colloque du 1er mars 1994 - L`information légale dans les

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colloque du 1er mars 1994 - L`information légale dans les
L’INFORMATION LÉGALE
DANS LES AFFAIRES :
QUELS ENJEUX ? QUELLES ÉVOLUTIONS ?
COLLOQUE DU 1er MARS 1994
sous la présidence de M. Philippe GRANJEAN
Président de la Conférence générale des Tribunaux de commerce
Président honoraire du Tribunal de commerce de Paris
Les actes de ce colloque ont fait l’objet d’une publication
dans La SEMAINE JURIDIQUE Édition Entreprise
(n° 39 du 1994)
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
L’information légale dans les affaires
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
sommaire
ALLOCUTIONS D’OUVERTURE
M. Bernard CAMBOURNAC, Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris ......
M. Philippe GRANDJEAN, Président de la Conférence générale des Tribunaux de commerce,
Président honoraire du Tribunal de commerce de Paris.................................................................
M. Pierre-Louis DOUCET, Membre de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris,
Président du Comité technique du CREDA ....................................................................................
3
5
5
INTRODUCTION
M. Alain SAYAG, Directeur scientifique du CREDA, Professeur à la Faculté de droit de
l'Université de Paris V ....................................................................................................................
7
LES ENJEUX JURIDIQUES
M. Yves GUYON, Professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne) ................................
13
TECHNIQUES, SUPPORTS, BESOINS NOUVEAUX : UNE INFORMATION
LÉGALE NOUVELLE ?
Table ronde animée par M. le Professeur Alain SAYAG ..................................................
18
avec la participation de :
M. Jean-Claude COMBALDIEU, Directeur général de l’INPI
e
M Jacques DOUCÈDE, Greffier en chef du Tribunal de commerce de Nanterre, Président
d’INFOGREFFE
M. Gilles BENOIT, Directeur général de S & W
Me Jean-Gaston MOORE, Directeur de La Gazette du Palais
M. Bernard SARAZIN, Préfet, Directeur des Journeaux officielles
M. Jean PRADA, Président de Chambre à la Cour des comptes, Vice-Président de COSIFORM
L’ORGANISATION DE L’INFORMATION, LÉGALE SUR LES ENTREPRISES :
LE POIDS DES CONTINGENCES HISTORIQUES, L’IMPACT DES
NOUVELLES TECHNIQUES
M. Jacques DRAGNE, Conseiller à la Cour d'appel de Rouen, ancien Directeur général adjoint
de l'INPI..........................................................................................................................................
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L'INFORMATION LEGALE FINANCIERE : PERSPECTIVES FRANCAISES
DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL
Table ronde animée par M. le Professeur Alain Sayag ............................................................
45
avec la participation de :
M. Gérard de LA MARTINIÈRE, Inspecteur général des finances, Directeur général d’AXA
M. Edouard SALUSTRO, Commissaire aux comptes, Président d’honneur du Conseil supérieur
de l’Ordre des experts-comptables et des comptables agréés, Ancien Président de la
Fédération européenne des experts-comptables
M. Daniel LEBÈGUE, Directeur général de la BNP, Président de la Commission des affaires
financières de l’AFB
M. André TUNC, Professeur émérite à l’Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
M. Pierre FLEURIOT, Inspecteur des finances, Directeur général de la COB
CONCLUSION
M. Pierre CATALA, Professeur émérite à l'Université de Paris II ..................................................
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
ALLOCUTIONS D’OUVERTURE
M. Bernard CAMBOURNAC,
Président de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris
Mes chers amis, j'éprouve un très grand plaisir à vous accueillir aujourd'hui pour ce
colloque organisé par le Centre de recherche sur le droit des affaires, le CREDA, de la
Chambre de commerce et d'industrie de Paris.
Je me réjouis de voir que vous avez répondu en très grand nombre à notre invitation. La
présence d'un auditoire aussi nombreux et d'une telle qualité est ressentie comme un honneur
pour notre institution.
De même, je ne peux manquer de constater avec satisfaction la très large diversité des
milieux que vous représentez. Permettez-moi de voir dans cette diversité l'illustration de ce qui
constitue la vocation fondamentale de notre Compagnie consulaire, vocation dont il faut
souligner qu'elle ne connaît pas d'équivalent : représenter et défendre sans aucune exclusive
les intérêts de toutes les catégories d'entreprises, quelle que soit leur taille, quel que soit leur
secteur d'activité, tout en développant la concertation la plus large, aussi bien avec l'ensemble
des milieux économiques qu'avec les pouvoirs publics. Ce rôle éminent est sans doute bien
connu ; mais, en cette année d'élections consulaires, il me tenait particulièrement à cœur de le
rappeler.
Me tournant maintenant vers les orateurs prestigieux qui siègent à cette tribune, ou qui vont
s'y succéder, je tiens à leur exprimer toute ma gratitude pour avoir si obligeamment accepté
d'apporter aujourd'hui le fruit de leur compétence et de leur expérience.
Permettez-moi enfin de manifester ici ma vive reconnaissance au très grand juge
consulaire qui nous fait l'honneur de présider cette manifestation. Président Philippe Grandjean,
cher ami, je sais l'attention bienveillante que vous portez de longue date aux travaux du
CREDA, et sans doute est-ce pourquoi vous avez si volontiers accepté cette charge. Je vous
en remercie très sincèrement.
Avant d'ouvrir cette manifestation, je souhaiterais vous livrer quelques observations
générales que les thèmes qui vont être traités inspirent au président d'une institution
représentant près de 275 000 entreprises et établissements.
Sujet central de ce colloque, l'information légale dans les affaires s'inscrit dans un
ensemble très vaste et aux multiples aspects : l'information économique. Nul ne saurait
contester l'importance considérable qu'elle revêt, car la juste et complète information des
partenaires économiques est l'une des conditions majeures du développement d'une société de
marché.
L'information économique a connu dans notre pays, au cours de ces quinze dernières
années, un essor d'ensemble tout à fait spectaculaire, et il faut bien sûr s'en réjouir. Pour les
entreprises plus particulièrement, l'information économique a en effet une valeur stratégique.
C'est la matière première qui sert à élaborer leurs décisions : pour le lancement de nouveaux
produits ou pour le positionnement par rapport à la concurrence.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Forte de la conviction qu'il faut toujours mieux et toujours plus informer les entreprises et
que, pour ce faire, il importe d'enrichir, et la collecte et les moyens de diffusion de l'information,
la Chambre de commerce et d'industrie de Paris a tenu à investir de façon significative en tant
que producteur et en tant que distributeur.
À ce dernier titre, nous avons, avec les autres chambres, développé de nombreux produits,
et tissé notamment des réseaux de banques de données, parmi lesquelles je citerai TELEFIRM
qui intègre environ 1 500 000 entreprises et établissements. Résultat de l'interconnexion des
fichiers consulaires, TELEFIRM est un produit complémentaire par rapport à ceux des greffes
et de l'Institut national de la propriété industrielle. Ces institutions gèrent en effet des fichiers
réglementaires délivrant une information de nature essentiellement juridique et déclarative, à
savoir l'information légale, qui est le thème central de notre colloque.
Les publicités légales, c'est-à-dire l'ensemble des informations qu'un agent économique est
tenu de fournir sur lui-même et de transmettre au public selon une forme et sur un support
déterminé, tout chef d'entreprise, tout commerçant et, plus largement, tout professionnel, les
côtoient presque quotidiennement. Mais les publicités légales concernent tout autant le simple
particulier, le petit épargnant, celui, par exemple, qui est tenté de souscrire aux opérations de
privatisation...
L'information légale constitue donc un rouage essentiel de la vie économique et c'est
pourquoi les entreprises que nous représentons doivent pouvoir compter sur un système qui
garantit tout à la fois la fiabilité des informations transmises et la rapidité de leur collecte et de
leur diffusion, ce que le formidable développement des nouvelles technologies autorise
désormais. D'une façon générale, les entreprises sont en droit d’attendre une parfaite
adéquation à leurs besoins du dispositif légal ou réglementaire de l'information obligatoire.
Les publicités légales se traduisent par un ensemble de coûts importants, dont certains
sont à peu près identifiables : des rapports officiels et les travaux du CREDA ont donné
quelques indications à cet égard. En revanche, l'usage qui en est fait et les bénéfices qui en
sont retirés sont de nature beaucoup plus diffuse.
Il reste que la lourdeur administrative imposée par les formalités de publicité légale est très
vivement ressentie par les chefs d'entreprises, qu'il s'agisse des imprimés ou des diverses
démarches à accomplir auprès des instances compétentes. Ce qu'il faut bien tenir pour un mal
endémique, la Chambre de commerce et d'industrie de Paris lui accorde une attention toujours
vigilante. Déjà en 1975, le CREDA avait réalisé auprès de 2 000 entreprises une enquête
approfondie sur la question ( 1 ). Tout récemment, le 17 février, l'Assemblée générale de notre
Compagnie a adopté un rapport consacré à la politique de simplification administrative vis-à-vis
des entreprises, qui est riche d'un grand nombre de propositions ( 2 ).
Au-delà de l'analyse critique qu'il convient de consacrer aux finalités des publicités légales,
à leur mode de fonctionnement ainsi qu'à leur coût et à leur impact réel, analyse à laquelle le
CREDA a d'ores et déjà apporté une contribution notable avec l'étude approfondie qu'il a
publiée sur la question, et à laquelle mon collègue Pierre-Louis Doucet fera référence, il importe
de s'interroger sur l'avenir du système.
(1) CREDA, Les entreprises face à leurs obligations d’information à l’égard de l’administration, Études et documents
de la CCIP, 1975-8(1).
(2) Rapport présenté par M. Jean Vertenelle au nom de la Commission du commerce intérieur.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Cette réflexion prospective ne saurait être conduite sans un examen objectif des divers
enjeux du débat : enjeux juridiques, enjeux technologiques, enjeux économiques. C'est à
l'examen de ces enjeux que nous invite ce colloque, dont je ne doute pas qu'il donnera lieu à
des échanges féconds.
M. Philippe GRANDJEAN,
Président de la Conférence générale des Tribunaux de commerce, Président honoraire du
Tribunal de commerce de Paris
Monsieur le Président, votre amitié, notre amitié, qui est à base de considération, colore
fortement votre appréciation sur le président de cette séance et, bien évidemment, nos
auditeurs auront rectifié d'eux-mêmes.
Je voulais vous dire que parmi les fiertés légitimes de la Chambre de commerce et
d'industrie de Paris, il y a celle d'avoir créé et développé le CREDA – et de l'avoir développé
sous la direction effective de personnalités aussi compétentes et aussi ouvertes que M. Sayag
et que M. Lévi, son Secrétaire général –, dont l'ouvrage collectif sert de base, j'imagine, à la
réflexion de chacun aujourd'hui.
Si vous avez tenu à cette présentation commune, Monsieur le Président, c'est sans doute
aussi parce que les greffes des tribunaux de commerce jouent le rôle capital, croissant et, je
crois dans le plus grand nombre de cas, exemplaire, que l'on sait, dans l'information légale sur
l'anatomie et sur la physiologie des entreprises.
Sans déflorer les développements des orateurs, et sans contraindre l'attente des auditeurs,
je forme très rapidement le vœu, un vœu introductif, que, grâce à nos travaux, les Fabrice del
Dongo des entreprises voient davantage dans la publicité légale un ensemble articulé, logique,
nécessaire, là où ils ressentent une juxtaposition à la Prévert de contraintes usantes et, pour
tout dire, parfois, une épicerie bureaucratique et coûteuse, et qu'à l'ère de la transparence, du
temps réel, de la photocopieuse qui facilite et authentifie l'indiscrétion – j'allais dire la trahison –,
le colloque contribue au difficile équilibre entre sécurité de l'entreprise et sécurité de son public.
Vaste sujet, vaste dessein direz-vous, mais les intervenants, je le sais, ont un talent à la
mesure de cet enjeu.
M. Pierre-Louis DOUCET,
Membre de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris, Président du Comité
technique du CREDA
Mesdames, Messieurs, je tiens à exprimer à mon tour mes remerciements les plus vifs à
toux ceux qui viennent ici manifester l'intérêt qu'ils portent aux activités de ce Centre de
recherche sur le droit des affaires que la Chambre de commerce et d'industrie de Paris a mis
en place il y a de nombreuses années.
J'ai l'honneur de présider le Comité technique de ce Centre de recherche, depuis quelque
temps déjà. Ce comité participe directement et de manière constante au choix et à l'orientation
des recherches que mène le CREDA ; il a donc participé au choix du thème qui est l'objet de
notre colloque aujourd'hui.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Le colloque sur l'information légale dans les affaires qui nous réunit aujourd'hui fait suite à
une étude que le CREDA a publiée sur ce thème il y a environ un an ( 3 ).
Cette étude constitue déjà, et je vais peut-être mettre à mal la modestie du CREDA, et plus
directement celle de son directeur scientifique, l'ouvrage de référence en la matière et la
première tentative d'analyse globale du droit et de la pratique des publicités légales.
En diagnostiquant avec précision et objectivité les forces et les faiblesses des mécanismes
actuels au moyen, notamment, d'enquêtes originales et très poussées, conduites aussi bien
auprès des diffuseurs que des utilisateurs des publicités, l'ouvrage du CREDA a examiné les
voies possibles des réformes qui, ponctuelles ou structurelles, pourraient rendre l'information
légale plus efficace. C'est pour prolonger et élargir la réflexion ainsi amorcée que nous avons
convié aujourd'hui les divers milieux concernés à confronter leurs vues et leur expérience lors
de ce colloque, selon une méthode désormais habituelle pour le CREDA.
Les enjeux en la matière sont importants et multiples. Permettez-moi de les énoncer très
rapidement en présentant le programme de ce colloque et en présentant surtout les divers
intervenants qui ont bien voulu nous apporter leur concours.
Après l'introduction de M. le Professeur Sayag, maître d'œuvre des travaux du CREDA,
seront d'abord présentés les enjeux juridiques. Pour en expliquer l'importance et pour éclairer
les complexes implications de ce sujet, la présence de M. Yves Guyon, Professeur à
l'Université de Paris I, s'imposait dans la mesure où il est l'un des tout premiers universitaires
français à s'être penché sur la problématique de l'information légale en droit des affaires.
En second lieu, seront abordés les enjeux technologiques et commerciaux, qui tendent à
prendre une part de plus en plus importante. Les différents professionnels du secteur de la
collecte et de la diffusion de l'information étaient particulièrement qualifiés pour rendre compte
des derniers développements en la matière, et pour tenter d'ébaucher une réflexion
prospective. C'est ainsi que seront appelés à intervenir, au cours d'une première table ronde,
les personnalités suivantes : M. Jean-Claude Combaldieu, Directeur général de l'Institut
national de la propriété industrielle ; Me Jacques Doucède, Greffier en chef du Tribunal de
commerce de Nanterre et Président d'INFOGREFFE ; Me Jean-Gaston Moore, Avocat à la
Cour, Directeur de La Gazette du Palais ; M. Bernard Sarazin, Directeur des Journaux officiels ;
M. Gilles Benoit, Directeur général de la Société S & W. Pour sa part, M. Jean PRADA, VicePrésident de COSIFORM, s'attachera ensuite à situer la réflexion sur les publicités légales sous
l'angle de la simplification des formalités, question qui est toujours lancinante pour l'entreprise
et, de surcroît, d'actualité législative.
À ces enjeux s'en ajoutent d'autres dont on peut dire qu'ils sont des enjeux d'ordre politique
au sens le plus élevé du terme, et M. Jacques Dragne, Conseiller à la Cour d'appel de Rouen,
ancien Directeur général adjoint de l'INPI et auteur d'un rapport remarqué sur la publicité légale
de la vie des entreprises, publié en 1985 sous l'égide du ministère de l'Industrie, apparaît
comme l'un des experts les plus qualifiés pour en poser les données essentielles.
Il faudra envisager enfin les enjeux économiques, qui peuvent être tout à fait
considérables ; et, tout naturellement, l'action se focalise ici sur l'information légale financière
(3) Publicités légales et informations dans les affaires (sous la direction de A. Sayag), LITEC, 1992.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
parce que celle-ci, pour répondre aux impératifs de pertinence, de précision, de rapidité et de
transparence, requiert de lourds investissements techniques et humains.
Pour débattre de ces questions, pour esquisser des perspectives d'évolution, plusieurs
personnalités, qui sont directement impliquées à des titres divers dans le processus de
production, de diffusion ou de contrôle de l'information légale financière, ont été invitées à
s'exprimer au cours d'une seconde table ronde : M. Pierre Fleuriot, Directeur général de la
COB ; M. Gérard de La Martinière, Directeur général du Groupe AXA ; M. Daniel Lebègue,
ancien Directeur du Trésor, Directeur général de la BNP et Président de la Commission des
affaires financières de l'AFB ; M. Edouard Salustro, Commissaire aux comptes, ancien
Président de la Fédération européenne des experts-comptables ; M. le Professeur André Tunc,
qui apportera le regard d'un spécialiste de grande expérience sur la réglementation et les
pratiques boursières aux États-Unis.
La conclusion des travaux de ce colloque, qui s'annonce d'une grande richesse, ne pouvait
être confiée qu'à un spécialiste de tout premier plan. M. le Professeur Pierre Catala, auteur de
remarquables essais sur la notion d'information et sur son statut juridique et expert très écouté
des rapports qu'entretiennent le droit et l'informatique a bien voulu accepter cette charge
délicate, je l'en remercie.
Je ne voudrais pas garder plus longtemps la parole car notre programme est très dense et
il est temps que je cède la parole au Professeur Sayag.
INTRODUCTION
M. Alain SAYAG,
Directeur scientifique du CREDA, Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Paris V
1.– Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, la réunion de cette nombreuse et prestigieuse
assemblée démontre, et il faut s'en réjouir, qu'il n'y a pas que l'accident d'une actualité
immédiate, une novation législative par exemple, pour susciter l'intérêt à l'égard d'un colloque
juridique. La question de la publicité légale qui nous réunit aujourd'hui a, il est vrai, pour elle
d'être à la fois d'une absolue permanence, puisque notre système juridique l'a toujours connue
et développée, et d'une très grande modernité, comme cela va apparaître tout au long de notre
séance.
2.– Mais en préambule, comme la formule « publicité légale » a cette force d'évidence qui
suscite tous les malentendus, il me faut délimiter très brièvement la notion sur laquelle nous
allons porter l'attention. La publicité légale, comme M. le Président Cambournac l'a indiqué tout
à l'heure, c'est l'ensemble des règles qui imposent à certaines personnes de communiquer au
public une information selon une forme et un support déterminés.
Il y a donc tout d'abord une personne assujettie, personne physique ou morale, d'espèces
et de situations très différentes ; mais ici nous nous limiterons, bien sûr, aux personnes qui
ressortissent du droit des affaires.
Il y a également diffusion obligatoire d'une information, ce qui fait intervenir deux éléments
distincts, bien qu'interdépendants l'un de l'autre : d'un côté, un message à délivrer, une
information, et d'un autre côté, le vecteur que celle-ci empruntera pour parvenir à la
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
connaissance du public. Ils sont interdépendants parce qu'il est clair que la nature du
renseignement à transmettre commandera le choix du support de diffusion, lequel, à son tour,
interférera avec ladite information.
Il y a enfin le public. Le public visé ne se définit pas. Peut-être quelques personnes, très
peu, deux ou trois ; mais peut-être aussi quelques milliers, quelques centaines de milliers, voire
millions de personnes, lorsqu'il s'agit d'actionnaires d'une très grande société par exemple. En
réalité, pour qu'il y ait publicité il suffit que ce public, quel que soit le nombre de personnes qui
le composent, soit indéterminé et anonyme. Dès que les destinataires d'une information sont
connus, nous avons affaire à une notification, non pas à une publicité, et c'est alors un tout
autre régime juridique qui s'applique.
3.– On ne peut évidemment pas poser une définition de la publicité légale sans évoquer sa
fonction juridique. Je ne m'attarderai pas sur ses effets juridiques, qu'il appartiendra au
Professeur Guyon de traiter. Toutefois, pour la clarté de l'exposé, je rappellerai très brièvement
qu'il y a trois catégories de publicités légales.
On trouve, en premier lieu, les publicités légales qui créent un droit. Tout le monde pensera
à l'exemple classique de l'immatriculation, qui fait naître la personnalité morale de la société.
On trouve, en deuxième lieu, les publicités légales, qui rendent un droit préexistant opposable
aux tiers. Ce sont de loin les plus nombreuses. L'illustration la plus classique est celle de la
vente immobilière qui transmet la propriété inter partes, mais qui n'aura d'effet à l'égard des
tiers qu'après réalisation effective de la publicité au bureau des hypothèques. On trouve, enfin,
la grande masse, présente surtout en matière financière, des publicités qui n'entraînent aucun
effet juridique en soi et que les spécialistes qualifient pour cette raison de publicité notice. Je
donnerai comme exemple le dépôt des comptes annuels au registre du commerce.
4.– La publicité légale, comme vous le voyez, existe donc depuis toujours. Pourtant c'est
une institution jusqu'à présent méprisée et négligée des juristes. Pourquoi réfléchir sur les
publicités légales ? Sur quoi réfléchir, sur quels aspects de la matière ? Voilà les deux
questions qui s'imposent et auxquelles je voudrais apporter successivement quelques éléments
de réponse.
I. – Pourquoi porter la réflexion sur les publicités légales ?
5.– A priori, le sujet a tout pour rebuter : une matière vétuste et éparpillée, construite au
coup par coup, par strates législatives successives, sans souci d'unité ni de coordination,
surtout marquée d'un formalisme ingrat à quoi souvent elle semble se réduire, et qui a manqué
pendant très longtemps d'une véritable réflexion de synthèse. Je pense au contraire qu'il faut
transformer la matière des publicités légales en un système rationnel et unitaire, animé qu'il est
par une logique interne. La démarche s'impose aujourd'hui d'autant plus que ce domaine est le
théâtre d'un bouleversement technologique dont l'origine remonte à une dizaine d'années, mais
dont il est difficile d'entrevoir, dès à présent, tous les prolongements et tous les aboutissements.
6.– En pratique, et pour faire bref, ces innovations résultent des progrès combinés de
l'informatique et de la télématique. Qu'ont apporté ces deux techniques ? Elles ont entraîné des
modifications dans trois domaines. D'abord, l'informatique permet un stockage de l'information,
qui devient quasiment illimité. Ensuite, et cela est entièrement nouveau par rapport au papier,
l'informatique donne des possibilités de tri et de traitement elles-aussi quasiment illimitées.
Enfin, la télématique permet de communiquer les informations de façon instantanée ou
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
presque, par envoi à distance, ces informations ayant pu être, le cas échéant, préalablement
triées et traitées.
Les enjeux qui se profilent sont, on le voit, considérables. J'en évoquerai quelques uns très
rapidement.
7.– Qu'en est-il de l'oubli et du secret des affaires ? Jusqu'où peut-on aller dans l'idéal,
techniquement réalisable maintenant, de la transparence totale ? Qu'en est-il de la négation de
deux contraintes que l'on a cru longtemps intangibles, le temps et l'espace ? Vous voyez qu'à
poser ces questions, on s'aperçoit très vite que la problématique de l'information obligatoire
relève de considérations de société qui dépassent très largement la sphère purement juridique.
En réalité, nous vivons, c'est une banalité de le dire mais il faut ici le répéter, dans une
société de communication, en ce sens que la communication s'affirme comme l'un des enjeux
majeurs de consommation et de profit en termes économiques, et aussi de pouvoir. Dès lors,
l'information est logiquement devenue l'un des rouages essentiels du système juridique de
telles sociétés. D'ailleurs, l'accession de l'information au rang de concept juridique illustre une
évolution bien plus profonde du droit privé, qui substitue au primat de la possession de biens
tangibles la propriété de valeurs dématérialisées ; et naturellement, l'information trouve sa place
parmi celle-ci.
8.– Par ailleurs, les acteurs de l'économie ont des besoins accrus de sécurité juridique.
Parce que l'information devient l'élément nécessaire préalable à toute transaction, elle est ellemême un objet de transactions. De fait, l'entreprise est à la fois de façon permanente
consommatrice et productrice d'information, en sorte que l'information apparaît pour cette
entreprise comme un instrument, certes de connaissance des autres, mais tout autant de
connaissance d'elle-même.
9.– Par conséquent, on assiste à une double mutation du contenu de l'information, sur le
plan à la fois technique et juridique. Et je dirai que cette mutation est à ce point profonde,
substantielle, qu'il n'y a qu'un seul précédent historique qui puisse venir à l'esprit, c'est la
comparaison avec le tournant qui s'est produit au XVIe siècle lorsqu'on est passé d'une
civilisation juridique fondamentalement orale à un ordre juridique écrit.
Certes, le passage de l'écrit – plus exactement du support papier – à l'informatique ne se
fera pas brutalement. Avant le XVIe siècle les publicités légales prenaient forme de cérémonial.
Il y avait l'abandon de biens, une cérémonie pittoresque qui se passait sur la grand'place : le
débiteur devait frapper la pierre, je le dirai en latin pour respecter les convenances... « de culo
nudo percussit lapidem » ; il y avait le bonnet vert du failli. Et ensuite, avec le développement
du support écrit, on voit apparaître l'affiche qui se substitue au cérémonial et à la proclamation.
Puis l'affiche disparaît progressivement, remplacée par les « petites affiches » que sont
devenus les différents journaux d'annonces légales. Il est donc clair que les transformations qui
s'esquissent seront lentes, mais il faut bien savoir que nous sommes au début d'une évolution
fondamentale.
10.– Je terminerai par une remarque à propos de ce que j'appellerai le paradoxe du
contenu sur le plan juridique. La publicité légale, comme nous l'avons vu, suppose une
divulgation obligatoire, c'est même sa définition première. Autrement dit, par l'effet de
l'obligation légale, l'information fait l'objet, dès le départ, d'une sorte d'expropriation d'utilité
publique à la source. Or, cette information constitue en même temps un bien informationnel
susceptible d'appropriation privative et qui a une grande valeur économique.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Apparaît ainsi en évidence une opposition dialectique, tenant à ce que l'on passe d'une
matière première gratuite, ou presque, à un instrument de profit ; phénomène d'autant plus
intéressant qu'il va s'opérer – et nous allons voir que c'est un des débats actuels essentiels de
la matière – à l'intérieur des instances officiellement chargées d'assurer le service public de la
diffusion. Cela vaudra donc pour l'INPI, pour les greffes, pour les journaux officiels – le BALO
en l'espèce. Cela vaudra aussi pour les journaux d'annonces légales.
Par conséquent, il faudra prendre acte de ce que la transformation d'une information en
publicité légale n'altère pas finalement sa nature de bien incorporel, donc de « bien dans le
commerce ». Mais dire cela, c'est déjà engager une réflexion sur le fond de la matière.
II. – Sur quels aspects de la matière doit-on porter la réflexion ?
11.– Cette réflexion peut s'engager selon trois axes principaux, dont le premier concerne la
nécessaire réorganisation du fond du droit. Réorganiser le contenu des publicités légales
implique avant tout de clarifier les obligations auxquelles sont soumises les entreprises.
Clarifier, c'est d'abord compléter là où il y a insuffisances ; parmi les exemples qui pourraient
être donnés, je citerai au moins le jugement d'ouverture d'un redressement judiciaire non publié
à la conservation des hypothèques, alors que l'on sait que son prononcé entraîne l'arrêt du
cours des inscriptions. Clarifier, c'est aussi élaguer les trop nombreuses informations superflues
ou redondantes. Le législateur a fait de notables efforts ces dernières années pour supprimer
les formalités inutiles, par exemple en supprimant la seconde insertion dans un journal
d'annonces légales lors de la cession d'un fonds de commerce.
Mais il faut bien voir que lorsque l'on veut entreprendre un allègement des formalités, on
aboutit en réalité inévitablement à s'interroger sur les règles de fond que ces formalités
traduisent et à envisager la simplification de ces règles mêmes. Je ne donnerai qu'un exemple,
que je n'ai pas le temps de détailler : il y a en matière de liquidation de sociétés une suite de
publicités qui paraissent extraordinairement compliquées. En fait, elles ne sont inutilement
lourdes et coûteuses que parce que la procédure de liquidation des sociétés est elle-même trop
minutieuse et mériterait une simplification.
