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Aujourd’hui
7 h 16 – 9 h 31
Grande-Bretagne, Cambridge, centre
Visage levé, yeux fermés, Hammond McLeod sautille sur
place. Sous ses running le perron de pierres, sur sa peau le
vent. Et le brouillard. Il inspire profondément et jette un coup
d’œil à la rue. Autour des ampoules tubulaires des réverbères,
la nuit se vaporise en un jour laiteux. Pourtant, du tarmac
humide aux corniches où luisent les leds, l’obscurité gagne.
Les guirlandes de fin d’année traditionnelles étaient énergivores. Mais au moins, elles éclairaient correctement.
Hammond descend les trois marches qui mènent sur
Trumpington Street et, dans la ville encore endormie,
ses semelles frappent le pavage. Ainsi, il parcourt une
centaine de mètres, passe une façade blanchie à la
chaux, des bicyclettes luisantes d’eau serrées contre un
bâtiment de pierres rouges. Une partie de lui-même
entrevoit le décor. L’autre ne sent que l’air froid qui lui
brûle les poumons, la chaleur qui court dans ses veines,
l’élasticité des muscles de ses jambes.
Il accélère. Bientôt, la façon dont la rue défile lui
indique que sa cadence est bonne. Très bonne même. Il
inspire profondément. Ici, en cet instant, dans la solitude
du petit matin, il revit.
Bientôt, le brouillard s’alourdit de pluie. Les taches
sombres et irrégulières du trottoir se rejoignent. Sans
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s’arrêter, Hammond tourne la tête, remonte le zip de sa
veste jusque sous son cou. Du coin de l’œil, il aperçoit les
colonnades blanches sur le côté, se rappelle ce que Noreen
lui a dit la veille à propos du Fitzwilliam Museum, ce qu’il
a répondu. Sèchement. « J’ai trop de travail pour ce genre
de choses. Et puis, avec ce que je viens d’entendre… » De
sa manche, il essuie l’eau qui coule de la racine de ses
cheveux vers ses sourcils. « Trop de travail… »
Un rire féminin retentit.
Hammond aperçoit deux silhouettes enlacées qui
débouchent. Et celle qui s’engage sur la route, juste au
moment où un bus blanc et bleu surgit.
Instinctivement, il s’élance.
Mais la seconde silhouette tire la première en arrière.
La ramène sur le trottoir.
Sur l’asphalte, bras ballants, Hammond s’immobilise.
Le bus le frôle. Un NO PASSENGERS se met à clignoter
au-dessus du pare-brise.
Hammond distingue l’ombre à côté du chauffeur. Un
homme grand, aux cheveux foncés, aux traits anguleux.
Seul. Une fraction de seconde, il doute. Jusqu’à ce que les
roues lui envoient une giclée d’eau glaciale sur les mollets
et les cuisses. Puis il se reconnaît. Il sait pourquoi il a failli
se précipiter au secours d’une inconnue. Et à mi-voix, il
jure. Il ne peut être partout à la fois, ici pour le boulot,
à New York pour Willow. Dans l’immédiat, il refuse d’y
penser – même si elle lui manque. Willow a voulu être avec
ses parents pour le Nouvel An, libre à elle. Lui ne pouvait
pas. Et de toute façon, en y réfléchissant, il ne voulait pas.
L’assujettissement quotidien, ce n’est pas pour lui. Si elle
prend ça mal, c’est son problème, surtout en ce moment.
La fin des aventures d’un jour, il est pour. À condition que
ce soit compatible avec son job.
Il remonte sur le trottoir. Simultanément, au premier
étage de l’immeuble situé sur sa droite – sans doute un
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College car il n’y a que cela ici –, une pièce s’éclaire. Puis,
au-delà, d’autres halos luminescents se forment. Le cœur
de Cambridge s’éveille. Je ne suis pas le seul à turbiner le
premier janvier, songe-t-il. Pas tout à fait.
