Reportage Chinois
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Reportage Chinois
Ils sont fous ces Chinois! La langue et la culture française vues par des étudiants chinois Cette année, nous sommes parties à Shanghai pendant 6 mois. Avec 2 ans d’apprentissage du chinois derrière nous, cette expérience a été riche en aventures et nous avons pu découvrir un pays rempli de contrastes. Ayant nous-mêmes vécu une immersion totale dans un autre pays, nous avons donc voulu savoir comment nos amis les Chinois ont pu appréhender un tel changement culturel. Comment se sont-ils adaptés à cette nouvelle vie et, maintenant qu’ils ont davantage de recul, que pensent-ils réellement de leur expérience en France ? Nous avons demandé à des étudiants chinois de notre cursus s’ils accepteraient de partager avec nous leur expérience en France, ce qu’ils ont fait avec plaisir. Nous nous sommes donc retrouvés un après-midi à l’université pour discuter. Ils étaient trois : deux filles, Yu Wei et Ying, âgées de 23 et 25 ans, et Hui, un jeune homme de 30 ans. D’âges différents, mais aussi venant des quatre coins de la Chine (Yu Wei du Sichuan dans l’ouest, Ying de Shanghai à l’est, et Hui du Guangxi au sud), il fut encore plus intéressant de connaître leurs opinions. Nous vous laissons, chers lecteurs, découvrir la vision atypique qu’ont ces étudiants chinois de notre pays… individuelle, du fait de son âge: « J'ai 30 ans, je suis donc en âge de faire des choix personnels. J'ai travaillé afin de mettre de l'argent de côté pour pouvoir partir ». De plus, la langue française leur paraît chantante et amusante à écouter : « Le français me paraissait être une bonne langue à apprendre, et après 6 ou 7 ans d’anglais, je voulais apprendre une autre langue européenne puisque, depuis toute petite, j’avais le souhait de partir en Europe » déclare Yu Wei. De même pour Ying, qui a été inspirée par son grand-père qui habitait à Paris : « Le français me semblait plus facile que l’allemand et j’avais l’esprit aventurier, l’envie de découvrir d’autres choses ». Également influencés par des politiciens respectés tels que Deng Xiaoping (ancien secrétaire général du Parti Communiste) et Zhou Enlai (1er Premier ministre de la République populaire de Chine), qui sont partis étudier en France, les étudiants chinois choisissent tout de même souvent la France par défaut : « Il est difficile d’avoir un visa pour les États-Unis et c’est plus cher qu’en France, où l’éducation publique est gratuite » déclare Yu Wei. Cependant, même s’il est moins cher de faire ses études en France qu’en Australie ou aux États-Unis, pour Hui, partir dans notre pays est un atout dans le monde de l’entreprise car « c’est une langue qui sert beaucoup dans le commerce ». Il en va de même pour Ying, qui précise que « la France est un des premiers pays à avoir ouvert ses portes à la Chine, cela a donc beaucoup d'influence dans notre décision de partir à l'étranger ». 福 Partir en France : un choix stratégique et influencé La politique française favorise depuis longtemps l’accueil des étudiants chinois et, en dix ans, le nombre d’admis a été multiplié par dix. Cette décision, qu'elle soit prise individuellement ou en famille, doit être réfléchie. « Nous en avons longuement parlé avec mes parents. Une de mes options était de partir aux États-Unis, mais ma famille n'avait pas vraiment confiance dans la sécurité américaine. Mon choix s'est donc porté sur la France », indique Yu Wei. L'opinion des parents de Ying était également importante: « J'avais la possibilité de partir dans trois pays, dont le Canada et l'Australie, où résident des membres de ma famille ». Du côté de Hui, en revanche, la décision fut 1 moment présent, même si ils râlent beaucoup! » admet Ying. Selon Yu Wei, les gens sont également moins stressés, font beaucoup la fête et n'hésitent pas à donner leur opinion et, parfois, à se faire remarquer. « Les Français ne veulent pas ressembler à MonsieurTout-Le-Monde ». Et Hui d'ajouter : « les Français plaisantent beaucoup. Maintenant je comprends d'ailleurs mieux leurs blagues car je possède un meilleur niveau de français ». Un