Littérature et valeurs au lycée au Maroc

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Littérature et valeurs au lycée au Maroc
Littérature et valeurs au lycée au Maroc:
des variations sociales à la culture commune
Mina SADIQUI-EFEL-UMI-MAROC
[email protected]
In collectif : « Les valeurs éthiques et esthétiques dans la littérature et les arts »
Publications de l’ENS, Université Mohamed V .Rabat .2016, pp.101 -112)
ISBN : 978-9954-36-795-7
L’une des finalités constantes de tout système éducatif est la transmission d’un certain
nombre des valeurs nationales et universelles souvent énoncées dans les textes officiels et qui
visent à conduire l’élève à construire sa personnalité. On ne peut en effet, aborder la question
de l’éducation sans prendre en considération la référence normative qui la sous-tend et qui
devrait être en relation avec un projet de société escompté.
Ainsi en ce qui concerne l’enseignement/apprentissage du français dans le cycle secondaire, et
depuis le début de la réforme de 1999, deux entrées sont proposées pour approcher la
discipline, une relative à l’approche à mettre en œuvre .Il s’agit, en l’occurrence, de
l’approche par compétence. Quant à l’autre entrée, elle réfère plutôt aux contenus à exploiter
dans la classe de langue, et c’est ce qui désignée par « l’entrée par les valeurs ».
Dans ce sens, le texte officiel, Les Orientations Pédagogiques générales pour l’enseignement
du français dans le cycle secondaire qualifiant de 2007, souligne que le français devrait,
comme toutes les autres disciplines, « contribuer au développement des valeurs nationales et
universelles » (MEN, 2007 :2). Il insiste également sur « la formation d’un citoyen autonome
par le biais d’une appropriation des valeurs civiques et humaines universelles » (MEN,
2007 :2).Implicitement ; il devrait donc y avoir une relation entre l’autonomie de l’apprenant
et les valeurs à transmettre dans une salle de classe.
Il est précisé un peu plus loin qu’il revient « à l’enseignant de mettre en évidence les valeurs
véhiculées dans les œuvres intégrales » (MEN, 2007 :3).
Les objets/supports de l’enseignement, les textes littéraires plus particulièrement, sont donc
considérés comme sources de valeurs que l’enseignant est appelé à promouvoir. Et en effet,
« La littérature, plus sans doute qu’aucun autre art, est constamment traversée par les
questions de valeurs » (Canvat et al, 2004 :5)
1
Comment donc, aborder un certain nombre de valeurs véhiculés par les textes littéraires de
façon à concilier le principe de la diversité des valeurs et la nécessité de transmettre
l’universel? Est-il suffisant de mettre en relief un certain nombre de valeurs contenues dans
des objets/supports d’enseignements pour que nos apprenants se les approprient ?
Ne faudrait-il pas au lieu de ne s’arrêter que sur des contenus voir surtout comment à travers
des démarches d’enseignement/apprentissage construire des valeurs ?
Nous essayerons dans cette contribution, de donner quelques éléments de réponse en
analysant de près l’approche prescrite et effective de la notion de « valeurs » dans le discours
officiel. On soulignera alors les dérives qui impacteraient négativement l’entrée par les
valeurs par le biais du texte littéraire en classe de français au lycée. Nous proposerons enfin,
en nous inspirant des récentes recherches en didactique des langues et littératures, des repères
pour optimiser l’exploitation du texte littéraire en intégrant aussi bien sa portée éthique
qu’esthétique.
1. L’entrée par les valeurs dans l’approche du texte littéraire au lycée
1.1. Approche prescrite
L’introduction da la littérature à l’école a souvent été assimilée à la transmission d’un
certain nombre de valeurs. «L’école a fait de la littérature une matière d’enseignement
obligatoire dans un souci d’éducation plus que d’instruction, et de morale plus que
d’esthétique, puisqu’un des objectifs les plus régulièrement proclamés par les enseignants est
la découverte des valeurs qui donnent sens à la vie »(Kanevat et al,2004 :5) .En effet « Les
interrogations sur la formation des individus et la transmission des valeurs fondent une
réflexion sur la société que la littérature fait apparaitre. »(Bandry, 2009 :7)
Le texte officiel de 2007 s’inscrit d’une certaine façon dans cette perspective et propose une
certaine approche des valeurs représentées d’abord par les œuvres prescrites.