Par réflexe, il retrousse sa manche. Sept heures trentedeux. Seulement. Quelle putain de nuit, se dit-il. À deux
doigts de signer à minuit. Renvoyé dans les cordes à une
heure. Essayant désespérément de se connecter au réseau
à deux. Mais rien. Plus d’Internet. Pas moyen d’avoir le
début d’une information, d’une explication.
Hammond vérifie encore une fois sa montre. Sept
heures trente-trois. Déjà. Plus que seize heures vingt-huit
minutes avant le gong qui annoncera la fin de la partie.
Du coup, sa détermination à oublier – au moins provisoirement – les raisons de sa présence ici faiblit. Il se
remet à courir, jette un coup d’œil circulaire autour de
lui, réalise qu’il ne sait pas où il se trouve exactement. Au
mieux reconnaît-il la forme d’une chapelle derrière les
entrelacs noirs d’arbres dénudés. Et une brèche sombre
qui doit mener à la rivière. S’il ne se trompe pas.
Les sourcils froncés, les yeux fixés sur un point
invisible dans l’espace, il tape des pieds en alternance.
Dire qu’il y a peu de temps encore, tout se présentait
bien. Les chercheurs de la School of Biomolecular
Sciences de St Andrews avançaient à pas de géant sur
la problématique de l’ordinateur moléculaire. L’idée
d’utiliser des fragments de brins d’ADN pour traduire
un problème en termes d’unités chimiques et pouvoir,
in fine, effectuer simultanément des billions de calculs
n’était pas neuve, mais l’équipe l’avait néanmoins fait
considérablement avancer. Seulement elle en arrivait à un
stade où ses capacités en matière de ressources humaines
et financières n’étaient plus suffisantes, où il fallait
trouver un partenaire pour mutualiser les moyens. Et
Hammond savait vers qui se tourner. Une autre SBS, celle
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de Cambridge, dirigée qui plus est par Noreen Hartwick,
l’une de ses anciennes condisciples – elle s’appelait
Noreen Hasmi à l’époque –, qui travaillait aussi sur le
concept. Celle-ci avait déjà mis le labo d’informatique
voisin dans le coup. Sur le papier, ça tenait la route. La
direction à prendre allait de soi.
Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est plus
le cas. Même ici. À gauche ? L’idée du chemin le long de
la rivière va sûrement rallonger son trajet, surtout avec ce
temps. À droite ? Il risque de se retrouver dans le dédale
de pavés glissants qui sillonnent le cœur historique de
Cambridge et, pour courir, il y a mieux. Alors ? Traverser
d’abord et aviser ensuite ? Après tout, c’est souvent de cette
façon qu’il procède. Et ça n’empêche pas de bien faire les
choses. En rédigeant le dossier destiné au nouveau système
d’évaluation de la recherche dans l’enseignement supérieur
– le Research Excellence Framework, ou REF – et en dépit
de la sélectivité des critères d’attribution, il n’avait en tête
que l’allocation que les équipes de recherche allaient
obtenir, la bouffée d’air que cela représenterait pour elles.
Bien sûr, rien n’a été laissé au hasard. En période de crise,
aller chercher de l’argent auprès de l’État, c’est convaincre
les experts que le projet est porté par la meilleure équipe,
mais aussi qu’il peut rapporter gros. Du coup, classements,
rendements, tout est passé au peigne fin. Ce qui n’est pas de
la tarte avec trois institutions, positionnées en sus sur deux
champs disciplinaires différents – la biologie moléculaire
et l’informatique.
Du revers de la main, Hammond s’essuie le front.
Dans sa tête, une question revient, le freine. Qu’est-ce
qui a foiré ? À quel moment aurait-il dû se méfier, voire
reculer ? Et il ne trouve pas de réponse. Ça a été des
mois de boulot ingrat, mais bien fait. À St Andrews, avec
l’équipe de recherche et avec Martha, son assistante, il
a beaucoup bossé. Du côté de Cambridge, Noreen a fait
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pareil. Elle a même rempli la partie du dossier consacrée
au labo d’informatique puisque son directeur partait à la
retraite. La date limite de remise serait respectée. C’était
une affaire quasiment entendue.
