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Le dépôt de Neuvy-en-Sullias
nombre d'étapes, avec la réalisation d'un modèle (souvent en argile) et d'un
moule intermédiaire démontable qui prend son empreinte, le garnissage des
pièces de ce moule par une couche de cire, et enfin la mise en place du
noyau. Si l'usage du procédé indirect n'est que probable pour la statuette
de cerf (cal. 2), il est en revanche tout à fait certain pour le cheval de Neuvyen-Sullias (cf plus loin « L'élaboration du modèle auxiliaire en cire »). De
plus, et cela va encore renforcer la complexité de la fabrication du cheval,
les fondeurs n'étaient pas en mesure de couler cette forme d'un seul jet. Elle
a été coulée par sections, lesquelles ont ensuite été assemblées par soudure
(cf plus loin « Les assemblages par soudure au bronze liquide »).
n restait encore à corriger les défauts de fonderie qui affectaient la surface du bronze, c'est la phase de reparure (cf plus loin « Les opérations de
reparure »).
L'élaboration du modèle auxiliaire en cire
Le défi posé par l'étude de la grande statuaire antique est de pouvoir examiner en détailla face interne de la paroi métallique alors que la statue
est le plus souvent une forme fermée, dite en ronde-bosse. C'est évidemment pour cette raison que l'on a recours aux examens radiographiques,
endoscopiques, voire parfois tomographiques. La radiographie de profil du
cheval de Neuvy-en-Sullias
(fig. 6) montre que le métal est d'épaisseur
localement régulière (mais varie entre 3 et 6 mm selon les zones), ce qui
est un premier indice en faveur du procédé indirect de fonte en creux à la
cire perdue. Mais les meilleurs indices pour reconnaître ce procédé sont
généralement portés par la face interne de la paroi métallique. En effet,
puisque la cire ne peut avoir été travaillée que depuis cette face, elle devrait
donc en porter les stigmates (traces d'outils, coulures de cire, joints entre
les plaques de cire ... ). Et l'étude attentive des radiographies révèle incontestablement l'existence de nombreuses coulures, initialement en cire, en
particulier dans les jambes postérieures et au niveau des joues, dont nous
avons par ailleurs confirmé la présence lors de l'examen endoscopique.
Mais l'étude de la crinière du cheval de Neuvy-en-Sullias va permettre
d'aller bien au-delà de cette simple détermination du type de procédé de
fonte mis en œuvre. La crinière est, dans son état actuel, figurée par des
mèches retombant des deux côtés de l'encolure. Elle a la particularité d'être
amovible, et masque une ouverture dont la forme est singulière: étroite
le long de l'encolure, elle s'élargit au niveau du garrot pour former un triangle renversé (fig. 4). Cette ouverture correspond en réalité à la découpe
d'une crinière d'un autre type, dont l'étude stylistique a précisément déterminé le modèle: il s'agissait d'une crinière taillée court, avec une petite
touffe de crins laissée longue sur le garrot (Mascardi, à paraître). On a donc
remplacé le modèle initial de la crinière par un autre: peut-on préciser le
moment de la substitution? L'examen du bord de l'ouverture semble déjà
montrer que la découpe a été faite dans un matériau tendre. Mais surtout,
des coulures de cire apparaissent vers le haut de la découpe; elles partent
Étude technique du cheval
toutes de l'arête interne du bord gauche (fig. 5). Ces deux observations
établissent sans l'ombre d'un doute que la crinière courte a été découpée
et enlevée sur le modèle auxiliaire en cire au moyen d'une lame chauffée, ce qui a provoqué des dégoulinures de cire depuis le bord vers l'intérieur de la cavité.
Cette observation inattendue est évidemment particulièrement importante dans le cadre de l'interprétation
iconographique
du cheval: la
crinière grecque « classique» n'était pas au goût des commanditaires du
cheval de Neuvy, et il a fallu la remplacer par un modèle d'obédience clairement « romaine» (Mascardi, à paraître).