Il faut donc, et j'insiste sur cette idée qui m'apparaît essentielle, penser à la primauté du
système publicitaire dans l'ordre juridique, penser à relier de manière systématique
l'opposabilité d'un droit ou d'une situation à sa publicité légale.
12.– Le deuxième axe de réflexion concerne une question beaucoup plus délicate : elle
touche au fonctionnement des instances.
J'évoquerai très rapidement, au passage, un des thèmes de réflexion qui, après la guerre
notamment, avait suscité beaucoup d'intérêt – je me souviens en particulier qu'un président du
tribunal de commerce de la Seine, M. Fargeaud s'y était intéressé ( 4 ). Il s'agit du casier
commercial, c'est-à-dire du projet consistant à regrouper l'ensemble des informations
disponibles sur une entreprise en un lieu unique. On a créé, vous le savez, le CFE, un guichet
unique des formalités. Pourquoi dans ces conditions, ne pas imaginer un lieu unique de la
publicité ?
(4) P. Fargeaud, Le fichier (ou casier) commercial : RTD com. 1965, p. 1.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Je dirai que le paradoxe du casier commercial est que celui-ci devient à l'heure actuelle
moins urgent dès lors que sa mise en œuvre est techniquement réalisable. En effet, lorsqu'on a
soulevé l'idée après guerre, les paperasses à manipuler représentaient une masse tellement
terrifiante que l'on a reculé devant cette tâche. Maintenant l'informatique rendrait le casier
commercial tout à fait possible, mais peut-être parce que les banques de données se chargent
finalement de centraliser l'information le casier commercial devient de ce fait beaucoup moins
urgent.
13.– À propos du fonctionnement des instances, il convient de s'interroger sur le
bouleversement en cours des modes traditionnels de diffusion de l'information légale, ne seraitce que pour tenter d'en maîtriser le développement. On peut l'analyser de la manière suivante :
la distinction entre information brute et information traitée se brouille, comme parallèlement se
brouille la distinction entre instances publiques et instances privées.
Traditionnellement, l'information légale pouvait être considérée sans aucun doute comme
une information brute, et on aurait pu imaginer il y a quinze ans que les instances publiques se
bornent strictement au rôle que leur donnait la loi. Ainsi l'INPI aurait pu continuer à conserver le
registre national du commerce, les greffiers à délivrer, sur papier seulement, des états ou des
copies. Les uns et les autres auraient laissé aux sociétés privées le soin d'exploiter sur
banques de données informatisées les informations brutes délivrées par ces organismes.
Heureusement, ces instances ne se sont pas déconnectées du marché, car elles se
seraient condamnées ainsi à un archaïsme tout à fait regrettable. Mais la conséquence de cela,
c'est que les instances publiques, les greffes et l'INPI tout au moins, ont eu tendance à
« privatiser » leurs prestations, c'est-à-dire à enrichir la présentation et à faciliter l'accès de
l'information légale brute que la loi leur fait obligation d'offrir au public. Le résultat, c'est que ces
instances agissent comme des diffuseurs privés. Aussi se retrouvent-elles en situation de
concurrence et entre elles et à l'égard des diffuseurs privés avec lesquels elles nouent d'ailleurs
des liens par contrat.
14.– La difficulté vient de ce que la frontière n'est plus rigoureuse entre d'une part une
simple clarification de l'information écrite, un tri pertinent, une bonne présentation intégrant un
traitement élémentaire (« sortir » un pourcentage d'évolution des résultats, par exemple) et
d'autre part un véritable traitement pouvant nécessiter de nombreuses recherches, donc de
gros investissements. Je dirai qu'à l'heure actuelle la seule frontière absolument nette que l'on
peut introduire entre l'information brute et l'information traitée apparaît lorsque le diffuseur privé
introduit dans ses prestations des sources d'information extérieures à la publicité légale ; ce
que les instances officielles doivent en tout état de cause s'interdire de faire car le traitement
proposé demeure lié à leur mission de service public.
D'ailleurs, il n'est pas absurde de penser que ce qui est aujourd'hui information traitée
devienne demain de l'information légale, une fois que des normes de traitement auront été
entérinées par le législateur. Je précise ma pensée par un exemple : le bénéfice par action, qui
est une information traitée dont on fait un très large usage dans la presse financière, pourrait
demain, si le traitement était réglementé, devenir une information obligatoire, c'est-à-dire une
publicité légale.
15.– Le système est donc parvenu à un certain équilibre. Cet équilibre, on peut le dire, est
globalement satisfaisant, mais il soulève des difficultés, notamment parce que le statut des
publicités légales est remis en cause dès lors que la diffusion de celles-ci s'opère à travers les
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
services facultatifs et rémunérés offerts par les instances publiques, dont certaines se font
concurrence, quelquefois même directement.
16.– Pour terminer, et c'est le troisième axe de réflexion, il faut évoquer les problèmes
spécifiques soulevés par l'information financière. Je serai extrêmement bref parce que la
question est très vaste et que le temps tourne. Je voudrais néanmoins évoquer brièvement trois
séries de problèmes, en précisant bien, d'ailleurs, qu'il ne faut pas confondre la publicité légale
financière, autrement dit l'information imposée par la loi, avec l'information financière au sens
large, c'est-à-dire largement facultative dont usent les grandes sociétés qui sont sur le marché
financier. Il s'agit là d'un domaine qui est beaucoup plus vaste et très sensiblement différent de
celui que nous comptons traiter.
17.– S'agissant de l'information légale financière stricto sensu, il faut d'abord s'interroger
sur les résistances, légitimes ou pas, dont font preuve certains assujettis à son égard. On sait
que le pourcentage des sociétés qui résistent à la publicité obligatoire des comptes annuels ne
se réduit malheureusement pas. Or, ce qui est plus surprenant, et je dirai plus critiquable, c'est
que parmi ces irréductibles on trouve même, selon les rapports de la COB, des sociétés cotées.
En somme, l'objectif d'une véritable transparence est loin d'être encore accompli.
Cela soulève la question de savoir si, au fond, cette résistance est justifiée ou pas au
regard notamment du nécessaire secret des affaires. En France, vous le savez, il a fallu sortir
d'une mentalité passéiste considérant que le profit est honteux en lui-même et qu'il est
dangereux de publier celui que l'on fait, car c'est susciter l'appétit d'un Etat exacteur. C'est une
tradition complètement rebelle aux nécessités d'un marché financier de quelque importance.
Ceci dit, il ne faut pas non plus que l'information financière devienne une fin en soi, c'est-à-dire
conduise à privilégier le bon résultat à court terme sur l'effort d'investissement ou
d'assainissement à long terme. Pourtant, entre l'attitude négative et dépassée d'un secret
généralisé sur la marche des affaires et la transparence intégrale, une voie moyenne peut être
trouvée : celle qui prend en compte le souci parfaitement légitime de préserver une part
d'ombre, fût-ce à titre temporaire.
18.– En somme, de nombreux progrès doivent encore être accomplis, et je pense que la
table ronde qui suivra permettra de proposer des solutions.
Il est clair qu'il faut améliorer l'effectivité de l'obligation légale, mais sûrement pas
l'améliorer – je dis cela parce que nous sommes au jour de naissance du nouveau Code
pénal – par des incriminations qui s'avèrent totalement inefficaces. En revanche, ne manque
pas de logique l'idée qui consisterait à imaginer une sanction intrinsèque à la publicité prescrite,
c'est-à-dire à faire en sorte que le non-accomplissement de la formalité rejaillisse directement
sur le droit ou la situation en cause.
19.– Il est clair également qu'il importe en tout cas d'assurer l'efficacité, donc la lisibilité de
l'information. Et lorsqu'on soulève cette question, on en appelle une seconde, beaucoup plus
difficile à résoudre, qui est celle de savoir pour quelle sorte de lecteurs on prétend assurer la
lisibilité, car il y a la clarté pour l'épargnant ordinaire et il y a l'intérêt de l'information pour
l'analyste financier. C'est incontestablement un problème majeur en matière d'information
financière, qui résulte de l'hétérogénéité de ses destinataires.
Est-ce à dire que l'on peut opter pour une information légale à deux vitesses en distinguant
les documents destinés au grand public et les documents établis à l'attention des
professionnels ? C'est dans cette voie que l'on semble s'engager, notamment sous l'impulsion
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
de la COB, qui encourage les entreprises à fractionner leurs documents d'information, avec
d'un côté un document de base et de l'autre un document simplifié synthétisant les informations
contenues dans le premier. Pourtant une telle démarche paraît contradictoire avec ce que je
disais au début à propos de l'anonymat du public. On se heurte donc là à une difficulté de
principe considérable.
Voilà donc beaucoup de thèmes de réflexion, qui sont autant de questions d'actualité et de
sujets de discussion, cela sur une matière naguère réléguée au rang des accessoires
subalternes, pour ne pas dire poussiéreux, de l'ordre juridique. Cette réunion aura atteint son
but si elle démontre qu'il s'agit bien là d'un rouage primordial de la vie des affaires qui mérite
toute notre sollicitude intellectuelle.
LES ENJEUX JURIDIQUES
M. Yves GUYON,
Professeur à l'Université de Paris I (Panthéon-Sorbonne)
Les organisateurs de cet après-midi de réflexion m'ont placé dans une situation difficile en
me demandant de vous parler des enjeux juridiques de l'information légale dans les affaires. En
effet, nous sommes tous ici des juristes, de telle sorte que c'est l'ensemble du sujet que je
devrais théoriquement traiter, ce qui n'est évidemment pas concevable et ma perplexité est
encore accrue du fait que le concept même d'information légale est ambigu ( 5 ).
Dans le sens qui nous intéresse, l'information est une communication collective de
renseignements et s'oppose par conséquent aux notifications individuelles qui sont en dehors
du champ de nos réflexions. Quand par exemple la loi prévoit que le vendeur d'un fonds de
commerce doit fournir un certain nombre d'informations à l'acheteur, il ne s'agit ni de publicité
légale au sens strict ni d'information générale.
La situation est déjà moins claire lorsque l'on se demande s'il faut distinguer la publicité
légale et l'information légale. La publicité légale viserait des destinataires par nature non
identifiables, une foule anonyme, notamment la foule anonyme des épargnants qui seraient
sollicités pour souscrire à un appel public à l'épargne, ou encore tous les tiers qui pourraient, le
cas échéant, entrer en relations d'affaires avec une entreprise et qui voudraient savoir ce
qu'elle est et ce qu'elle fait. L'information, au contraire, viserait des destinataires qui sont, sinon
déterminés, au moins déterminables ; par exemple, les associés d'une société, ou encore les
créanciers d'une entreprise en redressement judiciaire.
Mais on s'aperçoit que la distinction est d'une mise en œuvre difficile, sinon impossible.
Ainsi, tant que les titres au porteur étaient matérialisés, une société anonyme n'avait aucun
moyen de connaître ses actionnaires, de telle sorte que l'information qu'elle leur destinait devait
prendre la forme d'une publicité. Encore aujourd'hui, dans les sociétés cotées puisque toute
personne peut devenir actionnaire par un simple ordre de bourse, il est artificiel de distinguer
l'actionnaire effectif du simple épargnant qui envisage d'acquérir des titres, et par conséquent
l'information interne de la publicité externe. De même encore, en cas de procédure collective,
les créanciers antérieurs sont théoriquement connus ou identifiables. Néanmoins le seul moyen
e
(5) C.-T. Barreau-Saliou, La publicité légale, Paris, 1991 ; Y. Guyon, Droit des affaires, t. I, 7 éd., n° 920, Paris 1992.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
de les avertir est d'utiliser une technique de publicité, en l'espèce une insertion au BODACC,
car le débiteur a pu ne communiquer qu'une liste incomplète de ceux-ci aux organes de la
procédure.
Par conséquent la publicité et l'information légales ne sont que les deux faces d'un même
phénomène, la traduction d'un même besoin de se fier aux apparences car les relations
d'affaires se nouent de plus en plus rapidement, et mettent en contact des partenaires qui ne se
connaissent pas et qui n'ont ni le temps ni généralement les moyens de se renseigner en allant
au fond des choses.
L'information légale remplace l'investigation personnelle. Son objectif est d'assurer la
sécurité dans les relations d'affaires. Robespierre n'avait-il pas dit déjà dans le langage
emphatique de l'époque : « La publicité est l’appui de la vertu, la sauvegarde de la vérité, la
terreur du crime, le fléau de l’injustice » (discours du 10 mai 1793) ? Il était sans doute
passablement optimiste et deux cents ans après lui, celui qui tente de dresser le constat des
enjeux juridiques de l'information légale sera conduit ensuite à formuler un certain nombre
d'interrogations sur son avenir.
I. – Le constat
Puisque la règle juridique se caractérise par l'existence d'une sanction, le constat
consistera à rechercher les effets qui s'attachent à l'accomplissement d'une formalité de
publicité ou, au contraire, les sanctions qui s'appliquent au cas où une formalité obligatoire n'est
pas accomplie.
La palette est large. Bien sûr, on pense tout de suite à l'opposabilité aux tiers qui est la
solution de principe. L'acte non publié est valable entre les parties. Il est inopposable aux tiers.
Ainsi, selon l'article 66 du décret du 30 mai 1984 sur le registre du commerce, les faits et actes
sujets à mention au registre du commerce et des sociétés sont inopposables aux tiers qui
peuvent toutefois s'en prévaloir tant que leur publicité n'a pas été effectuée. Cette solution est à
la fois équitable et raisonnable parce qu'elle incite les intéressés à accomplir les formalités de
publicité puisque, finalement, ils y trouvent leur intérêt. Mais beaucoup d'autres situations se
rencontrent où la publicité joue un rôle ou bien moins grand, ou bien plus grand.
A) D'abord, dans de nombreux cas la publicité légale est absente ou joue un rôle
modeste. Ainsi, aucune mesure de publicité véritable n'est exigée lors de la conclusion d'une
vente avec réserve de propriété, opération qui intéresse pourtant les autres créanciers de
l'acheteur. Certes, la loi du 12 mai 1980 a prévu une inscription sur une ligne spéciale du bilan,
mais est-ce véritablement une publicité ? On peut en douter, et de toute manière, il aurait
probablement été difficile de trouver un procédé techniquement préférable.
Dans d'autres cas, il est bien prévu qu'il faudra faire une publicité, mais l'acte ou la situation
est opposable aux tiers indépendamment de son accomplissement. Ainsi, le jugement qui ouvre
une procédure collective prend effet à compter de sa date ( 6 ). Donc tant pis pour ceux qui ont
agi ou traité avec le débiteur après ce prononcé, même s'ils pouvaient légitimement ignorer un
jugement dont à ce stade la seule publicité a été la lecture de l'audience.
(6) D. 27 déc. 1985, art. 14.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Dans d'autres cas encore, la sanction du défaut de publicité légale sera simplement, si je
peux dire, une sanction pénale. Or le recours à la sanction pénale, s'il est évidemment
désagréable pour le chef d'entreprise qui en est menacé, est en réalité le quasi équivalent
d'une absence de sanction. Au regard du droit commercial et du droit civil, la situation est la
même, que l'acte ait été ou non publié. Et il en va ainsi notamment, en cas de non dépôt au
greffe des comptes des sociétés à responsabilité limitée ou des sociétés anonymes. Ces
comptes ont la même portée qu'ils aient ou non été déposés au greffe. Pourtant ici il y avait un
précédent, mais prévoyant probablement une sanction trop redoutable pour être appliquée,
puisqu'une loi du 5 avril 1946 (art. 46) sur les sociétés nationales aéronautiques avait prévu
que si les dirigeants ne publiaient pas les comptes en temps utile, ils seraient réputés
démissionnaires !
Au moins, en cas de non dépôt des comptes un concurrent pourrait-il se plaindre de la
rupture d'égalité devant la concurrence créée par ce défaut de publicité ? Il ne le semble pas,
même si la Chambre criminelle a récemment déclaré recevable l'action d'un syndicat ( 7 ).
B) À l'inverse, il arrive, et il arrive de plus en plus souvent, que la publicité produise
un effet qui va au-delà de l'opposabilité aux tiers. Parfois la publicité produit un effet
régularisateur : l'acte publié est réputé régulier, il est la manifestation de la vérité, quelles que
soient les conditions plus ou moins discutables dans lesquelles il a été conclu. C'est notamment
le cas de la publicité de la désignation des organes sociaux, puisque cette publicité rend
irrecevable toute action d'un tiers ou de la société elle-même qui tendrait à faire juger que cette
désignation a été irrégulière ( 8 ). Cette disposition est extrêmement intéressante d'un point de
vue pratique parce qu'elle dispense de la preuve, diabolique car impossible à rapporter, de la
régularité de la désignation d'un organe social. En effet, cette preuve renvoie toujours à la
preuve d'un fait antérieur. On peut regretter qu'une pareille disposition ne s'applique pas aux
dirigeants des groupements d'intérêt économique et des associations.
Il arrive aussi que le défaut de publicité empêche la réalisation d'une opération. Tel serait le
cas d'une société qui voudrait faire publiquement appel à l'épargne sans avoir obtenu le visa
préalable d'une note d'information par la Commission des opérations de Bourse. Il y a de ce
point de vue un précédent puisqu'une société, qui avait ainsi lancé une augmentation de capital
sans obtenir ce visa, a été condamnée par la Cour de Paris à rembourser les souscripteurs qui
en feraient la demande ( 9 ). On est alors proche du cas où le défaut de publicité est sanctionné
par une nullité.
Enfin, summum de l'escalade, la publicité est parfois constitutive d'un droit. Le premier
exemple, semble-t-il, a été donné par la loi du 17 mars 1909 (art. 1er) sur la vente du fonds de
commerce qui subordonne le privilège du vendeur à une inscription sur un registre spécial.
Mais il y a des applications plus récentes. Le décret du 30 septembre 1953 (art. 1er) sur les
baux commerciaux subordonne le droit au renouvellement du bail au fait que le preneur soit
immatriculé au registre du commerce. Enfin, l'exemple le plus net est celui des sociétés et des
groupements d'intérêt économique qui ne jouissent de la personnalité morale qu'à dater de leur
immatriculation au registre du commerce (C. civ. art. 1842). Une règle analogue s'applique aux
(7) Cass. Crim. 18 oct. 1993 : Rev. soc. 1994, 97 note B. Bouloc.
(8) L. 24 juil. 1966, art. 8 ; C. civ. art. 1846-2.
(9) CA Paris 28 mars 1988 : D. 1989,116 note N. Decoopman.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
associations qui ne jouissent de la personnalité que si elles se sont déclarées à la préfecture
( 10 ).
Dans ces cas la publicité dépasse son rôle traditionnel et sans doute normal d'opposabilité
aux tiers. Les apparences qu'elle crée comptent plus que les réalités. Jusqu'où conviendra-t-il
d'aller dans ce mouvement ?
II. – Les Interrogations
Les interrogations en matière d'enjeux juridiques de la publicité légale sont nombreuses et
complexes. J'en citerai simplement quelques-unes.
A) D'abord, faut-il encore élargir le domaine de l'information légale ? Ce n'est pas
certain. Certes, l'important est souvent ce que l'on cache et non pas ce que l'on montre. Mais
d'un autre côté la libre concurrence comme la guerre suppose une certaine dissimulation. Des
zones d'ombre demeurent nécessaires. Si la publicité est essentielle, le secret des affaires l'est
aussi. La publicité et l'information ne doivent pas devenir une indiscrétion légalisée. La
transparence est une notion ambiguë ( 11 ).
De plus, l'information coûte cher. Or l'objectif premier d'une société est de partager des
bénéfices et non pas de diffuser des informations. À la limite, il serait absurde qu'une société,
après avoir parfaitement informé ses actionnaires de toutes ses activités, constate que cette
information a coûté tellement cher qu'elle a le regret d'annoncer qu'elle ne pourra distribuer
aucun dividende.
Enfin, l'excès d'information tue l'information quand l'essentiel est noyé sous un flot de
renseignements sans intérêt ( 12 ). C'est ce que les médias appellent la désinformation, et la
désinformation juridique est certainement tout aussi redoutable que la désinformation par la
voie de la presse ou de la télévision.
B) Faut-il dès lors simplifier l'information ? Sur ce point, des progrès sont sans doute
possibles parce que notre droit prévoit des formalités souvent redondantes. Le décret du
3 décembre 1987 a donné le bon exemple en exigeant seulement une insertion dans un journal
d'annonces légales et non deux, en cas de vente de fonds de commerce. Plus récemment, la
loi du 11 février 1994 (art. 16) a harmonisé et simplifié la publicité des régimes matrimoniaux
des commerçants en centrant désormais celle-ci sur le registre du commerce alors qu'avant il y
avait une dualité de formalités au registre du commerce et à l'état civil.
Serait-il possible de généraliser cet effort de rationalisation, c'est-à-dire de limiter la
publicité légale à la formalité qui serait juridiquement essentielle ? La question est délicate et
mérite réflexion. Ainsi, récemment, la Cour de cassation a jugé que les actes modificatifs
affectant une société ne sont opposables aux tiers que s'ils ont été publiés au registre du
commerce et cela même s'ils ont fait précédemment l'objet d'une autre formalité de publicité
er
(10) L. 1 juil. 1901, art. 5.
(11) V. les observations du doyen Carbonnier au colloque de l'Association Droit et commerce, La transparence : Rev.
jurisp. com. n° spécial, nov. 1993, p. 9.
(12) Ce risque a été souligné par le rapport de M
me
Y. Chassagne au Conseil économique et social sur l'information
des clients des divers organismes qui collectent l'épargne : JO Avis et rapports du CES, 1993 n° 27, p. 45 sq.
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L’information légale dans les affaires :
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légale ( 13 ). Si on comprend bien cette décision, les formalités préalables à l'inscription au
registre du commerce n'auraient qu'une valeur préparatoire. Mais quelle est alors leur portée
juridique et leur utilité pratique ?
Bien plus, dans les sociétés à responsabilité limitée et les sociétés par actions, l'article 4-1
de la loi de 1966, qui est directement issu de la première directive communautaire, prévoit que
seule la publication au BODACC, qui est opérée après l'immatriculation au registre du
commerce, rend l'acte pleinement opposable aux tiers passé un délai de quinze jours. Cela
voudrait dire par conséquent que tout ce qui s'est passé avant le BODACC ne produit pas
d'effet juridique au sens strict du terme. On peut dès lors se demander si ces formalités
demeurent nécessaires.
Tout cela n'est guère cohérent. La raison est que dans le domaine de l'information légale,
comme dans beaucoup d'autres, la réglementation s'est accumulée par strates successives. On
a rajouté des formalités, notamment les insertions au BODACC, sans penser à supprimer celles
qui étaient devenues moins nécessaires. Il serait temps d'envisager une meilleure coordination
et éventuellement l'abrogation des formalités désuètes.
C) Enfin, la dernière question qui peut se poser est de savoir s'il faut centraliser les
informations concernant les entreprises. Des technocrates rêvent d'un monde où en
appuyant sur un seul bouton on obtiendrait, en temps réel, toutes les informations juridiques et
financières concernant une entreprise. S'agissant des personnes morales, cette centralisation
ne paraît pas prohibée par la loi du 6 janvier 1978 sur l'informatique, les fichiers et les libertés.
Elle semble déjà plus ou moins réalisée en fait s'agissant des multiples registres spéciaux
tenus au greffe du tribunal de commerce, et qui sont comme autant d'annexes qui complètent le
registre du commerce : publicité des divers privilèges, des protêts, des contrats de crédit-bail,
des nantissements de fonds de commerce, des nantissements de matériels, etc.
Mais restent cependant en dehors les renseignements qui concernent la publicité foncière
et les divers droits de propriété intellectuelle. Cela n'est probablement pas gênant dans la
pratique, de telle sorte que le véritable besoin paraît être celui d'une accessibilité, sinon
internationale, au moins communautaire des informations concernant les entreprises. Diverses
directives communautaires ont été édictées, notamment en matière de publicité des comptes
(4e directive) ou de publicité des succursales (11e directive). Leur traduction dans les
législations internes s'est faite dans des conditions différentes selon les États membres. La
conséquence est que les pays disciplinés, et pour une fois la France était un pays discipliné,
souffrent d'une discrimination à rebours puisque leurs entreprises doivent fournir des
informations qu'elles ne trouvent pas chez leurs concurrents ou leurs partenaires étrangers.
Mais la Cour de justice de Luxembourg a jugé que, l'harmonisation n'étant pas une course
de lenteur, cette situation pour regrettable qu'elle soit, ne pouvait être évitée, et que, par
conséquent, un État ne pouvait pas refuser d'introduire dans sa législation ou d'appliquer
effectivement une disposition au prétexte que les autres ne l'avaient pas fait ( 14 ).
Voilà donc quelques remarques nécessairement incomplètes sur un sujet qui n'est
poussiéreux qu'en apparence. À bien des égards, la situation est paradoxale, parce que si
(13) Cass. com. 29 juin 1993 : Bull. civ. IV n° 275, p. 194. V. aussi CA Paris 28 mars 1990 : D. 1990, 428.
(14) CJCE 11 janv. 1990 : Rev. soc. 1990, 276 note B. Bouloc.
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Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
chacun souhaite le maximum de transparence de la part de ses partenaires ou de ses
concurrents, il souhaite évidemment le maximum de confidentialité pour ses propres affaires.
TECHNIQUES, SUPPORTS, BESOINS NOUVEAUX : UNE
INFORMATION LÉGALE NOUVELLE ?
Table ronde animée par M. le Professeur Alain SAYAG
M. le Professeur Alain SAYAG.– Je vais donner successivement la parole aux
personnalités présentes en suivant un ordre très simple, imposé par le sujet. Il y a en effet en
matière de publicité légale cette vieille distinction, que l'informatique et la télématique rendent
largement périmée, entre l'information quérable et l'information portable.
L'information quérable, c'est évidemment l'information qu'il fallait autrefois aller chercher
dans un registre et notamment au registre du commerce et des sociétés. S'agissant du registre
du commerce, pour chaque formalité réalisée auprès du greffe du tribunal de commerce deux
intervenants ici présents sont compétents. De fait, il y a, tous les entrepreneurs le savent, un
exemplaire destiné au registre national du commerce.
Aussi, pour commencer, vais-je m'adresser à M. le Directeur général de l'INPI. Votre
institution, M. le Directeur général, porte un nom qui est quelque peu déceptif pour les profanes,
car finalement vous êtes au moins autant le Directeur général du registre national du commerce
que le Directeur général de la propriété industrielle. Quoi qu'il en soit, vous avez en charge
cette administration très importante. Peut-être pourriez-vous expliquer comment elle fonctionne
et surtout quelles nouveautés elle a apportées en matière de diffusion de l'information.
M. Jean-Claude COMBALDIEU, Directeur général de l'INPI.– Vous avez tout à fait raison
de dire que le nom INPI, Institut national de la propriété industrielle, est quelque peu déceptif,
déroutant pour les non-initiés. Si l'INPI est bien connu pour ses activités dans le domaine de la
propriété industrielle – brevets, marques, dessins et modèles –, il l'est beaucoup moins pour
son activité liée à la tenue du registre national du commerce et des sociétés.
D'ailleurs, je soulignerai en passant que ces deux matières ne sont pas totalement
étrangères l'une à l'autre. D'une part, toutes deux participent à la transparence de la vie
économique, d'autre part, les commercialistes savent très bien qu'il peut y avoir des conflits
entre des informations se trouvant dans le registre du commerce et des titres de propriété
industrielle. Ainsi, un conflit peut naître entre un nom commercial, une dénomination sociale et
une marque de fabrique ou de commerce. Au fond, le fait que ces deux matières soient
regroupées dans le même organisme permet de fournir un certain nombre de prestations
intéressantes pour les usagers, notamment dans le domaine de la recherche d'antériorité,
puisque chacun sait qu'avant de choisir un nom pour une société ou avant de choisir une
marque, il faut consulter les deux registres.
