La copie de Catherine Hermary-Vieille, écrivain

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La copie de Catherine Hermary-Vieille, écrivain
Grand Prix de la Fondation pour l’école Concours national de langue et de culture françaises Edition 2012 Nouvelle écrite par Mme Catherine Hermary‐Vieille sur le sujet donné aux élèves de 4e Les élèves devaient continuer un texte extrait du Capitaine Fracasse de Théophile Gautier. “Imaginez et racontez le déroulement de ce dîner improvisé qui redonne soudainement vie au morne château du baron de Sigognac.” Voici la nouvelle écrite spécialement pour cette occasion par Mme Catherine Hermary‐Vieille. ‐ Si Monseigneur veut bien se donner la peine de passer à table ! Chapeau à la main, le Pédant s’inclina profondément. ‐ Le souper est servi. Effaré, le baron de Sigognac, qui avait gagné sa chambre pour revêtir l’unique veste qu’il possédait, vit la table dressée, les flambeaux allumés et ses hôtes, tout sourires. Il n’en croyait pas ses yeux. Devant lui, posés sur des plats ôtés de son vaisselier, il voyait un gros jambon persillé, deux poulets dodus, dorés à point, trois pâtés en croûte, un saumon débarrassé de sa peau tout luisant de gelée, une gigue de chevreuil nappée de sauce brune, une omelette tellement farcie d’herbes qu’elle en était verte, une brioche, deux tartes agrémentées de confiture, une haute pile de crêpes et un panier débordant d’oranges, de poires et de raisins. Jamais de sa vie entière le pauvre baron n’avait vu une telle abondance, même au mariage de sa sœur avec un hobereau voisin que l’on avait célébré le plus chichement possible tout en gardant les apparences. La mariée portait une robe rafistolée par une couturière du village et un collier de perles jaunies par le temps. ‐ Messieurs, s’écria‐t‐il tout joyeux, j’ai eu fort raison de vous offrir l’hospitalité. Ce soir Lucullus dîne chez Lucullus ! Pantalon, Léandre et Isabelle tapèrent joyeusement dans leurs mains. ‐ Monsieur le baron est trop bon. Prestement Matamore avait tiré une chaise dont la tapisserie d’un rouge lie de vin tombait en lambeaux. ‐ Si Monseigneur daigne s’asseoir. A peine installé, Sigognac encore abasourdi découvrit que les volailles alignées sous son nez et qui avaient si fort suscité son appétit semblaient trop belles pour être vraies. Les poulets, la gigue, les pâtés, les tartes, tout était en carton contrefaisant si bien la vérité que ces mets 1
semblaient plus délicieux encore que les vrais. Sans doute avaient‐ils orné de nombreuses scènes de festins dans de miteux théâtres. ‐ Que dites‐vous de ces merveilles, interrogea Pédant ? Ne vous font‐elles pas monter l’eau à la bouche ? Les comédiens s’étaient tous installés et, un large sourire aux lèvres, avaient noué leurs serviettes autour du cou. ‐ Vous auriez bien dans vos cuisines une ou deux miches de pain, monsieur le baron ? Nous avons là du jus à éponger et des sauces à sécher. Sigognac était trop fin pour prendre ces malotrus à contre‐pied. Mais il avait sa revanche. ‐ Bien sûr, mes chers amis, mon valet va en apporter à l’instant. Il tapa dans ses mains et un vieil homme aux cheveux filasse, fit son entrée. Il avait le visage parcheminé et un vêtement qui n’était sans doute lavé que la veille de sa fête. ‐ Du pain, manant, et deux bouteilles de vin, de celui qui est dans le petit tonneau sur le buffet du cellier. Le serviteur eut un fin sourire qui découvrit des mâchoires édentées. ‐ A l’instant, monsieur le baron. Il ne fallut pas cinq minutes pour qu’il fût de retour une miche dans une main, un flacon rempli d’un liquide rubis dans l’autre. ‐ Servez ces dames et ces messieurs sans tarder. Le vieux remplit les verres à ras bord et avec un large couteau coupa la miche en douze parts égales. Tout sourire le baron leva son verre. ‐ Buvons un coup sec à nos santés respectives et au devoir sacré de l’hospitalité. Les hommes ne se firent pas prier. Ils voyageaient depuis l’aube dans des conditions fort pénibles et avaient le gosier asséché. ‐ Ventre Dieu, hurla le Pédant avec un affreuse grimace, quel nectar ! Le vinaigre lui déchirait l’estomac mais il était hors de question d’en laisser rien paraître. Les autres hommes avaient le plus grand mal à cacher la souffrance causée par les brûlures que ce mauvais vinaigre avait allumées en tombant dans leur estomac. Les femmes reposèrent leur verre avec des mines de chattes. ‐ Nous ne buvons pas, monseigneur, lança avec gaîté Isabelle, mais de cœur nous partageons l’euphorie que ce nectar va susciter dans cette noble assistance. Sigognac se sentait déjà un peu vengé. ‐ Trempons donc notre pain dans vos sauces exquises, suggéra‐t‐il. Je propose de vous donner l’exemple. Avec des gestes lents, gourmands, il effleura la peinture brune qui recouvrait la gigue de chevreuil. ‐ Excellent, prononça‐t‐il d’un ton gourmet. Vatel lui‐même n’en aurait concocté de meilleur. Il fallut l’imiter. La mie avait un atroce goût de plâtre. ‐ Délectable, affirma Matamore tout joyeux. Le roi n’en mange pas de meilleur. ‐ Nous irons donc nous coucher le ventre vide, mon amie, chuchota Léandre, à Isabelle. ‐ Pas tout à fait, mon très cher. J’ai dans un petit sac quelques biscuits et une tranche de fromage de Hollande que nous pourrons partager sur la contrepointe de plumes de nos lits. 2 ‐Et bien, messieurs, clama le baron en s’essuyant les lèvres, il est temps de prendre du repos. A la campagne on ne se couche pas tard et je présume que vous allez reprendre la route de bon matin. Si vous voulez me suivre, je vais vous mener à vos quartiers. Avec bonne humeur les comédiens lui emboîtèrent le pas. Ces vieux châteaux possédaient tous une profusion de lits aux matelas de laine moelleuse et aux oreillers de plumes d’oies. Ils étaient en effet harassés et l’estomac vide quoique rongé par le vinaigre. Ils avaient besoin de dormir. ‐ Vous voici chez vous, mes amis. Le baron ouvrit une porte. A la lumière de son flambeau la petite troupe découvrit avec désespoir des grabats faits de paillasses recouvertes d’une pièce de tissu sale et si trouée que la paille jaillissait de partout. Ces grabats devaient être infestés de poux, punaises et autres insectes malfaisants qui auraient, eux, un repas de roi. ‐ Monseigneur est trop bon ! Au moins étaient‐ils mieux que sous la pluie. Ils allaient déplier leurs manteaux pour recouvrir ces couches misérables. ‐ Point du tout, mes amis, la reconnaissance du ventre est, dit‐on, celle qui pousse le plus à la générosité. Je pense que haine et amitié sont proches et crois volontiers également que le principe de la reconnaissance et de la vengeance est identique. Vous m’approuvez, n’est‐ce pas ? Et maintenant bonne nuit à tous ! Catherine Hermary Vieille 3

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