Nous bénéficions également avec cette constatation, d'enseignements tout
à fait exceptionnels pour mieux comprendre les techniques de fabrication de
la grande statuaire antique en bronze. Tout d'abord, cela montre que le cheval a dans un premier temps été entièrement monté en cire (on parle alors
de modèle auxiliaire en cire), avant d'être découpé en sections coulées séparément: si l'on considère uniquement l'ouverture de l'encolure, on voit
maintenant qu'elle se rattache à trois sections différentes, séparées comme il
se doit par deux soudures (voir plus loin « Les assemblages par soudure au
bronze liquide»). Mais nous avons aussi et surtout une nouvelle preuve de
la circulation de modèles de statues durant l'Antiquité, dont il était effectué
plusieurs tirages en bronze6• Il est en effet hautement improbable que le cheval de bronze de Neuvy-en-Sullias soit le premier exemplaire issu de ce
modèle: le sculpteur aurait directement façonné un cheval pourvu de la crinière adéquate! Il faut donc admettre que les artisans-fondeurs du cheval de
6. On ne connaît pour l'instant
que deux cas de grands
bronzes antiques dont il existe
plusieurs
tirages. Le premier
est un pilier hermaïque,
dont
un spécilnen provient de
l'épave de Mahdia. tandis que
l'autre est conservé au musée
Getty (Rolley, 1996 ;
Mattusch,
1996). Le second est
la représentation
d'AlexandreHélios enfant habillé en roi
d'Annénie,
découvert en
deux exemplaires,
aujourd'hui
conservés aux États-Unis
(Mattusch,
1996;
Rolley,
2006).
Fig.4
Vue de l'ouverture de
l'encolure après démontage
de la crinière
Fig.5
Bord de l'encolure.
Les coulures partent toutes
de l'arête interne de ce bord.
La découpe a donc été
effectuée dans la cire, à
l'aide d'une lame chauffée
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94 Le dépôt de Neuvy-en-Sullias
_
Zone d'une soudure
EmpliKement
•
Plaqueltesde
Coul~
Fig.6
Radiographie du cheval
de Neuvy-en-Sullias
de profil
Fig.7
Schéma de synthèse des
observations techniques,
profil gauche du cheval
Fig.8
Schéma de synthèse des
observations techniques,
et localisation des
prélèvements pour
l'analyse élémentaire,
profil droit du cheval
au brcmœ liQuide
probable
Clou dlSlanciateur,Ou
d'une soudure
emplacement
répafOlltion
secondaire
~
réparation
de clou dislanci<!leur
Étude technique du cheval
Neuvy-en-Sullias sont partis, soit d'un modèle déjà existant dont ils ont tiré
un moule démontable, soit peut-être même du moule démontable lui-même,
qui devait être réutilisable, et pouvait donc, aussi bien que le modèle, être
mis en circulation.
Les assemblages par soudure au bronze liquide
La reconnaissance des soudures s'est avérée particulièrement difficile. Il a
fallu confronter l'examen radiographique à un examen visuel approfondi
de la surface pour détecter les limites des pièces soudées (fig. 7 et 8). Et
pourtant cela n'a pas toujours suffi, certaines de ces limites ne sont que
probables. Il est par ailleurs vraisemblable que quelques soudures, trop
discrètes, nous aient échappé. Il semble malgré tout possible d'appréhender la logique qui a présidé au découpage du modèle auxiliaire en cire afin
de le diviser en sections à couler séparément. L'intérêt de ce découpage
est d'une part de limiter la dimension des pièces à couler, mais aussi de
simplifier et d'optimiser la circulation du métal liquide dans le moule.
La tête a été coulée en cinq pièces, la tête proprement dite, la mâchoire
inférieure dont fait partie le mors (fig. 9), le toupet, et les deux oreilles.