Ceci est notre activité générale, et j'aurais voulu avoir l'occasion de parler de l'information
légale tant pour la propriété industrielle que pour le registre du commerce et des sociétés,
puisque ce sont nos deux activités essentielles.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Je n'évoquerai que très brièvement la diffusion par l'INPI de l'information concernant la
propriété industrielle. L'Institut national publie les brevets, les marques ainsi que les dessins et
modèles. L'existence d'une publicité se justifie aisément quand on considère qu'il s'agit de
monopoles qui sont conférés aux entreprises : il faut que les tiers sachent quels sont les
monopoles qui ont été accordés par l'INPI. D'où l'intérêt de ces publications, publications
papier, quérables, comme vous l'avez dit.
Par ailleurs, nous avons accédé comme tout le monde à l'ère de l'informatique. Nous avons
mis en ligne un certain nombre d'informations sur ces matières ; on peut donc en interrogeant le
minitel savoir ce qui existe en matière de brevets, de marques, de dessins et modèles. Pour en
finir avec cette question, puisque je vais aller au cœur du sujet qui est le registre du commerce,
il ne faut pas oublier qu'il y a aussi ce qu'on appelle le registre national des brevets, le registre
national des marques, le registre national des dessins et modèles, c'est-à-dire un ensemble de
registres qui ont pour vertu de rendre opposables aux tiers un certain nombre de transactions
effectuées sur ces titres de propriété industrielle.
Je tenais à dire que l'activité de l'INPI ne se résume pas uniquement au registre du
commerce et des sociétés ; elle concerne aussi et en grande partie la propriété industrielle,
comme son nom l'indique.
Dans le domaine du registre du commerce et des sociétés, le rôle de l'INPI est défini par la
loi, plus exactement par un article (L. 411-1, 2°) du Code de la propriété intellectuelle, qui
dispose : « Il centralise le registre du commerce et des sociétés, le répertoire des métiers et le
Bulletin officiel d'annonces civiles et commerciales ; il assure la diffusion des informations
techniques, commerciales et financières contenues dans les titres de propriété industrielle et
instruments centralisés de publicité légale ». Telle est la mission que l'INPI a reçue de la loi et
dont on retrouve des échos notamment dans le décret du 30 mai 1984 relatif au registre du
commerce et des sociétés.
Nous avons donc une division qui centralise le deuxième original du registre du commerce
et des sociétés. Cette vieille tradition française qui consiste à tenir tous les registres en deux
exemplaires peut parfois se révéler fort utile, en cas d'inondation ou d'incendie ; l'actualité l'a
montré récemment. Mais enfin je pense qu'en ce domaine, l'informatique peut faire évoluer les
idées puisque cette conception a été conçue à un moment où on ne connaissait pas du tout cet
outil.
Nous diffusons le registre du commerce et des sociétés dans une conception que je
qualifierai essentiellement de service public. Nous ne voulons en aucun cas transformer cette
activité, en tant qu'administration nationale, en une activité lucrative.
Vous savez qu'une administration sait faire un certain nombre de choses, mais il y a des
choses qu'elle ne sait pas faire ; c'est le service en ligne. Nous n'avons ni ordinateurs
puissants, ni service commercial. La solution que nous avons adoptée est la concession du
service public. En concédant la diffusion en ligne du registre du commerce et des sociétés à un
opérateur privé, nous avons fait d'ailleurs comme le Gouvernement pour les bases de données
juridiques. Cet opérateur privé est bien connu : c'est le même que pour les bases de données
juridiques, il s'agit de la société O.R. Télématique.
Je dis concession à titre de service public. Cela implique un certain nombre de contraintes
que nous avons imposées. La première est que la totalité du registre du commerce et des
sociétés soit effectivement mise en ligne : égalité totale entre toutes les entreprises
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
immatriculées au registre du commerce et des sociétés. Le salon de coiffure est traité de la
même façon que la société Thomson. Par conséquent, il n'y a aucune sélection, tout le registre
est en ligne. Deuxième contrainte : l'élément tarifaire. Il faut en effet tenir compte d'un certain
nombre d'impératifs économiques qu'il faut comprendre. Nous disposons d'un service de
80 personnes qui gèrent le registre du commerce et des sociétés, ce qui engendre des frais ; le
concessionnaire, qui est une société privée, doit également veiller à assurer sa rentabilité. Nous
avons malgré tout essayé d'imposer un tarif le moins cher possible et c'est ainsi que nous
avons pu situer ce service sur le palier haut du 36.17 qui est, je crois, de l'ordre de 300 francs
de l'heure.
Nous avons également imposé à ce serveur de concéder la licence du registre du
commerce et des sociétés à tout opérateur privé qui le demanderait, à la seule condition que
cet opérateur privé s'engage à apporter une plus-value en ajoutant au registre du commerce
des données qui lui sont propres ; il n'est pas question de refaire cinquante fois la même base
de données, d'avoir cinquante fois en ligne les mêmes informations. Ainsi, tout opérateur privé
qui le souhaite, tant pour un usage interne que pour un usage externe, peut obtenir une licence
de la part de l'INPI.
Je sais qu'il y a eu un débat sur la distinction entre données brutes et données élaborées.
Je peux en dire deux mots. Bien entendu, les données que nous fournissons à notre opérateur
sont des données brutes. Données brutes ne signifie pas illisibles. Même pour notre travail
interne, l'administration « formate », comme diraient les informaticiens, les données, de façon
qu'elles soient conviviales, qu'elles soient agréables à lire. D'ailleurs sur ce point M. Schoettl,
Directeur du Secrétariat général du Gouvernement, a publié un article tout à fait remarquable
dans un numéro spécial de la Gazette du Palais, où il explique que l'opposition entre données
brutes et données élaborées n'est pas aussi simple qu'on veut bien le dire ( 15 ).
En revanche, on ne trouve sûrement pas dans nos bases des informations qui ne soient
pas des données légales, c'est-à-dire qui ne seraient pas vérifiées comme étant conformes à
celles qui ont été déposées au Registre.
Notre opérateur, qui est donc concessionnaire du service public, a entendu aller au-delà du
système français. Il a souhaité, sous sa responsabilité d'ailleurs, fournir des informations sur les
entreprises établies dans d'autres pays, en commençant par ceux de la Communauté
européenne. Là-aussi nous lui avons imposé de s'associer avec l'équivalent du registre national
du commerce et des sociétés des pays en question, c'est-à-dire de ne faire des « portes »,
comme disent les informaticiens, entre ordinateurs qu'avec d'autres organismes qui eux-aussi
contrôlent l'information. Je pense à la Companies house anglaise par exemple, la CERVED
italienne, organismes qui, à l'instar des greffiers en France, vérifient la conformité des
déclarations avec les pièces fournies.
Enfin, dernier point, notre opérateur, a également souhaité, en plein accord avec nous, faire
ce qu'on appelle une banque d'images. C'est ainsi qu'il est en train de saisir tous les actes qui
représentent des kilomètres et des kilomètres de papier, de les numériser pour permettre de les
diffuser instantanément en ligne, soit sur télécopie, soit sur le réseau numéris. De la sorte,
quiconque veut consulter les statuts d'une société, les comptes de telle ou telle année, le
(15) J.-E. Schoettl, L'exploitation des gisements de données administratives in Les banques de données : Gaz. Pal.,
12-13 janv. 1994, p. 8.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
rapport des commissaires aux comptes, du contrôleur de gestion, pourra disposer
instantanément de ces documents.
M. le Professeur Alain SAYAG.– Fort logiquement, bien sûr, la parole est maintenant à
Maître Doucède, intervenant en sa double qualité de Greffier en chef d'un tribunal de commerce
particulièrement important, celui de Nanterre, mais aussi de Président d'INFOGREFFE, qui,
comme chacun le sait, est la banque de données qui regroupe un grand nombre de greffes,
parmi les plus importants en France.
Me Jacques DOUCÈDE, Greffier en chef du Tribunal de commerce de Nanterre, Président
d'INFOGREFFE.– Oui, les greffes, notamment les greffes des tribunaux de commerce, qui sont
au nombre de 229 en France, occupent une place essentielle au cœur du dispositif légal de
collecte et de diffusion des renseignements. Concernant la collecte des informations, en
particulier celles figurant au registre du commerce, qui constitue, je le rappelle, un véritable état
civil des entreprises en France, le rôle du greffier est de vérifier d'une part que les déclarations
qu'il reçoit sont conformes aux lois et règlements et d'autre part qu'elles sont cohérentes au
regard des pièces justificatives fournies. Je rappelle, mais cela a été dit par les orateurs
précédents, que les pièces ont été allégées au fil des années, un certain nombre d'entre elles
ont disparu et tout récemment encore, par la loi du 11 février 1994, la déclaration de conformité
a été supprimée.
Les greffiers opèrent donc un contrôle juridique, d'ailleurs prévu par plusieurs directives
européennes : il doit être préalable à la création des entreprises et garantit la fiabilité du registre
du commerce et par conséquent un certain niveau de sécurité dans la vie des affaires. Il est en
effet impératif de disposer d'un fichier officiel de référence qui soit fiable. Et tout cela se fait, je
le rappelle, sous l'autorité d'un juge chargé de la surveillance du registre du commerce, donc
sous le contrôle d'une autorité judiciaire.
Pour assurer un meilleur service aux entreprises, pour raccourcir les délais de traitement
des formalités – je précise à cet égard que le législateur nous a d'ailleurs, s'il en était besoin,
imposé un délai de cinq jours maximum pour procéder aux formalités du registre du
commerce –, les greffes ont été amenés à informatiser les fichiers publics dont la tenue leur est
confiée. J'ai cité le registre du commerce, bien sûr il y a en annexe du registre du commerce les
bilans et les actes de sociétés ; on pourrait citer aussi les registres concernant les
nantissements (nantissement du fonds de commerce, nantissement du matériel et de
l'outillage), les privilèges (privilège du vendeur, privilège de la sécurité sociale, privilège du
Trésor public), le fichier des opérations de crédit-bail, le fichier des protêts, etc.
S'agissant de ce dernier point, et là je cite un propos qui a été rapporté au 78e Congrès des
notaires, tenu à Bordeaux en mai 1992, « cette informatisation des greffes n'a pas seulement
été conçue dans le simple objectif d'améliorer le fonctionnement interne des greffes, mais aussi
dans celui d'accroître de manière très sensible le service rendu à ses correspondants ». On
peut considérer que l'accès à l'information des greffes est aujourd'hui très facile, que ce soit par
minitel, par courrier ou même en venant sur place, bien des greffes délivrant les
renseignements immédiatement.
Nous avons eu également le souci de faciliter la tâche des différents partenaires qui
interviennent dans le processus des formalités. Un certain nombre de greffes ont, par exemple,
une liaison directe par réseau avec l'INSEE pour recevoir les numéros d'identification au fichier
SIRENE, et nous éditons dans les greffes la fiche qui est créée par l'INSEE qui s'appelle l'avis
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
SIR, que nous notifions à l'entreprise avec son extrait d'immatriculation au registre du
commerce. Nous disposons d'une liaison avec le BODACC qui lui permet de publier les
annonces que nous lui transmettons quotidiennement.
Nous avons établi des liaisons avec des mandataires en formalités qui ont maintenant la
possibilité d'envoyer leurs dossiers de registre du commerce par télé-traitement ; ce qui ne
dispense pas, bien évidemment, en l'état actuel des choses, de fournir un document papier,
signé en original et bien sûr accompagné des pièces justificatives.
Nous espérons pouvoir, par la suite, mettre en place des liaisons du même type avec le
casier judiciaire, puisque nous devons, avant de faire une immatriculation, interroger le casier
judiciaire pour savoir si la personne a bien la capacité d'exercer l'activité ou la fonction qu'elle
se propose d'exercer. Nous souhaitons également pouvoir mettre en place ces liaisons avec les
Centres de formalités des entreprises (CFE) ainsi qu'avec l'INPI dès que la norme EDI
(Échange de Données Informatisées) sera vraiment arrêtée et publiée et que nous pourrons
l'utiliser avec l'ensemble des partenaires des CFE.
Je dois préciser aussi que nous fournissons les informations que nous gérons aux
présidents des tribunaux de commerce qui en ont besoin pour accomplir leur mission de
prévention des difficultés des entreprises. Lorsqu'un certain nombre de clignotants s'allument,
et notamment les inscriptions de privilèges, les greffes transmettent l'information aux présidents
des tribunaux qui peuvent alors prendre des mesures appropriées.
S'agissant des publicités légales existantes, je pense que les orateurs présents pourront
préciser les améliorations à apporter. Pour notre part, nous estimons que des améliorations
devraient être apportées dans la publicité des comptes annuels. Il est vrai que nous constatons
qu'environ 30 % des entreprises se dispensent de publier leurs comptes annuels aux greffes,
ce qui met évidemment les entreprises dans une situation anormale au regard de la
concurrence. Or, si l'on n'y prend garde, ce phénomène ne fera que s'amplifier en raison de la
multiplication des possibilités d'accès par minitel, car lorsque l'entreprise a publié son bilan au
greffe, mais ne trouve pas celui de ses concurrents, elle risque d'être incitée à ne pas respecter
ses obligations légales l'année suivante. 75 % des chefs d'entreprise interrogés par
INFOGREFFE se déclarent favorables à un alourdissement des sanctions à l'encontre des
sociétés récalcitrantes ( 16 ).
Par ailleurs, peut-être pourrait-on améliorer la publicité des jugements rendus en matière de
procédure collective car l'information est encore trop dispersée. Selon nous, cette amélioration
passe notamment par l'achèvement de l'informatisation des tribunaux de grande instance à
compétence commerciale et leur rattachement au réseau de diffusion télématique des greffes
des tribunaux de commerce. Il faut aussi songer à organiser la publicité des cessions
d'entreprises dans les procédures collectives, par une mention systématique au RCS des
entreprises à céder.
De même, en matière de sûreté réelle mobilière, peut-être des améliorations peuvent-elles
être apportées, et notamment en matière de crédit-bail. Il y aurait lieu, me semble-t-il, de prévoir
l'obligation de faire figurer dans les bordereaux d'inscription, la durée ou le montant des
engagements. Il conviendrait également de se pencher sur les autres contrats de location qui
(16) Enquête INFOGREFFE/IFOP, février 1994.
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sont proches du crédit-bail mais sans y être tout à fait assimilables. Le problème se pose aussi
pour les clauses de réserve de propriété ou les cessions de créances professionnelles à propos
desquelles il est possible d'envisager des publicités.
Sur le plan de la diffusion des renseignements maintenant, les greffiers se sont structurés
en groupement d'intérêt économique et ont organisé entre eux un réseau télématique.
Autrement dit, par un numéro commun, l'on peut accéder aujourd'hui à la quasi-totalité des
greffes, c'est-à-dire à environ 200 greffes de tribunaux de commerce. On peut consulter le
registre du commerce, les bilans, l'ensemble des inscriptions que j'ai précédemment
énumérées : nantissements, privilèges, protêts, opérations de crédit-bail. Les greffes reçoivent
sur leur service télématique plus de 40 000 appels par jour, c'est dire le besoin d'information sur
les entreprises qui existe dans le public, et à ce nombre s'ajoutent, bien sûr, les demandes
reçues dans les greffes par les voies traditionnelles, c'est-à-dire par courrier ou sur place.
Nous avons, nous le pensons sincèrement, œuvré pour développer la transparence dans la
vie des affaires et pour sensibiliser les entreprises à la prévention des impayés. Chacun connaît
bien l'augmentation très forte des défaillances d'entreprises observée ces dernières années. Je
crois qu'aujourd'hui les entreprises ont toute facilité pour se renseigner sur leurs partenaires et
éviter ainsi des difficultés sérieuses ; elles feraient même preuve d'une certaine négligence à ne
pas agir ainsi. 96 % des entreprises interrogées par INFOGREFFE approuvent l'existence de
services télématiques de renseignements sur les entreprises et 90 % se déclarent favorables à
la transparence ( 17 ).
M. le Professeur Sayag a évoqué l'organisation du marché de l'information, la différence
entre diffuseur public et diffuseur privé. Nous nous attachons, pour notre part, à respecter
scrupuleusement la déontologie des greffiers, qui implique notamment que nous ne diffusions
que de l'information brute. Nous considérons qu'il appartient aux sociétés privées d'informations
financières et commerciales d'apporter de la valeur ajoutée, avec une appréciation, un
commentaire, ce qui évidemment ne ressortit pas au rôle des greffiers. Mais nous avons, je
crois, facilité l'exercice de leur métier pour ces sociétés privées, puisqu'elles peuvent
aujourd'hui se procurer l'information en s'adressant au centre serveur des greffes.
M. le Professeur Alain SAYAG.– Maître Doucède. Vous avez fourni la transition toute
naturelle pour donner la parole à M. Benoit, Directeur général de l'une des plus importantes
sociétés de diffusion d'information, la société S & W.
M. Benoit, vous travaillez donc à partir d'une matière première qui est l'information légale,
mais vous avez évidemment beaucoup plus de liberté pour la traiter et pour l'adapter à un
marché qui connaît d'ailleurs un très grand développement. Je souhaiterais que vous précisiez
cet aspect en quelque sorte commercial de la question.
M. Gilles BENOIT, Directeur général de S & W.– Je tiens d'abord à remercier les
organisateurs de cette réunion d'avoir bien voulu convier à cette table ronde le représentant
d'une compagnie privée qui met au point et distribue de l'information légale. C'est la preuve que
d'éminentes personnalités du droit des affaires considèrent qu'une compagnie privée, acteur
sur le marché de l'information légale, est à même de donner un avis peut-être autorisé sur le
sujet.
(17) Enquête INFOGREFFE/IFOP, février 1994.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Je représente une entreprise qui diffuse de l'information commerciale et financière sur les
entreprises. Cette information commerciale et financière, nous la produisons, nous la
distribuons à partir de données légales et de données privées. Que représente pour une
maison comme la nôtre l'information légale ? Comment la considérons-nous, comment
l'intégrons-nous ?
Soyons objectifs, soyons réalistes et raisonnables, l'information légale est une nécessité
absolue, un passage obligé et une source indispensable. Elle constitue un élément fondamental
sur la vie économique des entreprises. Peut-être ne suffit-elle pas, mais elle est indispensable :
c'est un élément de sécurité incomparable, un élément d'identification incontournable. Je vous
propose en tant qu'utilisateur et diffuseur de l'information légale, non pas de reprendre la
présentation des éléments que l'on peut trouver dans l'information légale, et d'examiner devant
vous les forces et les faiblesses de l'information légale ou plutôt de préciser ses atouts et les
problèmes qu'elle soulève.
D'abord ses atouts. L'information légale est, en premier lieu, authentique ; c'est une source
indiscutable car son origine est contrôlée. Deuxième atout : elle est objective, c'est le reflet brut
stricto sensu d'événements et de situations concernant les entreprises. Elle n'est pas déformée,
elle n'est pas interprétée. Troisième atout : elle est exhaustive. Elle porte non pas sur « x »
entreprises, mais sur toutes les entreprises touchées par l'obligation légale. Enfin, elle est
accessible en tant qu'information publique, elle est disponible.
Quelles sont ses faiblesses ou plutôt les problèmes qu'elle pose ? Premièrement, c'est
l'imperfection. Nous constatons que l'information légale peut parfois être quelque peu imprécise
en raison d'erreurs de saisies, d'omissions ou de contrôles insuffisants. Deuxièmement, elle a
un caractère binaire. Il n'y a pas de nuances : l'information existe ou n'existe pas. Enfin, la
principale faiblesse de l'information légale réside dans sa parcellisation. Elle n'est pas
pondérée ; il n'y a pas de recoupements ; elle n'est pas croisée ni validée. C'est d'ailleurs toute
la signification de l'information légale.
Je conclurai rapidement en disant que le marché de l'information, et en particulier celui de
l'information légale, est un marché attractif. Ce marché a en effet attiré beaucoup d'acteurs :
des acteurs publics ou parapublics, des acteurs privés. Ceux-ci entretiennent d'ailleurs des
relations commerciales réciproques, les uns vendent aux autres et réciproquement.
Je pense qu'afin de conserver, de promouvoir les forces de cette information légale et par
là même d'essayer d'éliminer autant que faire se peut toutes ses faiblesses, il est important que
ces différents acteurs, publics, parapublics et privés subsistent, chacun répondant à des
besoins spécifiques. Les uns distribuent une information brute stricto sensu, ce qui correspond
à un premier besoin. Les autres combinent différentes sources d'information et apportent une
certaine valeur ajoutée. Les derniers vérifient des informations, les superposent, les croisent,
les valident et permettent ainsi la distribution d'une information légale à forte valeur ajoutée.
M. le Professeur Alain SAYAG.– Nous avons entendu des intervenants représentant les
instances de la publicité quérable. Il faut maintenant se tourner vers les instances de la publicité
portable, c'est-à-dire les journaux. Il existe là deux catégories d'instances tout à fait différentes.
L'une est publique : c'est le Journal officiel, avec notamment le BALO. L'autre est privée : il
s'agit des journaux d'annonces légales. Si l'on s'en tient à l'ordre chronologique des formalités,
Maître Moore pourrait peut-être nous dire quelques mots des journaux d'annonces légales,
puisque c'est par cette étape qu'en général l'assujetti va commencer.
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Me Jean-Gaston MOORE, Directeur de La Gazette du Palais.– L'obligation de publicité
dans un journal d'annonces légales imposée aux entreprises à l'occasion de certains actes
juridiques est communément considérée comme inutile et inefficace. Comme juriste, lorsque
vous recevez nos journaux, vous avez tendance à séparer la partie documentaire des feuillets
d'annonces légales et à jeter dans la corbeille celles les concernant. Cette opinion, quoique
largement répandue, est inexacte. Elle est exprimée dans des traités de droit sérieux. Nous
pensons qu'elle se répète comme les erreurs de références rapportées d'un ouvrage de droit à
un autre, faute de vérification par les auteurs successifs.
Fort heureusement, le Centre de recherche sur le droit des affaires de la Chambre de
commerce et d'industrie de Paris, qui n'a pas pour habitude de ne pas vérifier ses sources, a
entrepris sur ce sujet une étude exhaustive, qui confirme les travaux de M. Dragne, auquel
M. le Premier ministre Fabius avait demandé précédemment une étude, qui avait fait apparaître
pour la première fois qu'en définitive la publicité légale était d'actualité. Le travail de fourmi
entrepris sous la direction de M. le Professeur Sayag dans l'ouvrage paru chez LITEC est le
livre de documentation le plus exhaustif en la matière.
L'opinion généralement répandue que la publicité légale est inutile a pour fondement
qu'avant 1945 la seule publicité légale utile était celle des ventes de fonds de commerce. Ces
derniers constituaient à l'époque l'essentiel de la vie économique en ce temps où les activités
commerciales, encore peu nombreuses, ignoraient l'URSSAF, la TVA, en fait les impôts sur le
revenu, et plus généralement les mécanismes de crédit d'aujourd'hui. Il s'ensuit que peu de
personnes s'intéressaient aux informations publiées par les journaux d'annonces légales ; d'où
la légende née de son inutilité.
Le mérite du livre du CREDA, dirigé par M. le Professeur Sayag, c'est précisément d'avoir
fait œuvre de réflexion et d'avoir interrogé les acteurs intéressés par ceux-ci. Ils ont constaté
que, contrairement à l'opinion généralement répandue, la publicité légale était suivie avec
beaucoup d'attention non seulement par les organismes de sécurité sociale, mais également
les établissements de crédit, les perceptions pour les impôts directs ou indirects ; d'où son
actualité. En effet, l'information des fournisseurs, des tiers, en un mot des créanciers, est la
condition du fonctionnement loyal des transactions. Une bonne information réduirait le nombre
des défaillances d'entreprises, provoquées par ce que l'on appelle « les faillites en cascade ».
Comment y parvenir ?
Nous répondons : « Par une meilleure information des organismes de crédit, de l'URSSAF
et de l'Administration des impôts ». On peut y parvenir en ayant recours à une publicité légale
modernisée, mieux adaptée. Une information plus efficace est réclamée par les organismes de
crédit, les entreprises. Elle est légitime. En l'état, ces acteurs de la vie économique s'estiment
mal informés de la situation de leurs partenaires en raison d'une publicité insuffisante de leur
situation financière, en présence des modes nouveaux de financement. Le congrès des
greffiers des tribunaux de commerce qui s'est tenu à Angoulême le 29 mai 1992 en témoigne.
On peut se demander, au préalable, quels sont actuellement les moyens dont disposent les
créanciers pour être protégés. La publicité légale est l'un de deux-ci par l'obligation faite par la
loi de publier certains actes de la vie juridique des entreprises, et d'autre part ils disposent d'un
organe permanent de consultation, qui réunit de précieuses informations, le registre du
commerce.
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Par ailleurs, si la publicité réalisée dans un journal d'annonces légales est considérée à
l'heure de l'informatique comme désuète, c'est que ceux qui partagent cette opinion commettent
l'erreur de ne pas distinguer entre l'information portable et celle quérable. Prenons un exemple
concret : En ma qualité d'établissement financier, j'ai besoin de disposer d'informations sur la
situation d'une entreprise. J'ai recours au greffe du tribunal de commerce dont dépend
l'entreprise en interrogeant INFOGREFFE. En revanche, en ma qualité d'établissement de
crédit, je n'ai pas de raisons de consulter chaque jour INFOGREFFE pour connaître les
opérations intéressant ma clientèle : dans ce cas, l'information est apportée par les journaux
d'annonces légales. En un mot, l'information au quotidien m'est précieuse.
L'efficacité dans les matières essentielles où la loi l'exige est reconnue.
La publication de la vente d'un fonds de commerce suscite immédiatement des oppositions
des créanciers. C'est pourquoi, pour en éviter les effets, les conseils peu scrupuleux ont
recours à la cession de bail dont la publicité n'est pas exigée – à tort – par la loi. Or, la cession
d'un bail commercial équivaut dans la majorité des cas à une vente de fonds. Nous savons que
la vente d'un fonds de commerce exploité dans une boutique est calculée principalement non
pas sur le chiffre d'affaires ou les bénéfices du commerce, mais sur le différentiel du loyer. Il en
est de même en matière de cession de marque. La valeur du fonds est souvent le prix de la
marque.
Or, dans chacun de ces cas, en l'état actuel de la législation, les créanciers sont frustrés ;
d'où la nécessité d'une intervention du législateur afin d'éviter ces fraudes, d'imposer la
publication obligatoire des cessions de baux commerciaux ainsi que des cessions de marques.
Voici une proposition utile, nécessaire, qui remédierait au moins partiellement au souhait
exprimé par les créanciers d'une meilleure information. Nous pourrions multiplier les exemples.
L'insuffisance de la protection des créanciers exige une adaptation de la publicité légale.
Des regrets ont été exprimés au cours de cette journée. Le congrès d'Angoulême des greffiers
des tribunaux de commerce, dont nous avons parlé et auquel nous renvoyons ( 18 ), l'illustre
parfaitement.
En raison de l'évolution des modes de financement, la publicité légale est plus nécessaire
que jamais ; et si elle est inefficace, c'est parce qu'elle est insuffisante. C'est à cette condition
que l'information apportée, modernisée, étendue (publiée dans les journaux d'annonces
légales) et quérable (celle des greffes) permettrait aux entreprises d'être mieux protégées.
Nous référant au rapport du congrès précité d'Angoulême, il faut donc rénover la publicité
des garanties. C'est la condition du développement du crédit et de la sécurité des transactions.
L'extension de la publicité, la garantie des créanciers passent notamment par l'obligation de
publier d'abord dans un journal d'annonces légales, puis de déposer au greffe :
–
–
–
–
les cessions de baux commerciaux ;
les cessions de marques ;
les cautions ;
les cessions de créances (Dailly) ;
(18) V. Gaz. Pal., 3 juin 1993.
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L’information légale dans les affaires :
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– les clauses de réserve de propriété lorsque le prix est supérieur à un certain seuil (par
exemple : 100 000 F) ;
– le crédit-bail ;
– les sûretés, spécialement dans le cadre des procédures de redressement et plus encore
de liquidations judiciaires.
