La paix chez Paul

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La paix chez Paul
La paix chez Paul
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Dans le corpus paulinien1, le terme grec eirêné (français : paix) se rencontre 47 fois dans 44 versets.
Dix de ces emplois se retrouvent dans la lettre aux Romains, un peu mieux lotie que les autres, mais
la répartition semble sinon plutôt égale.
Ce qui frappe le lecteur un peu attentif, c’est sans doute le fait que ce terme se retrouve sous forme
de salutation, systématiquement associé à celui de grâce, au début de chaque lettre : est-ce là une
habitude épistolaire générale, ou un usage propre à Paul ? C’est ce qu’il va falloir voir en un premier
temps.
On peut noter ensuite qu’à plusieurs reprises, Paul parle de Dieu comme « Dieu de la paix » : quel
lien existe-t-il donc entre Dieu et la paix ? On entre ici dans les considérations théologiques qui
constitueront la deuxième partie de cette courte étude.
La salutation de paix
« À vous grâce et paix ! » : cette entrée en matière est commune à toutes les lettres de Paul. Elle est
le plus souvent complétée par « de par Dieu notre Père (et le Seigneur Jésus Christ) ». Voici ce
qu’écrivent à ce sujet Claudio Moreschini et Enrico Norelli2 :
« Des éléments épistolaires formels peuvent donc conférer un caractère de lettre à des écrits de
différents types : c’est fréquemment le cas dans le christianisme antique. Examinons rapidement ces
éléments : il s’agit de formules fixes, qui n’admettent qu’un jeu limité de variations, et que l’on
trouve avant tout au début et en conclusion. La lettre commence par l’adresse (praescriptum),
constituée de trois éléments: le nom de l’expéditeur (superscriptio), celui du destinataire (adscriptio),
et une salutation (salutatio), constituée d’habitude de l'infinitif chairein (sous-entendu legei), auquel
peut s’adjoindre une formule de vœux de bonne santé (formula valetudinis). Une forme alternative
de l’adresse consiste en la simple indication «de A à B », sans formule de salutation. On pouvait
élargir ces trois éléments de base, en joignant par exemple aux deux noms des indications de parenté
ou des titres, ou en ajoutant des adverbes à la formule de salutation. À la fin de la lettre, on trouve
une formule du type « prends soin de toi, de manière à te bien porter», à laquelle se substitue plus
tard une autre formule transmettant les salutations d’autres personnes et /ou demandant de saluer
des connaissances communes ; en conclusion, on trouve souvent errôso / errôsthe («porte-toi /
portez-vous bien »), fréquemment suivi de la date. Le corps de la lettre était scandé de tournures qui
1
2
Je considère donc ici les treize lettres traditionnellement attribuées à Paul.
Histoire de la littérature chrétienne ancienne grecque et latine, vol. I, Genève, Labor et Fides, 2000.
introduisaient diverses formules de communication, comme « j’ai bien reçu ta lettre », « sache que »,
« comme je te l’écrivais », « je m’étonne », « je t’en prie », etc.
Paul, le créateur de la lettre apostolique, modèle des lettres chrétiennes antiques ultérieures, ajoute
à ces conventions et les modifie. La salutatio prend chez lui la forme fondamentale « à vous grâce et
paix », qui joint au traditionnel salut hébreu shalom le mot grec charis, chargé de signification
théologique (il renvoie à l’œuvre du Christ) ».
Autrement dit, la salutation de Paul est originale, marquée par sa double hérédité culturelle, juive et
grecque. Mais elle n’est pas que cela lorsqu’on réalise que la thématique de la grâce, que Paul a
expérimentée lors de sa rencontre avec le Christ sur le chemin de Damas, est centrale dans la
théologie de Paul : la paix l’est donc aussi et elle ressort de la salutation comme l’effet principal de
cette grâce. Elle est don gratuit de Dieu.
Autres emplois
Cette idée ressort largement des emplois du terme paix chez Paul. Si, en Rm 14,19, on peut lire :
« Poursuivons donc ce qui favorise la paix et l'édification mutuelle », ce qui suggère un effort tout
humain, on lisait auparavant en 12,18 : « en paix avec tous si possible, autant qu'il dépend de vous »
ce qui manifeste toute la limite des efforts humains.
La paix apparaît donc comme un don de Dieu auquel l’homme peut se préparer, mais à l’origine
duquel il ne se trouve pas car « elle surpasse toute intelligence » (Ph 4,7). Et c’est pourquoi Dieu est
aussi appelé par Paul « Dieu de la paix » (Rm 15,33 ; 16,20 ; 1 Co 14,33 ; Ph 4,9 ; 1 Th 5,23) et son
règne défini comme « règne de paix » (Rm 14,17).
Mais cette paix est aussi celle du Christ (Col 3,15) parce qu’elle a été définitivement acquise sur la
croix (Col 1,20). C’est donc aussi par la croix ou sur la croix, en s’associant à l’œuvre du Christ, que
l’homme peut contribuer à la faire advenir : toute démarche de renoncement, et plus généralement
d’humilité, y aide. On le voit bien lorsque Paul évoque le conflit qui oppose entre eux des membres
de la communauté romaine (Rm 14) ou de la communauté de Corinthe (1 Co 8), sur des questions de
nourriture : « C’est pourquoi, si un aliment doit causer la chute de mon frère, je me passerai de
viande à tout jamais, afin de ne pas causer la chute de mon frère » (1Co 8,13).
Ce qui ressort de ce dernier passage, c’est que le moteur de la paix n’est rien d’autre que la charité,
comprise bien sûr au sens où l’entend Paul, à savoir une participation à l’amour même qui unit les
personnes divines.