Le Jourde et Naulleau – de Pierre Jourde et Eric Naulleau Ils se font
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Le Jourde et Naulleau – de Pierre Jourde et Eric Naulleau Ils se font
Le Jourde et Naulleau – de Pierre Jourde et Eric Naulleau Le Figaro Littéraire, 19 février 2004 Ils se font appeler les « Tontons flingueurs » de la littérature. Depuis deux ans, Pierre Jourde, universitaire et romancier, et son complice Eric Naulleau, éditeur spécialisé dans la littérature d'Europe de l'Est, pourfendent joyeusement le « littérairement correct ». À ceux qui vantent les gloires consacrées, ils opposent leur goût de l'irrévérence et leur esprit potache pour démasquer ces auteurs à la mode qui aimeraient faire passer leurs textes pour de la grande littérature. Après La Littérature sans estomac (L'esprit des péninsules) et Petit déjeuner chez Tyrannie (La Fosse aux ours), ils publient Le Jourde et Naulleau, réjouissant pastiche du célèbre Lagarde et Michard. Point de Proust, Balzac, Stendhal ou Musset dans leur inventaire mais la fine fleur du roman français contemporain (Marie Darrieussecq, Camille Laurens, Guillaume Dustan, Alexandre Jardin, Philippe Labro...). «Au tournant des XX et XXI siècles, une génération exceptionnelle, seulement comparable à l'ancienne Pléiade, vint à maturité et donna en l'espace d'à peine quelques années les insurpassables chefs-d'oeuvre de la littérature française et par conséquent mondiale », écrivent, avec mauvais esprit, les deux auteurs pour justifier leur choix. Avec une rigueur professorale, Jourde et Naulleau passent les auteurs, et leurs oeuvres, au crible de la grille de lecture imaginée par Lagarde et Michard pour des générations d'écoliers. Rien ne manque à ce cocasse et narquois bréviaire des lettres modernes, ni les bibliographies imaginaires, ni les devoirs absurdes, ni les présentations ironiques. Mais le pastiche respecte les oeuvres ; tous les extraits cités dans Le Jourde et Naulleau sont vrais. Non par déférence ou par paresse. Tout simplement parce que le burlesque de Dustan, Angot et autres est inimitable. *** EXTRAITS : Bernard-Henri Lévy Sujet de devoir Après une longue éclipse, le genre hagiographique revint en grâce vers le début du XXIe siècle. Un des maîtres du genre fut Marc Villemain avec Monsieur Lévy (Plon, 2003) dont vous lirez sans rire l'extrait suivant : « Bernard-Henri Lévy a cela, aussi. Ce même coup d'œil espiègle, ce même éclat effronté qui déborde la paupière, ces mêmes rides qui n'ont rien à voir avec l'âge et transforment un simple sourire en invitation au voyage, cette même impression que c'est le visage, tout le visage qui sourit – l'œil ne faisant qu'irradier, car c'est là d'où jaillit l'histoire.» (p. 109) Toi aussi, écris une lettre d'amour à ton écrivain préféré et gagne un week-end pour trois à Marrakech ! Corrigé J'ai vécu sous des posters A me croire le seul à connaître Tout de vous [...] Si je n'ai pas su l'écrire Je voulais simplement te dire Que si, si j'existe J'existe C'est d'être fan C'est d'être fan Si j'existe Ma vie, c'est d'être fan C'est d'être fan Sans répit, jour et nuit Mais qui peut dire je t'aime donc je suis. (Merci à Pascal Obispo pour son concours aussi aimable qu'involontaire.) *** LE « GOURDE ET NIGAUD » J’ai l’honneur, en compagnie de plusieurs dizaines de mes laborieux compagnons d’écriture, d’être épinglé dans l’ouvrage des sieurs Jourde et Naulleau, dont on nous annonce, non sans humour heureusement, qu’il est à notre 21ème siècle de cynisme et de dérision ce que le Lagarde et Michard fut au précédent (version Bouvard et Pécuchet). Que nos deux auteurs aient amplement communiqué sur ce thème, je ne saurais leur en tenir rigueur : après tout, ils renouvèlent ce pur talent de communicant éprouvé