« Dorian Gray », la comédie musicale de Thomas le Douarec au

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« Dorian Gray », la comédie musicale de Thomas le Douarec au
« Dorian Gray », la comédie musicale de Thomas le Douarec au Vingtième Théâtre
Critique d’Ottavia Locchi Après l’adaptation cinématographique du célèbre roman d’Oscar Wilde Le Portrait de Dorian
Gray, Thomas le Douarec nous présente une version comédie musicale de cette célèbre
histoire, dans la lignée du mythe de Faust.
« Il y a une âme en chacun de nous, prenez-en soin, c’est un don précieux. »
Dans l’Angleterre du XIXe siècle, le jeune Dorian Gray irradie de jeunesse et de vitalité. Il tape
dans l’œil du peintre Basil Hallward qui en fait son portrait, un portrait magnifique. Lors de la
dernière pose, s’introduit chez Basil Lord Henry Watton, un gentleman à l’esprit libre. Dorian
Gray lui plait, à lui aussi. Peut-être n’aurait-il pas dû parler de la beauté qui se flétrit et de la
jeunesse qui passe au jeune garçon, car celui-ci prend soudainement conscience de
l’éphémère de la rare beauté qui le caractérise. Dans sa tête, rien n’est plus pareil. Il fait alors
le vœu que son portrait vieillisse à sa place, et qu’il conserve son apparente jeunesse à tout
jamais. Dorian Gray plonge alors dans le vice, à la recherche du plaisir facile, sans se soucier
de son âme qui vieillit sous ses traits dans le tableau de Basil.
Thomas le Douarec présente une très belle adaptation du roman original. La dramaturgie est
conservée, malgré une volonté d’intemporalité dans les costumes, les dialogues et le décor.
Sa scénographie est pure, simple : un piano à queue noir côté cour pour le pianiste /
chanteur / comédien qui accompagne les moments musicaux, et le fameux portrait, de dos,
côté jardin, qui apparaît lorsqu’il est sujet, et disparaît lorsque l’action se déroule ailleurs.
Une distribution de haute qualité !
Côté casting, c’est le séduisant Grégory Benchenafi qui incarne le héros de l’aventure. Un choix judicieux car le jeune
premier, qui incarnait Mike Brant dans le précédent musical de Thomas Le Douarec (Mike, laisse-nous t’aimer, 2010) n’est
dénué ni de charme ni de talent. Mais le personnage qu’il ne fallait rater sous aucun prétexte est bien Lord Henry Watton. Ce
gentilhomme aux mœurs libres tient des discours absolument fascinants dans l’œuvre d’Oscar Wilde. Pour aller tout à fait au
bout, ce n’est en aucun cas un personnage de comédie musicale, mais plutôt un homme de réflexion voire de lettres… Et bien
dans le musical, aucun problème de transposition. Lord Henry Watton (appelé ici Harry) est presque aussi pinçant que dans le
livre, et Laurent Maurel ne se prive pas de dévoiler le comique des réparties de son personnage en costume rose. Ouf ! Basil
Hallward est incarné par Gilles Nicoleau, un peintre tout à fait vraisemblable dans sa fascination pour le jeune Gray. Dans
cette distribution, je dois m’incliner sur la performance de Caroline Devismes, qui interprète pas moins de quatre
personnages, soit toutes les femmes de la pièce, dont une flûtiste en costume noir. Une voix, une présence, un corps de rêve
(si, si !), elle est tour à tour Sybil Vane, l’actrice dont Dorian Gray s’est épris, une prostituée terrorisée par ce dernier, et la
Duchesse. Une demoiselle que nous reverrons. Le jeune homme qui joue James Vane, le frère de Sybil, n’est autre que le
pianiste, qui lui-même n’est autre que le compositeur. Stefan Corbin signe une musique d’ambiance pénétrante, et des
chansons aux jolies harmonies. On retient notamment un magnifique moment musical chanté en latin.
Du Oscar Wilde “pour les nuls” ?
Au-delà du casting flamboyant et de la qualité de l’adaptation, peut-être oublions-nous un peu vite la langue d’Oscar Wilde.
Peut-être sommes nous confrontés à des personnages un peu trop binaires. Thomas Le Douarec a exploité les parts allusives
de l’auteur, en nous présentant un Henry misogyne et un Basil amoureux, ce qui rend la lecture de son spectacle peut-être
un peu simpliste. Les répliques mordantes d’Henry parlent “contemporain”, et si nous oublions ce personnage dont les mots
sont travaillés, aucun des personnages ne semble sortir du chef d’œuvre original.
L’intelligence et la subtilité de Thomas le Douarec est justement de vouloir « faire entendre l’écho du roman dans notre
monde actuel ». En traitant la quête de l’éternelle jeunesse via l’unique roman du dandy irlandais condamné pour «
indécence », son livret comporte beaucoup de qualité, de par la simplicité qui le caractérise.
Après avoir mis en scène une quarantaine de productions dont Le Cid (Théâtre de la Madeleine, 1998), Vol au dessus d’un nid
de coucou (Théâtre de Paris) ou plus récemment Les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus et Arrête de pleurer
Pénélope, son dernier spectacle Mike, laisse-nous t’aimer, lui rapporte trois nominations aux Molières 2011. Vous allez
encore entendre parler de ce metteur en scène touche-à-tout !
Pour cette adaptation du Portrait de Dorian Gray, il se sert de la version non-censurée éditée cette année en Angleterre
grâce à la découverte de nouveaux manuscrits.
Une jolie façon de (re)découvrir cette œuvre magnifique.

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