Contrats administratifs

Transcription

Contrats administratifs
Revues
Lexbase Hebdo édition publique n˚295 du 4 juillet 2013
[Contrats administratifs] Questions à...
La modification du contrat administratif — Questions à
Hélène Hœpffner, Professeur de droit public à Sciences Po
Toulouse, Institut Maurice Hauriou
N° Lexbase : N7672BTC
par Yann Le Foll, Rédacteur en chef de Lexbase Hebdo — édition
publique
Si le contrat est un acte de prévision, il est aussi un engagement permettant la réalisation à long terme de
prestations. Il ne saurait donc être figé. En droit administratif, il est même de l'essence du contrat d'admettre des modifications aux conditions fixées initialement. La modification est au cœur du mécanisme
contractuel qui est conçu comme un instrument de réalisation des objectifs de service public. Or, depuis
quelques années, ces principes classiques ont été remis en cause par l'extension des obligations de mise
en concurrence venues limiter la liberté de l'administration ou des parties de modifier leur contrat. Quelle
que soit son origine -unilatérale ou contractuelle— et quel que soit l'instrument utilisé pour la matérialiser,
la modification est encadrée par des contraintes extérieures à la volonté des parties résultant des principes
de concurrence et de transparence. Dès lors, il n'y a plus lieu d'opposer les actes modificatifs unilatéraux
aux actes modificatifs contractuels. Pour faire le point sur cette problématique, Lexbase Hebdo — édition
publique a rencontré Hélène Hœpffner, Professeur de droit public à Sciences Po Toulouse, Institut Maurice
Hauriou, et auteur d'un ouvrage de référence sur ce thème (1).
Lexbase : Comment s'opère la modification par changement du contenu du contrat ?
Hélène Hœpffner : La modification est une action "ordinaire" de la vie du contrat administratif. Elle est pourtant
fortement encadrée -pour ne pas dire empêchée— par les règles de mise en concurrence et, plus généralement,
par l'idéologie concurrentielle actuelle, imposée par le droit de l'Union européenne et relayée, voire renforcée, par
le droit interne (2). En effet, alors qu'elle est un changement partiel d'un acte juridique, qu'elle porte sur l'exécution
d'un contrat sans remise en cause des conditions de son existence, elle est aujourd'hui sujette à caution : dès lors
que le contrat est modifié, il est soupçonné d'être un nouveau contrat, lequel doit, le cas échéant, être soumis à une
procédure de dévolution concurrentielle.
p. 1
Lexbook généré le 5 juillet 2013.
Lexbook - Revues
Cette méfiance s'est d'abord manifestée en droit interne, en droit des marchés publics (voir, notamment, l'article 20
du Code des marchés publics N° Lexbase : L3260ICQ, relatif aux avenants), puis en droit des contrats administratifs
en général. Elle a ensuite trouvé un écho dans la jurisprudence européenne (3). Elle devrait, d'ici peu, faire l'objet
de dispositions (trop ?) précises dans les nouvelles Directives "concessions" et "marchés publics" (4). La tendance
-critiquable et critiquée (voir, notamment, l'alerte publiée en décembre 2012 par l'Institut de la Gestion déléguée)—
est d'unifier le régime des modifications en prenant pour modèle celui applicable aux marchés publics, avec le
risque de priver les concessions et les contrats complexes de leur caractère nécessairement évolutif.
En l'état actuel du droit, la modification du contenu du contrat -c'est à dire de son objet, de sa durée ou de ses
éléments financiers— est encadrée par un principe directeur : elle est librement autorisée lorsqu'elle tend à adapter
raisonnablement le contrat ; elle est, en revanche, interdite lorsqu'elle est substantielle.
Les "modifications substantielles" des "dispositions essentielles" du contrat initial sont interdites. Elles ont un effet
novatoire : elles transforment la modification en la passation d'un nouveau contrat, lequel doit, le cas échéant, être
conclu à la suite d'une nouvelle procédure de mise en concurrence (5). En pratique, la difficulté est d'identifier le
seuil au-delà duquel la modification a cet effet novatoire. Aux termes d'une jurisprudence désormais établie, la
modification substantielle peut être identifiée grâce à deux critères.
— Le critère de la dissociabilité de l'objet : les parties sont libres d'adapter l'objet de leur contrat en fonction de
l'évolution de leur besoin ; elles ne peuvent, en revanche, pas lui substituer un objet nouveau, c'est à dire convenir
de prestations dissociables de celles initialement convenues.
— Le critère du bouleversement de l'économie du contrat : les parties peuvent rectifier le montant de la rémunération
initialement prévue ; elles ne peuvent, toutefois, pas bouleverser l'équilibre économique global du contrat initial.