En ce qui concerne ce dernier point, les droits des créanciers étant sacrifiés par la loi, il est
alors particulièrement nécessaire, pour assurer la loyauté, la transparence de la cession
d'actifs, de connaître le montant des hypothèques sur les immeubles commerciaux, les
nantissements de parts sociales des sociétés commerciales, les matériels d'une certaine valeur
affectés d'une clause de réserve de propriété, les cessions de créances par la publicité des
bordereaux de cession, sans omettre la publicité au greffe de la fiducie, conclue à des fins de
sûretés ou à des fins de gestion, avec inscription sur un registre de fiducie et mention au
registre du commerce et des sociétés.
En conclusion, la publicité légale demeure une exigence pour la protection des créanciers.
Elle doit être rénovée, élargie, pour mieux répondre aux formes nouvelles de crédit.
La France, après avoir pris pour modèle, mais avec retard, l'Allemagne en créant en 1919
le Registre du commerce, est aujourd'hui le pays où la protection des créanciers et l'information
des tiers est la mieux assurée par la publicité légale et le registre du commerce. Le congrès des
greffiers des tribunaux de commerce tenu en 1990 à La Baule en témoigne ( 19 ). Mais
aujourd'hui, cet acquis se révèle insuffisant. Il faut d'abord le préserver, mais également
l'améliorer en prenant en compte l'évolution du droit et des crédits.
La publicité légale, dans un journal d'annonces légales, n'est donc pas une vieille dame. Il
ne faut pas la supprimer, bien au contraire, elle se révèle aujourd'hui comme une nécessité qu'il
faut rénover pour assurer une meilleure protection des créanciers et la sûreté des transactions,
condition de leur loyauté. Cette extension doit se faire par complémentarité avec les greffes,
selon la distinction entre l'information portable et celle quérable.
M. le Professeur Alain SAYAG.– M. Moore. Vous vous êtes révélé, mais ce n'est pas pour
étonner, un avocat talentueux et passionné de la publicité légale. Vous nous avez confirmé
aussi que sur cette matière que j'avais, peut-être un peu imprudemment, qualifiée autrefois de
poussiéreuse, il est assez facile de déceler l'existence sous-jacente de controverses, de
passions, voire de polémiques. Mais, sans quitter la publicité portable, nous allons revenir à des
rivages plus sereins pour parler d'une grande administration. M. le Préfet Sarazin, en sa qualité
de Directeur des Journaux officiels, va pouvoir nous entretenir de la publicité légale notamment,
mais bien sûr pas exclusivement, d'une société ou d'une modification statutaire, c'est-à-dire de
la publicité au BODACC.
M. Bernard SARAZIN, Préfet, Directeur des Journaux officiels.– Je vous remercie M. le
Président. Si vous le voulez bien je vais consacrer mon intervention beaucoup moins à décrire
le rôle joué par les Journaux officiels dans la publicité légale, qu'à vous informer des
améliorations que nous envisageons dans la publication du BODACC et du BALO. Je vais
évoquer pour commencer une idée sous-jacente que j'ai retrouvée à plusieurs endroits dans
l'étude du CREDA, qui est la question des supports.
(19) Gaz. Pal., 28 juil. 1990.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Quel est le bon support ? Est-ce qu'il y a un support obsolète qui serait le papier ? Est-ce
qu'il y aurait un support d'avenir qui serait l'informatique ? Jusqu'à présent, on n'en a pas parlé
et pourtant la Direction des journaux officiels a adopté une position sur cette question. Pour
nous ce n'est pas une alternative et ce n'est surtout pas un dilemme parce que nous sommes
convaincus que les services rendus par l'un ou l'autre de ces deux supports ne sont pas les
mêmes. Ils ont chacun leur utilité propre. Pour l'un, le papier, l'avantage réside dans la
simplicité d'utilisation, le faible coût et la valeur juridique attachée à la preuve, alors que pour la
banque de données, il tient à la possibilité de stocker des masses considérables d'informations
qu'on peut rapidement mettre à jour et consulter. Aujourd'hui, il faut bien reconnaître – c'est
sans doute une banalité de le dire – qu'on ne peut se passer ni de l'un, ni de l'autre.
Aux Journaux officiels, on a eu d'autant moins de problèmes de choix sur ce sujet que
l'évolution technique de notre appareil de production a considérablement rapproché les
procédures de fabrication. C'est ainsi qu'en 1984 la mise en service de la photocomposition
informatisée, qui a remplacé le plomb, a permis de disposer à côté du tirage papier de bandes
magnétiques qui comportaient exactement les mêmes données que celles paraissant au
bulletin officiel.
À ce moment-là, le Premier ministre, après avoir pris l'avis de la CNIL, a autorisé mon
prédécesseur à créer une banque de données télématique des informations contenues dans le
BODACC. Aujourd'hui, quelques années après, la consultation des annonces parues dans ce
bulletin se développe de façon très encourageante, simultanément sur trois grands serveurs,
O.R. Télématique, QUESTEL et BIL, pendant que, dans le même temps, le chiffre des
abonnements au bulletin papier se maintient au même niveau que les années précédentes.
Cela signifie que l'utilisation simultanée de ces deux supports ne s'est pas faite au détriment de
l'un par rapport à l'autre, et je suis certain que cette complémentarité est source de progrès.
Elle permet d'une part de conserver l'information fiable, rigoureuse, régulière et toujours très
appréciée du bulletin papier, pendant que se développent d'autre part des produits
d'information qui sont d'abord la base-source, la base BODACC, mais également, comme le
disait M. Benoit tout à l'heure, des banques de données qui regroupent les différents
événements marquants dans la vie d'une société et qui sont finalement des produits
d'information beaucoup mieux adaptés au marché.
Ceci étant dit, revenons un peu aux Journaux officiels. Quelles sont les évolutions
prévisibles de notre activité dans les années qui viennent et qui pourraient intéresser
l'information légale ? Dans l'architecture générale du dispositif actuel à laquelle il est nécessaire
d'apporter des améliorations, la Direction des Journaux officiels occupe la place d'une structure
centrale de production et de diffusion. Elle est alimentée en amont par les informations en
provenance notamment des greffes, disons de l'ensemble des annonceurs BODACC ; pour
traiter une telle masse d'informations nous disposons au centre d'un équipement de production
important. En aval, elle est chargée d'assurer la diffusion vers le plus grand nombre – quand je
dis « le plus grand nombre », c'est qu'il s'agit à la fois de personnes, de sociétés, d'organismes
ou d'établissements divers.
Dans cette architecture il y a des goulots d'étranglement qui sont à l'origine de lenteurs et
qu'il convient de faire disparaître ou tout au moins d'atténuer. Le premier d'entre eux, c'est la
transmission des informations par les annonceurs BODACC et notamment les greffes en
direction des Journaux officiels. L'amélioration de ces méthodes de transmission de la part des
annonceurs BODACC est pour nous un objectif primordial. C'est un enjeu majeur qui nous
permet de supprimer des étapes de saisie et de balisage afin d'arriver plus facilement à la mise
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
en page ; ce qui non seulement fait gagner un temps considérable mais s'avère également
source d'économie.
Notre objectif est d'arriver à ce que la quasi-totalité des informations qui proviennent des
annonceurs BODACC nous soient transmises sur un support informatique et non plus par
documents papier. Actuellement, et là je ne vais peut-être pas faire plaisir à Maître Doucède,
les saisies à la source représentent 35 % du volume des annonces traitées, c'est dire qu'il
existe encore une marge de progression importante. Pour des bulletins nationaux tels que le
BODACC et le BALO, qui sont des outils d'information essentiels, nous avons parfaitement
conscience qu'il faut s'attaquer à ce problème : le raccourcissement des délais de publication
est un souhait unanime et pour notre part nous allons persévérer dans nos efforts pour obtenir
un résultat significatif.
Parlons peut-être également des améliorations qu'on pourrait obtenir à partir de la
rédaction des annonces. Je ne vais pas évoquer le contenu parce que la nature même des
activités des Journaux officiels ne leur permet pas de prendre parti dans une discussion sur le
contenu des publicités, d'autant que, en ce qui concerne le fond, nous ne pouvons opérer
directement aucune modification : c'est le rôle du législateur. En revanche, tout ce qui intéresse
le libellé des annonces concerne les éditeurs que nous sommes. La photocomposition
informatisée étant la base de notre système rédactionnel, nous aimons les textes bien
structurés, cela facilite notre travail et nous souhaitons que des efforts soient faits pour imposer
des textes mieux structurés, des formules types plus courtes et plus facilement exploitables.
Je dirai maintenant juste quelques mots sur la production elle-même. Des améliorations
intéressantes sont à attendre du renouvellement chez nous de notre chaîne de production. En
1994 nous aurons complètement transformé notre informatique de production et notre matériel
d'impression.
Le nouveau système de photocomposition de la Direction des Journaux officiels devrait
nous procurer une plus grande rapidité dans les procédures ainsi que des potentialités
nouvelles dans le repérage, la corrélation et le rappel des informations déjà saisies. Il devrait
donc nous permettre d'apporter des réponses plus rapides et plus complètes. En clair, nous
pouvons disposer dans une même base de données de l'ensemble des textes saisis, des textes
publiés, comme dans un vaste creuset, et ces textes peuvent être à tout moment rappelés,
reliés les uns aux autres, pour les diriger vers d'autres cibles.
Le changement complet de nos rotatives va augmenter également nos capacités de
production et permettra plus de souplesse de fonctionnement et davantage d'aisance dans la
gestion du plan de charge ; la publication devrait en être plus rapide et plus régulière. Nous
aurons également, je l'espère, la possibilité d'améliorer la présentation, la lisibilité de nos
ouvrages et de nos bulletins.
Concernant la diffusion, nous avons deux systèmes aux Journaux officiels. Pour les
banques de données juridiques, nous avons adopté le système du guichet unique ; en
revanche, pour les annonces légales nous avons retenu une stratégie de multidistribution.
Autrement dit, nous passons nos bandes magnétiques à plusieurs grands serveurs. Ceci, parce
que nous pensons que la concentration et l'uniformisation qui viendraient d'une
monodistribution seraient défavorables à la diffusion de l'information. Je rejoins là ce que disais
M. Benoit tout à l'heure, il faut qu'à partir d'une information de base, on puisse faire des produits
retraités qui s'adaptent à chacun des besoins de la clientèle.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
M. le Professeur Alain SAYAG.– M. le Préfet, notre auditoire aura enregistré avec intérêt
ce que vous avez dit des progrès accomplis sur la question, toujours lancinante, je crois, des
délais de publication d'une annonce au BODACC.
Le mot de la fin va revenir évidemment à M. le Président Prada qui préside COSIFORM.
Cette institution à la fois très importante et, me semble-t-il, insuffisamment connue, étudie,
surveille, essaie de simplifier les formalités à l'échelon national, avec je crois d'ailleurs des
antennes régionales. M. le Président Prada, vous vous faites l'interprète en quelque sorte des
utilisateurs, ou plus exactement des assujettis à la publicité légale, c'est-à-dire de ceux qui
doivent fournir la matière première de l'information.
M. Jean PRADA, Président de Chambre à la Cour des comptes, Vice-Président de
COSIFORM.– La COSIFORM, qui a aujourd'hui perdu un « E » si je puis dire – en ce sens
qu'elle s'intéresse à l'ensemble des formalités et pas seulement à celles qui concernent les
entreprises –, a quand même tenté d'être un prolongement des professionnels au sein de
l'administration. C'est un organisme mixte, composé en majorité de représentants de
professionnels ; d'ailleurs plusieurs personnalités appartenant à des chambres consulaires
participent à nos travaux et les animent.
Notre premier contact avec le problème des publicités légales remonte à 1987. Il concernait
le coût de la publicité au BALO des comptes des sociétés cotées, pour lequel une grande
entreprise avait cité un chiffre qui avait paru significatif, même s'il était probablement modeste
par rapport au budget publicitaire de ce groupe. Ce chiffre (on le retrouve d'ailleurs dans le livre
du CREDA) était de 3 millions.
La question s'est donc posée par le « petit bout de la lorgnette », en ce sens que le volume
d'argent en cause au départ est modeste. Mais, de fil en aiguille, nous nous sommes aperçus
que nous ne pouvions pas traiter ce sujet sans envisager toutes les implications qu'induisaient,
pour la réalisation de ces obligations de publicité financière, les modalités nouvelles de
traitement de l'information et par conséquent les capacités nouvelles résultant notamment du
recours généralisé à l'informatique et à la télématique.
Avec une audace qui, je le reconnais, pouvait peut-être paraître excessive à l'époque, nous
nous étions interrogés sur le point de savoir si on ne pouvait pas modifier le contenu de ce qu'il
était nécessaire d'introduire dans les publicités portables, plus exactement dans la publication
au BALO des comptes des sociétés cotées, en limitant le volume de l'information imprimée, le
BALO lui-même offrant la possibilité de la compléter grâce à l'accès à une banque de données.
Ce sujet a fait l'objet d'échanges avec le ministère de la justice et je crois qu'un décret est
toujours en cours d'étude. Je ne désespère pas que nous aboutissions à un ajustement, qui
n'est peut-être pas souhaité dans le fond de son cœur par M. Sarazin, mais qui permettrait
probablement de parvenir à ce que plusieurs orateurs ont évoqué : la nécessaire adaptation au
public de l'information qui lui est communiquée. C'était une première approche de ces
problèmes de publicité légale.
Peu de temps après, nous en avons eu une seconde qui, elle aussi, sortait du « petit bout
de la lorgnette ». C'est malheureusement ainsi que les problèmes nous apparaissent dès lors
que nous traitons des formalités, puisque le formulaire est bien souvent en bout de course ; il
est le révélateur de la procédure, donc de la réglementation. Il s'agissait des deux originaux
qu'exigent tout naturellement, puisque la loi le prévoit, les greffes et l'INPI ; et nous nous étions
étonnés de cette situation, je suis obligé de le dire ici nettement autour de cette table ronde, au
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
risque de provoquer quelques réactions. Nous nous étions notamment interrogés sur le point de
savoir si les possibilités que nous offraient désormais les nouvelles technologies de traitement
de l'information et de transfert de données, ne permettaient pas d'éviter cette obligation du
double original.
Ainsi, à travers cette approche suscitée par des questions des entrepreneurs de base, nous
étions amenés à nous poser le problème des fondements mêmes de cette publicité légale. Je
ne reviendrai évidemment pas sur les études très intéressantes qui nous ont été présentées, je
voudrais simplement vous dire que je suis frappé, à la suite de cette table ronde, de constater
que chacun des protagonistes a, pour sa part, fait une démonstration assez claire, non
seulement de l'utilité, mais même de la nécessité de l'existence des supports dont il a la
responsabilité.
J'ajoute que je suis frappé, également, de voir à quel point les modifications dans la
technique de traitement ont été nombreuses et généralisées. Par conséquent, on peut avoir le
sentiment qu'un effort considérable de normalisation, de rationalisation, de réduction des coûts
et des délais, a été réalisé. J'en suis personnellement tout à fait convaincu.
Je me demande toutefois si nous pouvons nous limiter à cette constatation et si nous ne
devons pas revenir à ce qui est finalement l'essentiel. Je ne veux pas dire que toutes les
institutions, les instances, ou les supports que nous avons évoqués soient de simples
accessoires. Mais il faut en apprécier l'utilité ou la justification en fonction de l'objectif poursuivi.
De ce point de vue, je rejoindrai volontiers Maître Moore : il me semble que notre pays dans ce
domaine n'est pas en retard. Bien au contraire, si l'on considère ce qui se passe à l'étranger, j'ai
l'impression qu'il y a un certain flottement – vous avouerais-je que si tant est que j'ai acquis une
certaine science, elle est due entièrement aux publications du CREDA, auxquelles il faut je
crois tout à fait rendre hommage. J'ai le sentiment qu'il n'y a pas chez nos partenaires habituels
du monde développé un système aussi achevé que le nôtre dans ce domaine. C'est à coup sûr
le cas en Allemagne où on se plaint amèrement de ne pas avoir l'INPI, et c'est à coup sûr le cas
en Angleterre où on n'est pas encore arrivé à véritablement corréler la Common law avec les
obligations de publicité légale.
Même si nous disposons d'un système évolué, il me semble qu'il ne faudrait pas manquer
l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui de réfléchir et d'aller plus loin que ce qui a été fait
jusqu'à maintenant.
Je voudrais vous dire, M. le Professeur Sayag, qu'il y a un seul point sur lequel je ne vous
suis pas entièrement. Dans votre introduction vous avez déclaré que ce colloque n'a pas été
motivé par les contingences d'une actualité immédiate, comme la publication d'une loi ou la
survenance récente d'un autre événement ; je ne suis pas tout à fait d'accord avec vous : peutêtre en effet est-ce de la prémonition, mais je pense qu'il y a au moins deux événements légaux
qui justifieraient une reprise et, si possible, une amplification de la réflexion sur l'adaptation de
notre système de publicité légale ainsi que des moyens et supports qui l'assurent. C'est d'abord
la loi sur l'initiative et l'entreprise individuelle publiée le 13 février dernier, dans laquelle sont
posées en principe législatif l'unité de guichet et l'unité de document. Je sais que toutes les
précautions ont été prises par le législateur pour éviter d'effacer, d'un trait de plume, les
sécurités qu'offre notre longue pratique en matière de solidité de la publicité légale à laquelle il
a été fait allusion tout à l'heure. Néanmoins l'objectif est fixé.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Il y a un deuxième événement, mais je ne sais si je ne m'aventure pas là sur un terrain un
peu délicat : c'est le nouveau Code pénal. Je m'interroge sur ce que va être l'attitude de la CNIL
à l'égard des fichiers intéressant les entreprises et du traitement de l'information concernant les
personnes morales. Je ne sais pas s'il ne va pas y avoir comme une suppression de la frontière
qui existait jusqu'à ce jour entre les informations concernant la vie privée et celles concernant
les personnes morales.
Pour terminer, je dirai qu'il y a une troisième raison qui me paraît justifier cet effort auquel il
faut, je crois, que l'ensemble de la communauté participe, et de ce point de vue là, le travail du
CREDA, en associant l'Université à la réflexion de professionnels, en associant les entreprises
aux réflexions de leurs chambres consulaires, me paraît assez exemplaire. C'est tout
simplement le fait que nous ne devons pas être passifs face à l'évolution du droit
communautaire en ce domaine. Il me semble que notre rôle peut être tout à fait décisif. Je crois
que vous avons une voie moyenne à définir entre les tendances encore confuses et mal
définies d'un excès de normalisation ou à l'inverse d'un droit qui n'encadre pas la vie sociale
d'une manière suffisante. En matière de « pertes en lignes » du fonctionnement de la société, il
n'est pas sûr que l'insuffisance de définition « régalienne » des règles du jeu permette d'arriver
à une performance nettement meilleure car elle peut se traduire par un foisonnement
contractuel et procédurier qui globalement coûte très cher, sans grand profit pour la collectivité.
C'est pourquoi je formule le souhait que notre pays puisse offrir en cette matière de la publicité
légale un modèle transposable à l'Europe.
L’ORGANISATION DE L’INFORMATION, LÉGALE SUR LES
ENTREPRISES : LE POIDS DES CONTINGENCES
HISTORIQUES, L’IMPACT DES NOUVELLES TECHNIQUES
M. Jacques DRAGNE,
Conseiller à la Cour d'appel de Rouen, ancien Directeur général adjoint de l'INPI
1.- Pendant longtemps, l'information légale sur les entreprises a essentiellement été, pour
ces dernières, synonyme de contraintes et de frais. Des instruments en place (journaux
d'annonces légales, registre du commerce et des sociétés, autres bulletins, registres,
répertoires ou fichiers de publicité...), elles retenaient surtout les incontournables demandes
d'insertion et formalités déclaratives à effectuer – notamment à l'occasion de leur création,
modification ou cessation – ainsi que les émoluments ou redevances dont le versement était, et
demeure, l'accessoire obligé. Pour le surplus, rares étaient celles qui y avaient recours, du
moins de façon habituelle, pour s'informer sur la situation de leurs partenaires. Dans la
pratique, c'est essentiellement a posteriori, au moment du procès, que leur conseil s'avisait
parfois d'y chercher quelque providentiel secours. Et quelle aubaine, par exemple, pour le
fournisseur impayé d'un commerçant insolvable ou parti sans laisser d'adresse, que
d'apprendre :
– que le précédent exploitant du fonds a bien imprudemment négligé de requérir sa
radiation du registre du commerce ou, si le fonds était exploité en location gérance, que le
bailleur a omis ou tardé de publier la mise en gérance dans un journal d'annonces légales,
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
– qu'il peut de ce fait tenter, avec quelque chance de succès, de rechercher l'un ou l'autre,
selon le cas, aux lieu et place de son débiteur défaillant ( 20 ).
2.- Dans la période contemporaine – et en dépit d'une relative permanence des textes –
c'est une véritable révolution qui s'opère. L'intensification et l'accélération des échanges, qui
accentuent les besoins des opérateurs de la vie économique en informations fiables sur
l'identité et la situation de leurs partenaires, n'y sont sans doute pas étrangères. Mais, le
changement tient surtout aux techniques modernes qui ont permis à l'information légale sur les
entreprises d'allier fiabilité et rapidité, et de s'abstraire ainsi de l'approche par trop étroitement
juridique et formelle dont elle a longtemps procédé.
L'interrogation des banques de données INFOGREFFE, GREFTEL, INTERGREFFE,
EURIDILE, INPI-BILANS, ICIMARQUES, BODACC – accessibles en ligne, à tout instant, sans
déplacement, à partir de terminaux aussi simples et répandus que le Minitel – tend à devenir
l'acte réflexe des opérateurs de la vie économique, non pas seulement au stade du contentieux,
mais préalablement à toute décision ou action. Elle prend le pas sur les modes classiques
d'accès à l'information légale : dépouillement des publications ; demandes de copies, extraits
ou certificats ( 21 ).
Les chiffres, en progression exponentielle depuis quelques années, sont significatifs. On
citera pour 1993 : 1 million d’heures d'interrogation environ, pour l'ensemble des banques de
données d'informations légales sur les entreprises ; 300 millions de francs de chiffre d'affaires
environ pour le seul INFOGREFFE regroupant quelques 200 greffes ( 22 ).
3.- Hommage doit être évidemment rendu aux gestionnaires de l'information légale sur les
entreprises pour avoir su tirer très vite parti des potentialités de l'informatique et de la
télématique, et donner à l'information légale sa pleine signification ( 23 ), en même temps que
plus de légitimité aux effets de droit qui s'y attachent. Mais, force est de constater que, plus elle
s'insère dans la vie quotidienne des entreprises, plus l'information légale ainsi modernisée ne
peut manquer de déconcerter le non initié, confronté à une pluralité de systèmes officiels :
(20) L. n° 56-277 du 20 mars 1956 relative à la location gérance des fonds de commerce et des établissements
artisanaux : « Jusqu'à la publication du contrat de location gérance et pendant un délai de six mois à compter de cette
publication, le loueur du fonds est solidairement responsable avec le locataire-gérant des dettes contractées par celui-ci
à l'occasion de l'exploitation du fonds » (art. 8).
D. n° 84-406 du 30 mai 1984 relatif au registre du commerce et des sociétés : « sans préjudice de l'application de
l'article 8 de la loi du 20 mars 1956... le commerçant inscrit qui cède son fonds ou qui en concède l'exploitation,
notamment sous forme de location gérance ne peut opposer la cessation de son activité commerciale, pour se
soustraire aux actions en responsabilité dont il est l'objet du fait des obligations contractées par son successeur dans
l'exploitation du fonds, qu'à partir du jour où il a été opéré la radiation ou la mention correspondante » (art. 65).
(21) Au moins émanant de tiers, à l’exclusion des certificats, copies et extraits demandés par les assujettis euxmêmes à titre de pièces justificatives, ou qui leur sont systématiquement délivrés aux mêmes fins.
(22) Pour s’en tenir au accès en fonction « kiosque » (prix de la consultation automatiquement prélevé sur la facture
du téléphone), il sera notamment relevé que :
– les banques de données d’informations légales sur les entreprises avoisineraient les 2/3 du trafic total de l’indicatif
d’appel 36/29 (9 F par minute), soit par mois : 57 000 heures pour INFOGREFFE ; 11 000 heures pour GREFTEL ;
8 000 heures pour INPI-BILANS ; 2 000 heures pour ICIMARQUES (INFOTECTURE, n° 267/268 du 26 février 1993) ;
– le succès de la banque de données EURIDILE de l’INPI, accessible sur l’indicatif 36/17 (30 000 heures par mois
environ) ne se serait pas démenti malgré le changement de palier tarifaire porté de 2,19 F à 5,58 F la minute (Rapports
INPI : BASES, n° 81 et 93).
(23) Le contraste est saisissant avec d'autres secteurs de la publicité légale, telle la publicité foncière.
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Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
– alimentés à partir de formalités et cotisations obligatoires, proposant des informations qui
souvent se recouvrent, pour des prix sensiblement équivalents à ceux de l'industrie privée de
l'information commerçiale qui doit pourtant supporter de lourdes charges en matière de
collecte ;
– dont les gestionnaires respectifs semblent parfois se livrer, à grands renforts de
campagnes médiatiques (plus de 20 millions de francs pour deux d'entre eux en 1993), à une
concurrence derrière laquelle on croit deviner autant d'enjeux financiers que de volonté de
promouvoir un service public, même s'il est excessif d'y déceler – comme certains ( 24 ) – une
véritable « lutte de frères ennemis ».
4.- Ajoutées à celles plus juridiques évoquées en début de séance, ces considérations
justifient – pour reprendre les propos liminaires du Professeur Sayag – une « véritable réflexion
de synthèse » susceptible d'aider à transformer la matière « en un système rationnel et unitaire,
animé par une logique interne ». Que l'on se garde cependant de tout optimisme excessif. Le
système rationnel et unitaire ne semble pas pour demain. Ce serait compter sans le poids des
contingences historiques et des structures en place.
I. – Contingences historiques et nouvelles techniques : de lege lata...
5.- L'information légale sur les entreprises est une matière complexe. Ses facettes sont
multiples et variées. Tels qu'issus de l'évolution qui a marqué les huit dernières décennies, les
mécanismes qui en constituent le droit commun doivent être succinctement situés comme suit :
– un registre du commerce – devenu Registre du Commerce et des Sociétés – qui s'est par
certains côtés affirmé comme l'état civil officiel des entreprises et des sociétés, et l'instrument
normal de la publicité des faits et actes les concernant (A),
– mais un registre pour lequel on a peut être dès l'origine manqué d'ambition et qui, au sein
même de la publicité légale dans son acception classique, est loin d'avoir supprimé toutes
dispersions et redondances (B),
– un registre qui, dans la période contemporaine, a vu intégrer ses sources de mise à jour
dans un système administratif de collecte d'informations, dont on peut se demander s'il ne
constitue pas l'amorce d'un nouveau système de diffusion d'informations légales (C).
A) Le registre du commerce et des sociétés, état civil officiel des entreprises et
instrument normal de la publicité
6.- Le registre du commerce, devenu en 1978 registre du commerce et des sociétés, est
aujourd'hui régi par le décret n° 84-406 du 30 mai 1984. Il a été institué en France par la loi du
18 mars 1919. Déjà, à l'époque, il a été salué comme l'organe tant attendu « de centralisation
de toutes les informations éparses et de toutes les publicités diverses et confuses, sans lien
entre elles et le plus souvent sans efficacité réelle » ( 25 ). Indépendamment de fréquentes
retouches, il a fait l'objet de trois grandes réformes (1953/1958, 1967, 1984), dont la première a
été jugée suffisamment fondamentale pour entrainer une réimmatriculation générale. À
(24) Hervé Jannic, La guerre du renseignement : comment INFOGREFFE et l'INPI ont tiré parti d'un mononopole pour
révolutionner le marché des banques de données commerciales et financières : L'Expansion, 18/29 mars 1993.
(25) Bittard, Traité Pratique du registre du commerce, Paris, 1920, p 22.
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l'occasion de ces modifications successives, il n'a cessé de voir le champ de ses assujettis
s'élargir, son contenu s'enrichir et sa fiabilité s'accroitre.
