AVANT-PROPOS Tel un monstre marin de la mythologie, l`écrit

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AVANT-PROPOS Tel un monstre marin de la mythologie, l`écrit
AVANT-PROPOS
Tel un monstre marin de la mythologie, l’écrit apocryphe chrétien, imposant et
protéiforme, connu sous le nom de « roman pseudo-clémentin » alterne les longues
périodes de plongée et les remontées en surface dans la recherche sur les origines du
christianisme à l’époque moderne.
Né mystérieusement dans les eaux indécises du judaïsme et du premier
christianisme, le corpus du pseudo-Clément va grandir à l’abri des regards officiels
en s’alimentant au gré des courants pour apparaître déjà sous deux formes à la fin du
IVe siècle. L’une sera connue de manière ininterrompue en Occident grâce à la traduction latine qu’en a donnée Rufin d’Aquilée, les Reconnaissances, lesquelles
traverseront tout le Moyen-Age en approvisionnant l’Église de Rome en traditions
légitimantes. En Orient, les Homélies sombreront dans l’abîme ne laissant que deux
témoins grecs, une traduction syriaque partielle et des épitomés en grec et en arabe.
Éditées en 1504 par Jacques Lefèvre d’Étaples, puis en 1526 par Johannes Sichard
avec des rééditions en 1536, 1544, 1547 et 1568, enfin par Lambert Gruter Venradi
en 1563 et 1570, les Reconnaissances grossissent les flots déchaînés de la polémique
interconfessionnelle entre protestants et catholiques romains. Dans le texte de Rufin
ou en traduction, tout le monde les lit. Même l’aile radicale de la Réforme s’en
empare, souvent pour sa perte à l’exemple de Michel Servet dans sa Restitutio christianismi et de certains milieux anabaptistes.
Près d’un siècle plus tard, le roman du pseudo-Clément entre dans les eaux non
moins mouvementées de la critique des sources à la faveur de l’editio princeps du texte
grec des Homélies par Jean-Baptiste Cotelier en 1672. Cette édition qui réunit le
texte des Reconnaissances et celui des Homélies donne lieu à un jaillissement d’hypothèses sur l’histoire de la composition de l’œuvre qui va largement conditionner la
recherche ultérieure.
Après une traversée du XVIIIe siècle qui semble avoir été relativement paisible,
émaillée seulement de quelques rééditions, le corpus pseudo-clémentin refait surface dans un grand bouillonnement au XIXe siècle, notamment avec l’édition d’Ernst
Gotthelf Gersdorf en 1838 et sa reprise en ouverture de la monumentale patrologie
grecque de l’abbé Jacques Paul Migne en 1886. Comme tiré hors de l’eau pour pouvoir être observé de plus près, le roman va être considéré comme une pièce maîtresse
du modèle explicatif des origines chrétiennes proposé par Ferdinand Christian
Baur dès les années 1830. En 1831, le père de l’école de Tübingen tient le corpus
pseudo-clémentin pour la principale source de documentation de l’ébionisme.
Estimant que le premier christianisme s’est développé selon une dynamique interne
dont la dialectique hégélienne peut rendre compte, Baur inscrit le roman du pseudoClément en contrepoint du courant paulinien avant que ceux-ci ne se résorbent
dans la grande Église d’inspiration johannique.
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Les recherches sur la composition du roman pseudo-clémentin culminent,
quant à elles, dans la synthèse de Hans Waitz en 1904 et dans l’essai d’Oscar
Cullmann en 1912, dont le questionnaire a profondément imprégné la recherche
jusqu’à aujourd’hui.
Ce siècle d’or de la Tendenzkritik et de la Quellenforschung connaît ses derniers feux au début du XXe siècle. Le roman pseudo-clémentin peut regagner le large
et les profondeurs.
C’est seulement à la fin des années 1950 que paraîtra la remarquable édition critique des Homélies et des Reconnaissances grâce à l’immense labeur de Bernhard Rehm,
travail révisé par Georg Strecker qui le complète de deux concordances, achevant de
fournir aux critiques les instruments de travail de base des dossiers grec et latin.
