les représentations de la langue et de son apprentissage
Transcription
les représentations de la langue et de son apprentissage
Article initialement paru dans Travaux de didactique du français langue étrangère, n°50, IEFE, Presses universitaires de Montpellier III, pp. 23 -36. Nathalie AUGER, Université Montpellier III « ÇA CASSE LA LANGUE D'UN ÉTRANGER ». LES REPRÉSENTATIONS DE LA LANGUE ET DE SON APPRENTISSAGE : UNE QUESTION INTERCULTURELLE Dans son ouvrage Diversités des langues et représentations cognitives C. Fuchs (1997: 1), s'inspirant des travaux de Whorf, déclare qu’ « une diversité de "représentations" du monde [sont] construites par et à travers la langue ». La langue, productrice et véhicule de représentations, voilà qui n'est pas nouveau en linguistique appliquée et notamment en didactique des langues-cultures. De notre point de vue, ces représentations nous intéressent à un double niveau, de par leur universalité et de par leur singularité. Universalité des activités cognitives représentationnelles et singularité de leur contenu. Les psycho-sociologues, S. Moscovici en tête, ont bien démontré les Structures et transformations des représentations sociales dans un ouvrage sous la direction de Ch. Guimelli. Mais en linguistique appliquée, on ne peut en rester à ces universaux sans se heurter aux pratiques de classes. Les élèves ont des représentations singulières, souvent partagées dans la culture maternelle ce qui nous permet d'anticiper certaines réactions. Mais il faut aussi compter avec la subjectivité de chacun. Face à soi-même, dans un contexte interculturel (même si l'élève apprend une langue étrangère dans son pays) , l'étudiant voit ses représentations bouleversées, qu'il s'agisse des structures ou bien des contenus. Les didacticiens se sont penchés sur la question de la représentation, en priorité sur celle de l'étranger (G. Zarate, M. Abdellah-Pretceille) lors de l'apprentissage d'une langue. Ainsi parle-t-on d'approches interculturelles. Cependant, une autre question, au cœur des problématiques didactiques, se pose : en classe de langue, les représentations interculturelles, si elles concernent manifestement le rapport à l'autre, a également une incidence sur la représentation de la langue-cible et de son apprentissage. Voilà les éléments qui constitueront notre réflexion aujourd'hui. Enfin, C. Fuchs (1997 : 6) regrette avec raison que « la grande majorité des travaux visant à appréhender le langage comme activité cognitive se fonde sur une seule langue ». Nos situations de classe, interculturelles par excellence, semblent être un terrain formidable d'investigation. Même si le français reste la langue unique des interactions dans nos classes de langue et qui plus est dans notre corpus, il n'en reste pas moins que la situation met en jeu deux (voire parfois plusieurs) cultures et langues. MÉTHODE : ANALYSE DE CONTENU, DE DISCOURS, DU CONTEXTE DIDACTIQUE ET INTERCULTUREL Notre méthode d'analyse va évidemment cerner les différentes représentations mises en discours par les étudiants. Mais notre étude ne se bornera pas à une analyse de contenu. A l'image de nombreux travaux, nous tenterons de dégager les procédés discursifs récurrents dans le discours des élèves pour tenter de comprendre comment leurs représentations de la langue et de son apprentissage sont en relation avec leur situation interculturelle (niveau de langue, apprentissage dans le pays d'origine etc.). L'originalité du travail consisterait donc à dépasser le déterminisme culturel (telles que des représentations x de la langue et de l'apprentissage en milieu maternel entraînent forcément certaines représentations x' dans le milieu étranger). Même si l'on peut constater des récurrences, il nous paraît plus pertinent de prendre aussi en compte le facteur niveau en langue étrangère de l'étudiant et comprendre comment se structure le rapport à l'altérité au travers des représentations de la langue et de son apprentissage. Le public Le public observé 1 est constitué de 