1° Élargissement de son champ
7.- Conformément aux principes qui ont présidé à sa création, l'objet premier du registre est
toujours de recevoir l'immatriculation des personnes physiques et morales ayant la qualité de
commerçant ( 26 ). Déjà sous ce seul angle, par ricochet, son champ s'est élargi avec l'extension
des actes de commerce à la spéculation immobilière et à l'ensemble des entreprises de
location de meubles (1967), et l'extension de la commercialité par la forme à toutes les sociétés
en nom collectif et en commandite, dont rares il est vrai étaient celles à objet civil (1966).
Par touches successives commencées avec la réforme du droit des sociétés commerciales
(1966), poursuivies avec l'institution des groupements d'intérêt économique (1967) et achevées
avec la réforme des sociétés civiles (1978), il s'est vu assigner une seconde fonction : celle de
constituer – quels que soient leur objet et leur activité – l'état civil des sociétés et groupements
d'intérêt économique dotés de la personnalité morale, l'immatriculation au registre étant
désormais la condition de l'acquisition de cette dernière.
2° Enrichissement de son contenu
8.- Comme à l'origine, le registre garde également pour objet de refléter en permanence, en
principe sur leur déclaration, la situation personnelle des assujettis, ainsi que celle de leurs
établissements. Mais, le nombre des renseignements sujets à mention s'est sensiblement
accru. Surtout, depuis 1967, c'est en annexe du registre que les sociétés doivent procéder au
dépôt des actes et pièces les concernant. Ces actes et pièces, longtemps restés d'ordre
essentiellement juridique (statuts, actes modificatifs), s'étendent désormais pour les sociétés
par actions et les société à responsabilité limitée à leurs comptes annuels ( 27 ).
3° Accroissement de sa fiabilité
9.- Initialement, aucun contrôle ou presque des renseignements portés au registre n'avait
été organisée. Aucun effet de droit ne s'y attachait. Seules étaient prévues des sanctions
pénales, rarement appliquées, en cas d'omission ou de fausse déclaration.
À compter de 1953, les inscriptions ont été subordonnées à la production de pièces
justificatives. Surtout, des effets juridiques – cadrant bien avec le besoin de sécurité des tiers –
ont été institués et sans cesse renforcés :
– présomption légale de la qualité de commerçant attachée à l'immatriculation des
personnes physiques, présomption simple tout d'abord (1953), pouvant être seulement
combattue par les tiers ensuite (1984) ;
(26) Il a constitué une véritable révolution pour les commerçants, personnes physiques. En effet, il n'existait sur eux
aucune publicité d'ensemble. Seules étaient prévues des publicités fragmentataires (autorisation du mineur ; contrats de
mariage ; faillite). S'agissant en revanche des société, une publicité existait depuis 1673. Le Code de commerce de
1807 avait organisé le dépôt de leurs actes constitutifs et modificatifs.
(27) C'est à pas moins de 2 millions que se situe le nombre des formalités effectuées chaque années au registre,
dont 500 000 dépôts de comptes.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
– attribution de la personnalité morale aux sociétés commerciales nouvellement créées
(1966), aux groupements d'intérêt économique (1967), puis à toutes les sociétés, qu'elles
soient civiles ou commerciales (1978) ;
– inopposabilité aux tiers, en cas d'omission de la formalité correspondante, de certains
faits et actes sujets à mention (1953), puis de tous ceux dont la mention est prescrite (1967).
B) Les limites du registre, au sein des systèmes de publicité légale
10.- Facteur certain de rationalisation, le Registre n'a cependant pas été sans limites.
1° Première limite
11.- Indépendamment de sa répartition géographique entre les différents greffes, le registre
lui-même n'est pas unique. Au registre ouvert par le greffier pour le ressort de sa juridiction, se
superpose depuis l'origine un registre central – devenu « national » en 1967 – tenu par l'Institut
national de la propriété industrielle, établissement public à caractère administratif, et
centralisant un second exemplaire des inscriptions et dépôts d'actes effectués dans les greffes.
Largement liée à des contingences historiques – comme l'institution du registre lui-même ( 28 ) –
l'existence du registre national ( 29 ) a initialement paru s'imposer pour éviter aux consultants
d'avoir dans certains cas à disperser leurs recherches sur un trop grand nombre de registres
locaux.
Mais, cette justification tend à s'estomper au fur et à mesure que greffes et INPI, chacun
séparément, avancent dans leur programme de constitution de banques de données englobant
progressivement l'ensemble de leurs informations, et les rendent accessibles par voie
télématique. Ce qui avait été initialement conçu en termes de complémentarité, devient
redondance et concurrence. Greffes comme INPI sollicitent désormais la « clientèle » à
domicile, bouleversant le partage du marché qui s'était naturellement opéré entre eux au cours
des ans. Accessibles à partir de numéros d'appel unique (sauf encore quelques exceptions),
les systèmes des greffes produisent des effets de registre national. À peine est-il besoin de dire
(28) L'institution en France du registre du commerce, par la loi du 18 mars 1919, a été relativement tardive si l'on
considère l'exemple des pays étrangers de droit latin ou germanique. Elle se heurtait à l'hostilité de certains qui y
voyaient un risque d'atteinte au secret des affaires, voire d'inquisition fiscale. Il ne fait pas de doute qu'elle aurait été
encore différée si, en l'absence de tout état civil des entreprises, la première guerre mondiale qui venait de s'achever
n'avait mis en évidence l'impossibilité d'identifier les entreprises allemandes pour les placer sous sequestre, et si les
provinces d'Alsace et de Moselle recouvrées après cinquante années d'administration allemande n'avaient donné
l'exemple d'un instrument fonctionnant de façon satisfaisante.
(29) À l'origine, les travaux tendant à l'institution d'un registre du commerce se sont confondus avec ceux portant sur
l'introduction en France de la transmissibilité et de la perpétuité de la firme, que connaissait le droit allemand et qui
permettait à un commerçant de signer sous le nom de son prédécesseur. Dans cette perspective, il avait été envisagé
l'institution à Paris d'un « registre central des raisons de commerce » ouvert à l'Office de la propriété industrielle. La
conception du registre ayant évolué, il est apparu plus pratique et conforme aux traditions en matière d'organisation
commerciale de faire assurer sa tenue localement. Toutefois, l'idée d'un registre central a été conservée. Dans un
premier temps, il s'est borné à centraliser un simple extrait des inscriptions portées dans les greffes. Puis, à l'occasion
d'une réforme, il s'est étendu à un deuxième exemplaire.
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Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
que toute éventuelle remise en cause de cette dualité suppose de délicats arbitrages, excédant
largement le cadre de simples questions d'ordre juridique ( 30 ).
2° Deuxième limite
12.- Même pour les renseignements qui y figurent, le Registre n'est jamais parvenu à être
l'unique instrument de publicité légale. Lors de sa création en 1919, le législateur a laissé
inchangée l'obligation pour les sociétés de faire insérer, dans un journal habilité à recevoir les
annonces légales, un avis afférent à leur création, modification, cessation. Cette obligation,
étendue en 1978 aux sociétés civiles, porte sur leurs éléments d'identification et leurs
principales caractéristiques appelés à être repris au registre. Mais de plus, a été créé en 1947
un « Bulletin officiel du registre du commerce » – devenu en 1967 « Bulletin officiel des
annonces civiles et commerciales » (BODACC) – dans lequel doit être publié à l'initiative du
greffier un extrait des principales inscriptions portées au registre du commerce.
Pour une large plage de renseignements (éléments d'identification, principales
caractéristiques juridiques notamment) c'est donc une cascade de trois systèmes de diffusion
de l'information légale que l'on peut déjà recenser pour les commerçants (Greffes + INPI +
BODACC), quatre pour les sociétés (Journaux d'annonces légales + Greffe + INPI + BODACC).
Sans doute, à l'origine, cette superposition n'était-elle pas dépourvue de toute logique : publicité
portable (presse) venant accroitre l'efficacité de la publicité quérable (registres) ; publicité
nationale palliant les inconvénients de la dispersion des publicités locales. Mais, ici toujours, la
technique des banques de données accessibles en ligne transforme en redondances et
concurrence, ce qui ne devait être que complémentarité :
– Greffe et INPI ne se bornent plus à donner accès à leur registre pour prendre la
« photographie » d'une entreprise à un instant donné ; leurs prestations s'étendent au suivi de
l'actualité, fonction initialement dévolue aux journaux et bulletins ;
– le BODACC-Télématique, lui-même, remplit certaines fonctions de registre en facilitant le
regroupement de toutes les annonces sur une même entreprise.
Et, ici encore, toute éventuelle remise en cause des systèmes en place ne peut être
envisagée sans de délicats arbitrages ( 31 ).
13.- Il serait erroné de penser que cette situation n'est en définitive que la simple
manifestation d'une saine émulation, ne devant laisser subsister que le système qui s'affirmera
comme le meilleur. En effet, ce serait perdre de vue que chacun des systèmes en place puise
(30) Les greffiers chargés de la tenue du registre sont en principe des officiers ministériels titulaires de charge. La
diffusion du registre entre pour une part non négligeable dans les produits qu'ils peuvent légitimement escompter, en
contrepartie des sujétions qui sont les leurs.
En vertu de ses textes constitutifs, l'INPI doit équilibrer ses dépenses par les seules recettes provenant de ses
activités (art. L. 411-2 du Code de la propriété intellectuelle). En outre, l'internationalisation des procédures de
délivrance et d'enregistrement des titres de propriété industrielle (brevet européen, et aujourd'hui marque
communautaire) lui a fait perdre une partie de son champ traditionnel d'action et l'a conduit à redéployer ses activités
vers la diffusion des informations légales, notamment sur les entreprises.
(31) Il est bien connu que les redevances percues au titre des annonces au BODACC participent à l'équilibre de
l'ensemble des Journaux officiels et que les annonces légales sont la condition de survie d'un bon nombre de
publications locales.
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Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
sa source dans des formalités obligatoires et payantes. Ce serait surtout oublier une troisième
limite du registre qui – malgré son large champ – n'a jamais été exhaustif.
En effet, les informations qui y figurent doivent souvent être complétées ou recoupées avec
d'autres, publiées par ailleurs. Or – circonstance renforçant la position des intéressés – ces
publicités se répartissent entre les quatre grands intervenants précédemment évoqués :
– Greffe du tribunal de commerce, pour les opérations telles que nantissements et
privilèges sur fonds de commerce, privilège du Trésor, privilège de la Sécurité sociale, protêts,
opérations de crédit bail...
– INPI, pour les titres de propriété industrielle (brevets, marques, dessins et modèles), avec
la possibilité de reconstituer indirectement l'état civil des principales entreprises étrangères
jouant un rôle sur le territoire français sans y disposer d'établissement ;
– Journaux d'annonces légales et/ou BODACC pour tout ce qui a trait aux locations
gérances de fonds de commerce, ventes et cessions de fonds de commerce, exhaustivité des
procédures collectives.
C) Le registre et les systemes administratifs de collecte et de diffusion de
l'information sur les entreprises
14.- Autant sinon plus que les opérateurs privés de la vie économique, les administrations
sont grandes consommatrices d'informations sur les entreprises. On aurait pu concevoir qu'au
moins pour les renseignements qui y figurent, le registre – comme d'ailleurs les autres
instruments de publicité légale – soit devenu une de leurs sources privilégiées de
renseignements ( 32 ) .Dès l'origine, c'est une autre voie qui a été retenue. Chaque
administration a développé son propre système de collecte, quitte à assujettir les entreprises à
une pluralité de déclarations au contenu largement redondant : déclaration d'existence auprès
de l'administration fiscale, demande d'affiliation à l'URSSAF, demande d'identification à
l'INSEE... pour s'en tenir aux plus connues.
Plus récemment, ont été mis en place les centres de formalités des entreprises devant leur
permettre de « souscrire en un même lieu et sur un même document les déclarations
auxquelles elles sont tenues par les lois et règlements dans les domaines juridique,
admnistratif, social, fiscal et statistique afférentes à leur création, à la modification de leur
situation et à la cessation de leur activité » (art. 2 du décret du 18 mars 1981). Le système
englobe, sinon toutes les formalités de publicité légale, du moins les principales déclarations
prescrites en matière de Registre du commerce et des sociétés.
15.- Sans doute, ces centres ne sont-ils officiellement conçus que comme de simples lieux
de passage des déclarations, et leur est-il interdit d'en divulguer le contenu à des tiers. On ne
peut pas moins se demander, surtout depuis que leur intermédiaire est devenu obligatoire ( 33 ) –
s'il n'y a pas lieu d'y voir l'amorce de nouveaux systèmes de diffusion d'informations légales sur
les entreprises.
(32) Justifiant ainsi le soin apporté à préciser que tout fait ou acte dont la mention a été omise est inopposable non
seulement aux tiers, mais également aux « administrations publiques ».
(33) D. n° 84-405 du 30 mai 1984 modifiant le décret précité n° 81-257 du 18 mars 1981.
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La question se pose en premier lieu en ce qui concerne les entreprises commerciales (les
plus nombreuses), pour lesquelles ce sont les chambres de commerce et d'industrie – et non
pas les greffes des tribunaux de commerce, comme ils y aspiraient – qui ont été constituées en
centres de formalités. Celles-ci géraient depuis longtemps des « fichiers consulaires » ayant
pour objet de recenser leurs ressortissants ( 34 ). Elles s'efforcent aujourd'hui de les rentabiliser
en assurant la commercialisation de leur contenu, notamment par voie télématique.
Les CCI comprennent mal l'interdiction qui leur est faite de pourvoir à leur mise à jour à
partir des renseignements collectés dans les centres de formalités, au moins pour ceux appelés
à être portés au registre et à donner lieu en conséquence à une exploitation intensive de la part
notamment des greffes, de l'INPI et du BODACC. Il n'est pas certain que l'on puisse longtemps
encore leur imposer de maintenir un strict cloisonnement entre leurs fonctions « centre de
formalités » et « fichiers consulaires », qu'elles confient d'ailleurs souvent au même service.
16.- La question se pose en second lieu, pour l'ensemble des entreprises, du fait de
l'exploitation par l'INSEE des renseignements collectés à partir des centres de formalités, et qui
permettent désormais une mise à jour satisfaisante de son fichier SIRENE (Système
informatique pour le répertoire des entreprises et des établissements) créé par le décret du
14 mars 1973.
Dès l'origine, l'INSEE s'était vu accorder l'autorisation d'ouvrir partiellement ce fichier à la
consulation du public. Toutefois, cette autorisation était essentiellement destinée à servir de
base légale à une activité, alors conçue comme simplement accessoire, de commercialisation
de listes d'entreprises, notamment aux fins de publipostage. Désormais, le fichier SIRENE est
accessible en ligne par voie télématique. Il s'affirme comme un moyen de plus – à l'instar
notamment du Registre du commerce et des sociétés – d'identifier une entreprise et d'obtenir
sur elle des premiers renseignements. Sans doute ceux-ci restent-ils encore limités aux
éléments d'identification de l'entreprise et de ses établissements. Mais le fichier SIRENE
présente, sur le Registre, l'avantage de couvrir l'ensemble des personnes physiques et morales
ayant une activité économique non salariée, ce qui correspond mieux aux besoins modernes de
la vie des affaires. Il tend à ce titre à devenir la référence de nombre d'entreprises, notamment
du secteur bancaire. Sa mise en ligne – pourtant relativement récente – s'est déjà traduite par
environ 200 000 heures d'interrogation pour la seule année 1993. Les recettes
correspondantes, ajoutées à celles issues des cessions de fichiers sur support informatique,
commencent d'ailleurs à entrer pour une part non négligeable dans l'équilibre financier de
l'INSEE.
II. – Contingences historiques et nouvelles techniques : de lege ferenda...
17.- Journaux d'annonces légales, Greffes, INPI, Journaux officiels, – auxquels il faut
désormais ajouter au moins l'INSEE – correspondent à autant de situations établies et qu'il
serait illusoire de prétendre supprimer d'un trait de plume. Il faut donc bien s'y résigner : le
(34) Les fichiers consulaires ne sont soumis à aucune règlementation précise. Tout au plus leur existence est-elle
indirectement consacrée par le décret du 28 septembre 1938 portant organisation des chambres régionales de
commerce et d'industrie. Définissant les mission de ces chambres régionales, le décret dispose en son article 6 que
« dans leur circonspection, elles doivent assurer, en liaison avec le service de l'Institu national de la statistique et des
études économiques, soit l'établissement et la mise à jour d'un fichier des entreprises industrielles et commerciales, soit
la coordination des fichiers des chambres de commerce en vue d'en permettre l'exploitation sur le plan régional ».
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système rationnel et unitaire, animé par une logique interne – tout à l'heure évoqué – n'est pas
pour demain.
Pour autant, rien ne justifierait que soit différé l'engagement de l'effort de remise en ordre
qu'appelle la matière, et de réorientation des systèmes d'informations légales sur les
entreprises, actuellement en place, vers plus de cohérence et de conformité à leur mission de
service public. Prétendre dresser, sur le champ, un inventaire complet et précis des mesures à
adopter à cet effet serait sans doute bien présomptueux, voire périlleux compte tenu des
intérêts en présence. On ne peut pas moins formuler quelques observations sur ce qui pourrait
être trois grands axes d'action :
– l'application des nouvelles techniques, qui ont fait leurs preuves en matière de diffusion, à
l'allègement et à la simplification des formalités incombant aux assujettis (A) ;
– une meilleure prise en compte des mutations liées aux nouvelles techniques, pour
l'équilibre à maintenir entre les intérêts contradictoires des assujettis et des bénéficiaires de
l'information légale (B) ;
– une meilleure prise en compte de ces mêmes mutations pour le maintien d'une
coexistence harmonieuse entre les systèmes d'information légale et l'industrie privée de
l'information, notamment commerciale et financière (C).
A) Allégement et simplification des formalités
18.- Les larges facilités qui caractérisent désormais l'accès à l'information légale sur les
entreprises, ne sont pas réservées aux opérateurs privés de la vie économique. Elles sont
également ouvertes aux nombreuses administrations et services publics avec lesquels les
entreprises, au moins lorsqu'elles dépassent un certain seuil, sont presque quotidiennement en
relation.
Les conditions matérielles semblent aujourd'hui réunies pour qu'une entreprise ayant
sacrifié à ses obligations en matière d'informations légales puisse légitimement prétendre ne
plus être sollicitée pour délivrer les mêmes renseignements, notamment à l'occasion des
fastidieuses enquêtes obligatoires qui sont régulièrement organisées. On peut regretter sur ce
point qu'ait disparu, dès avant le dépôt du projet dont est issue la loi du 11 février 1994 relative
à l'initiative individuelle (dite Loi Madelin), la disposition selon laquelle : « Aucune entreprise ne
peut être tenue de communiquer à une même administration [...] des renseignements qu'elle lui
a déjà déclarés [...] mentionnés au registre du commerce et des sociétés ou dans d'autres
fichiers, registres ou répertoires publics présentant des garanties équivalentes [...] qui peuvent
être déduits des renseignements ainsi déclarés ou mentionnés » ( 35 ). Sans doute une telle
disposition pourrait-elle être utilement reprise, quitte à l'assortir de modalités d'application,
notamment dans le temps, afin de permettre aux administrations de réorienter leurs circuits.
19.- Mais il serait également souhaitable que l'EDI – sigle aujourd'hui consacré pour
désigner les échanges de données Informatisées – puisse rapidement se développer pour tout
ce qui concerne l'exécution par les entreprises des formalités qui leur incombent. Des obstacles
juridiques pouvaient jusqu'ici paraître s'y opposer. L'article 4 de la loi précitée est venu, s'il en
était besoin, lever sur ce point toute incertitude.
(35) V. Administration sans papier : l'ambitieux projet de loi Madelin sur la ligne de départ : Le Monde Informatique,
octobre 1993.
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En effet, le principe est désormais posé que, dans les rapports avec les organismes
chargés de la tenue d'un registre de publicité légale, y compris les greffes, « toute déclaration
d'une entreprise [...] peut être faite par voie électronique, dans des conditions fixées par voie
contractuelle [... et que] la réception d'un message transmis conformément aux dispositions du
présent article tient lieu de la production d'une déclaration écrite ayant le même objet ». Sans
doute, au cours des débats devant le Parlement, ce principe a-t-il été tempéré par une
exception de taille. Un alinéa nouveau a précisé que ces dispositions « ne sont pas applicables
aux déclarations relatives à la création de l'entreprise, à la modification de sa situation ou à la
cessation de son activité ».
Mais cette exception, en premier lieu, ne devrait pas faire obstacle au développement de
l'EDI pour les autres formalités de publicité légale, à commencer par celles portant sur des
données qui, chez le déclarant ou son mandataire, se trouvent déjà généralement sur support
informatique : comptes annuels des sociétés, protêts et privilèges par exemple. Même en
matière de création, modification et cessation d'entreprise, elle ne devrait pas faire obstacle au
développement des échanges de données informatisées entre les centres de formalités des
entreprises, les greffes, l'INPI et le BODACC, évitant les saisies en cascade, avec les frais et
risques d'erreurs qu'elles engendrent.
20.- La nécessité d'encourager de tels transferts, de même que de tenir compte de
l'évolution des systèmes d'informations légales, devrait d'ailleurs conduire à une
reconsidération de la cascade de prélèvements de droits et redevances, auxquelles donnent
lieu les formalités ( 36 ). Il est à cet égard paradoxal de constater que la simplification affichée
avec les centres de formalités des entreprises, s'est en réalité traduite – du moins pour les
entreprises commerciales – par la perception d'une nouvelle redevance, échappant de surcroit
à toute tarification précise ( 37 ).
Devraient être notamment envisagés :
– une meilleure prise en compte, pour la fixation du montant des droits et redevances
autorisés, des produits nouveaux que les gestionnaires des instruments de diffusion de
l'information légale sur les entreprises tirent désormais de leur exploitation intensive ;
– une modulation de ce même montant selon que l'assujetti a ou non recours à l'EDI, et par
là même évite ou non des frais de saisie ;
– un ajustement plus rationnel desdits montants au strict nécessaire pour le fonctionnement
des instruments en place, à l'exclusion de tout financement de structures ou d'opérations qui
leur sont étrangères.
(36) Justice doit être rendue aux greffiers des tribunaux de commerce parfois perçus, par les non initiés, comme se
taillant la part du lion. En réalité, les sommes qu'ils perçoivent en matière de registre du commerce et des sociétés
incluent celles destinées aux Journaux officiels (qui correspondent à plus de la moitié du total) et à l'INPI.
(37) On sait en effet qu'après avoir obtenu que les centres de formalités soient érigés en intermédiaire obligatoire, les
chambres de commerce et d'industrie ont décidé de subordonner leurs prestations à paiement.
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B) Information légale et intérêts des parties en présence
21.- Les textes en vigueur décrivent généralement de façon précise les conditions de
collecte et de diffusion des informations légales. Cependant, ceux-ci ont été essentiellement
conçus dans la perspective de procédures « papier » ( 38 ).
Il n'est pas excessif d'affirmer que c'est largement en marge de ces textes qu'ont été
constituées les banques de données précédemment décrites, même s'il est vrai qu'elles ont
chaque fois été autorisées par un acte administratif en précisant le contenu et les conditions
d'accès. Ces actes, en effet, semblent avoir été surtout établis en considération des
prescriptions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, qui
se limite aux traitements des données nominatives intéressant les personnes physiques. Or,
quelle que soit son importance, cette loi ne recouvre pas toutes les garanties que les assujettis
et les tiers doivent pouvoir attendre des systèmes de diffusion de l'information légale sur les
entreprises.
22.- À cet égard, le développement des nouvelles techniques et l'intensification de la
diffusion qui en résulte, imposent – beaucoup plus qu'avant – de veiller à une parfaite égalité
des assujettis devant la divulgation des faits et actes les concernant :
– Égalité sur l'étendue du territoire, tout d'abord. Se pose ici le problème des distorsions
pouvant résulter du niveau inégal d'informatisation des intervenants (retard des greffes des
tribunaux de grande instance à compétence commerciale par rapport aux greffes des tribunaux
de commerce, par exemple) ; il appelle surtout des mesures d'ordre matériel.
– Égalité dans le temps, ensuite, avec le problème des décalages variables dans la mise à
jour des systèmes locaux et nationaux diffusant une même plage d'informations ( 39 ) ; pourrait
être sur ce point utilement consacré le principe d'une mise à jour simultanée de l'ensemble de
ces fichiers, solution que les techniques modernes rendent aujourd'hui matériellement possible.
Une telle consécration viendrait d'ailleurs tempérer, pour les tiers, les inconvénients résultant
de la pluralité des systèmes en place et des risques de confusion qu'ils sont susceptibles
d'engendrer sur les renseignements diffusés.
23.- Mais le développement des nouvelles techniques donne également une toute autre
dimension au problème de l'équilibre à établir entre la transparence minimale voulue par le
législateur dans la vie des affaires, et la légitime aspiration des assujettis à ne pas voir
divulguer leur situation au-delà du nécessaire. Sur ce point, la détermination des critères de tris,
recherches et comparaisons proposés aux consultants (tris par noms de dirigeants ; tris selon
certains postes pré-sélectionnés des comptes et bilans des sociétés, par exemple) gagnerait à
être mieux encadrée.
Le décret du 31 mai 1984 relatif au registre du commerce et des sociétés, avait semble-t-il
entendu s'engager dans cette voie en précisant que les demandes de renseignements portant
sur un ensemble de dossiers doivent « correspondre aux critères de recherches définis par
(38) À noter cependant que l’arrêté du 9 février 1988 pris en application du décret du 30 mai 1984 a prévu, mais sans
autre précision, que les copies du registre du commerce et des sociétés peuvent être délivrées « sur support papier ou
sur écran visuel ».
(39) Greffes, INPI, BODACC et SIRENE pour les renseignements d'identification ; Greffe et INPI pour les
renseignements financiers.
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arrêté » (art. 67). Mais l'arrêté pris pour son application a changé quelque peu d'optique. En fait
de définition des critères, il se borne à exclure certains d'entre eux (cf. art. 31 de l'arrêté du
9 février 1988) et semble, pour le surplus, laisser le champ libre aux gestionnaires du registre.
La solution n'est sans doute pas satisfaisante, compte tenu des risques de dérapages qu'elle
comporte. Il va de soi en effet que l'utilisation des extraordinaires potentialités qu'offrent
l'informatique et la télématique doit ici dépendre de la finalité de l'information légale, et non de
la demande solvable du marché.
C) Information légale et industrie privée de l'information
24.- En facilitant l'accès à l'information légale sur les entreprises, les techniques modernes
ont à coup sûr supprimé certains débouchés pour les professionnels et entreprises spécialisées
qui servaient jusqu'alors d'intermédiaires. À elle seule, cette circonstance ne saurait justifier un
rejet du processus de modernisation qui a été engagé, et qui peut permettre à l'information
légale sur les entreprises de remplir plus pleinement sa mission. Ce n'est pas moins un motif
supplémentaire de veiller à éviter :
– tout empiètement injustifié sur l'industrie privée de l'information, notamment commerciale
et financière, domaine stratégique dans lequel doivent pouvoir émerger et se développer des
entreprises francaises à même de se mesurer aux grands groupes qui dominent aujourd'hui un
marché de plus en plus international ;
– tout manquement aux règles de la concurrence (L. du 29 janvier 1993, relative à la
prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures
publiques, art. 38 ; ord. du 1er décembre 1986, art. 7, 8, 36 ; Traité de Rome, art. 85, 86, 90 et
92).
Ces prescriptions ont d'ailleurs été récemment rappelées par une circulaire du Premier
ministre du 14 février 1994 relative à la commercialisation des données publiques, dont il est
cependant difficile de tirer des conséquences précises dans notre matière, eu égard notamment
à sa spécificité et à l'extrême variété du statut des différents intervenants.
25.- D'une manière générale, un principe est unanimement admis : les divers intervenants
sont tenus d'une obligation de neutralité. Ils doivent se limiter à la diffusion d'informations brutes
et se garder de toute appréciation, analyse, diagnostic, conseils..., autant de prestations qui ne
peuvent qu'être laissées à l'initiative et à la responsabilité des opérateurs privés.