Ainsi et pour s’approprier un certain nombre de valeurs en classe de langue, le texte officiel
préconise un corpus bien précis. : Maupassant, Gautier, Molière, Victor Hugo, Balzac,
Voltaire, Sefrioui et Khair-Eddine1.
1
Les œuvres programmées au lycée au Maroc depuis 2007 sont :
-La ficelle et Aux champs de Maupassant, le Chevalier double de Gautier e, La Venus de P. Mérimée et Le Bourgeois
Gentilhomme de Molière pour le tronc commun
- La Boite à merveilles de Sefrioui, Antigone d’Anouilh, Le dernier jour d’un condamné d’Hugo pour la première bac
2
Nous remarquons une prédominance de la littérature française classique, avec domination de
la littérature du 19ème siècle qui est massivement représentée.
Et en effet, ce corpus est une première représentation officielle d’un système de valeurs que
l’institution « imposerait » .Programmer et de façon consistante des classiques ,c’est
considérer l’œuvre littéraire prescrite comme une « œuvre d’une grande notoriété, qui sert de
référence, de modèle »(Hachette,1980) ou plus encore comme un texte « qui mérite d’être
imité(….)qui fait autorité(…)considéré comme la base de l’éducation et de la
civilisation »(Robert,1991) . Prescrire donc plusieurs textes littéraires classiques au lycée,
c’est à notre sens prescrire la notion de valeur dans un « canon » fermé aussi bien sur le plan
esthétique qu’éthique.
Ce choix à notre sens et dans une classe de langue ne pourrait être que réducteur, car ne se
baser que sur les classiques pour prétendre s’ouvrir sur les autres cultures risquerait d’isoler
la valeur .Et c’est aussi oublier un élément essentiel dans le contexte scolaire, (et qui devrait
pourtant être fondamental dans la conception de toute situation éducative et surtout comme
critère dans le choix du matériel didactique à exploiter) c’est la spécificité de l’apprenant et
de son contexte socioculturel qui concevrait autrement le concept de « classique ».
En plus de ce facteur socio- pédagogique, il y’aurait un facteur relatif à la didactique des
langues, et complémentaire d’ailleurs à cette approche, qui serait aussi négligé dans cette
démarche .En effet, les avancées récentes en didactique des langues et littératures mettent
au centre des dispositifs de l’enseignement/apprentissage des langues, non des corpus, mais
plutôt le sujet lecteur.
En effet, avec les théories de la lecture (Eco, Iser, Jaus,) un net déplacement de l’objet texte
vers le sujet lecteur s’est opéré et ce qui est alors mis en valeur, c’est l’activité de ce dernier
comme composante fondamentale dans « l’actualisation » du sens de l’objet littéraire. Le
sens, et donc les valeurs à construire, ne découlent plus seulement du texte, ni de son auteur,
mais aussi également du sujet lecteur.
Ces théories, qu’elles soient centrées sur l’effet du texte ou sur sa réception mettent en valeur
l’instance du lecteur (Eco, Dufays, Langlade). Elles soulignent que ce ne sont pas
uniquement les textes qui font la littérature et donc tous les contenus qu’elle pourrait
véhiculer. Ce serait le lecteur qui, en grande partie, attribuerait au texte sa valeur littéraire.
« La question n’est plus de savoir ce qu’est la littérature comme objet ou comme produit fini
- Candide de Voltaire, Le Père Goriot de Balzac et Il était une fois un vieux couple heureux de Khair-Eddine pour la
terminale
3
mais ce qu’elle est en tant que projet ou représentation dans la tête de celui qui lit. »(Dufays,
1996 :.65).
Une autre approche, toujours « prescrite », des valeurs est présente à travers une autre
facette du« discours officiel » : les Progressions. Ces dernières sont, soulignons-le des
documents officiels préconisant des exploitations pédagogiques à mettre en œuvre par les
praticiens.
Interroger leur conception de la relation valeurs contenus dans les corpus et éventuelles
transpositions pédagogiques, c’est une façon d’approcher la relation valeurs et pratiques de
classe .C’est voir de près comment l’institution et à travers des progressions pédagogiques
concevrait la mobilisation des valeurs contenus dans le matériel didactique prescrit.