Traditionnellement, le seuil du bouleversement se situe aux alentours de 15 à 20 % du montant du marché initial. Les
projets de Directives prévoient cependant un seuil bien plus (trop) bas : elles précisent que lorsqu'une modification
peut être exprimée en termes monétaires, elle n'est pas considérée comme substantielle lorsque sa valeur ne
dépasse pas le seuil d'application de la Directive et reste inférieure à 5 % du prix du contrat, cette valeur étant la
valeur cumulée des modifications successives en cas de pluralité de modifications.
Cette interdiction connaît cependant deux limites. Les modifications ne sont pas considérées comme substantielles
lorsque :
— les parties rencontrent, au cours de l'exécution, des sujétions techniques imprévues, c'est à dire des difficultés
matérielles présentant un caractère exceptionnel, imprévisible lors de la conclusion du contrat et dont la cause leur
est extérieure (6) ;
— elles ont été prévues par le contrat, sous forme de clauses de réexamen ou d'options claires, précises et uniques,
indiquant le champ d'application et la nature des modifications éventuelles et les conditions dans lesquelles elles
peuvent être opérées.
Dans ces deux cas, cependant, la modification ne doit pas changer la "nature globale" du contrat. Dans le second
cas, en outre, elle ne doit pas dépasser 50 % de la valeur initiale du contrat.
Lexbase : Qu'en est-il lorsque ce sont les parties qui voient leur identité modifiée ?
Hélène Hœpffner : Le changement de cocontractant est fréquent : aussi bien du côté de l'entreprise, en raison des
restructurations d'entreprises, que de l'administration, en raison des transferts de compétences entre collectivités
territoriales et/ou établissements publics (7). Il donne lieu à une cession de contrat, c'est à dire à la "reprise pure et
simple, par le cessionnaire qui constitue son nouveau titulaire, de l'ensemble des droits et obligations résultant du
précédent contrat" (8).
La question s'est posée de savoir si un tel changement était constitutif d'une modification substantielle d'un élément
essentiel du contrat initial. Les réponses françaises et communautaires divergent. En droit français, il est admis de
longue date que la cession de contrat a un effet purement translatif, autrement dit qu'elle implique une modification
subjective (c'est-à-dire la substitution d'un tiers à l'une des parties), sans modification objective (c'est-à-dire sans
que le contenu du contrat initial soit affecté, du moins sans que les éléments essentiels de celui-ci soient remis
en cause) : elle n'est donc subordonnée qu'à la seule obtention d'une autorisation de cession émanant du cédé,
à l'exclusion de toute nouvelle mise en concurrence (9). Au contraire, le droit de l'Union européenne considère
que "la substitution d'un nouveau cocontractant à celui auquel le pouvoir adjudicateur avait initialement attribué
le marché doit être considérée comme constituant un changement de l'un des termes essentiels du marché public
concerné" (10). Les propositions de Directives maintiennent cette interdiction de substitution d'un partenaire contrac-
p. 2
Lexbook généré le 5 juillet 2013.
Lexbook - Revues
tuel, considérant qu'elle est constitutive d'une modification substantielle, sauf en cas d'opération de restructuration
de la société contractante ou en cas de substitution consécutive à une faillite, à condition que cette modification
personnelle ne s'accompagne pas de modifications substantielles du contenu du contrat et que cette substitution
"ne vise pas à se soustraire à l'application de la présente Directive".
Cette interdiction connaît, cependant, des limites. D'une part, la cession de contrat est considérée comme n'ayant
pas un caractère novatoire dans le cas où elle a été prévue dans le contrat initial (11). D'autre part, la simple
substitution de sous-traitant n'est -en principe— pas assimilée à une cession de contrat : elle est, au contraire,
autorisée, sans remise en concurrence du contrat initial (12).
Lexbase : Quels sont les instruments permettant de mettre en œuvre la modification du contrat ?
Hélène Hœpffner : La modification peut être matérialisée par différents instruments. Tous, au fond, sont soumis
aux principes directeurs précédemment exposés. Ils n'ont, cependant, pas la même nature : certains sont conventionnels, d'autres sont unilatéraux. Ils ne sont pas non plus soumis aux mêmes règles formelles et procédurales.
L'avenant est l'acte modificatif par excellence : il est un contrat par lequel les parties conviennent de changer, en
cours d'exécution, un ou plusieurs éléments de la convention qui les lie. L'avenant matérialise parfois aussi une
transaction (C. civ., art. 2044 N° Lexbase : L2289ABE) : il vise alors à prévenir ou à terminer une contestation à
naître en adaptant le contrat. L'avenant n'épuise, cependant, pas la catégorie des modifications conventionnelles. Il
existe, en droit des marchés publics, des marchés publics "spéciaux" permettant de compléter un marché initial au
cours de son exécution : les marchés négociés pour prestations complémentaires ou similaires (C. marchés publ.,
art. 35, II, 4˚, 5˚ et 6˚ N° Lexbase : L0147IRU). Ils permettent de modifier le marché initial. Mais contrairement aux
avenants, ils ont une existence juridique à part entière : ils ne viennent pas s'intégrer au contrat initial.
