Le nouvel Economiste
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Economie MACRO-FINANCE “On ne prête qu’aux riches et on a tort de se priver des 80% qui aspirent à le devenir” Entretien avec le directeur générale de Proparco, institution financière de développement dans les pays du sud. Un contre modèle à la finance de marché. Patience : des investissements sur une durée vier. Et dont la spécificité – autre originalité forte cier pas banal. Et il confie le secret de la perforde 7 à 20 ans ; prudence : un ratio de solvabilité – est“d’investir à long terme dans les pays les plus mance : le système financier ordinaire surestime (engagements sur fonds propres) de 25 %, et pauvres dans des projets économiques viables, le risque pays émergent par méconnaissance et pourtant efficience.Avec un rendement égal sur socialement équitables, soutenables sur le plan il a laissé ce créneau libre aux institutions finanlongue durée à celui des entreprises cières de développement. Ce groupe du CAC – soit 7 à 9 % en rythme an- Le système financier ordinaire surestime le risque pays dans lequel se range Proparco reprénuel servis à ses actionnaires - Proémergent par méconnaissance et il a laissé ce créneau sente plusieurs milliards d’euros d’exparco, société d’inves-tissement position sur ces pays. Une “niche” au libre aux institutions financières de développement détenue à 58 % par l’Agence franregard des besoins à financer qui est apçaise de développement, démontre pelée à terme à être prise en charge par la compatibilité de ces trois termes. Un tryptique environnemental et financièrement rentables”. le secteur financier privé, table, philosophe, Luc aux antipodes des excès de la finance de marché Le “Graal” ? Luc Rigouzzo, son directeur géné- Rigouzzo. Ce qu’on appelle la rançon du succès... court-termiste et jouant à fond sur l’effet de le- ral, démonte la mécanique de cet acteur finan- Par Philippe Plassart les banques françaises, quelques partenaires européens et de nombreux acteurs du Sud comme la BMCE marocaine,la DBSA sud-africaine,la BOAD ouest-africaine, le groupe BOA ou le groupe de l’Aga Khan. Cette gouvernance mixte est un double atout.Elle est en phase avec la réalité du monde D.R. “Cette gouvernance mixte est un double atout. En phase avec la réalité du monde multipolaire” Luc Rigouzzo : “Malgré ce “handicap” structurel (risques supposés plus élevés, faible levier des fonds propres), Proparco a pu assurer à ses actionnaires un rendement équivalent à celui du CAC 40 sur longue durée, soit de 7 à 9 % en rythme annuel.” La spécificité Proparco a été créée en 1977 par l’AFD, avec la conviction que le secteur privé doit être le principal acteur du développement dans les économies du Sud.Trente ans plus tard, Proparco incarne la possibilité d’investir à long terme dans les pays les plus pauvres, des opérations qui soient économiquement viables, socialement équitables, soutenables sur le plan environnemental et “Un rapport unique au temps et au risque” financièrement rentables. Cette réussite est d’autant plus intéressante que le modèle de développement économique et stratégique de Proparco est atypique. Il se caractérise par une gouvernance unique parmi ses partenaires européens, avec un capital et un conseil d’administration ouverts à des partenaires publics et privés, du Nord comme du Sud ; un rapport unique au temps et au risque qui la conduit à se concentrer exclusivement sur des financements de long terme, dans des zones géographiques ou sur des contreparties jugées trop risquées par les banques commerciales ; Enfin un portefeuille de projets sélectionnés pour leurs impacts sociaux,environnementaux et économiques. Le conseil d’administration La gouvernance publique/privée et Nord/Sud de Proparco n’a pas d’équivalent dans le paysage des institutions financières de développement. La société est détenue par l’Agence française de développement (58 %), et par des actionnaires publics ou/et privés du Nord et du Sud (42 %). Sont ainsi présents au capital de Proparco les principa- 12 multipolaire dans lequel nous évoluons. La présence récemment renforcée d’actionnaires financiers africains, autrefois clients et aujourd’hui membres actifs du conseil d’administration de Proparco, traduit bien cette évolution. Proparco est ainsi devenue au fil du temps une communauté d’investisseurs à long terme spécialisés dans le développement durable des pays du Sud. Le risque Proparco intervient dans des catégories de pays (les pays non OCDE) dans des secteurs (entreprises, infrastructures) et sur des maturités longues (de 7 à 20 ans) qui sont par définition jugées souvent trop risquées par le système bancaire. C’est même l’un de nos critères d’intervention, nous devons prouver sur chaque intervention que nous ne faisons pas concurrence au secteur bancaire,ce qui a d’ailleurs été facilité par le fait que la plupart des banques françaises et des banques du Sud siègent à notre conseil. Si nous proposions des opérations “Notre niveau de douteux est inférieur à 4%” qu’elles souhaitent faire, elles seraient promptes à nous rappeler à l’ordre… Ce qui est par contre plus contre-intuitif, c’est de voir qu’après plusieurs décennies d’investissement à long terme dans ces géographies jugées risquées par les banques du Nord, notre niveau de douteux est inférieur à 4 %. Il y a donc une surestimation du risque pays émergents par le système financier. La structure de bilan En mai 2008, Proparco a clôturé une augmentation de capital qui a permis de tripler son capital. Nos fonds propres s’élèvent de 500 M . Cette opération visait essentiellement à renforcer notre