déjà à maintes reprises, et que nombre d’écrivains pourraient leur envier – sans parler des publicitaires qu’ils inspirent indubitablement : ah ! ingrat destin du situationnisme ! Ce faisant, ils prouvent qu’ils ont parfaitement digéré l’air du temps, ce doux parfum flicard que nous inhalons à plus ou moins forte dose. Enfin me voilà bombardé « maître du genre hagiographique » pour le siècle qui s’ouvre. C’est une consécration, je la prends comme telle, merci : c’est déjà pas mal d’être maître d’un genre. Que voulez-vous, je fais partie de ces écrivains qui doutent de tout, à commencer d’eux-mêmes. Que Jourde et Naulleau n’aient pas cette angoisse, vous m’en voyez soulagé pour eux. Sans doute aussi fis-je partie de ces écrivains qu’exégètes très savants et esprits fort sages pourront affubler du qualificatif de neuneu, voire de carrément débile : je veux parler de ces écrivains qui n’écrivent pas pour éreinter l’autre, qui ne le lisent pas pour déterrer en lui l’horrible petits tas de secrets qui le rendent homme, et qui ne trouvent qu’un plaisir très relatif à l’accablement de leurs semblables ; cela est certainement dû, et sans que j’y vois une quelconque vertu miraculeusement sauvée de mon désastre, au fait que j’éprouve trop bien moi-même mes propres limites. Jourde et Naulleau, eux, ne connaissent guère le vertigineux plaisir de leurs limites, et font même profession de proclamer leurs certitudes de béton : ils baignent, voluptueux, pubères et jouisseurs, dans l’atmosphère ouatée de celui qui sait de source sûre que l’autre constitue toujours un danger. Il est vrai que l’accablement de l’autre ouvre tout grand les portes de la visibilité médiatique, quand l’exercice de la reconnaissance, que je pratique, attire plus sûrement le sarcasme. Il est vrai aussi qu’accuser l’autre constitue une manière habile de se disculper soi-même. Leur inspirateur publicitaire, Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de l’honorable maison Publicis, déclarait en son temps, non sans raison : « Qu’importe qu’on dise du mal de moi, pourvu qu’on en parle ». En cela, je remercie nos jeunes historiens de l’histoire qui n’a pas encore eu lieu d’avoir fait quelque publicité à mon livre (« Monsieur Lévy », éditions Plon, 18 euros dans toutes les bonnes librairies). C’est inespéré, puisque celui-ci s’est vendu à quelque chose qui tourne autour de mille exemplaires (ce qui, vous en conviendrez, pour « l’auteur à la mode » et « l’Obispo de la littérature » que je suis, ne constitue qu’un succès très relatif ; je ne doute pas, soit dit en passant, que Jourde et Naulleau explosent sans vergogne ce record, mais il est vrai qu’ils ont du talent, eux.) L’irrévérence érigée en système court le risque du conformisme – bourgeois, cela va sans dire. Je regretterais, personnellement, que l’humour éprouvé de nos deux hilarants vienne à s’y fracasser. D’autant que j’ai ri d’un rire vrai, franc et sonore, en lisant la petite notice qu’ils me consacrent – et ce n’était pas gagné. Je leur suggérerai donc, avec toute la modestie qui sied au propos, de préparer leur reconversion sur les planches : leur ineffable drôlerie trouvera toujours quelque oreille complaisante pour les y acclamer. Ainsi, en Chevallier et Laspalès de la mal-pensance, pourront-ils enfin donner toute la mesure de leur talent. Car c’est bien connu : le propre de l’homme, c’est de rire des autres. Pour ma part, et je vous assure pourtant que je suis bon public, ma ligne de conduite s’est toujours réglée sur ce mot d’ordre du poète Rainer Maria Rilke : « Gagnez les profondeurs, l’ironie n’y descend jamais ». Allez en paix, camarades, et retrouvonsnous un jour ou l’autre à Marrakech : cela me donnera l’occasion de connaître la ville. Marc Villemain, écrivain à la mode.