André, le routier qui a dévoilé le scandale

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André, le routier qui a dévoilé le scandale
André, le routier qui a dévoilé le scandale
Nous avons retrouvé le routier qui a eu le courage de témoigner devant les
caméras de France 2 pour dénoncer l'exploitation des routiers polonais.
Dérangeant, édifiant, consternant : les qualificatifs n'ont pas manqué après la diffusion du
reportage sur les "nouveaux esclaves de la route", dans l'émission Envoyé Spécial, diffusée
sur France 2 le 3 février. "Tout ce que j'ai expliqué devant les caméras, tout le monde le
pense, mais personne n'osait le dire", prévient André Bonne. Ce routier de la division ND
Volume a non seulement accepté de témoigner à visage découvert mais il a permis de filmer
en caméra cachée les conditions de vie des 40 à 70 Polonais et Roumains, qui prennent leur
repos, chaque week-end sur le site de Sevrey (71). Ce conducteur a rejoint le groupe Norbert
Dentressangle, lors du rachat en 1993 des transports Translittoral d'Outreau (62), spéc ialisés
dans le trafic Transmanche. André dépendait de l'agence de Dôle (Jura) qui gérait le trafic
des sanitaires Jacob Delafon. Dans un premier temps, André n'a rien eu à redire sur les
conditions de travail imposées par le repreneur.
Comment vous rendre déficitaire
Mais avec l'introduction en bourse et la vague des rachats en France avec Venditelli et
Darfeuille-Salvesen, les réorganisations se sont multipliées trop souvent au détriment des
conducteurs, selon ce père de 5 enfants : "Le fret apporté par votre principal donneur
d'ordres peut alors être transféré vers l'une des 180 autres entités juridiques du groupe.
Quelques mois plus tard, la direction vous explique que votre centre de profits est désormais
déficitaire et qu'un plan social vous attend !", confirme André. Le détournement de la
clientèle est illégal. Puisque les preuves sont corroborées par les expertises, les syndicats
portent plainte et malgré cela, ils ne gagnent pas en justice dans les tribunaux de Valence
(26). Les conducteurs doivent parfois s'expatrier dans le département voisin comme le fera
André qui fut rattaché à l'agence de Sevrey (71) où les images filmées en caméras cachées
ont été tournées. Ce site appartient au pôle TND Volume qui emploie 573 salariés. Sinon, ils
sont poussés à la démission en étant harcelés de courriers recommandés après de légers
dépassements de conduite, des écarts de kilométrage pour rejoindre un restaurant ou
l'emprunt de tronçons autoroutiers interdits. "Des indemnités sont provisionnées afin de
négocier les ruptures conventionnelles mais les montants peu élevés varient selon les
agences, alors que Jean-Claude Michel partait à cette époque-là avec un indécent "golden
parachute". Ensuite, les ensembles des salariés français remerciés ont été récupérés par les
800 Polonais et Roumains", ajoute André.
"J'avais la rage !"
Cette méthode s'est amplifiée avec la crise, ce qui a poussé André à envoyer des courriers
recommandés aux principaux dirigeants du groupe, restés sans réponse. "Si j'ai accepté de
témoigner, c'est que j'avais la rage car certains personnels venaient à l'époque de se
suicider. Comme les DRH ne remplissaient plus leur rôle de conseil et de prévention auprès
des directeurs d'agences, je me suis syndiqué avant de devenir délégué syndical, puis
délégué central. Pour avoir accès aux chiffres d'ensembles du groupe, nous avons mis un
an avant de mettre en place un comité d'entreprise de groupe", précise le routier. "Lors des
NAO (Négociations Annuelles obligatoires), nous avons eu accès aux documents qui
incitent les conducteurs à dissimuler des heures de chargement et d'attente en échange
d'une prime afin que le groupe économise les charges. C'est illégal, mais l'inspect ion du
travail vient de nous avouer qu'avant la diffusion du reportage, elle n'avait pas conscience
de l'ampleur du phénomène !"
Doublement protégé
Au moindre conflit social, la pression de la direction sait se montrer dissuasive : constats
d'huissiers, assignation, référé et désormais les astreintes peuvent atteindre le montant de
10.000 euros par jour de blocage par conducteur. Reste alors la grève de la faim plus
médiatique ou un "ravageur" reportage : c'est cette dernière solution qu'à retenu André qui
se savait doublement protégé, au titre de délégué syndical et de futur retraité. Agé de 57
ans, il a pris sa retraite le 1er août soit un mois après le tournage. Quant au gardien armé de
son bâton, salarié d'une entreprise privée de surveillance, qui avait déclaré : "Le Roumain est
plus faucheur et le Polonais est plus bagarreur", il aurait été affecté à une mission moins
stressante. Cela lui évitera de fréquenter 40 à 70 Polonais et Roumains menaçants et
alcoolisés chaque dimanche, comme le prouvent les quantités de bouteilles vides
récupérées, alors que le règlement intérieur l'interdit l'alcool... aux Français.