24 étudiants répartis en deux groupes : un groupe de faux-débutants (niveau DELF A1) de 10 personnes et un groupe d'étudiants plus avancés (niveau DELF A3) de 14 étudiants. Ces étudiants vont passer un semestre au Centre pour étudiants et professeurs étrangers de l'Université d'Avignon. L'enquête a eu lieu 3 semaines après leur arrivée. Les étudiants commencent donc à expérimenter la culture française, paramètre qui nous intéresse en premier chef pour notre problématique. Par ailleurs, si nous avons choisi deux publics au niveau de français différent, c'est dans le but d'observer les éventuelles disparités entre le niveau de langue et le vécu de la situation interculturelle2. La répartition par nationalité et par niveau est en annexe. Mais l'on peut déjà prendre en compte les données suivantes : parmi les étudiants, il y a une prédominance d'Européens du nord, suivis de prés par les étudiants asiatiques. Il y a moitié moins d'Américains du Nord (USA) et seulement deux Américains du Sud. Ces groupes offrent donc un panel de nationalités intéressant. À Avignon, d'un point de vue didactique, le public se voit exposé à une pédagogie communicative de l'écrit et de l'oral, en groupe d'une quinzaine d'étudiants environ, situation radicalement différente de certains contextes d'apprentissage dans le pays d'origine. Questionnaire La première question3 se propose de cerner les représentations de la langue les plus immédiates des étudiants. Il s'agit du test bien connu de G. Zarate (1993 : 76-79) où il s'agit d'associer cinq mots (éventuellement énoncés) à la langue. La seconde question qui se décline en deux parties (a et b) concerne les savoirfaire des étudiants. Tout d'abord, ils doivent dégager les problèmes qu'ils rencontrent dans leur pratique du français et ensuite sérier leurs savoir-faire. Bien évidemment, ces questions ne contiennent aucun terme propre à la didactique (question 2a : quelles sont les choses que vous savez faire en langue française ?). On cherche avant tout à faire un inventaire des situations de communication, d'interactions, que les étudiants se représentent comme plus ou moins réussies ou impossibles à réaliser. 1 Corpus recueilli en mars 2000. Nous aurions bien aimé opérer des comparaisons avec le niveau des débutants complets, mais à ce stade. la barrière de la langue est trop importante pour répondre au questionnaire d'enquête. 3 Voir en annexe la liste des questions. 2 La troisième question est également divisée en deux parties. Elle est relative a u culturel. I1 nous importe de savoir quels éléments du contexte maternel (langue, contexte d'apprentissage du français, relations avec des Français etc.) et du contexte actuel (pratique ou non du français dans et hors de l'université, modes de vie etc.) favorisent ou défavorisent la pratique de la langue française. En d'autres termes : l'apprenant donne une représentation de sa compétence en langue cible et des éléments (à lui de choisir s'ils sont ou non plus ou moins d'origine interculturelle) extra ou métalinguistiques qui freinent ou font progresser sa compétence en français. Puis, dans la quatrième question (a et b), il s'agit d'observer les représentations du contexte d'apprentissage universitaire à Avignon en regard des compétences lacunaires des étudiants. Enfin, le dernier ensemble de questions (5) est relatif au contexte maternel d'apprentissage du français, si celui-ci a eu lieu. Les observations se font à partir du nombre moyen d'élèves par classe (pédagogie des grands groupes ?), du type d'acquisition du système (conceptualisation ou non ?), du rapport entre l'oral et l'écrit, du type d'interaction élève-enseignant ainsi que du rapport entre les exercices de grammaire4 et les autres activités. Pour une bonne compréhension du questionnaire (anonyme) par les étudiants, nous avons pris soin d'expliquer chaque question, en ne suggérant aucune réponse, bien évidemment... Bien entendu, ce questionnaire ne donne accès qu'aux représentations et uniquement à celles-ci. Il ne peut viser autres choses et ce serait un grand tort de confondre ces résultats avec les pratiques. De même pour la dernière série de questions qui concerne les conditions d'apprentissage du français en pays d'origine. II est ici encore assez difficile de savoir ce qui est de l'ordre des représentations et de la réalité de l'enseignement-apprentissage. Cette question vise davantage la comparaison des représentations de l'acquisition en France (changement de milieu culturel) à celle du pays maternel qu'à une réelle comparaison des pratiques entre le centre d'Avignon et les instituts à l'étranger. 