Pourtant, cette édition n’a guère suscité de vocation. Il faut attendre les années
1980 pour que des chercheurs, d’abord isolés, se regroupent sous les auspices de
l’Association pour l’étude de la littérature apocryphe chrétienne (AELAC) et
développent des projets destinés à faire notablement avancer la recherche, comme
la traduction française annotée des deux versions parue dans la Bibliothèque de la
Pléiade en 2005, ou la réédition critique avec traduction du texte syriaque et la
synopse des deux textes grec et latin, qui sont en cours de réalisation.
Dans le sillage de la parution du second volume des Écrits apocryphes chrétiens, le
colloque international organisé par le groupe romand de l’AELAC s’est fixé un
double objectif. Il a d’une part souhaité attirer l’attention de savants d’horizons
divers sur ce vaste corpus quelque peu délaissé par la critique et a cherché à diversifier une recherche pseudo-clémentine prise dans les filets de la critique des sources.
Il a fait le pari de nouer des conversations entre des chercheurs associés à l’étude
de la littérature apocryphe chrétienne et des représentants d’autres disciplines (critiques et historiens de la littérature, des religions et de la philosophie, antiquisants,
médiévistes, voire modernistes) en les incitant à apporter tel éclairage spécifique sur
les écrits pseudo-clémentins.
Afin de favoriser cette approche interdisciplinaire d’un corpus littéraire commun,
les travaux du colloque ont été regroupés autour de trois thèmes destinés à permettre à la fois le déploiement de recherches en cours et l’ouverture de champs
d’investigation nouveaux :
1. Le texte et sa réception : les Homélies et les Reconnaissances de leurs sources à
leurs réceptions.
Sans faire l’impasse sur les siècles de critique des sources appliquée au corpus
pseudo-clémentin, le colloque a saisi l’occasion d’explorer les réceptions de l’oeuvre
que ce soit à travers l’histoire de sa tradition manuscrite et imprimée, de ses traductions, de ses épitomés ou autres remaniements et à travers ses effets dans l’histoire
du christianisme en général, de l’Antiquité à l’époque moderne en Occident comme
en Orient.
2. Le roman pseudo-clémentin : formes littéraires, modes de communication
et pratiques sociales.
Le corpus du pseudo-Clément, le plus typique des romans chrétiens de l’Antiquité conservés, entretient un rapport particulier à sa propre narrativité, parce que
le monde construit du récit s’adosse à un groupe social avec ses rites, ses pratiques
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communautaires, ses jeux de pouvoir, etc. Le colloque a permis non seulement de
l’étudier dans son fonctionnement littéraire mais aussi de le situer au sein des pratiques discursives antiques.
3. L’univers pseudo-clémentin : religions et philosophies.
S’inscrivant dans une trajectoire chrétienne encore en définition, le judéochristianisme, le corpus pseudo-clémentin engage des polémiques à l’interne et à
l’externe du christianisme. Le colloque s’est proposé de mieux comprendre le jeu
des représentations mentales, culturelles et religieuses déployé par le roman en
confrontation avec les savoirs antiques (philosophie, astrologie, magie).
Les trente-sept contributions réunies dans le présent volume attestent de l’intérêt suscité par la proposition d’approches renouvelées du pseudo-Clément. Nous
tenons à remercier vivement tous les participants du colloque qui se sont livrés à
l’exercice avec enthousiasme et compétence.
Pragmatiquement, les éditeurs ont conservé la répartition des contributions
selon les trois thèmes susmentionnés, étant entendu qu’il ne s’agit nullement de
cloisons étanches. A l’intérieur de chaque section, les articles ont été classés par
ordre alphabétique. Le tout est précédé de la leçon publique de l’écrivain vaudois
Étienne Barilier.
Un rapide coup d’œil sur l’index pseudo-clémentin permet de constater une
très forte dispersion des passages cités, ce qui témoigne de la variété des questionnements proposés par les uns et les autres. L’index des œuvres et auteurs anciens
indique, par delà la somme d’érudition réunie dans ce volume, la richesse des rapprochements possibles du roman avec le monde antique.