autre stéréotype colle à l'image française, il s'agit de l'individualisme. Les trois étudiants sont d'accord pour dire que les Français peuvent être égocentriques et privilégient leurs propres désirs à l'entraide. Ying trouve par exemple qu'il existe une distance entre voisins, « ce qui n'est pas le cas en Chine ». Mais il arrive que certains clichés s'avèrent être faux aux vues de certains. Les Français sont en effet mondialement connus pour leur sens du romantisme. Mais à son arrivée, Yu Wei a changé d'avis: « Les Français, romantiques? C'est faux, ou alors nous n'avons pas la même conception du romantisme. Ce qu'on voit dans les films américains, ça c'est du vrai romantisme! » Elle s'est également permis de mettre en relief un autre point négatif, qui jusqu'alors ne collait pas à l'image française: « Parfois les Français manquent de discipline, particulièrement dans les bureaux administratifs, où les employés sont incapables de nous renseigner ». Les différences entre les deux civilisations sont donc explicites, et bien que les stéréotypes flatteurs sur les Français continuent d'exister, de nouveaux aspects, moins élogieux, apparaissent aux étrangers s'installant en France. 福 La culture française vue par les Chinois : « c’est la vie ! » Chez nos amis les Chinois, la France est perçue comme un pays romantique et plein d’élégance. « Les jeunes connaissent tous la phrase ‘c’est la vie !’ » déclare Hui, ou le célèbre « Je t’aime » selon Yu Wei. Ying rajoute même que de nombreux Chinois connaissent la phrase: « Voulez-vous coucher avec moi ce soir? », ce qui est un peu moins fleur bleue ! La France est également connue des Chinois pour ses fameux vins et ses parfums, mais aussi son luxe : « Je connaissais des marques françaises telles que Chanel, Hermès, ou encore Louis Vuitton » dit Ying. Du point de vue musical, les titres « Je m’appelle Hélène » ou « La vie en rose » remportent un grand succès dans l'Empire du Milieu... Il serait peut-être temps de revoir nos classiques ! Pour Ying, la France est un pays riche en culture, où elle pensait découvrir une multitude d’œuvres d'art, une belle architecture (comme on peut apercevoir à Shanghai, où l’architecture française est présente suite à son passé colonial), et elle n’a pas été déçue en arrivant ici. Niveau littérature, de grands auteurs reviennent : Maupassant, Balzac, Stendhal, Guillaume Apollinaire… De quoi nous donner envie de nous replonger dans la lecture ! 福 Mettre « l'accent » sur la grammaire. La grammaire française est bien connue pour torturer les esprits de ceux qui l'apprennent ! « Dès le premier cours de français, notre professeur nous a parlé de la conjugaison française et de toutes ses irrégularités, ce qui m'a un peu effrayée et découragée », dit Yu Wei. De son côté, Hui admet que « les accents et les liaisons sont des choses qu'on oublie facilement et qui sont difficiles à assimiler ». La grammaire française est donc un élément clé à prendre en considération lorsque l'on décide d'apprendre la langue. Ying, en revanche, n'a pas été impressionnée: « J'ai toujours été une personne curieuse et motivée par l'apprentissage des langues, la conjugaison ne m'a donc pas fait peur». Et si l'immersion dans le pays a renforcé leur niveau et leur maîtrise du français, la difficulté est toujours présente, comme nous le fait remarquer Ying: « Cela fait bientôt six ans que je suis en France, et pourtant, quand il m'arrive de me disputer avec mon copain, je suis incapable de m'énerver en français. Les mots ne Ying, Hui et Yu Wei soufflant des pissenlits ! 