4 Même si l'appellation « exercice de grammaire » est vague, nous y avons eu recours car nous avons remarqué que les étudiants classent dans cette catégorie les exercices explicites de grammaire, le plus souvent écrit ainsi que les explications grammaticales. ANALYSE Les représentations de la langue... et de l'apprentissage La première question, issue du questionnaire de G. Zarate (1993 : 76-79), est relative à la représentation de la culture étrangère 5 . Premier constat, les étudiants débutants ont presque tous suivi la consigne et ont donné 5 items. Ceci n'a pas été le cas pour les avancés (une moyenne d'un peu plus de 4 items par étudiant). Tout se passe comme si les représentations étaient moins actives quand le niveau de langue est davantage élevé. G. Zarate propose d'analyser les résultats en classant les termes par champs sémantiques. Nous pouvons essentiellement distinguer les deux champs suivants : la langue en tant que « phénomène grammatical » (« difficile », Maria, Argentine, Avancée ; « compliquée », Bente, Norvège, Débutante) ainsi que la langue en tant que « phénomène esthétique » (« courtoise », Maria, Argentine, Avancée ; « jolie », Christine, Suède, Débutante) 6. Nous avons classé les autres représentations dans une rubrique « phénomènes culturels » car il s'agit en priorité de représentations culinaires, musicales etc. Les résultats montrent clairement que la représentation grammaticale de la langue prime sur toute autre représentation (53 contre 43 représentations esthétiques et 11 culturelles). Quel que soit le niveau des étudiants cette même tendance est observée. De prime abord, il est intéressant de constater que les étudiants les plus avancés ont davantage de représentations grammaticales de la langue. Tout se passe comme si le fait de connaître davantage de métalangage entraînait une représentation plus grammaticale de la langue. Peut-être faut-il y voir là un écueil à éviter en didactique des langues : l'abondance du métalangage. Les représentations esthétiques de la langue sont loin derrière alors que les étudiants débutants font autant de cas de la grammaire que de l'esthétisme. Il faut dire que les étudiants qui commencent l'apprentissage d'une langue sont en général fortement sous l'emprise de représentations esthétiques qui les ont motivées dans le choix de la langue. Ces représentations esthétiques « jolie », « belle », « l'élégance » (Kiko, Japon, Débutant) sont souvent « rationalisées » au sens de A-M. Houdebine (1997 : 167) chez les étudiants débutants. En effet, les énonciateurs justifient cette esthétisation par le 5 Pour les besoins de notre enquête, nous avons circonscrit le questionnaire aux représentations de la langue. 6 Résultats détaillés en annexe. substrat culturel (« chanson », « poème », « film », « cinéma »). Ceci n'est pas le cas des étudiants avancés. La langue est esthétique en soi et il n'y a pas de rationalisation, de justification à la construction de cette représentation. Puis viennent les représentations culinaires, trois fois moins nombreuses que les autres représentations chez les débutants et totalement anecdotiques pour les plus avancés. Du point de vue des attitudes sociolinguistiques, on remarque que les étudiants débutants sont davantage sous l'emprise de représentations qu'Henri Boyer (1995) nomme patrimoniales. Ce sont des représentations stratifiées, donc peu mouvantes, le plus souvent