La chaussure droite de Hammond avance vers la route.
À sa gauche, un crissement soudain de pneus. Une silhouette sombre surgit de nulle part.
Hammond s’arrête net, juste à temps pour laisser passer
un cycliste emmitouflé des pieds à la tête. Et merde.
Il souffle par le nez. Comme à chaque fois qu’il s’énerve
vraiment, l’envie de taper sur quelque chose le prend.
Le problème est que, d’expérience, il sait que cela fait
rarement avancer les choses. Au mieux, cela défoule. Et ce
matin, dans cette purée de pois, il n’a même pas Sherman
sous la main. Sherman, celui par qui les emmerdements
arrivent et ce, sous une forme tellement trouble que
Hammond n’a pu les anticiper. Pas davantage que le
cycliste il y a un instant.
Sherman. Le nom revient, lancinant, dans la tête
du jeune doyen. Il regarde autour de lui, histoire de se
focaliser sur les alentours immédiats. Et il plisse les yeux,
pour distinguer autre chose que des contours qui se
désagrègent sous la pluie. Mais là non plus, rien. Hormis
une guirlande qui clignote sur un auvent couleur olive, de
l’autre côté du carrefour, et un poteau qui ressemble à un
passant – ou inversement. Rien.
Soudain, il sent des crampes lui broyer le ventre. S’il se
loupe sur le coup du REF, les investisseurs privés ne considéreront même pas le projet. L’allocation de l’État n’est
pas grasse. Mais elle représente malgré tout la validation
que tout le monde attend avant d’aller chercher davantage, ailleurs. Donc sans REF, pas de fonds public… ni de
fonds privés. Sans fonds, pas d’ordinateur moléculaire. Or
ce truc représente les deux tiers de l’activité de recherche
de la SBS. Et un doyen est censé développer sans faiblir
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l’institution qu’il dirige, sur tous les plans. Qui lui met des
bâtons dans les roues, pourquoi, comment, peu importe.
Seul le score compte.
Piégé, je suis piégé, songe-t-il. Et je vais me retrouver
comme un con au milieu du néant.
Sans réfléchir, Hammond se laisse tomber, accroupi sur
le trottoir, coudes aux genoux, nuque cassée vers l’avant,
tête baissée. Il ferme les yeux, s’efforce de ne plus spéculer, de ne plus penser. Simplement d’être. Un organisme
avec seulement des réactions physiologiques. Des bras,
des jambes, des épaules qui se détendent. Une peau sur
laquelle la transpiration cesse de perler. Des mains qui se
laissent envahir par le froid. Une respiration qui ralentit.
Bientôt, il n’entend plus que ce qui résonne au fond de
lui, en rythme. Les battements réguliers de son cœur, battements qui se transforment dans son corps. Comme un
raz-de-marée que rien n’arrête.
Un autre tempo entre alors en lui : celui de la musique
qu’il aime et qui, du plus loin qu’il s’en souvienne, l’a
toujours sauvé.
Hammond ouvre à nouveau les yeux. Les arpèges
courent dans sa tête, le détachent de la fureur et de la
détresse qui l’aveuglent depuis la veille. Lui rendent sa
lucidité.
Lentement, il se relève. Droit devant lui, il identifie
la forme couleur olive. C’est la bâche verte de Fitzbillies,
la cantine la plus populaire de la ville. Asperges grillées,
veau et croustillant de champignons. Là où ils ont dîné
en privé hier soir, où ils étaient censés signer et fêter le
partenariat. Il secoue la tête. Il est donc à l’angle de la
rue qui mène aux différentes administrations de l’université de Cambridge. Là où Hartwick a ses bureaux. Et aussi
Sherman.