L'encolure est en deux pièces, la crinière en constitue évidemment une
troisième.
Le tronc semble être une pièce unique.
Les trois jambes reposant au sol sont découpées de la même manière,
chacune en deux pièces, avec une soudure située soit au-dessus du genou
soit au-dessus du jarret. La jambe antérieure gauche qui est levée compte
une soudure supplémentaire au niveau du canon.
Une grande pièce vient coiffer, au niveau des reins, le haut des jambes
postérieures.
Enfin, la queue est engagée dans le corps du cheval au moyen d'un
tenon, et le système est maintenu par une soudure.
Au total, ce sont donc au moins vingt pièces qui ont été coulées séparément puis assemblées par soudure. Si l'on compare avec les deux
statues équestres d'Augst, le découpage ici proposé se rapproche davantage du cheval 1 (les membres notamment) que du cheval 117.
L'assemblage des différentes sections a été effectué par soudure en versant du bronze liquide sur les deux pièces à assembler, ce qui a provoqué la
fusion superficielle du bord des pièces à souder (tableau l, p. 264-265, cat. l,
analyses e, i, p). Le cheval de Neuvy-en-Sullias présente ainsi quelques
magnifiques exemples de soudures dites en cuvettes (fig. 10), selon une technique qui était déjà au point au ve siècle av. J.-c. en Grèce, comme en témoignent les guerriers de Riace8. Ces techniques de soudure sont étonnantes,
et on ne connaît pas encore réellement le détail de leur mise en œuvre. Un
programme de recherche sur le sujet des techniques de soudure au bronze
liquide est d'ailleurs actuellement en cours au C2RMF, il se fonde sur l'étude
approfondie des soudures de quelques statues antiques9 et sur la mise en
place d'expérimentations.
C'est au titre de cette recherche que la soudure
7. Janietz-Schwarz,
1996.
Rouiller,
8. Formigli, 1984, p. 125.
9. Bouquillon
et al., 2006;
Caumont
et al., 2006.
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Le dépôt de Neuvy-en-Sullias
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Fig. 9 Examen endoscopique
de la bouche, le mors semble
solidaire de la mâchoire
inférieure (située à droite)
Fig. 10 Soudure en cuvettes
du haut de la jambe postérieure
droite
Fig. Il Localisation du
prélèvement pour examen
métallographique.
Une soudure
en cuvettes (en bleu) assemble
l'encolure sur le tronc (en rouge).
Les prélèvements pour analyse de
la composition élémentaire du
métal sont également indiqués
Fig. 12 Coupe métallographique de
l'assemblage par soudure de
l'encolure sur le tronc du cheval,
on distingue le bord de l'encolure
(zones Al et A2), le métal d'apport
(zone B), et le bord du tronc (zone
C). La seule zone effective de
soudure est à la jonction de A2 sur
B. Noter qu'un réseau de cavités
sphériques se développe dans le
métal d'apport, légèrement en
retrait de la soudure
Fig. 13 Détail dans la zone de
l'encolure (Al). Micrographie
électronique (électrons
rétro diffusés ), le bronze est
monophasé (phase a), l'espace
interdendritique
est soit libre
(porosités), soit occupé par
du plomb (en blanc)
Fig. 14 Détail dans la zone de métal
d'apport (B). Micrographie
électronique (électrons
rétro diffusés ). Le bronze est ici
biphasé, marqué par les inclusions
d'eutectoïde (a + 0) en gris clair, et
la forte ségrégation primaire de la
phase a. Les inclusions de plomb
(en blanc) sont plus petites que
dans la zone Al
Fig. 15 Détail de la soudure de
l'encolure (A2) par le métal
d'apport (B). Micrographie optique
après attaque au réactif de Klemm.
Les grains fins issus d'une
solidification rapide de B s'opposent
à ceux de A de dimensions
nettement plus importantes. On ne
dénote aucune trace d'oxydation
dans cette zone

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