Information, éducation, psychoéducation dans le trouble
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Information, éducation, psychoéducation dans le trouble
L’Encéphale (2011) 37, S1—S3 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: www.em-consulte.com/produit/ENCEP ÉDITORIAL Information, éducation, psychoéducation dans le trouble bipolaire. Yes, we should Information, education, psycho-education for bipolar disorders. Yes, we should Depuis quelques années l’approche psychoéducative complémentaire des traitements thymorégulateurs pour les patients atteints d’un trouble bipolaire de l’humeur s’est développée au point qu’elle est aujourd’hui l’intervention psychologique ayant le mieux démontré son efficacité sur le cours évolutif du trouble bipolaire [1,2,6]. Selon une récente revue de la littérature, elle doit être intégrée en première intention au traitement du trouble bipolaire [7]. Elle figure dans les recommandations internationales récentes et y est mentionnée comme « une part essentielle de la prise en charge du trouble bipolaire » [3,8]. Pourtant, moins d’une équipe sur dix en France a mis en place des prises en charges psychoéducatives. Cela peut, en partie, s’expliquer par des raisons pratiques telles que l’accaparement des psychiatres pour d’autres tâches qui seraient plus urgentes ou prioritaires dans le contexte difficile que connaît le monde de la santé. Mais il est possible aussi que, d’un point de vue conceptuel, l’importation en psychiatrie de ces approches éducatives, depuis la « médecine somatique » dont elles sont issues, ne soit pas pleinement acceptée par tous les soignants. Cela mérite une réflexion qui convoque les mutations complexes de la relation médecin—malade au cours des dernières décennies, elles-mêmes largement influencées par les transformations sociologiques et les considérables progrès biomédicaux. On peut schématiquement décrire l’évolution de la relation médecin—malade en trois temps. Le plus ancien est celui où le médecin prend les décisions, il ordonne son ordonnance, le malade la suit passivement. En situation 0013-7006/$ — see front matter © L’Encéphale, Paris, 2009. doi:10.1016/j.encep.2009.11.001 d’urgence ou de menace vitale, ce mode de relation prévaut bien sûr toujours et satisfait le médecin comme le malade. Mais, en dehors de ce cadre d’urgence, il ne saurait plus aujourd’hui répondre aux attentes des patients ni résumer les devoirs des médecins. Le vocabulaire médical reste imprégné de ce mode de relation à travers certains termes tels que l’ordonnance ou la compliance, connoté d’une certaine soumission du patient (to comply, se soumettre) et auquel les Anglo-saxons préfèrent désormais celui d’adherence que nous traduisons par « adhésion ». Dans un deuxième temps, la relation médecin—malade a évolué vers la nécessité de fournir informations et explications aux patients. Le médecin doit informer et expliquer ses choix et décisions thérapeutiques. Dans certaines situations, telles que les pathologies bénignes non chroniques, cette transmission de l’information du professionnel expert vers un patient relativement passif peut suffire. Le troisième temps de l’évolution de la relation médecin—malade ne se limite pas à une explication par le médecin de sa décision mais instaure une réflexion commune aboutissant à une décision partagée. Les pathologies sévères et/ou chroniques requièrent ce modèle relationnel, basé sur une participation mutuelle conférant au patient un rôle actif. Le patient et le médecin détermineront ce que doivent être les objectifs prioritaires dans la lutte contre la maladie. Ils œuvreront ensemble pour ces objectifs explicites et partagés. C’est ce modèle moderne d’alliance thérapeutique qui doit prévaloir aujourd’hui. Pour le développer, chacun des deux acteurs doit opérer un rapprochement vers l’autre. D’une part, le patient doit prendre conscience que S2 ses représentations de la maladie sont parfois très éloignées de la réalité scientifique et que cela peut l’empêcher de comprendre les enjeux de traitements dont la complexité est croissante. D’autre part, le médecin doit accepter que l’échelle des valeurs et les priorités du patient divergent parfois considérablement des siennes. L’expérience du patient, son mode de vie propre et son vécu subjectif d’un symptôme, d’un handicap, d’un effet secondaire doivent être des éléments d’une gestion conjointe de la maladie. C’est dans le contexte de cette évolution de la relation médecin—malade que s’est développée la psychoéducation. Un mode relationnel qui apporte un degré de liberté supplémentaire apporte toutefois davantage de responsabilités, voire parfois d’angoisse. Substituer aux certitudes du médecin tout-puissant, le partage avec lui des incertitudes médicales n’est toutefois ni simple ni toujours confortable pour le patient. Ainsi, pour ces raisons, ou pour d’autres plus « idiosyncrasiques », certains patients préfèrent, consciemment parfois, maintenir une certaine dépendance confiante au médecin. Pour autant, ce dernier ne doit pas se retrancher ou se défausser derrière une neutralité factice et, somme toute, facile. Il doit au contraire adapter son attitude au patient en recherchant ce que l’on pourrait appeler un « partenariat maximal possible ». En psychiatrie, la relation médecin—malade est plus complexe et l’importation depuis la médecine somatique de ce modèle relationnel n’est pas intuitivement adéquate ou pertinente pour tous. Pour aider à distinguer la place qu’il peut avoir dans notre discipline, on peut avoir recours à deux simplifications grossières mais heuristiques. La première est qu’il s’ébauche plus ou moins explicitement aujourd’hui une nosologie psychiatrique qui n’est plus exclusivement phénotypique, et distingue des pathologies dont l’étiologie à une « valence psychologique prédominante » et d’autres une « valence biologique prédominante », comme la schizophrénie