Mais déjà, dans son application, ce principe n'est pas exempt de difficultés. En effet, le
choix des critères de tri, recherche et comparaisons, offerts aux consultants, peut implicitement
se rapprocher de telles prestations, en suggérant plus ou moins directement certaines
conclusions ou jugements de valeur. Surtout, il est loin de rendre compte de toutes les
incertitudes auxquelles les gestionnaires des instruments de diffusion de l'information légale
peuvent se trouver confrontés, en ce qui concerne la détermination des limites, à ne pas
dépasser, entre le domaine qui est le leur et à l'intérieur duquel leur dynamisme doit continuer à
se développer, et celui qui doit continuer à ressortir à l'initiative privée. En sont une illustration,
les interrogations qu'a récemment suscitées l'initiative, prise par certains d'entre eux, de
compléter leurs prestations en offrant l'accès à des fichiers d'entreprises étrangères, parfois
éloignés du concept d'information légale. Nul doute qu'ici encore, la matière gagnerait à être
clarifiée et les textes à être adaptés pour mieux tenir compte de l'impact des nouvelles
techniques.
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26.- Les risques de conflits entre dispositifs officiels de diffusion de l'information légale et
industrie privée seraient d'ailleurs tempérés si la faculté était plus largement offerte à cette
dernière d'obtenir copie des fichiers de base sur support informatique, au moins chaque fois
qu'elle n'entend pas se borner à une rediffusion brute mais souhaite mettre au point des
produits informationnels plus élaborés. De tels transferts de fichiers commencent à se
pratiquer. Mais, les conditions gagneraient à être mieux connues et mieux définies, l'importance
des produits financiers susceptibles d'en être tirés ne devant pas constituer le seul critère
d’appréciation.
Dans une version initiale, le projet à l'origine de la loi précitée du 11 février 1994 relative à
l'initiative individuelle, s'efforçait d'apporter un début de réponse à ce problème. Il tendait à
systématiser, au moins en ce qui concerne les fichiers de publicité légale intéressant les
entreprises, la faculté pour les opérateurs privés « d'obtenir copie sur support informatique des
données déjà enregistrées sur un tel support ». Indépendamment du respect des prescriptions
en vigueur en matière d'informatique et de libertés, ainsi que du respect des droits de propriété
littéraire et artistique, il y était prévu que les gestionnaires de ces fichiers pourraient seulement
subordonner une demande de copie :
« a) lorsqu'elle serait requise aux fins de rediffusion, à la nécessité pour cette dernière de
répondre à des besoins autres que ceux déjà satisfaits par les instrument de publicité légale en
place ;
b) dans tous les cas, au paiement d'une redevance correspondant aux frais de mise à
disposition ».
Cette disposition n'a pas été reprise dans le projet que le Gouvernement a finalement
adopté. Sans doute appelait-elle une réflexion complémentaire, tant sur le fond que dans sa
formulation. Le problème n'en reste pas moins d'actualité. En effet, la proposition de directive
du Conseil des Communautés européennes du 29 janvier 1992 relative à la protection juridique
des bases de données prévoit l'obligation, pour les législations nationales, de soumettre les
données publiques à licences obligatoires.
Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs, après les brillantes interventions qui ont
marqué la première partie de cette séance, j'ai conscience d'avoir quelque peu abaissé le
niveau du débat en quittant les hauteurs de la science juridique pour m'attarder sur des
considérations beaucoup moins exhaltantes.
J'ai conscience d'avoir à cette occasion bousculé certains schémas ou échelles de valeurs
classiques, en mélageant parfois publicité légale et simples fichiers administratifs, problèmes
juridiques et questions accessoires d'ordre bassement matériel...
Mais, les réalités évoquées participent pour une large part à la complexité de notre matière.
Leur connaissance est un préalable indispensable à toute esquisse de réforme. Elles ne
pouvaient donc être passées sous silence, surtout dans une manifestation organisé par le
CREDA dont tout le monde connait le soin avec lequel il veille à ne jamais laisser ses travaux
rester au stade des simples spéculations intellectuelles.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
L'INFORMATION LÉGALE FINANCIÈRE : PERSPECTIVES
FRANÇAISES DANS UN CONTEXTE INTERNATIONAL
Table ronde animée par M. le Professeur Alain Sayag
M. le Professeur Alain SAYAG.– Je voudrais simplement attirer l'attention des participants
sur le fait que la publicité légale financière fait partie intégrante de notre programme.
Néanmoins, quoique sujet de toute première importance, elle ne doit pas se confondre avec
l'information financière plus globale que les entreprises diffusent auprès des épargnants en
franchissant les limites rigoureuses que leur impose le législateur. Il n'en reste pas moins que,
même dans le cadre de la loi, l'importance de la publicité légale financière a été marquée par
les interventions précédentes. Ainsi, à plusieurs reprises, la question, ô combien importante, du
dépôt au Greffe des comptes annuels et de leur diffusion a été mentionnée. Cette question a
d'ailleurs été évoquée non seulement pour la publicité quérable au registre du commerce, mais
même pour la publicité portable dans les différents organes de presse, journal d'annonces
légales et BALO.
Selon un ordre quelque peu arbitraire, je vais donner la parole, pour commencer, aux
producteurs d'informations : ceux qui ont la charge de diffuser, dans le public, les informations
qui font l'objet de la publicité légale. Et, tout d'abord, je vais m'adresser à M. de La Martinière,
en sa qualité de Directeur général d'un grand groupe comprenant de nombreuses filiales. M. le
Directeur général, comment voyez-vous l'état actuel de la réglementation mais aussi de la
pratique de la diffusion des informations que vous êtes obligé de fournir ?
M. Gérard de La MARTINIÈRE, Inspecteur général des finances, Directeur général
d'AXA.– Je dirai d'abord que la première préoccupation que nous pouvons avoir – et qu'on m'en
excuse à l'avance – n'est pas vraiment celle de la légalité. Je ne vais pas dire que l'on se
précipite pour patauger dans l'illégalité, mais quand on réfléchit au devoir de l'entreprise vis-àvis de son environnement, la première des questions que nous nous posons est la suivante :
quelle est la diffusion des informations qui va servir les besoins et les objectifs de l'entreprise ?
Ensuite, nous allons essayer de bâtir une organisation de l'information, c'est-à-dire une
gestion, des procédures de collecte et de traitement de l'information pour lesquelles nous nous
efforcerons de veiller, à la fois au niveau central et au niveau des entités, à ce qu'elles
rencontrent les obligations réglementaires minimales. Mais c'est plutôt dans le sens d'une
vérification que dans le sens d'une construction à partir des obligations réglementaires que
nous allons essayer de poser notre stratégie de l'information.
Ensuite, se pose toute une série de questions qui peuvent simplement être répertoriées
sous les rubriques suivantes : Quelle information ? Pour qui ? Où ? Quand ? Comment ? À quel
niveau ? La litanie habituelle... Là, assez rapidement, on va rencontrer des problèmes ou des
questions qui ne recoupent pas forcément les catégories de la publicité légale.
I. – Tout d'abord : quelle information ? Pour simplifier, on sait qu'il y a deux grandes
catégories d'information qui sont, d'une part, les chiffres et, d'autre part, des lettres.
Sur les chiffres, c'est relativement simple en première apparence. Il s'agit de s'organiser
pour présenter et diffuser les éléments représentatifs de l'activité des entreprises, c'est-à-dire
les comptes tels qu'ils ont été élaborés en obéissant à un certain nombre de règles, de
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
principes, et sous un certain nombre de contrôles. Cela étant, même dans ce domaine des
chiffres, nous disposons en fait d'une assez grande latitude, notamment parce que les principes
ont besoin de s'adapter à la réalité et parce que leur application nécessite des explications.
C'est à ce stade que l'on rencontre une série de difficultés pratiques sur la nature et le contenu
des explications à fournir, sur le mode d'élaboration des chiffres, et c'est ce sur quoi un grand
progrès a été accompli récemment avec la mise en œuvre de l'annexe aux comptes.
Il y a une deuxième catégorie de chiffres qui ne sont pas le produit direct du décoffrage de
la fabrication des comptes et qui sont tous les retraitements de nature à éclairer
l'environnement de l'entreprise. Je pense en particulier à la façon qu'ont les financiers
d'appréhender, au travers des chiffres de la comptabilité – et je dirais malgré les conventions de
la comptabilité –, la réalité de l'entreprise. La démarche est ici un peu plus délicate, car dès lors
que l'on va au-delà de ce qui est standardisé, on intègre forcément un peu de valeur ajoutée et
d'innovation. Or il convient de ne pas aller trop loin dans le décorticage, et dans la façon de
mâcher le travail aux observateurs qui auront à porter des jugements sur l'entreprise et sur
l'intérêt d'y investir.
L'autre volet concerne les faits. Quels sont les faits qui doivent faire l'objet d'une
révélation ? Comment faut-il les présenter ? Comment faut-il les décrire ? Comment faut-il les
qualifier ? L'exercice est d'importance pour les grandes entreprises cotées, car ce qui intéresse
au premier chef les marchés qui sont nos premiers et exigeants consommateurs d'information,
ce sont les incidences chiffrées potentielles des faits que l'on décrit. Or, il y a une certaine
contradiction entre l'obligation de révéler rapidement les faits qui sont susceptibles d'intervenir
sur la vie, l'activité et les résultats des entreprises et le désir de livrer l'analyse quelquefois
assez délicate et complexe de l'impact de ces faits. Faut-il retarder la dénonciation des faits
pour pouvoir livrer une meilleure analyse financière de l'impact ? Ou faut-il, au contraire, se
résoudre à dénoncer des faits en disant que l'on n'est pas capable, ou encore que l'on ne veut
pas ou que l'on ne sait pas en mesurer l'impact, en tout cas dans l'immédiat ?
II. – La deuxième grande question est : pour qui fabriquons-nous et
présentons-nous l'information ? Là, les dirigeants des grandes entreprises cotées ne
peuvent pas éviter de se poser la question de la segmentation des publics. Il est clair que la
nature des informations qui sont utiles à l'environnement classique du commerçant, tel qu'il a
été largement développé jusqu'à maintenant, n'est pas tout à fait la même que celle dont ont
besoin les actionnaires et tout spécialement les actionnaires institutionnels qui opèrent suivant
des modes d'analyse et des comportements professionnels très différents de ceux des
créanciers ou même des actionnaires individuels. Surgit alors la nécessité d'organiser la
politique d'information de l'entreprise en couvrant des besoins différenciés avec des
productions différenciées puisqu'il est à peu près inutile, superfétatoire et coûteux d'alimenter
chacune des catégories d'interlocuteurs de l'entreprise avec une base de données unique qui
ne correspondrait pas à leurs besoins propres.
III. – Où délivrer l'information ? Le paradoxe du monde actuel, c'est qu'avec une
technologie extraordinairement performante pour transporter l'information dans le monde entier,
on s'aperçoit qu'il est impératif de se déplacer pour la délivrer.
Pour ce qui concerne notre groupe, nous avons constaté que la tenue d'une assemblée
générale annuelle à Paris, telle qu'elle est prévue dans les textes qui régissent le droit des
sociétés, était devenue une procédure totalement insuffisante par rapport aux besoins réels des
actionnaires. Nous tenons donc depuis l'année dernière, des assemblées générales – des
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
pseudo-assemblées générales puisqu'elles n'ont pas de valeur juridique, mais sont très
importantes du point de vue de la délivrance de l'information – dans de nombreuses villes de
province ; sans parler de tout ce que nous faisons à l'égard de l'étranger.
IV. – Quand faut-il publier l'information ? La question se pose en particulier – je l'ai
évoquée rapidement – pour les faits significatifs susceptibles d'intéresser l'environnement de
l'entreprise, et pour tout ce qui tourne autour des calendriers de diffusion des résultats de
l'entreprise. C'est un domaine dans lequel les habitudes françaises ne sont pas spécialement
brillantes comparées aux exigences des marchés internationaux. Mais des efforts
considérables sont en train d'être faits par de grandes entreprises qui doivent affronter la
concurrence internationale. Cela passe évidemment par une remise en cause assez drastique
de la façon dont travaillent à la fois les entreprises et leurs auditeurs au niveau des conditions
d'arrêté de vérification des comptes.
V. – Comment assurer la diffusion de l'information ? Il y a bien entendu le délicat
problème de l'utilisation de la presse et la façon dont elle véhicule l'information. En outre, la
gestion des communiqués, qui ne sont pas toujours aussi fidèles que l'on pourrait le souhaiter,
et les modalités de leur transmission manquent certainement de souplesse.
VI. – Le dernier point que je voudrais évoquer rapidement est celui du niveau de
l'information. L'une des difficultés à laquelle nous nous heurtons dans une politique de
l'information réside dans le fait que ce qui intéresse l'environnement à l'intérieur d'une structure
de groupe ce sont en réalité les chiffres consolidés. Or, nous devons continuer à gérer, pour
des raisons qui sont probablement plus légales que réellement utiles, toute une série de
procédures d'informations détaillées, entité par entité, sous-filiale par sous-filiale, dont on peut
se demander si elles ne devraient pas, dans le cas des grands groupes cotés, se trouver
allégées en raison de la disposition effective de l'information agrégée, retraitée, précisée, au
niveau de la tête de groupe.
M. le Professeur Alain SAYAG.– Après la grande entreprise, je m'adresserai à un
praticien, un professionnel du chiffre, qui a la responsabilité de produire des données pour
toutes sortes d'entreprises. M. Salustro, votre compétence, en tant que commissaire aux
comptes et expert-comptable, est tout à fait reconnue. Je vais vous demander de nous faire
part de votre expérience sur cette question de l'information financière en précisant, ce qui va de
soi, que c'est à titre personnel que vous allez vous exprimer et nullement en tant que
représentant d'une organisation professionnelle.
M. Édouard SALUSTRO, Commissaire aux comptes, Président d'honneur du Conseil
supérieur de l'Ordre des experts-comptables et des comptables agréés, Ancien Président de la
Fédération européenne des experts-comptables.– Merci, M. le Professeur. Je suis
particulièrement heureux de savoir que je ne représente ici que moi-même, pour deux raisons :
d'abord, parce que je ne me sens pas qualifié pour représenter de grandes institutions et
ensuite parce que je vais pouvoir m'exprimer très librement, en m'évadant si nécessaire du
sujet que vous avez traité jusqu'à présent, l'information légale.
Au préalable, je préciserai que mon propos ne se limitera pas à la population des sociétés
cotées mais, plus largement, à toutes les autres.
Il est de notoriété que, du côté des sociétés cotées, les progrès réalisés entre 1983 et 1993
dans l'information donnée par les émetteurs à leurs actionnaires et au public ont été
spectaculaires. Dans son exposé introductif aux récents entretiens de la COB, M. le Président
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Saint-Geours indiquait que « les efforts fournis par les émetteurs pour informer vont bien audelà des exigences légales ». Si les sociétés cotées obligées par nature, c'est-à-dire par la
pression du marché, d'informer leurs actionnaires jouent le jeu sans difficulté et se plient à
l'obligation de publication qui leur incombe, les sociétés non cotées y voient, elles, plus
d'inconvénients que d'avantages.
Le hasard a voulu que, la semaine dernière, je tombe sur un article d'une revue, Challenge,
où j'ai découvert qu'un chef d'entreprise français, qui affichait 130 millions de chiffre d'affaires –
ce qui n'est pas mal – et qui est le premier producteur de drapeaux dans le monde, déclarait
publiquement, photos à l'appui, qu'en publiant ses comptes, il a l'impression d'en être
dépossédé. Après s'être soumis pendant des années aux obligations légales, il refuse de se
soumettre à une contrainte qu'il qualifie de drame absolu pour la compétitivité des entreprises
françaises. Il faut dire que cet homme, installé dans le Nord, fait partie des nombreuses PME
frontalières qui n'admettent pas de se plier à des règles ignorées de leurs concurrents
hollandais, luxembourgeois, belges et surtout allemands.
De ce point de vue, je ne suis pas particulièrement informé. J'ai quand même parcouru,
Monsieur le Professeur, le magnifique ouvrage du CREDA que j'ai en bibliothèque, et j'ai vu
qu'apparemment les obligations étaient les mêmes. Mais le sont-elles en réalité ?
À cet égard, je voudrais revenir un instant sur le titre du thème qui nous est proposé. Il y a,
en effet, dans ce titre un mot-clé qui mérite qu'on s'y arrête, car il joue, en quelque sorte un rôle
« pivot ». C'est le mot légal. Pour moi, il crée une ligne de partage : d'un côté, l'information
légale est la référence pour la grande masse des entreprises. Le besoin principal est d'informer
les créanciers des risques qu'ils prennent en faisant crédit à l'entreprise. Accessoirement – je
dis accessoirement parce que, très souvent, dans la grande masse des entreprises,
l'actionnariat n'est pas très ouvert – l'information est destinée aux actionnaires, voire au
personnel (mais le personnel dispose, le plus souvent, d'un autre cadre légal : le comité
d'entreprise, qui lui donne accès aux informations).
Car, à mon avis, le problème, spécifiquement français, me paraît lié au crédit interentreprises. Je suis tout de même frappé par la longueur du crédit moyen qui s'établit dans
notre pays à 68 jours et qui se pratique surtout au sein de la population des petites et
moyennes entreprises. Voilà pourquoi, il faut certainement une contrainte légale d'information
d'autant plus importante que le crédit inter-entreprises est long. Cela implique un système
d'information et de surveillance extrêmement vigilant : c'est, par exemple, INFOGREFFE, la
SFAC, etc. et les procédures d'observation mises en place dans certains tribunaux de
commerce.
À supposer que le problème du crédit inter-entreprises soit spécifique à la France, il n'en
reste pas moins que les petites et moyennes entreprises installées dans les pays de l'Union
européenne devraient respecter, elles aussi, un certain nombre d'obligations.
Sur un plan légal,il y a à l'échelle internationale les directives européennes.
Voilà quinze ans que la directive faisant obligation à toutes les sociétés européennes de
capitaux de publier chaque année leurs comptes a été instaurée.
Où en est-on ? On se trouve face à des systèmes très divers pour la raison que chaque
pays a transposé la directive selon son propre particularisme – 94 % des sociétés allemandes
continuent de pratiquer la loi du silence.
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La diversité des situations s'explique, en partie, du fait des divergences rencontrées dans
les systèmes de crédit.
En Allemagne, les entreprises disposent d'un crédit en blanc, mais, en contrepartie, les
banques manifestent des exigences qui sont parfaitement satisfaites par leurs clients.
La Commission ne semble cependant pas baisser les bras. Les fonctionnaires européens
auraient, paraît-il, ramené dans le droit chemin les patrons néerlandais (en multipliant les
amendes) et fait renforcer les équipes chargées du suivi des dépôts des comptes du million de
petites entreprises britanniques.
Au Danemark, une entreprise en infraction est, semble-t-il, dissoute de facto après douze
mois d'insubordination.
Face à la grande masse de ces petites entreprises, il y a le petit nombre de grandes
entreprises qui, elles, comme je l'ai dit tout à l'heure, vont au-delà de l'obligation légale, parce
que le marché le leur impose, parce qu'elles pratiquent un volontarisme et parce qu'elles
vendent un produit qui est l'action. Dès que l'on se situe dans ce schéma international, on se
trouve dans le second cas de figure, qui est celui du règne de la pratique généralement admise,
celui du consensus de place, c'est-à-dire que finalement, chaque entreprise, dans une légalité
reconnue par tous, pratique sa propre stratégie d'information.
Il est vrai qu'il faut qu'il existe entre elles des éléments de comparabilité. M. Lebègue le dira
peut-être tout à l'heure. Mais je pense que dans le cadre du minimum de l'obligation de
comparabilité, les grandes sociétés françaises et internationales développent une stratégie qui
est le plus conforme possible à leur identité ou au secteur sur lequel elles évoluent.
Avant d'aller plus loin, je voudrais dire un mot de notre pays, simplement pour profiter de la
présence à cette tribune et dans la salle de personnalités qui ont œuvré dans le sens du
progrès. Je répète qu'en matière de qualité de l'information financière, la France me paraît être
l'un des pays d'Europe, voire du monde industriel, qui, en quinze ans, a réalisé les progrès les
plus spectaculaires. Je le dis et je le répète, parce que je suis un de ceux qui l'ont vécu, et le
vivent quotidiennement.
Que de chemin parcouru depuis 1978 ! Plusieurs facteurs ont impulsé ce qu'il faut bien
appeler une révolution : la modernisation des marchés financiers, la mise à niveau des
intermédiaires, l'émergence d'un dispositif comptable français de qualité, et le contexte
international.
Car l'international a ouvert aux entreprises françaises plus de perspectives qu'il n'a introduit
de contraintes. Je citerai notamment : la déconnexion partielle fiscalité/comptabilité, le choix de
méthodes internationalement admises.
Face au législateur – c'est-à-dire, en grande partie au Conseil national de la comptabilité
qui a internalisé les règles internationales dans les dispositions légales sur les comptes
consolidés et à la Commission des opérations de Bourse qui a su impulser dans le sens du
progrès –, c'est le droit comptable français stricto sensu, pris au sens des comptes individuels
fiscalisés qui aurait été une contrainte. Mais les grandes sociétés s'en sont dégagées par les
comptes consolidés qui sont devenus la base de l'information financière.
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En définitive, c'est la recherche combinée d'une certaine culture française avec la pratique
internationale qui a donné le résultat que nous connaissons aujourd'hui. Les grandes sociétés
françaises construisent ou bâtissent leur information à partir du référentiel français mais aussi
et surtout à partir des référentiels internationaux.
J'irai même plus loin, et j'ai écouté M. de La Martinière avec intérêt tout à l'heure. On
constate dans un ouvrage, publié par des confrères, et qui porte sur une population d'une
centaine d'entreprises industrielles et commerciales à l'exception des entreprises financières –
aucune entreprise financière n'est comprise dans cet échantillon –, que la référence aux
normes internationales progresse rapidement. Je ferai deux observations puisées dans ce
document d'une grande richesse.
Afin d'assurer la clarté de leur communication financière, certains groupes réduisent la
place des comptes sociaux. Trois groupes ne les présentent plus, huit les présentent sous une
forme abrégée (lignes minimales prévues sur le plan comptable), et cinq sous une forme
résumée.
Jusqu'à présent, l'adoption de normes de l'IASC a été facilitée par l'existence d'options qui
n'entraînent pas de bouleversements par rapport à la loi du 3 janvier 1985, même si l'incidence
n'est pas toujours neutre. Une étude menée récemment par notre cabinet a montré que les
deux-tiers des sociétés financières du CAC 40 appliquent un référentiel reconnu au plan
international. Jusqu'à présent, l'adoption des normes internationales par les grands groupes
français n'a pas créé d'incompatibilité au niveau des comptes consolidés français avec le
dispositif mis en place par la loi du 3 janvier 1985. C'est heureux, mais cela a des limites. Les
options offertes aux sociétés françaises par ce texte sont relativement nombreuses. Or trop
d'options nuisent à la comparabilité. Les commentaires qui agrémentent les tableaux de
chiffres, c'est-à-dire l'annexe, ne peuvent pas tout régler.
Le Board de l'IASC, réuni en novembre 1993 à Oslo, a adopté dix normes révisées qui
faisaient suite à un projet lancé en 1990 pour pallier les critiques exprimées par les autorités de
marché à l'égard du laxisme des normes IASC. Résultat : ces normes réduisent sensiblement
les options jusqu'alors offertes par l'IASC. Cette décision, qui est destinée à augmenter la
crédibilité de cet organisme, a, par ailleurs, reçu l'appui de l'OICV (Organisation internationale
des commissions de valeurs mobilières).
Le succès de l'IASC auprès des utilisateurs avait été facilité par l'approche multi-options.
Le succès auprès des autorités boursières est au contraire lié à la réduction des options.
D'où un phénomène de « seringue » entre les autorités qui rend la position de l'IASC délicate.
Ce qui m'amène à évoquer la relation entre les grandes autorités comptables supra-nationales.
De ce point de vue, les choses sont simples car l'internationalisation a singulièrement
clarifié le paysage. Aujourd'hui, les trois grandes autorités sont : le comité comptable des
normes internationales (IASC), l'organisme de normalisation américain (FASB), la DG XV de la
Commission des Communautés européennes.
Ce rappel n'est pas innocent car aujourd'hui certaines, parmi les plus grandes entreprises
françaises ou européennes, sont confrontées au choix : normes américaines (FASB) ou
mondiales (IASC). L'enjeu est considérable. Vous savez qu'une grande entreprise allemande a
sauté le pas : le simple fait de se plier aux règles comptables américaines a fait plonger les
résultats du groupe. Une journaliste a écrit à ce propos : « C'est loin l'Amérique ! »
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Mais il faut juger sur pièces. Résultats de cette mise en conformité aux normes
américaines : au premier semestre 1993, bénéfice net consolidé de 570 millions de francs selon
les règles allemandes ; pertes de 3,2 milliards de francs selon les normes américaines.
Une telle expérience peut en faire réfléchir plus d'un.
Existe-t-il alors une solution européenne ? De ce côté, pas tellement d'espoir du moins
dans l'immédiat. L'harmonisation comptable européenne qui avait suscité les plus vifs espoirs il
y a une quinzaine d'années, marque le pas. C'est la panne sèche. Un temps stimulante, cette
harmonisation européenne se conjugue aujourd'hui avec un immobilisme qui pèse sur la
normalisation française.
Et la France dans tout cela ? Eh bien, en dépit de tout, la France a continué sur la voie du
progrès, à la fois dans la pratique quotidienne, et dans la manière dont le CNC a réagi à
l'actualité au moyen d'avis : sur le MATIF, sur les options de taux d'intérêt, etc. Mais cela ne
suffit pas. Il faut que la France dispose d'un système plus simple, plus flexible, plus réactif.
La proposition, faite par le Président du CNC, de création d'un Comité de réglementation
comptable recevant la délégation nécessaire pour établir les règles comptables qui seraient
ensuite homologuées, constituerait l'équivalent des autorités de normalisation comptable
existant dans la plupart des autres pays. Les pays disposent, dans le cadre de leur tradition
nationale, d'organismes de ce type associant représentants de l'Etat et professionnels qui
agissent par délégation (à l'exception notable de l'Allemagne, où aucune autorité de
normalisation n'existe en matière comptable).
Une telle proposition, si elle était retenue, permettrait de combler un des handicaps du
système français dans la compétition pour l'harmonisation internationale qui tient précisément à
ce que, si le CNC est bien reconnu à l'étranger, son rôle consultatif ne lui permet pas toujours
d'intervenir avec une légitimité suffisante.
J'ai espoir que cet organisme verra le jour et qu'il sera ainsi mis fin aux incertitudes
actuelles. Si je pouvais conclure par une note d'optimisme, ce serait celle-là.
M. le Professeur Alain SAYAG.– M. le Président, vous nous avez démontré que la
question des publicités légales, essentiellement les publicités légales financières, ne peut pas
être considérée sous un angle exclusivement français. Il existe des contraintes externes.
Naturellement, ces contraintes sont d'abord celles de l'Union européenne, c'est-à-dire des
directives d'harmonisation. Mais elles sont aussi, surtout pour les grands groupes, des
contraintes d'ordre mondial. Je pense en particulier, vous nous l'avez bien expliqué, à la
prégnance de la doctrine comptable américaine qui tend même à déborder de son terrain
naturel.
Continuant ce tour de table, je vais m'adresser à M. Lebègue en tant que Directeur général
de la BNP. L'étude du CREDA sur les publicités légales a montré que les banques, et bien
évidemment les très grandes, étaient des consommateurs très importants d'informations
légales. Je pouvais donc commencer par vous interpeller à ce titre. Cependant, l'actualité de
ces derniers mois m'incite inévitablement à joindre à cette qualité de consommateur, celle – qui
prend peut-être une nouvelle dimension pour vous – d'établissement présent sur le marché
financier, disposant d'un nombre extrêmement important d'actionnaires, s'adressant de surcroît
à un nombre considérable d'épargnants qui sont susceptibles de devenir vos actionnaires. À ce
titre-là, vous êtes donc aussi maintenant un producteur très important d'information légale.