福 «Les Français râlent beaucoup... » En s'immergeant dans la culture française, ces étudiants chinois ont découvert des traits de caractère typiques aux Français. Ils sont unanimes quant au fait que les Français profitent de la vie. La formule latine Carpe Diem (cueille le jour), prend ici tout son sens: « Je pense que les Français ont une vision de la vie plus profonde que les Chinois, ils savent profiter du 2 viennent pas, et le shanghaien reprend le dessus». Et pour certaines personnes, comme Yu Wei, il est très difficile de différencier des mots dont la prononciation est similaire. « Je n'arrive toujours pas à différencier à l'oral les mots 'gâteau' et 'cadeau' », s'exclame-t-elle en essayant de bien les prononcer. La jeune Yu Wei, prête à aller étudier ! le destin de la personne. Mais ces valeurs ne sont pas aussi importantes pour des personnes telles que des Français. De plus, la prononciation complexe de prénoms chinois peut poser problème. Le deuxième prénom de Hui (辉) est Philippe, nom qui lui a été donné par son professeur américain lorsqu'il étudiait l'anglais durant sa licence. La raison principale est que se présenter sous un nom occidentalisé est plus pratique pour ces personnes. Yu Wei nous explique: « Mon prénom occidental est Juliette. Je l'ai choisi car cela aide à mieux s'intégrer, et parce que c'est plus pratique au niveau des présentations, car les Français ne retiennent pas facilement les noms chinois. En général quand je dis mon prénom chinois, les gens me demandent de répéter, une fois, voire deux fois. Et lorsque l'on se revoit, ils ont oublié ! » Le choix du prénom à consonance européenne peut également se baser sur des significations comme dans la tradition chinoise. Ying raconte: « Lorsque je me présente sous mon nom chinois, les gens ont tous tendance à vouloir prononcer le 'g' de 'Ying' alors qu'il ne faut pas. Les consonances chinoises sont difficiles à reproduire pour les Français, j'ai donc décidé de prendre un nom français. Ma meilleure amie qui est nantaise m'a dit un jour que Jade me conviendrait bien, puisque c'est également le nom d'une pierre qu'on trouve beaucoup en Chine. Par la suite, j'ai voulu me trouver un pseudonyme pour un réseau social et j'ai choisi Aimée pour mon nom de famille, en raison de l'auteur Aimé Césaire que j'affectionne particulièrement ». 福 Changer de prénom pour mieux s'intégrer ? Au cours de notre entrevue avec ces étudiants chinois, nous avons voulu en savoir un peu plus sur les significations de leur nom, et comprendre pourquoi les personnes d'origine asiatique étaient souvent amenées à se procurer un nom à consonance occidentale. Ying ( 颖 ), par exemple, signifie avoir l'esprit vif: « La signification des prénoms occupe une place importante dans notre culture. Ma mère m'a appelée ainsi car j'étais très curieuse dès ma naissance, je regardais partout autour de moi ». Yu Wei, qui possède un prénom composé, nous explique fièrement sa signification: « Yu (宇) désigne l'univers, endroit extrêmement vaste, et implique l'idée qu'il ne faut pas se concentrer trop sur soi-même, et à l'inverse penser aux autres. Quant à la deuxième partie de mon prénom, Wei ( 薇 ), il désigne la rose, fleur dont la beauté n'est plus à prouver mais qui possède des épines, signe de force ». D’après la culture chinoise, le sens du prénom pourrait influer sur le caractère et 3 Ying et Yu Wei, à l’université. 福 L’importance de l’immersion au sein du pays 福 Les conseils de nos experts Pour eux trois, il est évidemment indispensable de venir en France pour apprendre la langue : « Même si en Chine, il y a des professeurs de français, ils ne peuvent pas nous montrer tous les aspects du pays. En France, on est obligé de parler français et tout est lié à la langue», dit Hui. Au début, certains ont eu quelques difficultés à s’habituer au quotidien, comme Yu Wei, qui était désemparée face à des situations courantes, telles que comprendre les papiers administratifs ou se débrouiller avec son forfait téléphonique. Mais après quelques années ici, elle a pu se rendre compte du fruit de ses efforts : « J’ai des amies qui étudient le français tous les jours à l’université de Pékin, et quand elles sont venues en France, elles ont eu des difficultés à avoir une conversation banale ». De plus, être en immersion dans le pays révèle des aspects du langage qu’un professeur ne pourrait apprendre, comme Hui, qui a découvert le mot « cimer » (qui signifie 'merci' en verlan) au fil d’une conversation. 