Pour l’heure, Hammond n’est pas de taille à rencontrer
Sherman, le vieux hippie fouteur de merde. Il doit d’abord
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mettre de l’ordre dans ses idées. Alors il laisse ses jambes le
porter là où l’envoie son instinct. À l’opposé. Sans prêter
attention au trottoir qui se rétrécit, il se met à sprinter. En
lui, le concerto de Rachmaninov va crescendo, balayant
les doutes et les peurs. Hors lui, le froid lui fait monter
les larmes aux yeux, tirant un voile supplémentaire devant
les bâtiments qu’il dépasse. De temps à autre, il distingue
une plaque. Un tailleur spécialisé dans les écharpes aux
couleurs des Colleges, une association estudiantine, le
Whipple Museum of the History of Science, le Sedgwick
Museum of Earth Sciences. Et le Crowne Plaza illuminé.
La musique s’arrête net dans sa tête. Mais les muscles
de ses cuisses le propulsent encore plus fort. Ses bras
le tirent plus loin. Et il comprend enfin pourquoi la
menace d’ajournement que Sherman fait planer depuis
hier au-dessus de ce fichu partenariat le perturbe autant.
Le prestige de cette université. Plus de huit siècles
d’histoire et encore tête de liste dans les principaux classements. Newton, Darwin, Hawking… et tant d’autres. La
connaissance dans toute sa splendeur, la reconnaissance
universelle. À côté, même St Andrews – pourtant fondée
en 1413 – peut aller se rhabiller.
La transpiration coule maintenant le long de sa colonne
vertébrale. Il ralentit à peine lorsque la rue s’élargit sur
un croisement. Sans se préoccuper de la circulation qui
commence à se densifier, il slalome entre les voitures, évite
de justesse un capot, le frappe du plat de la main avant de
bondir sur le trottoir d’en face.
Une voix l’interpelle.
« Eh, connard ! T’en as marre de la vie ? Tu cognes
encore une fois ma caisse et j’exauce ton vœu ! C’est la
nouvelle année, profites-en ! »
Hammond se retourne, lève une main aux doigts
repliés, tend brusquement le majeur.
« Essaie un peu », gronde-t-il.
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Puis il repart, double les rideaux fermés des boutiques, évite de justesse un homme en long manteau
noir, une femme blottie sous un parapluie, un panneau
devant une agence immobilière, se retrouve dans le flot
qu’une gouttière percée déverse sur le trottoir. L’eau
trempe un peu plus ses chaussettes, ses chaussures. Cela
lui est égal. Son énergie est revenue. Et son esprit est
clair désormais. Pour lui, Sherman n’est qu’un caillou
dans l’engrenage… et son GPS interne lui dit qu’il est
en train de faire une boucle, de rattraper Trumpington
Street par l’arrière. De cette façon, il va encore faire
quelques centaines de mètres avant de rentrer se
doucher, d’achever de vider la boîte à gamberge. De
reprendre le contrôle de sa vie.
Loin devant, le ciel semble vouloir s’éclaircir. Hammond
sait désormais qu’il ne laissera ni Doug Sherman ni Noreen
Hartwick foutre ce projet en l’air. Sous aucun prétexte.
Écosse, Anstruther
Pour traverser plus vite la pointe de terre au nord de
laquelle se trouve St Andrews, Martha a pris la B89131
– plus étroite que l’A915 qui descend vers l’est, mais plus
rapide pour rejoindre la partie ouest du Firth of Forth1. Et
se retrouver dans Anstruther est comme une renaissance –
surtout après la soirée de réveillon en famille. C’est donc
à toute allure que la petite voiture dépasse le supermarché, les ronds-points, descend la colline, suit la route le
long du port. À partir de là, même si l’aube permet tout
juste d’apercevoir la chaussée, la jeune femme n’hésite
1. Le Firth of Forth est l’estuaire du fleuve Forth, qui se jette dans la
mer du Nord. Il est coincé entre la péninsule du « Kingdom of Fife »,
au nord (St Andrews), et les régions du West Lothian (Édimbourg) et
du East Lothian (Musselburgh).