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M. Daniel LEBEGUE, Directeur général de la BNP, Président de la Commission des
affaires financières de l'AFB.– M. le Professeur, vous avez raison de dire que la banque en
général, la BNP en particulier, est à la fois productrice et utilisatrice d'informations légales.
I. – Productrice, à vrai dire, ce n'est pas la privatisation en soi qui nous a rendus
producteurs d'informations dans la mesure où une banque par nature et surtout une banque
comme la nôtre, qui a 5,5 millions de clients, fait appel public à l'épargne chaque jour, j'allais
dire chaque minute, en collectant des dépôts, en émettant des titres dans le marché. Ce qui est
vrai, c'est que la privatisation y ajoute une dimension importante, à savoir que nous avons
aujourd'hui probablement un peu plus de 2 millions d'actionnaires au moment où je parle – je
ne le sais pas exactement –, donc un nombre considérable d'investisseurs qui ont fourni à la
banque des fonds propres. C'est un aspect nouveau des obligations de transparence et
d'information qui nous incombe.
Si je traite d'abord de ce premier volet concernant la production d'information par une
grande entreprise comme la nôtre, je crois pouvoir dire que la France n'a vraiment pas à rougir
de son système d'information vis-à-vis des marchés, vis-à-vis des investisseurs, vis-à-vis du
public en général.
Depuis sa création, il y a vingt-six ans, la COB a suscité en France une vraie prise de
conscience sur la nécessité d'informer bien et loyalement le public sur l'épargne, sur les
produits financiers. Et à cet égard je voudrais, en passant, rendre hommage à Pierre Fleuriot.
J'ai le sentiment que dans l'ensemble nous le faisons mieux que d'autres. C'est vrai en matière
de crédit – conditions de crédit, taux effectif global –, c'est vrai en matière d'épargne, bien que
je sois obligé ici d'émettre une réserve. S'il y a un domaine dans lequel le public français n'est
pas aussi bien informé qu'il pourrait prétendre l'être, c'est bien celui de la fiscalité des
placements financiers, et ce pour une raison simple : je mets au défi quiconque, sauf peut-être
le chef du bureau concerné du Service de la législation fiscale, d'expliquer, seul, face à un
client, la fiscalité de l'ensemble des placements financiers français. J'ai fait sur ce sujet trois
rapports au Gouvernement. Si j'avais un client aujourd'hui en face de moi, je suis obligé de
vous dire que je ne serais pas capable de le faire.
Il y a là un problème qui dépasse un peu l'intermédiaire financier. J'en appelle vraiment à
une simplification rapide et radicale de notre fiscalité financière, mais cela n'est pas le sujet du
jour. Pour le reste, il me semble que nous informons convenablement, loyalement, les marchés,
nos clients, les investisseurs, nos actionnaires.
Je voudrais énumérer les problèmes que nous rencontrons de façon à transmettre à Pierre
Fleuriot, qui va conclure, un relais avec quelques questions.
• Premier point : la segmentation des publics. Gérard de La Martinière l'a déjà traité, je ne
fais que l'évoquer. C'est une question absolument majeure. On peut la formuler en termes
juridiques de la manière suivante : il y a, pour les épargnants et les actionnaires, un droit à
l'égalité d'information. Je crois que ce droit est incontestable. On ne peut pas dire de sang froid,
devant un parterre de juristes éminents comme ici, que certains épargnants ou certains
actionnaires ont le droit d'être mieux informés que d'autres. Pourtant, la réalité que nous vivons
en tant que financiers n'est pas celle-là. D'abord, parce qu'il existe d'une part des marchés qui
sont des marchés de grand public, de non-spécialistes et, d'autre part, des marchés de
professionnels.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Dans ces marchés de professionnels, paradoxalement, les exigences d'information
instantanée, de transparence, sont moins grandes que dans le marché public.
C'est le cas du marché interbancaire, du marché des produits dérivés, ou encore du
marché des swaps où des intermédiaires s'échangent entre eux chaque jour pour des milliards
et des milliards de dollars, des engagements considérés comme fermes, définitifs et solides,
sur des bases d'information qui sont souvent extrêmement modestes, voire inexistantes. C'est
la réalité des marchés de gré à gré, des marchés non organisés.
Par ailleurs, il existe une autre réalité un peu différente, principalement dans le marché des
actions. C'est que dans un même marché, certains investisseurs attendent autre chose, plus en
termes d'information que le public en général. Si nous voulions donner à nos 2 millions
d'actionnaires individuels particuliers la somme d'informations que nous demande tel ou tel
grand investisseur américain ou japonais, ce serait, d'une certaine manière, faire de la
mauvaise information vis-à-vis du public, parce qu'une certaine forme de surinformation est
aussi une forme de désinformation.
Je n'ai pas la réponse instantanée à ce problème, mais il ne faut pas refuser de l'envisager,
car, de plus en plus, il y aura des catégories de marchés, des catégories de produits et des
catégories de publics différents, avec une attente différente vis-à-vis de l'information que leur
fournissent les sociétés qui font appel à eux en émettant des titres ou en levant des fonds
propres.
• Deuxième question : l'harmonisation internationale. J'y reviens simplement pour mémoire,
M. Salustro l'ayant déjà évoquée. Aujourd'hui, pour une grande entreprise, émettre des titres,
réaliser une augmentation de capital ou mener à bien une opération de privatisation, c'est
clairement monter une opération à l'échelle du monde.
Le monde, en termes de marché et d'attente d'information, est constitué de trois grands
ensembles : l'Europe qui a réalisé une harmonisation minimale en la matière, notamment avec
le prospectus d'émission européen ; le marché japonais, impénétrable, comme à bien d'autres
égards ; enfin le marché américain, souverain, comme souvent, qui estime qu'il peut imposer à
quiconque sollicite d'une manière ou d'une autre, l'investisseur américain, des contraintes très
particulières, très fortes en matière d'information.
Il y a là un vrai problème, c'est-à-dire que si l'on veut satisfaire à l'ensemble de ces
exigences légales, la tâche de l'entreprise émettrice devient parfois très lourde et compliquée,
les procédures sont extrêmement coûteuses. J'en appelle donc à une normalisation
internationale en la matière, qui serait bienvenue pour tous.
• Autre sujet, que Gérard de La Martinière a également évoqué : l'information
événementielle, qui, bien qu'en marge de notre colloque, n'en est pas moins un thème de
réflexion essentiel.
Je voudrais en donner un exemple. Dans la plupart des sociétés aujourd'hui bien gérées,
nous disposons, centre de profit par centre de profit, de résultats mensuels. Cette information
est pertinente pour juger de la situation et des perspectives de l'entreprise. Parallèlement, il est
très difficile de demander à une entreprise de publier mensuellement, au niveau consolidé et
entité par entité, l'évolution de ses résultats ou de son activité. Pourquoi ? D'abord parce que le
système serait extrêmement lourd ; ensuite parce que cela peut constituer une atteinte à la
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
protection de l'entreprise vis-à-vis de la concurrence. Pourtant, cette information existe, et
circule dans l'entreprise.
Par conséquent, il y a là un problème, dont je ne sais s'il doit être traité au plan légal ou au
plan déontologique : comment concilier cette rapidité, ce caractère quasi-instantané de
l'information sur la situation de l'entreprise et l'égalité d'accès à l'information que l'on doit au
marché ? Il s'agit d'un sujet délicat, sur lequel d'ailleurs la COB s'est déjà penchée avec les
professionnels.
J'en reste là pour ce qui est de la production d'informations par la banque.
II. – Je voudrais dire un mot – car c'est un aspect particulier des métiers ici représentés –
de la consommation, de l'utilisation d'informations légales par les banques.
Les banques sont pourvoyeuses de crédits ; et, dans cette activité, elles ont le devoir d'agir
avec discernement, compétence et prudence. Elles doivent donc disposer d'une information
aussi pertinente, actuelle et complète que possible sur la situation des entreprises qui sont
leurs clients. De ce point de vue, la situation actuelle peut-elle être considérée comme
satisfaisante ? Globalement, je serais prêt à répondre oui. Mais nous sommes là pour évoquer
des problèmes, c'est donc ce que je vais faire. Quelles sont les insuffisances du système que
nous connaissons actuellement ?
1° Il est déraisonnable de considérer qu'une banque peut faire correctement son métier de
pourvoyeur de crédits sur la base d'informations données annuellement par des entreprises au
travers des comptes annuels déposés au registre du commerce, souvent plusieurs mois après
la fin de l'exercice. Franchement, on ne peut pas exercer sérieusement notre métier dans ces
conditions.
Cela signifie-t-il qu'il faut durcir les obligations légales ? Je n'en suis pas sûr. Mais en se
situant au niveau de la réalité de la vie des affaires, il faut rappeler que dans le contrat privé de
crédit, nous demandons neuf fois sur dix à nos clients de nous fournir des éléments
d'appréciation plus rapides, plus synthétiques, sur l'évolution en cours d'exercice de leurs
comptes, de leur situation, ce que l'on appelle maintenant les « covenants » dans les contrats
de crédit – ratios d'endettement, ratios de fonds propres, évolution prévisionnelle de la
trésorerie, etc.
C'est un premier point. Peut-être faut-il laisser ce complément d'information dans la sphère
du contrat et ne pas le légaliser, si je puis dire, mais il faut savoir qu'il y a là un vrai besoin de la
part des banques dans l'exercice de leur métier.
2° L'information disponible en France sur les impayés des entreprises, notamment vis-à-vis
du Trésor et des organismes de Sécurité sociale, est une information beaucoup trop tardive
pour être utilisée de manière intelligente. Nous pourrions très souvent prévenir des difficultés
d'entreprise si cette information était disponible pour les partenaires de l'entreprise beaucoup
plus tôt qu'elle ne l'est aujourd'hui.
3° La publicité des sûretés, en France, est très lacunaire. J'en donnerai les exemples
suivants. D'abord la réserve de propriété est, je le rappelle, un acte juridique qui ne fait l'objet
d'aucun enregistrement légal. Il en va ainsi également pour la cession de créance par huissier
(art. 1690 du Code civil) : comment peut-on considérer comme opposable à des tiers une
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
cession de créance opérée par un huissier qui ne fait pas l'objet, sauf erreur de ma part, d'une
publicité quelconque ?
En matière de sûretés mobilières, notre système d'information légale est également très
imparfait. Il y a donc, me semble-t-il, dans tous ces domaines, quelques progrès à envisager
qui permettraient d'améliorer la transparence dans la relation entre les banquiers et les clients.
À cet égard, je suis absolument certain que, dans la transparence, l'entreprise a tout à gagner
et rien à perdre. Un banquier qui, en temps utile, c'est-à-dire en amont, est informé par son
client des difficultés qu'il risque d'avoir, est un banquier coopératif. Un banquier qui découvre a
posteriori des difficultés qui se sont produites est un banquier méfiant et restrictif.
M. le Professeur Alain SAYAG.– M. le Directeur général, vous avez interpellé la COB et
M. Fleuriot, mais avant de lui donner la parole, je voudrais m’adresser à M. Tunc en tant que
spécialiste de la réglementation américaine.
Cher collègue, les États-Unis ont été évoqués, notamment comme force dominante, peutêtre un peu trop prégnante en matière de politique et de principes comptables ; mais il faut tout
de même bien reconnaître que les États-Unis présentent le très grand avantage pour nous de
marquer, souvent avec quelques années d'avance, une évolution. Il serait fort utile pour notre
réflexion que vous nous fassiez part des dernières tendances américaines dont vous avez
connaissance, sachant que celles-ci pourraient avoir un impact assez direct sur notre propre
évolution.
M. André TUNC, Professeur émérite à l'Université de Paris I.– Avant de parler des ÉtatsUnis, j'évoque un instant la scène anglaise. Il est bien connu que les portes du capitalisme
libéral ont été ouvertes en Angleterre par la grande loi de 1856. Cette loi donne à quiconque
veut le faire la liberté totale – ce qui est nouveau dans le monde – de créer une société
anonyme. Elle exige très peu de choses, mais elle exige de l'information : que le nom se
termine par limited pour que l'on sache que c'est une société à responsabilité limitée et, d'autre
part, que les actes constitutifs soient déposés à un office central où tout le monde pourra en
prendre connaissance.
Bien entendu, depuis un siècle et demi, le droit anglais des sociétés anonymes s'est
beaucoup compliqué. Il est pourtant resté fidèle à une philosophie d'information, quitte à
l'aménager pour tenir compte de la dimension des entreprises. Vous savez que l'on distingue
sociétés publiques et sociétés privées ; parmi les sociétés publiques, celles qui sont cotées et
celles qui ne le sont pas ; parmi les sociétés privées, celles qui sont ordinaires, ou bien de taille
moyenne ou de petite taille. Entre elles, des régimes différents quant au fond, mais également
quant à la publicité.
Notons au passage que l'importance donnée à l'information rend primordiaux deux
problèmes très délicats : celui de la comptabilité et celui de la responsabilité de ceux qui
certifient les comptes défectueux (deux firmes d'audit sont actuellement l'objet d'une action en
paiement de 11 milliards de dollars intentée par les liquidateurs de la BCCI).
Pour les États-Unis, le droit moderne des sociétés date des lois de 1933 et 1934
(techniquement, ce n'est pas du droit des sociétés, c'est de la réglementation des valeurs
mobilières ; pratiquement, pour nos besoins, disons : droit des sociétés). Ce sont des lois qui
ont été prises, non pas en haine de la Bourse ou en haine des hommes d'affaires, mais tout de
même, après la crise de 1929, dans une très grande défiance à l'égard de la Bourse et des
hommes d'affaires. La crise a ouvert ce que l'on a appelé une bataille de philosophies.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Trois philosophies se sont opposées. Certains ont dit : « Il faut renforcer le droit pénal :
créer de nouvelles pénalités, créer des tribunaux, etc. ». D'autres ont voulu un retour en arrière,
ont cherché à restaurer une situation antérieure à celle de l'Angleterre de 1856 en disant : « Il
faut autoriser certaines entreprises, mais pas toutes ; il faut contrôler la création même des
entreprises ». Tout ceci a été balayé au profit d'une autre philosophie, la philosophie
d'information, qui venait d'être développée encore en Angleterre par la grande loi de 1929.
C'est par l'information que l'on va protéger le marché et protéger les actionnaires individuels.
La troisième édition d'un excellent ouvrage, très classique, vient d'être publiée en onze
volumes : l'ouvrage de Loss et Seligman, Securities Regulation. Je cite les deux auteurs (t. I,
p. 27) : « There is the recurrent theme throughout these statutes of disclosure, again disclosure
and still more disclosure ». Loss et Seligman retrouvent les accents de Danton. Cette
philosophie d'information est fondée sur deux mots bien connus : un mot de Brandeis, qui date
de 1914, mais qui n'a pas été oublié : « Le soleil est le meilleur des désinfectants, la lumière
électrique, le meilleur des sergents de ville » ; un autre mot prononcé lorsque l'on a préparé les
lois de 1933 et 1934 : « Le législateur ne peut pas rendre intelligents les gens qui sont stupides,
mais il peut au moins permettre que les gens intelligents puissent exercer leur intelligence ».
Donc : information, information... cela a vraiment été et reste la grande philosophie. Vous
savez d'ailleurs que le New York Stock Exchange exige la publication de résultats trimestriels.
Je reprends un instant les grandes lois, d'une part, et, d'autre part, trois problèmes à titre
d'illustration.
I. – Les grandes lois
• Le Securities Act de 1933 : c'est la première loi fédérale en la matière. Elle réglemente
l'émission publique des valeurs mobilières.
Pour émettre des valeurs mobilières, les promoteurs doivent remplir un très long document
d'information, le divulguer entre des spécialistes et le remettre à tous ceux qui le désireront. Il y
aura une cooling period, en principe de vingt jours et, en fait, de trente ou quarante jours assez
couramment. Après toutes ces informations et ces possibilités de digérer l'information, de se
renseigner, d'en discuter, après cette « période de refroidissement », alors seulement, chacun
aura la possibilité de souscrire les titres. Donc, dans la loi de 1933, l'information est l'élément
fondamental de protection de l'actionnaire et du marché, le seul même.
• La loi complémentaire : Securities Exchange Act de 1934.
Parmi les différents objectifs de cette loi, trois ont trait à l'information (je néglige donc les
dispositions anti-fraude et anti-opération d'initié, ainsi que la réglementation et le contrôle des
marchés) :
– compléter l'information donnée lors d'une émission par une information permanente : tenir
à jour les informations que l'on avait données lorsque l'on a émis les titres ;
– créer la SEC, commission indépendante à pouvoir réglementaire, qui, d'une part, va
recevoir les informations, les conserver, les mettre à la disposition du public et, d'autre part,
prendre des règlements pour développer encore l'information (réglementer notamment
l'information périodique ou occasionnelle) ;
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
– réglementer et faire réglementer par la SEC la sollicitation des mandats en vue de
l'assemblée générale. Or, qu'est-ce que cela veut dire : « réglementer la sollicitation des
mandats » ? Cela veut dire avant tout : prévoir l'information considérable qui sera envoyée au
domicile de chaque actionnaire. Parlons pratiquement et non pas en termes juridiques : on
exige que chacun puisse voter à domicile et on lui fait envoyer toutes les informations
nécessaires pour qu'il puisse voter de manière utile.
Voilà donc des lois essentiellement fondées sur l'information.
J'ajoute que le Securities Exchange Act de 1934 ne visait que les sociétés cotées, mais
qu'une loi de 1964, trente ans plus tard, double le nombre de sociétés soumises à cette
réglementation en décidant que toutes les sociétés qui ont plus de cinq cents actionnaires et un
actif supérieur à un million – c'est modeste – sont soumises aux mêmes obligations.
Voilà une philosophie dont on ne s'est jamais réellement écarté. On a pourtant modifié la
réglementation, notamment autour des années 1980, pour différentes raisons.
D'abord, parce que l'on prévoyait le retour au pouvoir des Républicains, qui ne sont pas
tellement favorables à la législation du New Deal. Mais également, parce que la situation avait
changé.
Il faut distinguer entre les différents émetteurs, dont certains sont très connus. Si la General
Electric émet des titres, nul besoin de lui demander de se présenter, de dire ce qu'elle fait, etc. ;
elle est suffisamment connue, suffisamment surveillée par les analystes, pour que l'on puisse
simplifier l'information lorsqu'elle émane de certaines grandes sociétés.
D'autre part, il faut tenir compte de la segmentation du public et de l'évolution des
méthodes de placement, en particulier du développement du private placing. Une émission
importante peut être réalisée auprès de quelques investisseurs institutionnels par des contacts
directs. Il n'est alors pas nécessaire de prévoir toute une réglementation : tout se passe entre
des gens qui sont au courant et qui demanderont les précisions qu'ils voudront.
Ainsi, à partir de 1978, et jusqu'à maintenant de manière presque permanente, on voit toute
une série de réglementations – je ne peux présenter le détail : je rappelle que l'ouvrage de Loss
et Seligman comporte onze volumes... – destinées à assouplir le droit antérieur et à n'exiger
l'information que dans la mesure où elle apparaît utile. On a parfois pris des mesures
maladroites, mais on a toujours procédé à des ajustements dans l'espoir de rester utile sans
être inutilement lourd.
II. – Les trois problèmes
Dans ces problèmes, après avoir envisagé une réglementation de fond, on s'est borné à
exiger une grande information.
• D'abord le retrait de la cotation boursière. Voilà une opération qui est évidemment très
dangereuse pour l'actionnaire ordinaire, d'autant plus qu'il y a eu toute une période où l'on avait
abusé des introductions en bourse, retraits, puis réintroductions.
La SEC avait donc envisagé d'obtenir des pouvoirs de fond, de contrôler la justification de
l'opération et les conditions dans lesquelles elle s'effectue, notamment le prix offert pour le
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rachat des titres. Finalement, elle y a renoncé, en exigeant simplement de l'information. Mais
quelles informations n'a-t-elle pas exigées de la part de ceux qui vont demander le retrait de la
cotation boursière et qui font appel au marché pour qu'on leur apporte les titres ! Soyez bien
certains que le prix n'est pas fixé au hasard. La simple énumération des justifications que doit
donner l'initiateur du retrait couvre douze pages sur deux colonnes, et le squelette du document
à remplir en couvre neuf. L'ensemble est aussi dissuasif des comportements malhonnêtes que
l'aurait été un contrôle par la Commission, d'autant plus qu'il donne à l'épargnant toutes les
armes nécessaires pour porter au besoin l'opération devant les tribunaux (menace
particulièrement redoutable !).
• Considérons un second problème, qui est tout à fait à l'ordre du jour aux États-Unis et en
Angleterre : le fameux problème de la corporate governance, du gouvernement des sociétés
anonymes. Le problème est plus ou moins négligé en France, mais je crois qu'il nous viendra
très vite, par l'intermédiaire des investisseurs institutionnels qui demanderont les mêmes
garanties en France que celles qu'ils obtiennent à l'étranger. De toute manière, la SEC s'en
préoccupe beaucoup depuis près de vingt ans.
Elle avait songé à poser des règles de fond ou à les obtenir du Congrès. Finalement, là
encore, au bout de quelques années, elle a fait marche arrière, mais elle a exigé de
l'information. Elle tient à peu près ce langage : « Le Chief Executive Officer est-il en même
temps le président du Conseil ? Nous préférerions qu’il y ait deux personnalités. Si vous n’en
voulez qu’une, c’est possible, mais prévenez vos actionnaires. Dites-leur combien il y a de nonmanagement directors : de directeurs véritablement indépendants de la gestion quotidienne.
Dites-leur si vous avez un audit committee, comment ce comité est composé et combien de fois
il s'est réuni dans l'année. Dites-leur si vous avez un nominating committee, et là encore,
donnez tous les détails sur sa composition et son activité. Dites-leur si vous avez un
remuneration committee qui proposera la rémunération des directeurs. Pour tout cela,
finalement, vous êtes libres, mais l'information permettra que vos actionnaires aient plus ou
moins confiance en vous.»
La Bourse a quelques exigences de plus. La SEC n'a pas posé d'exigences, sinon de
divulgation.
• Dernière difficulté qui est, elle aussi, à l'ordre du jour : les rémunérations excessives des
dirigeants. Comment lutter contre des rémunérations qui aujourd'hui sont jugées couramment
excessives par l'opinion publique ?
Le Congrès a pris des lois fiscales : au-delà d'un certain taux, les rémunérations ne
peuvent plus être considérées comme des frais généraux. La SEC, en revanche, n'a adopté
aucune règle contraignante. Simplement, en 1993, la Regulation SK, qui exige des informations
extraordinaires sur la manière dont les rémunérations ont été calculées, sur leur courbe dans le
temps, sur les comparaisons avec d'autres sociétés comparables ayant le même chiffre
d'affaires, sur les rémunérations données dans le secteur d'activité... Le seul Item 402 de cette
Regulation couvre quinze pages à double interligne.
Donc, là encore, le message est le suivant : « Vous êtes libres. Mais qu'au moins tous les
actionnaires sachent ce que vous recevez et le sachent dans les plus grands détails. »
Pour conclure, je me borne à lire la déclaration faite hier à Francfort par le président de la
SEC pour encourager les sociétés allemandes à demander l'introduction en Bourse aux ÉtatsUnis, déclaration reproduite par le Financial Times de ce matin : « The provision of information
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
to investors is the sole condition, the real requirement, for access to our markets ... All
companies are welcome, with information as their passport ».
M. le Professeur Alain SAYAG.– M. Fleuriot, Directeur général de la COB, a été
doublement interpellé : d'abord directement par les interventions des praticiens qui ont fait état
de leurs problèmes en France, ensuite intellectuellement, dirais-je, par l'exposé du Doyen Tunc,
car incontestablement les solutions qu'a choisies la SEC dans certains domaines, interpellent la
COB, les mêmes problèmes étant peut-être – pour certains d'entre eux en tout cas –
susceptibles de se poser en France.
M. Pierre FLEURIOT, Inspecteur des finances, Directeur général de la COB.– Mon
intervention est tout à fait redoutable, car il est particulièrement délicat de répondre à ces
nombreuses interpellations.
I. – Que fait la COB ?
La COB est chargée, dit le législateur, de veiller à l'information des investisseurs. C'est
l'une de ses trois missions, les deux autres étant de veiller au bon fonctionnement du marché et
à la protection de l'épargne.
Veiller à l'information des investisseurs, cela veut dire surveiller son contenu et surveiller
son mode de diffusion.
A) S'agissant du contenu, deux exigences ont été évoquées cet après-midi : d'une part,
l'obligation d'une information en temps réel et, d'autre part, l'obligation d'une information
« exacte, précise et sincère » – et je reprends là les termes de l'un des règlements de la COB.
Une information en temps réel – Daniel Lebègue l'a évoqué il y a un instant –, c'est
l'obligation de rendre public, le plus tôt possible, tout fait important susceptible, s'il était connu,
d'influencer le cours de votre titre. Bien entendu, cela s'adresse aux sociétés cotées.
Cette obligation a quand même, et fort heureusement, des éléments de pondération,
puisque, je ne vais pas dire que toute information n'est pas bonne à communiquer, mais il peut
y avoir des informations que vous pouvez, en tant que dirigeant d'une entreprise, ne pas rendre
publiques immédiatement. De toute façon, vous avez des choix à faire.
Les critères de ce choix dépendent de deux considérations : d'une part, si l'information est
susceptible de nuire aux intérêts de l'actionnaire et d'autre part, point important, si vous
maîtrisez la confidentialité de l'information que vous conservez. Cela peut être un secret de
fabrique par rapport à un concurrent, ou bien encore une négociation en cours dont la
révélation anticipée peut nuire au bon déroulement.
Une information « exacte, précise et sincère », ensuite. Ce n'est pas la peine de développer
ce point.
B) La COB veille également au mode de diffusion de l'information. La notion de
prospectus visé par la COB est justement à l'image de l'exemple américain de la SEC, le
prospectus étant l'instrument d'égalité d'information des investisseurs. Toutes les informations
doivent donc être dans le prospectus, rien que le prospectus, tout le prospectus.
Les moyens d'action de la COB existent aussi bien a priori qu'a posteriori.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
1° A priori, c'est tout son travail de réglementation ou, par exemple, de participation à
l'interprétation des normes comptables. Un groupe de travail avec le Conseil national de la
comptabilité, que l'on a évoqué tout à l'heure, réfléchit au problème d'interprétation des
portages de titres ainsi qu'au traitement des écarts d'acquisition ; autant de problèmes
particulièrement importants aujourd'hui, auxquels j'ajoute celui du traitement des écarts
d'évaluation. La COB intervient aussi a priori à l'occasion de son visa sur l'information.
2 °A posteriori, la COB intervient en s'appuyant sur les commissaires aux comptes. Des
contrôles exercés par la Compagnie nationale des commissaires aux comptes permettent à la
COB de coopérer avec la profession pour s'assurer de la qualité des diligences des
commissaires aux comptes, condition nécessaire mais non suffisante pour une bonne qualité
d'information dans le public. La COB intervient aussi a posteriori par ses enquêtes et son
pouvoir de sanction sous le contrôle de la Cour d'appel, dont je suis heureux de saluer la
Présidente. Je crois que ce pouvoir de sanction a trouvé sa place aujourd'hui.
II. – Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Je voudrais regrouper mes propos par rapport aux différentes interpellations entendues cet
après-midi, d'une part, en soulignant l'existence d'un bilan satisfaisant en ce qui concerne le
contenu des obligations légales et réglementaires, d'autre part, en suggérant un certain nombre
d'améliorations sans doute nécessaires concernant le mode de diffusion des informations.
A) Une situation satisfaisante en ce qui concerne le contenu des obligations légales et
réglementaires.
MM. Edouard Salustro et Daniel Lebègue ont évoqué tout à l'heure l'amélioration dans le
contenu de l'information.
Je vous renvoie, comme l'a fait M. Salustro, aux entretiens de la COB de novembre et aux
publications faisant un bilan sur dix ans (1983-1993) de la qualité de l'information diffusée par
les sociétés françaises, appréciée à partir du rapport annuel et des publications au BALO, ainsi
que du respect de la périodicité de diffusion. Le bilan est largement positif.
