Anthony B. Atkinson et Thomas Piketty (éd.) Top Incomes over the

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Anthony B. Atkinson et Thomas Piketty (éd.) Top Incomes over the
Anthony B. Atkinson et Thomas Piketty (éd.)
Top Incomes over the Twentienth Century: A Contrast between Continental European and
English-Speaking Countries
Oxford/New York, Oxford University Press, 2007, 585 p.
Anthony B. Atkinson et Thomas Piketty (éd.)
Top Incomes: A Global Perspective
Oxford/New York, Oxford University Press, 2010, 776 p.
Le premier ouvrage regroupe une série d’articles empiriques, publiés pour la plupart par les deux
éditeurs de la publication, et portant sur la dynamique de longue période (la quasi-totalité du
XX
e
siècle) des hauts revenus dans quelques grands pays occidentaux. Les pays traités sont la France,
les Etats-Unis, le Royaume Uni, l’Allemagne, les Pays Bas, la Suisse, l’Australie, la Nouvelle
Zélande, l’Irlande et le Canada. Le second ouvrage collectif, réalisé par les mêmes éditeurs, contient
des contributions de même nature, mais produite par un nombre plus large d’auteurs, sur des pays du
sud de l’Europe (Espagne, Italie et Portugal), de la Scandinavie (Finlande, Suède et Norvège),
d’Amérique du Sud (Argentine) et d’Asie (Chine, Inde, Indonésie, Japon).
L’intérêt du grand public pour les hauts revenus est d’actualité en France, pour les raisons
électorales que l’on sait. Il revient à l’économiste français Thomas Piketty d’avoir avivé, par son
article pionnier de 20031, reproduit pour l’essentiel au chapitre 3 du premier ouvrage, un intérêt plus
scientifique pour la question dont ces deux publications se font l’écho. Pour l’essentiel, cet intérêt
résulte d’une préocuppation plus globale de comprendre la dynamique de long terme des inégalités de
revenu. De fait, on ne dispose pas de données fiables sur les revenus des individus et/ou des ménages
portant sur une longue période. La possibilité de se placer dans une période longue est essentielle pour
appréhender convenablement les modifications qui peuvent survenir dans la distribution des revenus.
Ces modifications, souvent entraînées par l’accumulation de richesse induite par l’épargne et
l’héritage, ainsi que par les décisions d’éducation des enfants et des jeunes adultes, mettent du temps à
se manifester. Or les meilleures données disponibles n’existent que depuis les années 1950 au mieux,
et plus souvent depuis les années 1970. En outre ces données proviennent d’enquêtes faites auprès
d’échantillons de ménages. Les revenus renseignés résultent donc de simples déclarations de l’enquêté
à l’enquêteur, et peuvent être, pour cette raison, sujets à caution.
Cette insatisfaction vis-à-vis de ces données d’enquête avait amené T. Piketty à mobiliser les
données issues des déclarations fiscales pour étudier la dynamique des inégalités. Un grand nombre de
pays ont, en effet, mis en place une fiscalité sur les revenus et sur le patrimoine dès le début du
XX
e
siècle (1913 aux États-Unis, 1914 en France, 1922 en Inde, etc.). Les données des administrations
fiscales ont le mérite d’être collectées de manière systématique et unifiée, et de couvrir une très
grande partie des contribuables visés. De plus, ces données fiscales permettent de distinguer assez
finement les revenus individuels d’après leur source (i.e. revenu salarial, revenu de capital, etc.). En
revanche, les données fiscales ne portent que sur la fraction sociale supérieure de la distribution des
revenus.
Si cette fraction s’est accrue avec le temps (plus de 50 % des ménages en France acquittent de
nos jours à l’impôt sur le revenu), elle était très faible au début de la période où l’impôt sur le revenu
n’était ne concernait que moins de 5 % des ménages. Beaucoup plus qu’un intérêt mondain pour les
très hauts revenus, c’est donc bien cette limitation des données fiscales qui est à l’origine des travaux
descriptifs colligés dans ces deux ouvrages.