福 Après avoir vécu en France, l'expérience qu'il en ressort est plutôt... « Positive ». Nos trois camarades considèrent véritablement ce qu'ils ont vécu comme quelque chose de constructif et formateur. Yu Wei en témoigne: « Comme je suis partie de chez moi à 18 ans, mes connaissances n'étaient pas encore formées, donc je pense ne pas avoir une mentalité vraiment chinoise ». Elle estime également posséder un point de vue plus ouvert, plus 'international' que les Chinois qui n'ont jamais quitté le pays. « Je connais deux cultures différentes, et je sais ce que j'aime et ce que je n'aime pas dans ces deux cultures. Je me retrouve un peu dans les deux, et parfois c'est troublant car je ne sais pas quelles règles de vie je dois suivre ». Ying est du même avis que Yu Wei: « Je trouve pour l'instant que cette expérience est très positive, car j'ai appris beaucoup de choses en venant ici. Je suis devenue plus indépendante et plus mûre, et j'ai la sensation d'être plus ouverte à la vie en général. J'ai même réussi à vaincre ma timidité en me forçant à aller discuter avec des Français ». L'ouverture d'esprit semble être ici un réel facteur d'épanouissement, et fait ressortir l'importance des échanges culturels. Le nombre des étudiants voulant s'expatrier pour apprendre une langue augmente d'années en années. Ceci peut être dû à une tendance, ou au fait que la Chine est plus ouverte à l'Occident qu'auparavant. Ainsi, il y a plus de Chinois qui veulent partir découvrir le monde, pour ne pas avoir de regrets plus tard. « Je conseille aux personnes qui veulent venir vivre dans un pays étranger d'être bien préparées pour ce genre d'aventure. Il faut se demander 'Est-ce que je peux vraiment vivre dans un pays culturellement opposé au mien, en étant séparée de ma famille et mes amis?' Il faut vraiment être prêt pour ça », déclare Yu Wei.Ying ajoute : « Il faut venir en France avec une bonne motivation et être préparé psychologiquement, financièrement, voire physiquement. Si la langue ne vous intéresse pas assez, il vaut mieux ne pas venir ». Selon ces étudiants ayant déjà du recul sur leur propre expérience, cette décision ne doit donc pas être prise à la légère. Et une fois sur place, quelles sont les recommandations à suivre? Hui insiste sur le fait qu'il faut « saisir l'opportunité de s'intégrer », tout comme Yu Wei: « N'ayez pas peur, allez vers les Français, vers les gens que vous ne connaissez pas, allez faire la fête avec eux, soyez observateur, ouvrez-vous l'esprit à une autre culture et ne restez pas uniquement entre Chinois ». Les étudiants chinois se prélassant au soleil 4 福 Des projets pour l’avenir… Yu Wei, Hui et Ying ne manquent pas d’idées. Hui, le plus âgé des trois qui a 30 ans, a déjà de l’expérience professionnelle derrière lui. En effet, il a déjà travaillé comme professeur d’anglais pendant un an et dans plusieurs entreprises en tant que représentant à l’export pendant quatre ans. Il aimerait donc poursuivre ses études vers un Master car, selon lui, « la concurrence est rude sur le marché de l’emploi chinois ». Yu Wei et Ying n’ont pas encore de projets fixes : la première regorge d’idées comme se lancer en tant qu’auto-entrepreneuse dans l’import-export, créer une agence de voyages ou ouvrir un café français en Chine. Ying, quant à elle, souhaiterait encore voyager (au Canada par exemple) mais est surtout déterminée à une chose : « Ne pas être enfermée dans un bureau ». En tout cas, nos trois amis chinois ont la ferme intention de réussir dans la vie, et c’est tout ce qu’on leur souhaite ! Quelques photos prises de nos camarades aux abords de la Faculté des Langues, et voilà que notre entrevue touche déjà à sa fin. Cette rencontre nous aura permis d'avoir un regard nouveau sur la culture française ainsi que sur la langue. Malgré les difficultés rencontrées lors de leur arrivée dans le pays, ces étudiants ont su surmonter leurs peurs, aller vers les autres, et se forger leur propre caractère. Réminiscence de notre propre séjour dans leur pays. Finalement, ces Chinois ne sont pas si fous que ça... Yu Wei, Ying et Hui… toujours avec le sourire ! Nous remercions Yu Wei, Ying et Hui d’avoir accepté de répondre à nos questions, et surtout avec gentillesse et simplicité. Comme on dirait en Chine : 谢谢 [Xiexie], merci ! Reportage réalisé par Aude Lefèvre et Marine Lacoste 5