On en déduit – cela fera plaisir à certains, j'en suis sûr – que l'on ne ressent pas aujourd'hui
de besoin d'introduire de nouvelles obligations réglementaires de diffusion d'information. Je
crois qu'il faut s'assurer du respect de celles qui existent déjà – elles sont nombreuses. J'insiste
simplement sur un point, les déclarations de franchissement de seuil. C'est une question
importante pour l'information du marché. Le respect de la périodicité des déclarations de
franchissement de seuil est essentiel.
Il faut comprendre que la périodicité des informations, quand on définit des obligations,
n'est pas forcément neutre. Plus vous accroissez l'obligation de publier – au lieu de le faire tous
les ans, le faire tous les six mois ; au lieu de le faire tous les trois mois, le faire tous les mois –,
plus vous accélérez sans doute la diffusion des informations, mais plus vous soumettez
également la gestion des actifs cotés, des actifs économiques et industriels à des contraintes
de court terme. La définition des obligations d'information et la définition de la périodicité ne
sont pas neutres dans l'orientation que vous voulez donner à la gestion des actifs économiques
et industriels.
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Au total, la situation est satisfaisante, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'il n'existe pas
un besoin, souvent exprimé aujourd'hui, d'harmonisation internationale ou de reconnaissance
mutuelle. Ce sont là les deux points de respiration nécessaires pour faciliter les opérations
internationales.
Harmonisation internationale, sûrement, mais pas n'importe laquelle. Là aussi, toute
harmonisation internationale n'est pas forcément bonne, ou plutôt il faut comprendre que selon
la façon dont l'harmonisation est faite, elle véhicule une certaine forme de culture. Quand vous
vous rapprochez d'une comptabilisation anglo-saxonne, vous vous rapprochez également d'un
certain mode de gestion des actifs. De même, quand vous faites le choix d'une norme reconnue
sur le plan international – comme celle sur la durée d'amortissement des écarts d'acquisition,
sujet qui paraît apparemment technique mais dont les conséquences dans l'appréciation des
résultats de l'entreprise sont tout à fait significatives – et décidez de raccourcir les exigences en
ce qui concerne le délai possible pour amortir un écart d'acquisition, ce n'est pas neutre. Le
choix politique, qui est fait dans telle zone géographique ou dans telle autre de privilégier tel ou
tel choix, peut être le reflet d'une certaine situation de développement économique.
Le choix de l'harmonisation implique donc que nous réfléchissions également sur les
pesanteurs ou les conséquences concernant l'intérêt économique des industries.
B) L'amélioration du mode de diffusion de ces informations.
Trois risques ou trois inconvénients ont été évoqués :
1° Le risque de segmentation des publics. Gérard de La Martinière a été le premier à le
mentionner, et il est vrai qu'entre un marché qui s'institutionnalise de plus en plus et
l'actionnaire individuel qui vient au moment des privatisations par exemple, on peut craindre un
écart croissant en ce qui concerne le besoin et la nature de l'information qui est diffusée.
2° La surabondance des documents. Je me souviens de l'exposé sur les fichiers. Pauvres
entreprises qui ont à alimenter tant de fichiers ! Et à quoi servent des documents s'ils sont trop
surabondants ? La transparence y perd certainement.
3° Le risque pour la COB de se voir transformée en organisme notarial, c'est-à-dire d'avoir
un prospectus pur et parfait, mais que personne ne lit. L'objectif qu'elle doit poursuivre, c'est
l'information du public. Le prospectus est un instrument, ce n'est pas un objectif.
Face à ces différents risques, il importe de se rapprocher de l'utilisateur de l'information,
c'est-à-dire les prestataires de services que sont les agences de communication, les
intermédiaires financiers qui s'adressent aux souscripteurs, aux investisseurs, et de se
rapprocher également des lecteurs. Autrement dit, il convient de ne pas considérer, dans les
documents approuvés par la COB, que l'information ainsi visée doit être intermédiée avant
d'aller à l'investisseur final, que c'est aux analystes financiers, aux journalistes d'interpréter des
documents officiels approuvés pour les retraiter à destination du grand public. Je crois qu'il ne
faut pas renoncer à ce que les organismes publics qui sont chargés de veiller à la bonne
information des épargnants approuvent des documents susceptibles d'être lus par le grand
public. Ce n'est pas une mince affaire.
Trois initiatives sont prises en ce moment à cet égard :
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
• Première initiative : introduire des résumés, c'est-à-dire faire en sorte que le prospectus
lui-même, le document approuvé par la COB, comprenne un résumé qui puisse être
compréhensible pour l'ensemble du public.
Cette première initiative a été prise – Daniel Lebègue la connaît bien – au moment des
privatisations : un résumé du prospectus de privatisation de la BNP, qui était un document
recto/verso, a ainsi été élaboré et diffusé à 5 millions d'exemplaires. Par conséquent, il existe
désormais une information véritable du grand public. Depuis le 1er janvier, l'ensemble des
documents d'information approuvés par la COB en ce qui concerne des opérations sur titres de
capital, donnent lieu à un résumé.
• Deuxième initiative : le visa préliminaire.
Les opérations financières deviennent plus complexes et à la fois se placent dans un temps
de plus en plus court. L'intermédiaire financier est en situation de risque tant que l'émission est
en cours de placement près du public, il cherche donc à assurer un placement dans le plus bref
laps de temps possible. Cet objectif, louable, va à l'encontre d'une information du grand public
puisqu'il n'a pas le temps d'y accéder.
Par un système de visa préliminaire, c'est-à-dire d'un visa sur un prospectus qui ne
comprend pas encore le prix de l'augmentation de capital, ou, plus précisément du produit qui
va être ainsi émis, le prospectus ou le document approuvé peut être mis en circulation dans
l'ensemble du public. Un deuxième visa intervient sur le même prospectus quand le prix est
déterminé.
Le visa préliminaire, le preliminary prospectus aux États-Unis, est ainsi un document qui
peut être un outil de travail pour les intermédiaires financiers, de collecte des intentions, de
collecte des ordres. Cette nouvelle technique, testée pour les privatisations, est maintenant
ouverte à l'ensemble des autres émetteurs privés.
• Troisième innovation, ancienne maintenant, et qui devrait être appelée à évoluer : le
document de référence.
On a dit et redit que nous sommes à jour de toutes les obligations réglementaires en ce qui
concerne l'information, que des progrès considérables ont été faits depuis vingt-cinq ans :
obligations de franchissement de seuil, de publication des comptes, de toute nature. Par contre,
nous n'avons probablement pas assez réfléchi à la notion de disponibilité de ces informations
pour le public, de formatage de ces documents.
Je crois que pour les grandes entreprises – les 40, les 100 ou 200 plus grandes entreprises
françaises – il serait utile qu'un analyste financier, un investisseur qui souhaite avoir ces
informations puissent les voir réunies en un seul endroit. Si l'émetteur en question n'a pas fait
d'opération financière, il n'y a pas de prospectus. Vous allez donc au Greffe pour avoir les
statuts, vous allez voir les avis de la SBF pour vérifier les franchissements de seuils, vous allez
glâner différentes fiches d'analyse financière... Vous perdez beaucoup de temps, alors que ce
sont de grandes sociétés très connues.
Le concept de document de référence, qui a aussi été conçu par la COB sur un exemple
américain, devrait être appelé à évoluer vers une notion de « documentation de référence »,
c'est-à-dire l'obligation pour la société de tenir à jour ces éléments essentiels concernant ses
comptes, ses statuts, sa structure d'actionnariat. Il est souhaitable que ce document de
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
référence évoluant vers la notion de documentation de référence, c'est-à-dire mis à jour en
permanence, soit disponible pour ceux qui le demandent, à la fois dans l'entreprise et sans
doute dans un autre lieu à définir pour les personnes qui ne souhaiteraient pas, pour diverses
raisons, interroger directement l'entreprise.
En conclusion, je voudrais rappeler combien l'information a fait des progrès chez nous,
combien l'information est importante, puisqu'elle renvoit à la notion de transparence. Or on sait
que transparence et sécurité sont les deux piliers d'un marché financier moderne car ce sont
les éléments qui forgent la confiance des investisseurs.
En même temps, j'ajouterai qu'il ne faut pas être naïf, qu'il est nécessaire d'avoir une
perception intelligente et adaptée des notions de transparence. Mais jusqu'où doit-elle aller ?
Quels sont les niveaux idéaux de transparence ?
La même approche peut être faite en ce qui concerne la notion d'harmonisation des normes
comptables sur le plan international. Oui à l'harmonisation, mais pas à n'importe quelle
harmonisation.
CONCLUSION
M. Pierre CATALA,
Professeur émérite à l'Université de Paris II
Bien que les jours allongent, le soir est déjà tombé sur Paris et si j'interroge la transparence
qui a été la bonne fée de cet après-midi, elle me souffle que la qualité principale que vous
attendez de moi, c'est la concision, une extrême concision, peut-être même un certain
laconisme...
Je voudrais tout de même dire que l'ouvrage publié l'année dernière par le CREDA me
paraît être un livre fondamental et que la réunion dont il a été la source et le fondement me
semble avoir tenu, et au-delà, toutes ses promesses sur un sujet difficile, trop riche sans doute
pour un après-midi, sujet à propos duquel je ne crois pas pouvoir vous présenter une
conclusion, car pour conclure il faut un paysage fixe. Or, nous sommes ici en face d'un certain
nombre de problèmes dont toutes les données sont en cours d'évolution, si bien que je
substituerai au terme « conclusion » qui m'a été proposé pour les propos que je vais tenir, un
autre titre, qui serait plutôt : « Remarques terminales ».
I. – Situation en évolution, disais-je, car tous les paramètres de cette situation sont en
train de changer. Les deux premiers, dont la mutation permanente est évidente, sont la
technique et la pratique.
La technique, c'est-à-dire l'informatique, nous la savons en perpétuel mouvement. Les
capacités de stockage, de traitement et de transfert se multiplient d'une année à l'autre et,
donc, la capacité de traiter l'information légale ou non légale, financière ou extra-financière, ne
fera que croître à l'avenir.
Avec l'interrogation en temps réel on a supprimé la dimension du temps et avec le CD ROM
on est en train de supprimer la dimension du volume, pour réduire le stock à une simple
surface. Lorsque des disques compacts représentent des bibliothèques entières, et qu'ils sont
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Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
interrogeables dans l'instant, on peut dire que le savoir a perdu deux de ses quatre dimensions
traditionnelles ; l'archive est devenue une surface.
La pratique, juridique évidemment, s'est emparée de cette technique. Au cours des
dernières années, nous avons vu des transformations considérables se produire dans l'ordre
documentaire, singulièrement à partir des fichiers de l'INPI et des Greffes des tribunaux de
commerce. Il en résulte que la distinction de l'information quérable et de l'information portable
n'est plus ce qu'elle était, tant s'en faut, puisqu'aujourd'hui, les fichiers publics viennent audevant du consommateur par la simple sollicitation d'un minitel.
Tout ceci s'est fait sans que les textes s'y mêlent. Je veux dire que la conjonction de la
technique et des pratiques qui ont pris appui sur elle font que les choses ne sont plus ce
qu'elles étaient, sans que l'on ait changé un seul article, ni dans les lois, ni dans les autres
textes. C'est très remarquable.
Deux autres paramètres, dont on a moins parlé cet après-midi – mais on pardonnera à
l'universitaire de les réintroduire dans un débat qui a été un débat principalement
professionnel –, sont également à considérer.
La théorie juridique, qu'Alain Sayag a évoquée brièvement cet après-midi, et de façon
plus approfondie dans le livre qu'il a dirigé, voit un événement de grande importance prendre
corps et se développer sous nos yeux : c'est l'avènement de nouveaux biens immatériels en
tête desquels se situe aujourd'hui l'information, l'information source de pouvoir, l'information
source de richesse... Pour un juriste, l'information est en train de devenir un bien. Or, il y a une
sorte d'antagonisme ou, en tout cas, une ambiguïté qui entache un peu l'accès à la qualité de
bien juridique de cette « valeur immatérielle », comme dit Alain Sayag.
D'un côté, on voit que l'information circule, qu'elle est créée et qu'elle produit des flux
financiers. On voit aussi – et c'est un mérite de cet ouvrage de l'avoir souligné – qu'à la racine
de l'information, avant qu'elle ne circule, il y a un acte créateur qui est sa mise en forme. Par là,
on rejoint l'étymologie, car « informer », c'est d'abord mettre en forme. L'acte de formulation est
générateur de « quelque chose » qui n'existait pas avant qu'il ne se produise. C'est en lui que le
bien prend sa source.
Une fois le bien créé, il va circuler et, circulant, il sera objet de prestations, c'est-à-dire de
services. Le passage du néant au produit, c'est la formulation ; le passage du produit au
service, c'est-à-dire du capital au revenu, c'est l'exploitation, c'est la circulation, qui suivent la
divulgation.
Il reste beaucoup à écrire et à réfléchir sur ce bien nouveau, qui va poser tous les
problèmes attachés aux biens : sa reconnaissance, sa capitalisation, son amortissement, son
transfert au-delà des frontières, etc.
Oui, mais... Oui, mais d'un autre côté, nous nous apercevons qu'il existe des obligations
d'informer en nombre croissant, des publicités obligatoires, des divulgations forcées, que l'on
est allé jusqu'à appeler cet après-midi, des « expropriations » pour cause d'utilité publique ou
semi-publique, on ne sait trop, en tout cas des expropriations sans indemnité. Or, lorsque l'on
est obligé de divulguer, sans contrepartie, on n'est pas vraiment propriétaire du bien, de sorte
que la notion d'information comme bien est évidemment mise à mal par cette dépossession
nécessaire que le législateur impose au titulaire de la donnée.
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À l'inverse, il y a des obligationss au secret qui ne sont sans doute pas en phase
d'expansion comme l'obligation d'informer, qui sont peut-être même en phase de récession,
mais qui demeurent encore fortes. On a plusieurs fois évoqué, cet après-midi, la dialectique de
la transparence et du secret de l'entreprise. Or, l'exigence du secret n'est pas neutre au regard
de la théorie juridique : si l'on n'a pas le droit de divulguer, le devoir de se taire, l'obligation de
céler sont négateurs de la propriété. La propriété, c'est le pouvoir de disposition, en l'espèce de
divulgation.
Ainsi, le bien information est encadré par deux écueils qui le menacent. Il est pareillement
détruit par l'obligation d'informer et par l'obligation de ne pas divulguer. C'est dans ce périmètre
que doit s'inscrire la réflexion juridique qui, tôt ou tard, lui confèrera la consécration patrimoniale
qu'il poursuit encore.
Le quatrième élément de ce processus tient aux aspirations du corps social, aspirations
elles aussi contradictoires, parce que marquées d'un antagonisme.
D'une part, en effet, on constate une demande de respect dû à la donnée nominative, aux
informations concernant les personnes, respect que les lois de 1978 ont consacré et reconnu
en droit pour les personnes physiques. Dans une certaine mesure les personnes morales
partagent cette aspiration. On voit bien qu'à la charnière des deux situations, le commerçant
individu a droit au respect des données nominatives qui lui est dû en tant que personne
physique, alors qu'il ne lui est pas dû de la même façon lorsque les données concernent son
entreprise. Tôt ou tard, il faudra réfléchir plus qu'on ne l'avait fait au temps du rapport Tricot à la
protection des données nominatives concernant les entreprises.
Mais, d'autre part, neutralisant en quelque sorte cette aspiration à la « vie privée » des
sociétés et des entrepreneurs, il y a le besoin d'information, l'aspiration à la transparence que le
congrès de Deauville, « Droit et commerce », a illustré au printemps dernier et qui a été encore
maintes fois évoqué aujourd'hui.
La transparence : quel mot ambigu ! L'usage que l'on en fait dans notre discours juridique,
où elle est nouvelle venue – mais quelle place elle est en train d'y prendre ! –, a au moins deux
significations qui sont profondément différentes.
Lorsque l'on considère le souhait d'un individu de connaître les informations que des tiers
détiennent sur lui-même, il s'agit d'un souhait légitime, satisfait par deux lois jumelles : la loi
informatique et liberté qui a créé la CNIL et la loi sur l'accès aux documents administratifs qui a
créé la CADA, à la même époque. Dans les deux cas, l'individu demande à être renseigné sur
ce que les tiers croient savoir de lui, il demande, en quelque sorte, à se reconnaître dans le
miroir qu'on lui présente. C'est une forme de transparence.
Mais l'autre transparence, celle dont il est question aujourd'hui, est exactement inverse. Les
tiers ne savent pas ce qu'ils souhaiteraient connaître de la personne ; la transparence qu'ils
revendiquent n'est pas un miroir, c'est une glace sans tain, c'est la « vitre » dont parlait le doyen
Jean Carbonnier à Deauville, c'est le regard du tiers qui dénude son objet. Or, le sujet dénudé,
parfois, en est meurtri ou inquiet.
En l'état de ces dualités, de ces antogismes, le devenir de notre thème ne relèvera pas de
la raison pure, ni même de la raison pratique ; il va relever de la raison dialectique, c'est-à-dire
d'un va-et-vient entre les préoccupations qui sont en conflit et qu'il va falloir concilier.
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II. – Ces propos liminaires me conduisent maintenant à vous dire rapidement ce que j'ai
retenu du contenu des rapports et des tables rondes. Ils sont d'une telle densité que
l'on m'excusera si j'en oublie beaucoup de choses et peut-être l'essentiel. Ce qui m'induit à la
brièveté, indépendamment de l'heure et de votre patience que je sollicite, c'est que, pour
reprendre le vocabulaire européen du moment, les critères de convergence m'ont paru assez
forts dans ce que nous avons entendu.
Les constats tout au moins, ainsi que les suggestions, sont concordants. Que l'on pense
à la dispersion des instruments, soulignée successivement par Alain Sayag et par le Conseiller
Dragne, que l'on songe à la diversité des effets de la publicité légale, mise en lumière par Yves
Guyon, que l'on s'attache au domaine vraiment spécifique de l'information financière, de la
publicité légale des informations financières, qui a été traité par la deuxième table ronde, sur
tout ceci, je n'ai pas senti qu'il y ait un désaccord entre les orateurs, ni une mésintelligence
entre la tribune et la salle. Je ne vois pas ce qu'ajouterait à ces propos un inventaire des
constats qu'ils ont dressés.
Sur les perspectives, peut-être, il y a plus de non-dits dans les réactions.
L'accord me paraît assez large, s'agissant du domaine et du contenu de la publicité légale
hors finances – car la spécificité des finances est très grande –, sur l'utilité d'élaguer la publicité
là où elle est redondante. Chacun sait l'exaspération qui habite le petit entrepreneur obligé de
remplir à peu près un formulaire tous les deux jours ! J'étais à Fort-de-France il y a trois
semaines. Un chef d'entreprise qui avait créé une PME m'a affirmé avoir rempli 150 formulaires
au cours de l'année écoulée, par ses propres moyens ou avec l'aide de son épouse...
Mais en même temps, à côté de ces redondances qu'il faut supprimer, on constate des
lacunes dans le dispositif actuel. Il serait dès lors souhaitable de compléter l'état présent des
publicités obligatoires par un certain nombre d'ajouts.
M. Lebègue insistait tout à l'heure sur le caractère en quelque sorte occulte des réserves
de propriété et d'un certain nombre de sûretés mobilières. Il est vrai qu'il y a là matière à
réflexion et probablement à réforme de la réglementation actuelle.
À cet égard, la conclusion de l'après-midi est que l'idéal serait de tendre vers l'unité de
formalités, d'élaguer les redondances et d'ajouter quelques rubriques à la liste des actes sujets
à publicité.
Sur les effets attachés à la publicité obligatoire, on ne s'est guère appesanti aujourd'hui,
tenant cet éventail de conséquences comme chose acquise. Sans doute aurait-on pu utilement
parler des sanctions autres que pénales applicables au non-respect des règles de publicité. La
question est envisagée dans l'ouvrage du CREDA et je partage entièrement l'avis d'Alain
Sayag : il n'y a que trop de droit pénal, à côté de chaque loi civile ; il faut trouver des sanctions
de substitution à cet épouvantail pénal qui n'est, en réalité, qu'un croquemitaine de papier.
Sur les techniques, encore, les observations faites relèvent du constat plus que des
suggestions. Il est frappant de voir l'extraordinaire expansion de l'usage que l'on fait des
banques de données en matière de publicité légale. Selon les chiffres de M. Dragne, on
dénombre 1 200 000 heures de connexion pour les fichiers du greffe et de l'INPI : c'est énorme,
c'est probablement une des plus grosses transactions informatiques du moment, apparue en
quelques années à peine.
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Oui, la consécration législative ou réglementaire des échanges de données informatisées,
des fameux EDI, est aujourd'hui nécessaire.
Oui, l'assouplissement des règles du code civil sur la preuve est également à l'ordre du jour
et devra être réalisé tôt ou tard, encore que, pour l'essentiel, il s'agisse d'actes de commerce où
la rigidité de la preuve n'a rien à voir avec celle du droit civil.
Oui, on peut superposer des fichiers, c'est-à-dire créer à la fois des fichiers nationaux
doublant les fichiers régionaux, puisque la duplication informatique est si rapide que l'on peut
multiplier les différentes versions des grands fichiers publics non pas seulement à titre de
sauvegarde, mais à titre de base de données exploitable.
Oui, les distinctions traditionnelles entre l'information brute et l'information traitée sont en
train de s'affadir, de même que la distinction de l'information quérable et de l'information
portable.
Tout ceci relève de constats convergents, qui traduisent un vaste mouvement vers des
systèmes de publicité beaucoup plus modernes et mécanisés.
À partir de là, je ne suis pas certain que tout le monde marche du même pas sur le terrain
un peu plus glissant, un peu plus délicat des perspectives.
On a prôné la neutralité des systèmes, entendant par là que les systèmes d'information
légale ne doivent comporter aucune appréciation subjective ; ils doivent se borner à compiler
des données contrôlées par l'instance responsable des fichiers. Mais en même temps on
décèle un appétit, notamment des consommateurs, pour une information à valeur ajoutée.
Qu'est-ce qu'une valeur ajoutée ? C'est une information qui, retraitée, augmentée par des
données qui ne sont pas forcément celles de la publicité légale, vérifiée par l'instance
responsable, va se mélanger à la publicité légale de manière à apporter à l'interrogateur des
informations plus indiscrètes sur l'utilité du contrat ou sur le risque de l'opération. Sur ce sujet,
j'ai cru sentir comme un flottement dans la doctrine de l'assistance.
Une même impression m'a effleuré à propos de la coexistence de multiples supports.
M. Dragne a porté le fer sur la concurrence qui se développe entre les quatre systèmes
d'information qu'il a dénombrés. N'est-ce pas trop pour un pays de 58 millions d'habitants,
surtout si ces informations font souvent double emploi en se recouvrant ? Ou alors les mérites
de la concurrence sont-ils tels qu'il faille encourager cette émulation ? C'est une question qui ne
paraît pas être résolue après avoir entendu les interventions de cet après-midi.
Egalement, que deviennent les instances publiques lorsqu'elles se mettent à faire le
commerce de leurs données ? La commercialisation des données publiques est à l'ordre du
jour, on le sait. Mais sait-on où s'établit la frontière entre la publicité légale et la diffusion
commerciale d'une valeur ajoutée, ce que M. Sayag appelle, avec une grande pudeur, la
« privatisation de la publicité légale » ?
Tout ceci reste à observer avec la curiosité discrètement amusée qui doit présider à
l'analyse de ces conflits d'intérêts.
III. – Face au souhait qui paraît se dégager de règles nouvelles, y a-t-il des raisons
d'être optimiste ? Comme toujours, il y en a certaines, tandis que d'autres poussent à l'être
moins.
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Ce qui pousse à être optimiste un civiliste, c'est que l'on a enregistré, par le passé, des
succès évidents dans les réformes de la publicité légale. Le décret du 4 janvier 1955, dans le
domaine de la publicité immobilière, a bouleversé les choses et ramené à zéro des chapitres
entiers du Planiol et Ripert (1re édition). Il n'y a plus, depuis 1955, de sûreté immobilière
générale et occulte : ce fut, à l'époque, une sorte de révolution.
Paradoxalement, le progrès juridique dans le domaine de la publicité foncière est
aujourd'hui handicapé par un énorme retard informatique et par le mauvais état du cadastre. Si
bien que nous avons là un tableau exactement inverse de celui que vous nous avez présenté :
à savoir un système juridique, correct, bien corrélé à notre tradition foncière, mais bloqué par la
non-informatisation du Bureau des hypothèques et par le retard pris dans la mise à jour du
cadastre. Les conséquences en sont néfastes pour le marché immobilier qui balance entre la
lenteur des transactions et le risque d'une information insuffisante.
Ici, dans le domaine du droit des affaires, domaine de la fortune mobilière et de l'immatériel,
nous voyons au contraire une informatique en flèche et des fichiers en plein épanouissement,
mais le Droit accuse un certain retard, parce qu'il n'a pas connu la révolution qu'a apportée,
dans l'immobilier, le décret de 1955.
Ce constat mène à une nouvelle interrogation. Le Droit doit sans doute se mettre à jour,
mais à quel niveau ? Aujourd'hui, quand on légifère, cette question revient sans cesse. Si c'est
au niveau national, les choses peuvent aller vite comme vient de le montrer la loi du 11 février
1994, sur l'entreprise et l'initiative individuelle. Mais est-il suffisant, à présent, de légiférer ou de
réglementer au niveau national ? Pour certaines entreprises, oui, mais pour d'autres, non.
Alors l'Europe ? M. Salustro nous a dit que l'Europe avait été locomotrice pour la France et
qu'aujourd'hui il serait souhaitable que la France devienne locomotrice pour l'Europe. À
l'entendre, il semble que les directives n'aient pas été suivies d'une application toujours
convaincante dans les pays de la Communauté.
Il est clair, en tout cas, que si, comme on l'a dit, il y a trois blocs dans le monde qui sont
l'Extrême Asie, l'Amérique et l'Europe, on ne pourra pas faire l'économie d'un système
européen. Mais à cet égard, les financiers, c'est-à-dire la deuxième table ronde, laissent
entendre que le système européen lui-même, tôt ou tard, devra composer au niveau mondial
avec les autres grands ensembles économiques et financiers.
Pour finir, le GATT va-t-il s'emparer de la publicité légale ? Il y a un tel appétit dans les
instances internationales que, la Commission de Bruxelles ayant déjà avalé ce thème, on peut
imaginer quelque « round » à venir, l'absorbant à son tour. C'est le mot de la fin.
Au terme de ces travaux qui m'ont beaucoup appris, je voudrais remercier M. le Président
Grandjean, que je connais depuis tant d'années, pour sa présidence aussi souriante
qu'élégante, et féliciter Alain Sayag pour les recherches qu'il conduit avec tant de clairvoyance
et d'efficacité.
M. le Président Philippe GRANDJEAN. – M. le Professeur, j'aurais voulu vous exprimer
avec plus de détail l'admiration de votre auditoire pour la hauteur de vues, la finesse de vos
remarques, la science qui irrigue vos propos et l'élégance du style, mais l'heure m'en empêche.
Je voudrais dire au Président Bernard Cambournac la gratitude de l'assistance pour
l'organisation de cette réunion.
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L’information légale dans les affaires :
Quels enjeux ? Quelles évolutions ?
Je voudrais aussi exprimer à M. Alain Sayag la très grande considération des participants
pour avoir fait d'un sujet apparemment aride et second, un sujet passionnant – et, à certains
moments, sur le bord d'être discrètement passionné –, et un sujet de premier plan, dominé par
le choix d'une philosophie de l'entreprise.
Je voudrais enfin remercier les intervenants. Leur niveau élevé, leur talent de
communication a rencontré, je l'avais pressenti, le talent d'audition d'une savante assistance.
M. le Président, M. le Directeur, nous partons avec le sentiment d'avoir enrichi notre
connaissance et notre réflexion. Cela a été pour nous une grande après-midi.
Merci.
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