Compte rendu Hans Jonas : UNE ÉTHIQUE POUR LA CIVILISTION
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Compte rendu Hans Jonas : UNE ÉTHIQUE POUR LA CIVILISTION
Compte rendu Hans Jonas : UNE ÉTHIQUE POUR LA CIVILISTION TECHNOLOGIQUE:LE PRINCIPE RESPONSABILITÉ* Stéphanie ANGERS Publié dans Aspects sociologiques, Vol. 1 No 2, septembre 1993, pp. 39-40. La technique moderne permet des actions d'une ampleur jamais égalée. Hans Jonas, philosophe et théologien allemand, considère que l'utilisation de la technologie de pointe transforme l'essence même des pratiques collectives. En effet, l'étendue du pouvoir acquis par la technologie permettrait éventuellement de détruire la planète Terre. D'une part, celle-ci apparaît désormais comme un objet de responsabilité, d'autre part, les gestes posés maintenant pourraient se répercuter dans l'avenir et influencer le bien-être des générations futures. À propos de la nouveauté de cette situation, l'auteur est catégorique : l'humanité se trouve devant un terrain de réflexion éthique non encore exploité, c'est le vide éthique. En fondant sa réflexion sur l'idée de responsabilité, l'auteur entend aborder de façon originale la question éthique dans la civilisation technologique contemporaine. Examinons trois des principales idées contenues dans le livre d'Hans Jonas : 1. L'humanité, un héritage à préserver et à transmettre L'humanité doit se continuer dans l'avenir et nous devons faire en sorte que cela soit possible. Mais, comme écrit l'auteur, une chose qui n'existe pas encore ne peut pas, par elle-même, revendiquer son droit à l'existence; le sentiment de responsabilité, s'il se développe dans la génération actuelle, permet de pallier cette absence de revendication. En effet, notre responsabilité à l'égard de la génération future consiste à veiller sur sa possibilité d'être une humanité véritable. Cela signifie que nous sommes tenus de lui procurer les conditions pour se réaliser alors même que l'utilisation de la technologie 1 pourrait compromettre l'avenir de l'humanité. L'utilisation des technologies a augmenté l'étendue des pouvoirs de l'action humaine que ce soit dans l'espace (en impliquant la planète Terre) ou dans le temps (en menaçant les générations futures). Parallèlement à la croissance du champ des actions humaines se produit une diminution du sentiment de responsabilité à l'égard de ceux qui se trouvent sous notre protection. Pour contrer cet effet, Jonas propose une heuristique de la peur afin d'augmenter le « rayon d'action » de la responsabilité et de répondre aux nouvelles exigences éthiques de la civilisation technologique. Bref, le principe Responsabilité se voit confier la tâche de préserver l'intégrité de l'humanité contre elle-même. 2. Donner préséance à la prophétie de malheur sur la prophétie de bonheur La course effrénée vers le progrès place l'humanité devant de nouveaux périls. Les pas colossaux accomplis par la technologie au niveau matériel, ne respectent pas les deux principes de l'évolution naturelle, la patience et la lenteur, qui assurent son succès et qui permettent à la vie de triompher. La planification à court terme et la vitesse d'exécution qui caractérisent l'évolution technologique ne permettent plus à l'être humain de se tromper : une erreur qui, dans l'évolution terrestre apparaîtrait comme un phénomène normal, devient par le biais de la technologie une catastrophe. Ainsi, Hans Jonas considère qu'il faut accorder plus de poids aux conséquences désastreuses d'une innovation technologique, ou de tout autre projet mettant en jeu le bien-être de l'humanité, plutôt qu'aux conséquences heureuses du projet lui-même fut-il porteur de réalisations incomparables. 3. L'utopie en tant que manifestation tendancielle de la technologie Les projets des sociétés les plus anciennes renfermaient déjà l'utopie, c'est-à-dire la société idéale où règnent paix et bonheur pour tous. Depuis que la technique procure des conditions de vie au confort incomparable, la société utopique est devenue un but réaliste. Les utopistes des derniers siècles (Marx, Bloch) attribuaient à la société idéale deux caractéristiques permanentes : l'abondance matérielle pour tous, conjuguée à la facilité d'accès à cette abondance. L'utopie se retrouve en quelque sorte inscrite dans la technologie, puisque celle-ci contribue justement à distribuer au plus grand nombre possible des objets de plus en plus efficaces et sophistiqués. Ainsi selon Jonas, la critique de l'utopie constitue en fait une critique de la technique moderne. En renonçant à l'utopie, c'est au progrès immodéré et sans limites qu'on renonce. En conséquence, l'auteur considère qu'on ne peut adhérer à l'utopie. La croissance exponentielle de la technologie, et des avantages qui en découlent, mène graduellement à une détérioration durable de la nature. Celle-ci hypothèque les conditions d'existence des générations futures et provoque une concentration des ressources dans les pays industriellement avancés au détriment des autres. Étant donné le pouvoir des premiers sur les derniers, ceux-ci font désormais partie du champ de responsabilité de ceux-là. Ainsi, selon l'auteur, les pays industriellement avancés devront procéder à une redistribution plus équitable des richesses, ce qui impliquerait de la part de leur population d'accepter des sacrifices, de mener une vie empreinte de frugalité, c'est-à-dire 2 de renoncer à l'utopie. Comme on s'en doute, de telles mesures n'emporteront pas la faveur de la population; c'est pourquoi l'auteur considère qu'il faut mettre en place des gouvernements autoritaires, voire dictatoriaux. En fait, la promesse contenue dans la technique répond au désir utopique d'une humanité sans souffrance, sans désir inassouvi. Hans Jonas n'adhère pas à cette vision de l'humanité. Pour lui, l'être humain n'existe pas autrement que dans l'ambivalence. C'est sa nature même qui le fait passer de la grandeur à la misère, du bonheur au tourment, de la justification à la culpabilité. L'être humain authentique existe depuis toujours n'en déplaise aux utopistes de la trempe de Marx et de Bloch. Stéphanie ANGERS, Deuxième cycle, Sociologie, Université Laval * JONAS, H., Une éthique pour la civilisation technologique : le principe responsabilité, Paris, Les Éditions du Cerf, 1991, 336 p. 3