ou le trouble bipolaire de l’humeur. La seconde simplification est que certaines approches privilégient le « transférentiel » et d’autres le « relationnel ». Les dichotomies biologique ou psychologique et transférentiel ou relationnel sont bien sûr artificielles et insuffisantes. Mais elles sont, pour les questions auxquelles se limitent ce texte, suffisantes pour énoncer que le modèle moderne de la relation médecin—malade de la médecine somatique est approprié en psychiatrie pour les patients souffrant d’une pathologie à « valence biologique prédominante » et pris en charge selon des approches qui n’utilisent pas le transfert et son analyse comme levier principal. Le terme « médecine somatique », utilisé plus haut, est également une simplification abusive et même péjorative quand on sait l’immense richesse psychologique que comportent la médecine et la relation médecin—malade dans toutes ses complexités. Ainsi, aucune médecine soucieuse de l’humain n’est jamais strictement somatique. Il est donc moins paradoxal qu’il n’y paraît que la psychiatrie s’inspire et bénéficie parfois, même pour ce qui est de la relation au patient, des expériences, des réflexions ou des savoir-faire de la médecine restrictivement dite « somatique » dans toute sa richesse. Les patients bipolaires ont un légitime besoin d’informations, mais les nombreuses sources (media, livres, Internet) disponibles ne sont pas toujours fiables Éditorial quand elles ne sont pas folkloriques. La réappropriation de l’information par le monde médical et académique est donc une nécessité. L’éducation ne se limite, cependant, pas à l’information car elle suppose non seulement une acquisition de connaissances, mais aussi une acquisition de compétences. Ainsi, à titre d’exemple, il ne suffit pas d’informer que le maintien d’un même niveau d’activité aggrave et creuse une dépression débutante. Il faut aussi que le patient, s’il suspecte une rechute dépressive, acquière le réflexe de diminuer son niveau d’activité. En français, le mot éducation évoque regrettablement l’acquisition de normes sociales et culturelles. Cette connotation, absente en anglais, se trouve nettement atténuée par le préfixe « psycho- ». Certains ont proposé l’expression quelque peu scolaire de « formation thérapeutique des patients » mais, il faut le dire, sans guère de diffusion ni succès. Mais pourquoi au fond associe-t-on le suffixe « psycho- » au terme éducation utilisé dans toutes les autres aires de la médecine ? Le fait qu’il s’agisse de patients et de troubles psychiatriques me paraît insuffisant pour le justifier. Il est, en revanche, probable que les psychiatres soient plus attentifs que les somaticiens aux remaniements psychologiques induits par les programmes éducatifs. On peut aussi escompter que les psychiatres aient une meilleure maîtrise de ces remaniements. Enfin et surtout, il est nécessaire pour véritablement valider le suffixe « psycho- » d’identifier les variables psychologiques cibles qui sont destinées à être modifiées par les approches psychoéducatives (acceptation de la maladie, représentations de la maladie, etc.) [4] et qui permettent secondairement une amélioration de l’observance médicamenteuse et de l’alliance thérapeutique en général. En dernier lieu, il faut rappeler qu’il n’y a pas à proprement parler d’indication de la psychoéducation. Certes, les sous-groupes de patients bipolaires qui bénéficient le plus de ces programmes ne sont pas encore suffisamment identifiés, mais tous peuvent a priori en bénéficier peu ou prou. La question n’est donc pas de définir les indications mais : • de savoir quels patients ne participent pas ou ne se voient pas proposer d’actions psychoéducatives et pourquoi [5] ; • de transférer l’expérience de quelques équipes vers une majorité de structures prenant en charge des patients bipolaires. Références [1] Colom F, Vieta E, Martinez-Aran A, et al. A randomized trial on the efficacy of group psychoeducation in the prophylaxis of recurrences in bipolar patients whose disease is in remission. Arch Gen Psychiatry 2003;60:402—7. [2] Colom F, Vieta E, Sanchez-Moreno J, et al. Group psychoeducation for stabilised bipolar disorders: 5-year outcome of a randomised clinical trial. Br J Psychiatry 2009;194: 260—5. [3] Grunze H, Kasper S, Goodwin G, et al. The World Federation of Societies of Biological Psychiatry (WFSBP) guidelines for the biological treatment of bipolar disorders, part III: maintenance treatment. World J Biol Psychiatry 2004;5:120—35. [4] Even C, Thuile J, Kalck-Stern M, et al. Psychoeducation for patients with bipolar disorder receiving lithium: Short and long term impact on locus of control and knowledge about lithium. J Affect Disord 2009 doi:10.1016/j.jad.2009.09.008. Information, éducation, psychoéducation dans le trouble bipolaire. Yes, we should [5] Even C, Richard H, Thuile J, et al. Characteristics of voluntary participants versus nonparticipants in a psychoeducation program for euthymic patients with bipolar disorder. J Nerv Ment Dis 2007;195:262—5. [6] Perry A, Tarrier N, Morriss R, et al. Randomised controlled trial of efficacy of teaching patients with bipolar disorder to identify early symptoms of relapse and obtain treatment. Br Med J 1999;318:149—53. [7] Rouget BW, Aubry JM. Efficacy of psychoeducational approaches on bipolar disorders: a review of the literature. J Affect Disord 2007;98:11—27. [8] Yatham LN, Kennedy SH, Schaffer A, et al. Canadian Network for Mood and Anxiety Treatments (CANMAT) and International S3 Society for Bipolar Disorders (ISBD) collaborative update of CANMAT guidelines for the management of patients with bipolar disorder: update 2009. Bipolar Disord 2009;11: 225—55. C. Even Clinique des maladies mentales et de l’encéphale (CMME), centre hospitalier Sainte-Anne, 100, rue de la Santé, 75674 Paris cedex 14, France Adresse e-mail : [email protected] Disponible sur Internet le 6 janvier 2010