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pas une seconde. Le Scottish Fisheries Museum à deux
pas, les bateaux qui dansent à cause du vent, le tableau noir
avec le menu écrit à la craie sous les « Hogmanay – A’
Challuinn1 » dessinés en rouge et vert.
Martha gare sa vieille Vauxhall le long du trottoir.
Dans la lueur bleuâtre du jour naissant, Bob est déjà en
train d’ôter les volets de bois.
La jeune femme s’extirpe de la voiture et, recroquevillée dans sa parka, son sac plaqué contre sa poitrine, se
précipite vers lui.
« Hòigh2, Marty !
– Salut, Bob ! Fait encore plus froid ici qu’à St Andrews !
– Normal, à St Andrews, c’est la pollution de la ville.
Alors qu’ici… »
Engoncé dans sa polaire, le petit homme chauve ouvre
les bras face au port, à la mer, inspire profondément en
fermant les yeux.
Martha ne peut s’empêcher de rire.
« C’est à vingt minutes, pas plus. Et tu le sais parfaitement.
– N’empêche que toi aussi, tu te ramènes ici dès que
tu peux ! C’est bien la preuve que ça n’est pas pareil. Et
c’est d’ailleurs pour ça que j’ai quitté la SBS. Entre gagner
des clous en enseignant l’histoire des sciences et des clopinettes en vendant du poisson et des frites face à l’océan…
– Mais l’école est juste en face de la baie !
– Ouais, mais là-bas, les étudiants, je leur faisais ingurgiter de force des trucs dont ils n’avaient rien à foutre. Ici,
ce sont eux qui se jettent sur les cakes à la morue !
– Pour sûr, c’est pas pareil », acquiesce Martha en agitant les bras devant elle pour se réchauffer.
La vue a beau être magnifique depuis la jetée, sur la
mer où se reflète encore la lune, le vent n’en est pas moins
1. Dernier jour de l’année, en écossais puis en gaélique écossais.
2. Hello, en gaélique écossais.
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mordant. Et avec l’absence de couverture nuageuse, le
froid est presque plus âpre que d’habitude.
« Allez, viens, Marty ! Si tu tombes malade, tu vas me le
reprocher. Et puis, il faut que je répare le panneau d’affichage. Quand minuit a sonné, y en a un qui a balancé
un hareng derrière… je ne te dis pas. Je viens de finir le
ménage, mais je n’ai pas eu le temps pour le reste. »
La chaleur lui tombe dessus. Ainsi que l’odeur de
café. Elle soupire d’aise. Elle a beau venir ici souvent, elle
apprécie l’accueil à chaque fois. Surtout lorsque sa bellefamille est chez elle à St Andrews.
Martha regarde Bob se glisser derrière le comptoir,
défait lentement son écharpe. Déjà, en temps ordinaire,
elle déteste les fêtes de fin d’année. Déjà, au quotidien,
elle a du mal à passer une journée entière avec Benji
– quinze ans de mariage, cinq de chômage et de poker à la
bière, il y a de l’eau dans le gaz. Alors, lorsque les enfants
sont en colo de ski dans les Highlands, que beau-papa
et belle-maman squattent leurs chambres avec, en plus,
leur fille chérie – la sœur mi-célib-punchy, mi-sergentchef de Benji –, que c’est l’époque du Mercato… et que
l’université est fermée et le patron à New York avec sa
copine, la jeune femme se réfugie ici, dans la taverne
rachetée par Bob et sa femme Wendy il y a deux ans. Et
qui est devenue depuis le meilleur Fish and Chips du
coin.
Sans se presser, elle rejoint la banquette à l’angle des
deux murs du fond, accroche sa parka à la patère plantée
dans le pilier d’à côté, pose son sac sur la table. Comme
d’habitude, il lui a suffi d’un petit mensonge – celui qu’elle
réserve à la belle-famille : « De toute façon, mon bureau
reste ouvert en permanence parce que le Dr McLeod ne
peut pas se passer de moi. »
Simple mais efficace, pour sauver sa peau. Et surtout
sa santé mentale.
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