partagées avec les natifs. Elles ne témoignent donc pas de l'expérience du sujet dans la culture étrangère. Les résultats indiquent des différences de représentations selon les nationalités et les niveaux. Preuve est que si le contexte maternel joue son rôle, la situation interculturelle ou plutôt le degré d'intersubjectivité dans la langue cible, fait auss i évoluer les représentations. Il est très intéressant de constater que les étudiants européens ont une forte représentation instrumentale de la langue française, quel que soit le niveau de langue. Cette représentation est inexistante pour les étudiants asiatiques débutants qui se bornent à des représentations esthétiques et culturelles de la langue. Mais la représentation grammaticale est prépondérante pou r ceux qui sont les plus avancés, comme si une meilleure connaissance de la langue entraînait avant tout une prise de conscience de l'outil linguistique. Les étudiants américains semblent subir la tendance inverse comme si la situation interculturelle amen ait les plus avancés à davantage d'esthétisme. Représentations et contextes Si l'on compare ces résultats aux réponses 2, 3, 4 et 5 relatives aux représentations de la compétence en français à l'évaluation du contexte scolaire, extrascolaire en France et dans le pays d'origine, des recoupements peuvent s'opérer notamment parmi les groupes dont les résultats sont les plus différents les étudiants américains et japonais. Les étudiants américains viennent de la même université. L'oral est plus privilégié que l'écrit mais la grammaire reste déductive et les jeux de rôle souvent rompus par la prise de parole de l'enseignant. Les étudiants américains débutants semblent évaluer leur compétence en langue en terme de situations de communication réalisées : « Je peux acheter des produits et des billets pour le train », Sabrina, USA, Débutante (2b)7 « Je peux poser une question et acheter quelque chose », Aby, USA, Débutante (2b) L'ensemble des compétences (compréhension et production orales et écrites) activé au centre d'Avignon est cité : « Les exercices oral et écrit », Aby, USA. Débutante (3a) Les étudiants avancés indiquent souvent, en place et lieu des situations de communication, des activités culturelles qu'ils font avec leurs jeunes amis français , ce qui n'est pas le cas des débutants. La représentation esthétique peut effectivement provenir des discours français sur la valorisation de la langue, d'autant plus que la représentation esthétique est souvent qualifiée de « romantique » (Beth, Scott, USA, Avancés), de « poétique », (Nicki, USA, Avancée). « L'amour » est également cité (Scott, USA, Avancé) ce qui implique donc forcément un animé humain français ! Les interactions entre jeunes français et américains sont très fréquentes dans ce groupe, phénomène nettement moins courant dans le cas des autres nationalités : « Je sais parler avec les autres jeunes personnes », Beth, USA, Avancé (2b) « Parler avec les gens français en boîte de nuit », Nicki, USA, Avancé (3a) Les étudiants japonais débutants, excepté un, n'ont fait du français qu'en autoapprentissage, chez eux. Les avancés ont bénéficié, pour plus de la moitié d'entre eux, d'une pédagogie des grands groupes avec, dans tous les cas, priorité à l'écrit. Les débutants expliquent souvent leur compétence par un intérêt pour la culture française, ce qui explique la représentation dominante de la langue comme esthétique : « Parce que j'adore le film de français, je peux comprendre », Yoko, Japon, Débutante (3a) Par contre, les étudiants avancés semblent plus conscients de leurs difficultés langagières. Les réponses sont presque toujours sous forme d'auto-stigmatisation : « compréhension orale, prononciation, expression l'orale, utilisation de défini et indéfini », Keko, Japon, Avancé (2a) 7 Nous mettons entre parenthèses, le numéro de la question à laquelle l'étudiant répond. « ma nationalité, mon paresseuse, bavarder avec mes amis japonais » Mayumi, Japon, Avancé (3b) Toutefois ces représentations