sur le chevet. Son cœur manque un battement, l’eau commence à couler dans la
pièce attenante. Il se lève prestement et enfile ses vêtements. Il ne quitte pas une seconde la
merveille des yeux : un bracelet épais en or jaune, serti de diamants, la panthère s’enroule
autour d’elle-même et le regarde de ses yeux de saphir. Il en avait entendu parler mais n’en
avait jamais vu auparavant : on ne lui rend pas hommage, il est si beau qu’Arnaud ne trouve
pas les mots appropriés.
Il jette un coup d’œil derrière lui : l’eau coule toujours. Il saisit le bijou et caresse le métal
encore chaud d’avoir été porté. Son sang bat la chamade dans ses veines, il a le souffle court,
il est tellement heureux qu’il sent sa gorge se serrer.
Il se lève doucement du lit, et se dirige vers la porte.
-
Où vas-tu ?
Il s’arrête, tétanisé. Il se retourne lentement. Elena est sortie de la salle de bain, entourée
d’une épaisse serviette blanche. Son regard est surpris et interrogateur.
Puis la réalité s’impose : Arnaud a le bracelet dans la main et il part silencieusement. Un
immense froid l’envahit, elle sent les gouttes tomber de ses cheveux mouillés, lentement
glisser le long de son cou et de son dos. Elle n’a même pas la force d’articuler un seul mot. Sa
gorge serrée étouffe les sanglots qui commencent à envahir sa poitrine.
Arnaud reste immobile, il est désolé, il a peur de ce qu’Elena va décider, elle peut le conduire
en prison, le faire incarcérer pour vol. Il sent le bracelet chaud dans sa main, il ne veut pas le
laisser, il ne peut pas, il est le but entier de toute sa vie. Des milliers de pensées défilent : doitil partir en courant ? Doit-il la faire taire ? Il n’a qu’une certitude : il ne peut vivre sans lui.
Ses pensées l’ont empêché d’entendre les premiers mots qu’Elena prononce.
« … je n’avais jamais pensé rompre mes liens malgré l’affront mais tu as su me convaincre
sans jamais évoquer le sujet. J’étais si bien et si heureuse avec toi que je me suis dit que la vie
m’avait fait un cadeau. J’ai donc beaucoup réfléchi ces derniers jours et j’avais pris la
décision de tout quitter pour être avec toi. Tu es jeune, tu ne travailles pas, j’ai cherché un
moyen de nous rendre un avenir possible. Et j’ai trouvé ! Le cadeau de mariée de Vladimir…
Simplement efficace. Je me suis bien renseignée et je m’en suis occupé hier, pendant que tu
faisais ton tournoi de tennis…. »
Arnaud écoute mais n’entend pas…
« Evalué à 350 000 euros, vendu 325 000€ car c’est Vladimir qui a les papiers et il ne me les
aurait jamais donnés… »
3 Les yeux mouillés Elena le regarde, sa voix tremble : « J’avais tellement l’habitude de porter
ce bijou… et pour me rappeler la dureté de l’âme masculine et le poids des illusions, j’ai fait
faire une copie sans valeur par un artisan d’ici. »
Arnaud regarde attentivement le bracelet maintenant. Il en voit les imperfections et la
grossière réalisation. Tout à son engouement il n’avait rien vu. Il comprend, à la même
seconde, que si Elena l’a retiré avant d’entrer dans la salle de bain c’est pour que l’humidité
ne le ternisse pas.
Tous deux se regardent, la gorge serrée et le cœur brisé. Ils ont tous deux perdu l’objet de leur
amour. Arnaud va poser doucement la pâle copie sur le lit abandonné. Il va ensuite quitter
silencieusement la chambre sans regarder Elena. Elle restera immobile, longtemps, puis ira
s’assoir sur le lit. Elle passera le bracelet à son poignet et le regardera longuement.
Malédiction ou ange gardien contre les voleurs mal intentionnés ?
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