Le contrat peut, également, être modifié par le biais d'actes unilatéraux : des décisions de poursuivre (actes unilatéraux qui doivent être prévus par le marché initial) qui permettent de poursuivre l'exécution des prestations aux fins
de parvenir à l'achèvement d'un ouvrage ; des ordres de services qui sont, en principe, utilisés par l'administration
pour mettre en œuvre son pouvoir de direction mais qui sont, en réalité, utilisés pour modifier les stipulations des
contrats.
Lexbase : De quelle manière s'opère le contrôle des modifications irrégulières par le juge administratif ?
Hélène Hœpffner : Situé en aval de la conclusion définitive du contrat, le contentieux des actes modificatifs est en
principe un contentieux contractuel qui n'est ouvert qu'aux parties. Celles-ci peuvent exercer un recours en annulation (13) contre un avenant. Elles peuvent, également, contester les actes unilatéraux d'exécution. Longtemps, ce
contentieux se résolvait par l'obtention d'une indemnité : le juge, saisi par une partie, pouvait seulement rechercher
si l'acte modificatif était intervenu dans des conditions de nature à ouvrir droit à indemnité. Depuis l'arrêt "Béziers
II" (14), il peut ordonner, dans le cadre d'un recours en contestation d'une décision de résiliation, la reprise des
relations contractuelles. Certains juges du fond ont transposé cette solution aux autres actes modificatifs en créant
une action en rétablissement de l'état antérieur du contrat (15).
Progressivement, cependant, les tiers se sont vus reconnaître des moyens de saisir le juge pour contester certains
actes d'exécution. Ils peuvent, par la voie du recours pour excès de pouvoir, contester les actes adoptés sur le fondement de clauses réglementaires ou les décisions de résiliation de conventions à effet réglementaire. Ils peuvent
également, lorsqu'un avenant peut être qualifié de nouveau contrat, exercer un recours en contestation de validité
"Tropic" (16) de cet avenant.
(1) La modification du contrat administratif, LGDJ, 2009 ; La modification des contrats de la commande publique à
l'épreuve du droit communautaire, RFDA, 2011, p. 98.
(2) Voir, par exemple, les récentes propositions de loi visant à encadrer les avenants, notamment la proposition de
loi n˚ 620 du 16 janvier 2013.
(3) CJCE, 19 juin 2008, aff. C-454/06 (N° Lexbase : A2000D9X) ; CJUE, 13 avril 2010, aff. C-91/08 (N° Lexbase :
A6543EUU).
(4) Répertoire de la législation de l'Union européenne en préparation, droit d'établissement et libre prestation de
services, COM/2011/0896 final-2011/0438 COD ; Llorens et Soler-Couteaux, CMP, 2012, repère n˚ 6, Kerléo, Réflexions sur la proposition de Directive relative à la passation des marchés publics, CMP, 2013, étude 1.
(5) CE, Avis, 19 avril 2005, n˚ 371 234 (N° Lexbase : A3933KII) ; CE, S., 11 juillet 2008, n˚ 312 354, publié au recueil
Lexbook - Revues
Lexbook généré le 5 juillet 2013.
p. 3
Lebon (N° Lexbase : A6133D9Z).
(6) CE 5˚ et 7˚ s-s-r., 30 juillet 2003, n˚ 223 445, mentionné aux tables du recueil Lebon (N° Lexbase : A2385C99).
(7) Voir en dernier lieu, rép. min. n˚ 01 602, JO Sénat du 18 octobre 2012, p. 2311 (N° Lexbase : L2793IXQ), CMP,
2012, comm. 355.
(8) CE Avis, 8 juin 2000, n˚ 141 654, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A6685IQN).
(9) CE Avis, 8 juin 2000, n˚ 141 654, préc..
(10) CJCE, 19 juin 2008, aff. C-454/06, préc..
(11) CJCE, 19 juin 2008, aff. C-454/06, préc., point n˚ 40.
(12) CJUE, 13 avril 2010, aff. C-91/08, préc..
(13) CE, Ass, 28 décembre 2009, n˚ 304 802, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A0493EQC).
(14) CE, S., 21 mars 2011, n˚ 304 806, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A5712HIE).
(15) TA Lille, 20 février 2013, n˚ 1 005 463.
(16) CE, S., 16 juillet 2007, n˚ 291 545, publié au recueil Lebon (N° Lexbase : A4715DXW).
p. 4
Lexbook généré le 5 juillet 2013.
Lexbook - Revues