restent souvent accompagnées, questionnaire, de références culturelles, même chez les avancés : dans le « le film français, le magazine français », Atsuki, Japon, Avancé (2b) « les exercices de phonétique parce que je voudrais parler le français avec le bel accent », Kiko, Japon, Avancée (4a) Je-étudiant et l'altérité Ces désignants, ainsi que les énoncés qui les éclairent, reflètent avant tout la relation interculturelle dans laquelle se place l'étudiant. Quel est ma position par rapport à ma culture maternelle et à celle de l'autre-Français ? C'est donc dans cette perspective d'intersubjectivité que les discours sont analysés. L'altérité : une représentation axiologisée Tout d'abord ces représentations de la langue s'articulent selon deux positions énonciatives : je (le rapport de l'étudiant à la langue) et ils (l'autre-Français et sa langue). Même si les étudiants ne prédiquent en général qu'un terme pour caractériser la langue, on peut tout à fait reconstruire l'énoncé qui le sous-tend. Prenons par exemple « jolie », « belle », « compliqué », « pas logique » ou « dure » qui peuvent venir du champ linguistique ou esthétique. Ces adjectifs caractérisent la langue française. Voilà ce que montre C. Kerbrat-Orecchioni (1980/1997: 70) quand elle assimile ces caractérisations à des « subjectivèmes ». Pour cette linguiste « il va de soi que toute unité lexicale est, en un sens, subjective, puisque les « mots » de la langue ne sont jamais que des symboles substitutifs et interprétatifs des « choses ». « Ces marques sont implicitement énonciatives ». Ces unités ne se répartissent pas de façon binaire sur l'axe du subjectif/objectif mais graduellement. Mais on peut tout de même les catégoriser de façon dichotomique : ceux qui sont relativement plus objectifs et ceux qui sont nettement plus subjectifs. Or, dans notre corpus, les items relevés font tous partie de la catégorie des axiologiques qui « [...] impliquent une double norme : - interne à la classe de l'objet-support de la propriété [...] - interne au sujet d'énonciation, et relative à ses systèmes d'évaluation [...] Ici, les adjectifs belle, dure, compliquée, peu claire etc., sont des propriétés du nom langue en même temps qu'ils correspondent aux critères de jugement de l'énonciateur. Phénomène connu, les adjectifs utilisés par les étudiants sont destinés à des animés humains, ce qui indique une personnification de la langue. Qui dit personne renvoie aux places énonciatives qui mettent finalement en regard l'étudiant et l'étranger. Pour les étudiants, ces représentations sont émises comme « vraies ». La langue française possède intrinsèquement ces propriétés. Or, bien évidemment, tout linguiste sait qu'il n'en est rien. Une langue ne peut être qualifiée axiologiquement. Elle n'est que système dont on étudie les particularités. Cette axiologie n'existe que parce qu'il y a comparaison implicite avec la langue maternelle. L'axiologie n'existe en effet que dans l'opposition. Ces représentations orientées nous intéressent dans le sens où elles révèlent la position du je-étudiant par rapport à la langue cible. Il est maintenant pertinent de comprendre comment ce rapport s'effectue axiologiquement. Les résultats indiquent que plus d'une représentation sur deux de la langue française est axiologiquement orientée. Les représentations sont autant négatives que positives et ceci, quel que soit la nationalité ou le niveau de l'apprenant. Il semble qu'il y ait un consensus. Tous ces étudiants se trouvent en France, dans une situation interculturelle choisie par eux, ce qui semble harmoniser les résultats. Les étudiants débutants ont davantage tendance à donner une représentation orientée (3/4 des représentations) que les avancés (une fois sur deux). Il y aurait donc une démarche réflexive de décentration amorcée quand l'étudiant est davantage compétent en langue cible. Enfin, parmi les nationalités, les étudiants américains axiologisent six fois plus leurs représentations que les autres. Puis viennent les