La bibliographie générale qui précède les index est destinée à faciliter la tâche
des chercheurs en leur fournissant toutes les publications de 1983 à 2006 comportant la mention explicite du corpus pseudo-clémentin dans leur titre, ainsi que
quelques autres études plus récentes ou accordant une place significative à cette
œuvre. Une grande part de cette bibliographie provient de la base de donnée BiBIL,
gérée par l’Institut romand des sciences bibliques de l’Université de Lausanne.
Animée d’un nouveau souffle, la recherche pseudo-clémentine est devenue
foisonnante. Il n’est donc nullement question de dresser un bilan du colloque, mais
plutôt d’extraire quelques lignes de force.
Un regard sur la table des matières permet de constater que la critique des
sources et l’histoire de la composition du corpus ne dominent plus outrageusement
la recherche. Il serait pour autant exagéré de prétendre que la Quellenforschung est
abandonnée, car son questionnaire affleure dans bon nombre de contributions.
Mais la perspective a changé. Il apparaît clairement que les réponses à ses questions
passent par une compréhension plus fine de l’œuvre elle-même, de son fonctionnement narratif comme de son monde.
Tout lecteur du roman ne peut manquer d’être frappé par l’hétérogénéité des
genres littéraires entrant dans la composition (récits, biographies, dialogues, discours, lettres, etc.). Chacun d’eux mérite d’être analysé pour lui-même, mais c’est la
finalité communicationnelle de leur imbrication qui doit être pensée, ce que plusieurs contributions s’efforcent d’éclaircir.
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Une bonne moitié des contributeurs se sont attelés à décrypter l’univers clémentin. La richesse des thèmes et des motifs en fait un champ d’investigation privilégié
et ... difficilement maîtrisable pour une seule personne. L’éventail des sujets analysés
est vaste, mais on pourra regretter que les liens du roman avec l’astrologie et la magie
soient restés un peu en retrait. La question commune à ces études est celle, délicate
et plus ou moins explicite, de savoir à quel(s) siècle(s) il faut situer l’œuvre et, par
conséquent, avec quels courants de pensée elle entre en dialogue. Le corpus est généralement éclairé par une documentation antérieure à la fin du IIIe siècle, mais
quelques études prennent le risque de la placer dans les conversations du IVe siècle.
La discussion scientifique sur cette option herméneutique de l’œuvre ne fait sans
doute que commencer.
Enfin, il convient de relever l’impulsion donnée à l’étude de la réception, essentiellement occidentale, du roman pseudo-clémentin, promise certainement à de
beaux développements, tant elle est restée embryonnaire jusqu’ici.
Nous ne saurions clore cet avant-propos sans adresser nos remerciements
chaleureux à toutes les personnes et institutions qui ont permis et soutenu ce
colloque international, ainsi que la publication de ses Actes.
Nous tenons à remercier vivement les professeurs Irena Backus, Valentina
Calzolari et Enrico Norelli de l’Université de Genève, le professeur Flavio G.
Nuvolone de l’Université de Fribourg et nos collègues Éric Junod et Jean-Daniel
Kaestli de l’Université de Lausanne qui, en tant que membres du comité d’organisation, n’ont pas ménagé leur peine pour la réussite du colloque et son financement.
Nous leur savons gré de leur aide pour la publication des Actes.
Nous exprimons notre reconnaissance aux institutions académiques qui ont
généreusement soutenu le colloque : le Fonds national suisse de la recherche scientifique, la Direction de l’Université de Lausanne, la Faculté de théologie et de sciences
des religions de l’Université de Lausanne, le Fonds général de l’Université de
Genève, la Faculté des lettres de l’Université de Genève, l’Institut de préhistoire et
des sciences de l’antiquité de l’Université de Neuchâtel par son Fonds A. Labhardt
et la Fondation du 450e anniversaire de l’Université de Lausanne.
Nous remercions enfin de leur soutien à la présente publication le Fonds
national suisse de la recherche scientifique, la Fondation pour le 450e anniversaire
de l’Université de Lausanne et la Société académique vaudoise.
Frédéric Amsler
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Albert Frey
Charlotte Touati
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Renée Girardet
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