Nous avons alors consulté et à titre indicatif la page « Progressions » relative à une œuvre ou
effectivement la question des valeurs est très pertinente, c’est « Antigone » .Voici ce qui est
indiqué :
« Les compétences ;
Reconnaître les caractéristiques d’une tragédie moderne :
- La tragédie comme genre
- La structure et les conventions du théâtre tragique
- Le rôle des mythes antiques dans la tragédie
- Les registres tragiques
Les activités :
Réception de l’écrit
- La tragédie: le mythe antique dans la tragédie contemporaine
- Intertexte et recomposition des personnages
- Structure de la tragédie moderne
- Didascalies - dialogue – monologue – tirade
- Thèmes: le pouvoir, la liberté, le conflit de générations, la responsabilité,
Production de l’écrit
- Résumé / Fiche de lecture d’œuvres théâtrales
- Ecriture d’invention autour de la tragédie
- Résumé de texte
Production de l’Oral et TE
- Présentation de recherches et de travaux divers en rapport avec le projet de classe
- Mise en scène et dramatisation d’extraits de l’œuvre » (MEN, 2007 :26)
Plusieurs remarques sont à souligner si on veut interroger la relation œuvre prescrite/valeurs
à transmettre, et comment elle est conçue à travers cette progression relevée. Nous avons en
effet, la conception d’une démarche pédagogique fondée sur l’interaction lecture/ écriture où
4
le texte littéraire est représenté comme source d’inspiration, comme modèle esthétique de
référence à « reproduire » en activités scripturales et éventuellement orales. L’exploitation
pédagogique devrait également mettre en place des savoirs notionnels relatifs à la discipline
« littérature » et au genre tragédie plus particulièrement. La classe de langue risquerait donc
de devenir une classe de transmission d’informations relatives à la littérature .Le texte
littéraire deviendrait plus objet d’enseignement que support d’apprentissage d’une langue
vivante.
Mais plus encore, la portée éthique, voire esthétique ne pourraient que s’effacer devant
l’exploitation pédagogique. La pratique de classe qui mettrait en œuvre une progression
pareille enfermerait le texte littéraire dans le sens unique et conduiraient à « une exclusion de
l'expérience subjective du sujet lecteur au profit d'une description objective du
fonctionnement textuel » (Langlade, 2007). La primauté accordée aux problématiques
génériques conduirait à « une approche désincarnée de la littérature, éloignée de tout
investissement personnel, de toute leçon de vie ». (Langlade, 2007)
Ce type de progressions continuent à raisonner autour des codes et des genres et négligeraient
la place centrale à accorder au sujet/apprenant.
1.2. Une approche effective : l’évaluation
Et c’est ce que nous remarquons aussi quand on analyse certaines pratiques évaluatives
présentes dans les examens certificatifs. Nous pensons en effet, comme le souligne Harrouchi
(2003), que c’est ce qui est évalué et comment il est évalué qui détermine ce qui est à
apprendre et comment il devrait l’être. L’évaluation certificative offrirait une autre approche
« effective », de l’exploitation pédagogique de la relation corpus préconisé et valeurs à
transmettre en classe de français. Soulignons qu’au Maroc l’examen régional certificatif est
une épreuve fondamentale dans la validation des compétences requises pour avoir son
baccalauréat. Le dispositif de questionnement conçu représenterait, à notre sens, la conception
de l’institution scolaire des pratiques qui devraient être mises en œuvre. Et comme nous allons
le démontrer, la portée éthique du texte littéraire n’est pas souvent suffisamment mise en
valeur dans ces dispositifs de questionnement. Quant à la portée esthétique du texte, elle serait
partiellement altérée vu une certaine incohérence entre la plupart des questions retenues.
Nous avons pris deux examens proposés au cours de l’année précédente :
5
Examen
régional
de
2012(Support :
extrait
Anouilh)
Examen régional de Marrakech 2012.
(Support Extrait du dernier jour d’un
condamné, V. Hugo)
I.
I. Étude de texte : (10 points)
COMPRÉHENSION : (10 points)
1. Recopiez et complétez le tableau suivant : (1
pt)
En vous référant à l’œuvre dont le texte est extrait,
recopiez et complétez le tableau suivant : (1 pt)
Prénom et
nom de
Genre de
l’auteur.
l’œuvre.
Siècle.
Souss-Massa
d’Antigone,
Une autre
Titre de
œuvre du
l’œuvre
Auteur
Genre
Siècle
même
auteur.