capacité d’investissement à long terme, notamment à travers le développement de notre activité de pri- “Un niveau de solvabilité élevé (supérieur à 25 %)” ses de participation. Avec ce niveau de fonds propres, Proparco jouit d’un niveau de solvabilité élevé (supérieur à 25 %), ce qui a été jugé nécessaire par ses actionnaires pour couvrir les risques de ses opérations. Nous sommes donc plus capitalisés qu’une banque traditionnelle et avons par construction un ROE (résultats / fonds propres) structurellement plus faible. Il est toutefois intéressant de noter que malgré ce “handicap” structurel (risques supposés plus élevés, faible levier des fonds propres), Proparco a pu assurer à ses actionnaires un rendement équivalent à celui du CAC 40 sur longue durée, soit de 7 à 9 % en rythme annuel. La rentabilité de l’investissement Cela tient dans la différence entre le risque perçu et le risque réel quand vous connaissez suffisamment bien ces marchés. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, notre niveau de douteux a oscillé suivant les périodes entre 3 % et 8 %, et nous recouvrons in fine 60 % de ces douteux. Notre risque en perte finale évolue donc sur longue durée dans un couloir entre 1,2 % et 3,2 %. Or les niveaux de marge pratiqués par le secteur financier traditionnel dans ces géographies permettent de couvrir sur les prêts à long terme des niveaux de sinistralités 3 fois supérieurs. Même en pratiquant des niveaux de marge conservateurs,nous pouvons donc être rentables. Cette surestimation du risque dans les pays émergents, ou son corollaire, la sousestimation des risques dans les pays développés, notamment aux Etats-Unis, est d’ailleurs une des “Cela tient dans la différence entre le risque perçu et le risque réel quand vous connaissez suffisamment bien ces marchés” causes structurelles de la crise qui vient de sévir qui a été peu commentée. En effet, celle-ci a été due au recyclage par les banques des excédents d’épargne mondiaux, notamment du Golfe et d’Asie, intégralement aux Etats-Unis et dans les pays de l’OCDE, perçus un peu vite comme une zone refuge en matière de risque. Quand tout le monde veut prêter dans une seule zone géographique, il s’ensuit d’abord une baisse des taux d’intérêts dans celle-ci, puis un surendettement croissant d’emprunteur de qualité de plus en plus faible, débouchant in fine sur des effets de leviers excessifs dans toute l’économie. Si l’industrie financière souhaite que ses investissements soient productifs et que ses prêts soient remboursés, elle doit les orienter vers les 5/6e de la population mondiale qui croît à plus de 5 % et pas sur 1/6e de la population mondiale qui croit à 2 %, c’est-à-dire à l’ensemble des pays émergents et en développement. La finance est une industrie comme une autre, elle ne peut se concentrer exclusivement sur les pays de l’OCDE. Les crédits du secteur privé ne représentent que 18 % du PIB en Afrique subsaharienne contre 100 % dans la plupart des pays de l’OCDE. Nous sommes au début de la bancarisation du continent et ce n’est pas un problème de pouvoir d’achat, il n’y a toujours que 2 milliards de comptes en banque sur la planète et, déjà, 3 milliards de détenteurs de téléphones portables. On ne prête qu’aux riches, et on a tort de se priver des 80 % de ceux qui n’aspirent qu’à le devenir. Le coeur du métier Le cœur de notre métier est la fourniture de services et d’infrastructures de base aux populations les plus pauvres ; énergie, eau, transports, services financiers et microfinance, appui aux intermédiaires financiers et aux fonds d’investissements finançant les PME. Ces secteurs concentrent l’essentiel de l’activité de Proparco. La taille du projet importe peu, ses impacts mesurés et évalués sur le développement local ou régional sont en revanche primordiaux. Proparco est ainsi capable de financer ou cofinancer la construction d’un grand barrage et d’une centrale électrique qui permettra de doubler la capacité de production d’électricité en Ouganda, de soutenir une institution de microfinance au Ma- “La fourniture de services et d’infrastructures de base aux populations les plus pauvres” roc ou au Cambodge, de soutenir le développement d’un producteur de panneaux photovoltaïques en Chine, d’accompagner le développement d’un réseau de banques locales en Afrique de l’Est, ou de soutenir le développement de la production et de la commercialisation d’oignons au Niger. La cotation en bourse ? La question a été débattue par le conseil d’administration de Proparco lors de notre dernière augmentation de capital qui était antérieure à la crise financière (le scénario d’une cotation en Bourse était donc possible). Nous l’avons rejetée car ce serait inverser l’ordre des priorités de Proparco. En effet, nous choisissons d’abord nos projets pour leurs impacts et en- “Ce serait inverser l’ordre des priorités de Proparco” suite pour leur rentabilité financière. Par ailleurs nos actionnaires privés acceptent une rentabilité à moyen terme (ils ne peuvent sortir que dans 5 ans). Ceci nous permet de privilégier des investissements durables et de sortir de la tyrannie des résultats trimestriels que vivent toutes les sociétés cotées. Coter Proparco en Bourse aurait conduit au risque de privilégier une logique de rentabilité financière à court terme et à banaliser notre activité en la rapprochant de celle des banques privées. Nous y aurions perdu non seulement notre“âme”,mais aussi ce qui est à la source de notre compétitivité, notre relation au temps, qui fait de nous un investisseur patient. Le nouvel Economiste - n°1498 - Du 19 au 25 novembre 2009 - Hebdomadaire