étudiants européens, américains du sud et asiatiques. Du point de vue didactique, il faut donc davantage travailler la démarche interculturelle d'objectivation des cultures en suivant en priorité l'ordre des publics que nous venons de citer. La langue c'est les Français Par ailleurs, l'étude de ces axiologies nous montre que certains adjectifs suggèrent une position énonciative bien particulière. En effet, c'est bien le je étudiant oriente axiologiquement son énoncé par rapport à l'autre-Français. En effet, « bavard » qui revient plusieurs fois, admet sémantiquement un sujet qui n'est autre que les Français et non la langue « bavard ». Louise, Ingela, Suède ; Sabrina, USA ; Débutante (1) glose : les Français sont bavards. « vite », Ingela, Suède ; Jenny, Équateur, Débutantes (1 ) glose : les Français parlent vite. Ce phénomène est nettement plus visible dans les énoncés des étudiants avancés qui mettent explicitement en discours l'autre en tant que sujet. La prise en charge de l'énoncé est donc davantage assumée par les étudiants avancés : « les gens parlent vite », Suzy, GB, Avancée (1) Le masque du on peut même être utilisé pour atténuer la représentation de l'autre en tant que sujet de discours axiologisé négativement, phénomène stigmatisant pour l'altérité : « on parle vite ». Ami, Suède, Avancée (1) Je et l'apprentissage de la langue Cette relation Je-étudiant en regard de l'altérité peut se manifester, non dans la représentation de l'autre, mais dans la représentation de je par rapport à l'apprentissage de la langue de l'autre. Ceci arrive fréquemment dans les questionnaires des étudiants avancés et manifestent dans tous les cas une relation lacunaire à la langue : « Frustration », Aby, USA, Avancé (1) « Couramment », Johanna. Suède, Avancé (1) «Ça casse la langue d'un étranger », Rolph, Allemand, Avancé (1) Dans les deux premiers cas, je est dans une auto-représentation d'attente par rapport à sa compétence en langue-cible : « je suis frustrée », « je voudrais parler couramment ». Dans le dernier cas, la formulation générique évite la prédication du je, par trop voyante et stigmatisante pour la langue française. L'énonciateur se cache derrière ce générique pour manifester la représentation de sa compétence lacunaire, tout en stigmatisant l'autre ! Car l'autre justement, n'est pas frustré, il parle sa langue couramment ! Enfin, il est caractéristique de noter que les étudiants débutants mettent en place le même rapport énonciatif : la représentation de je par rapport à l'apprentissage de la langue. Mais dans ces cas, il n'y a pas de comparaison implicite avec l'autre. Contrairement aux exemples précédents, les étudiants sont dans le champ du ludique ou de la découverte : « amusante », Nina, Suède, Débutante (1) « intéressante », Jenny, Equateur, Débutante (1) « intensive ». Ingeia, Suède, Débutante (1) I l s pe rço i vent d 'ail leu r s tou jour s pos iti ve me nt l eur app ren ti ss a ge san s qu e l 'aut r e soit i mpliqu é . CONCLUSION L'analyse de discours nous montre que du point de vue didactique, il faut trouver des ressources pour que cette relation ludique perdure malgré le niveau de langue avancé des étudiants pour ne pas parvenir à des représentations frustrantes de l'apprentissage. Il faut égaiement travailler sur l'axiologie des représentations pour faire observer à l'apprenant que ces représentations ne relèvent pas de propriétés intrinsèques à la langue mais bien d'un jugement de valeur. Des pratiques peuvent se dégager. En milieu guidé par exemple, il serait essentiel d'observer la subjectivité des étudiants au travers leurs discours, de suivre leur évolution au travers des représentations pour proposer des activités au plus près des besoins étudiants. Finalement, dans ces études sur les représentations, il faut remettre au cœur de la problématique le rapport de l'apprenant à l'étranger. Malgré les apparences, la situation d'énonciation met bien en évidence cette dialectique du même et de l'autre. Le déterminisme culturel, même