2. En tenant compte de ce qui s’est passé avant ce
passage, dites si les affirmations suivantes sont vraies
2-Situez le passage par rapport à l’œuvre dont il est
ou fausses : (1 pt)
extrait. (1 pt)
a) Créon a essayé une dernière fois de convaincre
3. Les informations suivantes sont-elles vraie sou fausses
Antigone.
? Justifiez chacune de vos réponses en citant une phrase
b) Antigone a déjà enterré le corps de Polynice.
du texte : (2 pt)
c) La nourrice a surpris Antigone qui rentrait
a. Marie est accompagnée par une autre personne.
discrètement chez elle.
b. Marie veut bien que le narrateur soit son père.
d) Ismène sait déjà qu’Antigone a enterré le corps de
c. Marie lit au narrateur une lettre de sa mère.
Polynice.
d. Le narrateur est satisfait de cette rencontre.
3. De quoi Ismène cherche-t-elle à convaincre
4. Pourquoi Marie ne reconnait-elle plus son père ? (1 pt)
Antigone ? (1 pt)
5. Relevez deux mots appartenant au champ lexical de
4. Relevez deux arguments utilisés par Ismène. (1 pt)
l’affection. (1 pt)
5. Comment trouvez-vous Antigone dans ce passage ?
6. « Elle a cherché à se dégager de mes bras en criant :
a) Elle est ouverte au dialogue.
-Vous me faites mal … »Transposez cette phrase au
b) Elle est hésitante.
discours indirect, sachant que le narrateur rapporte ses
c) Elle est obstinée, plus décidée.
propres paroles. (1 pt)
Recopiez la bonne réponse. Justifiez-la. (0,5 pt x 2)
7. « Elle me regardait d'un air étonné ; caressée,
6. Relevez dans le texte quatre mots appartenant au
embrassée, dévorée de baisers et se laissant faire mais
champ lexical des sentiments. (1 pt)
jetant de temps en temps un coup d'œil inquiet sur sa
7. « ISMENE, se jette contre elle. »
bonne, qui pleurait dans le coin. »
Qu’est-ce qui justifie l’emploie de cette didascalie ?
La figure de style employée dans l’ensemble des éléments
(1 pt)
soulignés est une gradation. Est-elle ascendante ou
8. « Il est plus fort que nous ».
6
descendante ?
La figure de style employée dans cette phrase est-elle
8. Quel est le registre qui domine dans ce texte ? (0,5 pt)
:
9. Dans ce texte, le condamné est presque exécuté par sa
a) Une comparaison ?
propre fille avant même de l’être par le bourreau.
b) Une métaphore ?
Approuvez-vous l’analyse exprimée dans cette phrase ?
c) Une hyperbole ? (1 pt)
10. Peut-on considérer ce passage comme un
9. Antigone dit : « Je ne suis pas belle. »
réquisitoire contre la peine de mort ? Justifiez votre
Pour vous, qu’est-ce qu’être beau (être belle) ?
réponse. (1 pt)Justifiez votre réponse. (1 pt)
Justifiez votre réponse. (1 pt)
10. Pour Ismène, une fille ne meurt pas pour ses
idées.
Etes-vous du même avis ? Justifiez votre réponse. (1
pt)
En lecture/compréhension, les pratiques de questionnement proposées se limitent à la
vérification du contenu référentiel qui font appellent uniquement à la mémoire :(questions 12-3 : examen de Marrakech, questions 1-2 examen de Sous). Puis, et dans les deux examens,
figurent une série de questions purement formelles« Relever, repérer; reconnaitre, », voici
les « tâches »
que l’apprenant devrait accomplir face au texte littéraire sans forcement
construire un sens. On se limite à évaluer des ressources morcelées abstraction faite d’une
situation précise: « repérer un champ lexical, identifier une figure de style » non
contextualisées, elles sont donc non finalisées. il faudrait concevoir le texte comme une unité
où tout a un sens et toutes les tâches que l’apprenant devrait accomplir devraient converger
vers un but précis : « il doit y avoir un fil conducteur dans tout ce qui est proposé à l’élève(…)
un ensemble complexe et articulé de tâches à effectuer, qui sont orienté dans une direction
précise et non une suite de petites questions sans liens les unes avec les autres » (Paquay et
al, 2002 : 15). Plus encore, le culturel est conçu comme objet de connaissance (l’apprenant est
toujours invité à contextualiser) ce qui est sur le plan méthodologique erroné parce que
comme le souligne Puren(2008) : « l’erreur en culture est considérée comme une erreur
d’interprétation et non d’information ».Ces dérives dans la conception de l’évaluation
induisent plusieurs dérives dans la représentation de l’enseignement /apprentissage de français
à partir du texte littéraire dans les pratiques de classe(Nous l’avions déjà souligné :il y’a une
connectivité entre évaluation et enseignement).