De la lecture des articles ici rassemblés, dont les deux éditeurs du volume sont aussi les deux
principaux auteurs, on ressort frappé par la relative similitude des expériences historiques des
différents pays analysés. Dans pratiquement tous les pays traités, la part des hauts revenus dans le
revenu national s’est effondrée de façon assez brutale entre la moitié des années 1930 et la fin de la
Seconde Guerre mondiale. L’effondrement apparaît d’autant plus spectaculaire qu’on augmente le
« fractile » des hauts revenus considéré − il est plus fort, par exemple, pour les 1 % des plus hauts
revenus que pour les 5 % des plus hauts revenus. En outre, cet effondrement ne paraît résulter que de
la diminution de la part des revenus de capital, la part des hauts revenus salariaux demeurant
relativement stable. Les auteurs voient dans ce phénomène, débuté dès les années 1930, une réfutation
de la fameuse courbe en « U » de l’économiste américain Simon Kuznets 2, suivant laquelle l’inégalité
des revenus, définie comme la part des hauts revenus dans le revenu national, devait d’abord
augmenter dans les phases de forte croissance avant de décroître. Il est également à noter que, si
l’après-guerre voit une légère remontée de la part des hauts revenus dans le revenu national, celle-ci ne
revient jamais au niveau maximum atteint avant avant la crise de 1929. De plus, si cette baisse semble
d’avantage imputable à une diminution de la part des hauts revenus de capital qu’à celle des hauts
revenus salariaux, elle s’est produite dans un contexte de relative stabilité de la part global des revenus
du capital dans l’économie. On doit donc en conclure que l’effondrement de la part des hauts revenus
de capital dans l’économie au moment de la Seconde Guerre mondiale résulte d’une réduction de la
concentration des revenus de capital plutôt que d’une modification structurelle de la part du capital
dans les économies occidentales.
Non moins fascinante est la différence que ces travaux empiriques révèlent entre les trajectoires
récentes des pays en matière de dynamique des hauts revenus. De fait, dans la plupart des pays dits
anglo-saxons (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Australie et Nouvelle-Zélande et Irlande), on
observe, depuis la fin des années 1970, un accroissement significatif de la part des très hauts revenus
dans l’économie. Ce phénomène est particulièrement marqué aux États-Unis où la part des 0,01 % des
plus haut revenus a dépassé, à la fin des années 1990, 3 % du revenu national, soit presque son niveau
de 1928, avant l’effondrement évoqué plus haut. Aucun phénomène de cette nature n’est enregistré en
Allemagne, en France ou aux Pays-Bas. Surtout, il apparaît que ce accroissement soit d’origine
salariale, car la part des revenus du capital dans les très hauts revenus américains n’a cessé de
diminuer sur l’ensemble de la période. Cette poussée de fièvre de la part des hauts salaires, qui semble
se limiter pour l’instant aux pays anglo-saxons, reste évidemment à expliquer. Des changements
technologiques, qui s’accompagnent souvent d’une modification des rémunérations différentielles des
différents types d’emplois – par exemple, la fameuse hausse des salaires qualifiés − pourraient
expliquer cet augmentation des écarts de rémunération. Les auteurs rejettent toutefois cette explication
en indiquant, à juste titre, qu’elle ne rend pas compte du fait que les pays d’Europe continentale,
pourtant soumis à des changements technologiques analogues à ceux des pays anglo-saxons, aient été
épargnés par le phénomène.
S’ils sont très riches en données et en descriptions historiques passionnantes, ces deux ouvrages
sont plutôt limités en analyse conceptuelle, et en explications des tendances qu’ils repèrent et
commentent. On peut excuser ce caractère descriptif en rappelant que le travail considérable de
production des données fiscales examinées dans ces volumes est, somme toute, récent. Il est donc
possible que les matériaux statistiques de grande qualité présentés génèrent, dans un futur proche, des
études explicatives convaincantes des phénomènes identifiés ici. Si la chose est possible, elle n’est,
pourtant, pas certaine. En effet, et quoiqu’on en dise, la part des hauts, voire des très hauts, revenus
dans le revenu national ne constitue qu’une information partielle sur la distribution globale des
revenus. La plupart des théories éthiques (par exemple, le fameux principe de différence de John
Rawls) qui alimentent l’aversion très répandue dans nos sociétés à l’égard des inégalités de revenu,
n’accordent que peu d’importance aux très hauts revenus. Ce sont plutôt les bas revenus, absents de
cet ouvrage, qui ont l’objet de leur attention.
NICOLAS GRAVEL
1 - Thomas PIKETTY, « Income Inequality in France, 1901-1998 », Journal of Political Economy, 111-5,
2003, p. 1004-1042.
2 - Simon KUZNETS, « Economic Growth and Income Inequality », American Economic Review, 45-1,
1955, p. 1-28.

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