s'il existe en partie, on le voit à nos résultats, ne doit pas faire oublier la subjectivité à l'œuvre, évidente lorsqu'on analyse les discours. Ce type d'étude vise donc une problématique chère à la linguistique appliquée « l'analyse des processus mentaux à l'œuvre dans la perception et la production » des représentations de la langue. Ces pistes permettent de montrer des structures différentes de représentations. Représentation de langue et de son apprentissage mais surtout la perception de soi en regard de l'altérité. Bibliographie BOYER H. (1995), « De la compétence éthnosocioculturelIe », Le français dans le monde. 272, 41-44. FUCHS C. et ROBERT S. (1997), Diversité des langues et représentations cognitives, Paris, Ophrys. FUCHS C. (1997), « Diversités des représentations linguistiques : quels enjeux pour la cognition ». Diversité des langues et représentations cognitives. Paris, Ophrys. GUIMELLI Ch. dir. (1994), Structures et transformation des représentations sociales. Neuchâtel, Delachaux et Niestlé. HOUDEBINE A. M. (1997), « Théorie de l'imaginaire linguistique », Sociolinguistique, les concepts de base. MOREAU, M.L. (coord.), Mardaga. Paris, 165-167. KERBRAT-ORECCHIONI C. (1980/1997), L'énonciation, de la subjectivité dans le langage, coll. linguistique, A. Colin. MOSCOVICI S. (1994), « Le concept de Thêmata », Structures et transformation des représentations sociales, Neuchâtel, Delachaux et Niestlé. ZARATÉ G. (1986), Enseigner une culture étrangère, Paris, Hachette, coll. F Recherches et applications. ZARATE G. (1993), Représentation de l'étranger et didactique des langues, Paris. Didier. coll. CREDIF essais. ANNEXES 1-Répartition des étudiants par niveau et nationalité DEBUTANTS Suède 4 Japon 3 USA 1 GB 0 Allemagne 0 Népal 0 Philippines 0 Argentine 0 Norvège 1 Équateur 1 AVANCÉS 3 3 3 1 1 1 1 1 0 0 2- Répartition des étudiants par continent DÉBUTANTS EUROPE 5 AMÉRIQUE NORD 1 AMÉRIQUE SUD 1 ASIE 3 AVANCÉS 5 3 1 5 TOTAL 7 6 4 1 1 1 1 1 1 1 TOTAL 10 4 2 8 3- Questionnaire d'enquête : 1-Ecrivez 5 mots qui vous viennent à l'esprit quand vous pensez à la langue française ? 2-a- Quels sont les problèmes que vous rencontrez lorsque vous utilisez la langue française ? 2-b- Quelles sont les choses que vous savez faire en langue française ? 3-a- A votre avis, qu'est-ce qui vous aide à utiliser la langue française ? 3-b- A votre avis, qu'est-ce qui vous empêche d'utiliser la langue française « comme un Français » ? 4-a- Quels sont les exercices qui sont les plus efficaces pour vous aider à apprendre le français? Pourquoi ? 4-b- Quels sont les exercices qui sont pour vous les moins efficaces pour vous aider à apprendre le français ? Pourquoi ? 5- Dans votre pays. quand vous appreniez le français : a-Combien étiez-vous en classe (environ) ? b- Le professeur vous donnait la règle de grammaire puis des exercices à faire? oui ou non ? c- L e professeur vous faisait observer deviner la règle de grammaire à partir d'exemples? oui ou non? d- Vous parliez plus que vous n'écriviez ? oui ou non ? e- Vous écriviez plus que vous ne pariiez ? oui ou non ? f- Quand vous parliez, le professeur vous coupait la parole pour vous corriger pendant l'exercice ? oui ou non ? g- Quand vous parliez, le professeur vous laissait la parole pour vous corriger après l'exercice? oui ou non ? h- Combien de temps duraient Les exercices de grammaire ? La moitié du cours ? Plus de la moitié du cours ? Moins de la moitié du cours '? 4- Répartition des représentations par champs sémantiques, par niveau et par continent Représentation : Grammaticale Esthétique Culturelle Déb-Av. Déb-Av. Déb-Av EUROPE 18-15 8-7 1-1 USA 3-3 1-7 0-0 ASIE 0-10 6-7 6-3 AM. SUD 2-2 3-3 0-0 TOTAL 23-30 19-24 7-4 TOTAL 53 43 11 5- Répartition des adjectifs selon une axiologie négative ou positive, par continent etjlar niveau d'étudiant : Axiologie Négatif Positif EUROPE USA ASIE A SUD TOTAL Deb 9 6 0 1 17 Av 6 7 8 0 20 Total 15 13 8 1 37 Déb 10 2 0 3 15 Av 4 10 7 0 2 Total 14 12 7 3 3 TOTAL 29 25 14 4 73