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En conséquence, le cours de langue est souvent assimilé à un cours d’histoire littéraire ou
encore à un cours sur les techniques de l’analyse textuelle. La valeur « esthétique » devient
vidée de son essence, et l’éthique s’effacerait devant le « méthodologique ».
La question du sens que peuvent avoir ces supports exploités pour l’apprenant, leur situation
en termes de valeurs par rapport à eux sont rarement soulevés. Au lieu de mettre les
apprenants au centre de l’apprentissage, comme le stipule l’approche par compétence, de
valoriser « les expériences de lecture imprévues qu’ils sont en droit de réaliser » (Langlade
et al, 2004 :13), et donc de créer un espace où le moi et l’Autre pourraient se rencontrer, se
confronter, dialoguer, on s’enferme souvent dans des approches formalistes et transmissives.
Comment approcher autrement la notion de valeur ? Comment esquisser un parcours qui
valoriserait l’expérience personnelle de l’apprenant ses variations sociales, son identité pour
après l’inviter à la rencontre de l’Altérite et l’inscrire quand c’est possible dans un contexte
universel et humain ?
Nous essayerons dans cette partie de fournir quelques repères.
2. Pour approcher autrement les valeurs en classe de langue :
Entre les corpus fermés et enfermant la notion de valeur, aussi bien sur le plan esthétique
qu’éthique, et les dérives formalistes qui caractériseraient la plupart des approches mises en
œuvre, l’enseignement du français en classe de langue et pour promouvoir un certain nombre
de valeurs devrait être repensé de façon à mieux articuler les deux entrées ,dont nous avions
parlé au début , et ce pour réellement optimiser l’exploitation pédagogique du texte littéraire
dans le contexte scolaire.
2.1. Le lecteur / sujet, la valeur à promouvoir :
Nous croyons que pour que la classe de langue soit un espace de partage de valeurs, il serait
urgent de mettre en place des approches qui favoriseraient l’emergence d’un sujet qui peut
engager des choix.
Il faudrait donc que la classe ne soit pas d’abord un lieu de transmission de savoirs ou
l’apprenant se réduit à un consommateur /exécuteur reproducteur, mais un lieu ou émergerait
l’identité de chacun et le respect de la collectivité. Aider « à lire la littérature plus
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efficacement c’est les aider à se développer comme individus et c’est développer leurs
relations avec les gens et les institutions qui les entourent » (Carter et al, 1991:3)
Ainsi et d’abord au niveau des corpus proposés, nous croyons qu’il faudrait envisager
l’introduction d’œuvres en dehors des cadres strictement rhétoriques et poétiques (et donc
cesser d’exemplifier une esthétique et une portée éthique donné.)
Cette démarche devrait inviter à exploiter en classe de langue d’autres corpus et d’autres
formes d’écritures qui se rapprochent du goût des élèves, de leurs pratiques culturelles, bref
de leurs univers .Cette démarche relativiserait la place de la littérature classique comme seule
modèle culturel.
En plus, tout support proposé, littéraire ou non littéraire, devrait interpeller leur subjectivité.
« La lecture subjective concerne en effet le processus interactionnel, la relation dynamique à
travers lesquels le lecteur réagit, répond et réplique aux sollicitations d'une œuvre en puisant
dans sa personnalité profonde, sa culture intime, son imaginaire » (.Langlade, 2007: 71-73)
De telles pratiques susciteraient les réactions personnelles de nos apprenants, et éveilleraient
autant leur expressivité, (l’esthétique) que leur réflexibilité (éthique).
2.2. Pratiques de classe et éducation à la citoyenneté
Si une réflexion sur les contenus à exploiter en classe de français au lycée au Maroc
devrait être menée, et de façon urgente, en prenant en considération la spécificité de notre
contexte et le statut de la discipline tel qu’il est défini par la constitution de 2011, c’est aussi
et surtout au niveau des démarches qu’il faudrait agir.
