Daniel Cohn-Bendit: Nous avons besoin de l`Europe

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Daniel Cohn-Bendit: Nous avons besoin de l`Europe
Daniel Cohn-Bendit: Nous avons besoin de l’Europe
Daniel Cohn-Bendit
Nous avons besoin de l’Europe
La Croix 25/4/13
Nous avons besoin de l’Europe. Et ne croyez pas qu’il s’agisse d’un simple credo. Pour la
première fois dans leur histoire, les États-nations n’ont plus la capacité de résister aux assauts
de la sphère économique.
Sans jamais l’avouer, leurs dirigeants ne sont plus en mesure de tenir leurs promesses. Le bon
sens suffit pour comprendre que, individuellement, ils n’arriveront pas à réguler les marchés,
contrôler la finance, s’attaquer à la dégradation climatique, résoudre les crises économiques et
sociales…
Évidemment, nous n’en sommes pas là « par la force des choses ». La responsabilité collective
des leaders politiques n’y est pas pour rien. Ne serait-ce que pour n’avoir pas su mesurer à
quel point la mondialisation serait déstabilisatrice. Préoccupés par leurs « affaires intérieures »,
ils n’ont pas voulu voir l’opportunité que représentait l’espace européen afin d’amplifier leur
action politique. Le constat est accablant mais pas irréversible. Pourvu que chacun comprenne
tout d’abord que la mondialisation nous force à opérer un changement d’échelle.
Dans trente ans, aucun État de l’Union européenne ne fera partie du G8. L’influence de la
France ne vaudra pas plus que celle du Luxembourg. Dès lors, si nous voulons préserver notre
patrimoine civilisationnel, faire progresser nos démocraties, défendre les idées de justice et de
protection sociales, empêcher que notre culture soit balayée par la mondialisation, c’est au
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niveau européen que nous devons mener le combat. Car il s’agit bien d’un combat. Les
reproches faits aujourd’hui à l’Europe sont justifiés. La politique d’austérité ne répond pas à la
crise, c’est vrai. La critique des défaillances de l’UE est juste. Mais, de grâce, ouvrons les yeux
! Croire en une réponse nationale est insensé. C’est par l’Europe que nous pourrons encore
maîtriser nos vies.
Si, en France ou ailleurs, un gouvernement mène une mauvaise politique, la réponse, c’est un
changement de politique ou de gouvernement. Cela vaut pour l’Europe. Ce n’est pas l’Europe
qu’il faut mettre au placard, mais ceux qui la font. Ne vous laissez pas duper, ce n’est pas en
renationalisant l’espace européen que nous sortirons du marasme. Ne démissionnez pas. C’est
la garantie de perdre toute possibilité d’agir sur le monde.
L’Europe a permis un progrès de civilisation incroyable. Dans cet espace qui a produit des
guerres et des totalitarismes atroces, la possibilité d’une guerre a été évacuée de l’imaginaire
politique. C’est un acquis extraordinaire, mais cela ne suffit plus.
Ouvrez les yeux ! Refusez une Europe d’États livrés à une nouvelle guerre de puissances
économiques. Mais, de grâce, ne vous laissez pas piéger par l’illusion de la rédemption par la
nation. Reconnaissez la bataille pour ce qu’elle est : une « lutte à mort » entre des visions
concurrentes de l’Europe qui renvoient à des modèles de société et des conceptions
antinomiques du politique divergents.
Il est évident que le modèle européen d’un Cameron n’est pas celui d’une Europe unie fondant
sa légitimité sur la démocratisation de la mondialisation, mais celui de la subversion de l’Union
européenne – et des États – par les marchés.
Sa représentation de l’Europe repose sur une compréhension du politique réduit à sa plus
simple expression : assurer sa réélection et relayer les intérêts de « sa City ». Ne nous
méprenons pas sur l’adversaire : c’est la démission politique, autrement dit la non-intervention
de la « puissance publique », qui joue contre les Européens.
Nous sommes dans une situation instable, dont l’issue reste ouverte. Mais il nous revient de la
déterminer car elle n’ira pas « naturellement » dans le sens d’une Europe configurée pour le
XXIe siècle et structurée en fonction de nos intérêts communs.
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Invalidez le « there is no alternative ». Osons le fédéralisme européen. Nous devons créer les
États-Unis d’Europe, réclamer un budget européen conséquent qui permette d’intervenir dans
la crise, de garantir une assurance-chômage pour les jeunes et une protection sanitaire digne
de ce nom.
Cet horizon peut sembler inaccessible. Mais prenons la France. Elle s’identifie à la Révolution
comme à son moment fondateur. Pourtant, il lui aura fallu plus de cent cinquante ans pour
accorder le droit de vote aux femmes et devenir une république vraiment démocratique.
Une Europe politique agissant dans l’intérêt commun au niveau économique, écologique, social
et de l’éducation, voilà notre utopie pour ce siècle. En route, Europe dissidente !
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