Dans ce sens ,il serait plus pertinent de concevoir des dispositifs didactiques ,et mettre en
œuvres des pratiques de classe ,qui valoriseraient les postures interprétatives de l’apprenant
comme ayant le droit de se concevoir et de s’exprimer comme sujet et pas uniquement comme
reproducteur de normes et de codes.
La première finalité de la classe de français devrait être la maitrise de langue comme
instrument de pensée, un moyen d’exprimer ses sentiments et ses idées et un lieu d’exercice
de sa créativité. Elle devrait d’abord développer son autonomie et son attitude réflexive
quelque soit
les contenus proposés. Et pour cela, il faudrait « prendre le risque » de
l’impliquer dans toute situation éducative. Il faudrait promouvoir des pratiques de classe qui
favoriseraient l’émergence et la construction de l’autonomie dans la confrontation des idées,
mais aussi dans l’acceptation de se remettre en cause, et de réviser se opinions et donc
d’accepter l’Autre.
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Cet esprit d’ouverture, composante fondamentale de la citoyenneté (une valeur très présente
dans les textes officiels), n’est pas facile à acquérir et ne peut résulter que de pratiques de
classe qui visent à développer l’esprit de dialogue, à apprendre à l’apprenant à former son
opinion en prenant en considération le point de vue des autres, à savoir trouver des consensus
et aboutir à de compromis.
Ce sont les mêmes valeurs qui permettent des relations sociales harmonieuses loin de toute
forme de violence.
Ce sont ces valeurs qui arriveraient en classe de langue, à construire, au-delà de toute
création esthétique investie, une société fondée sur une éthique basée sur le sens de la
responsabilité, sur le fait d’assumer son identité de respecter l’altérité et de chercher à
construire l’universalité.
Conclusion
Les démarches d’apprentissage peuvent, doivent être une entrée tout à fait pertinente
pour construire des valeurs aussi bien nationales qu’universelles, non simplement dans la
classe de français dans le cycle secondaire qualifiant uniquement, mais dans la classe tout
court. « Former, ce n’est pas simplement transmettre des contenus, mais aussi par sa praxis
de formateur, mettre à jour des valeurs, des comportements mentaux, des modes de pensées ».
(Hubert, 2007 :8. On ne le répétera jamais assez, ce sont les pratiques de classe qui
transmettent les valeurs les plus « influentes »et qui agissent sur le devenir des apprenants,
sur le devenir de la société.
« Tout pédagogie repose sur une conception de l’individu. Il y’a plus qu’une simple
différence entre les approches qui font de l’autonomie une composante de l’épanouissement
personnel dans le respect des normes sociales dominantes et les approches socio
pédagogiques ou autonomie voisine avec autogestion ,la finalité étant l’émancipation de
l’individu »( Holtzer, ,1995 :11).
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Bibliographie sélective :
Bandry Scubbi.A. , 2009, Education-Culture-Littérature, Editions L'Harmattan.
De Peretti. I, Ferrier .B, 2012, Enseigner les « classiques », Approches critiques et didactiques, Bruxelles,
Edition Peter Lang
Dufays.J.L.2007, Enseigner et apprendre la littérature aujourd'hui, pour quoi faire ? Presses Universitaires de
Louvain.
Dufays. J.L., 1996, Pour une lecture littéraire, approches historique et théorique, Edition De Boeck. Calvino. I,
1991, Pourquoi lire les classiques, Paris, Seuil
Canvat.K.et Legro.G., Les valeurs dans / de la littérature, Presses Universitaires de Namur, 2004. Hubert, M,
2007, Former des formateurs, chroniques sociales.
Harouch.A, 2003, La pédagogie des compétences, Le Fennec, Casablanca.
Holtzer.G.1995, Autonomie et didactique des langues : le conseil de l’Europe et les langues étrangères (19701990), Presses univ .Franche-Comté.
Rabaté .D. 2007.L’Art et la question de la valeur. Presses Universitaires de Bordeaux. BISHOP.
Ulma D., 2007, « L’approche historique et comparatiste de la place de la Littérature à l’école » in Marlène
Lebrun, Annie Rouxel, Claude Vargas, Ed., La littérature et L’école, enjeux, résistances, perspectives, PUP.
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