Quelles perspectives pour les Missions Locales ? Actualités

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Quelles perspectives pour les Missions Locales ? Actualités
Quelles perspectives pour les Missions Locales ?
Actualités Sociales Hebdomadaires n°2372, septembre 2004.
« Le coup de tonnerre institutionnel qu’a constitué la possible « régionalisation » des missions
locales (horizon qui semble écarté aujourd’hui à la lecture de la loi relative aux libertés et
responsabilités locales), faisant suite à celui de la suppression de la délégation interministérielle à
l’insertion des jeunes, pose, au-delà de ces soubresauts, la question de leur devenir, ou plus
précisément de leur utilité. Les missions locales se trouvent en effet à un moment un peu
paradoxal de leur histoire. D’une part, le constat que « l’entrée des jeunes dans la vie active, après la
fin de la scolarité, est pour beaucoup d’entre eux une véritable course d’obstacles et une période
d’incertitude et de déstabilisation », formulé par Pierre Mauroy en 1981 dans sa lettre de commande
à Bertrand Schwartz – qui fit une synthèse à proprement parler saisissante de la situation des
jeunes et inventa dans la foulée les missions locales – reste encore valable. D’autre part, cependant,
l’évolution du contexte économique et social a bouleversé profondément la nature même de la
question sociale jeune et celle du contexte de leur intervention a mis à l’épreuve les principes
mêmes de leur intervention. Penser l’avenir des missions locales au-delà de leur devenir
administrativo-institutionnel nécessite d’interroger avec lucidité ces évolutions.
Comme l’a démontré fort pertinemment le rapport Charvet1, les « jeunes » ne sont plus
confrontés seulement à des problèmes sociaux particuliers, qu’il s’agit pour eux d’affronter un à un,
mais bien à une question sociale, celle de l’effritement du salariat. Les mutations profondes de
l’organisation productive qui ont caractérisé la période dite « de crise » ont eu pour conséquence
principale le renoncement délibéré au principe majeur du système d’intégration de la société
salariale – à savoir l’emploi garanti pour tous –, tout en préservant sa survie – en le garantissant à
certains. Ces choix socio-économiques se sont concrétisés par l’assignation des jeunes sur des
zones d’emploi très spécifiques, et particulièrement sur ce qu’il est convenu d’appeler des « formes
particulières d’emploi » : intérim, contrats à durée déterminée, travail à temps partiel, etc. Cette
situation est sans doute à l’origine de la véritable « fracture générationnelle » 2qui caractérise le plus
douloureusement la question sociale des jeunes aujourd’hui.
1
Rapport rédigé sous l’égide du Commissariat au Plan - « Jeunesse, le devoir d’avenir » - La Documentation Française, 2001
2
. Le destin des générations. Structure sociale et cohortes en France, Louis Chauvel, PUF, 2002.
1
Des politiques d’insertion sans ligne directrice.
Afin d’« amortir » ces choix socio-économiques, le développement de l’action gouvernementale
pour l’emploi et l’insertion des jeunes s’est appuyé, depuis une vingtaine d’années, sur une
accumulation et une sédimentation de mesures spécifiques, sans ligne directrice, et donc sans
cohérence d’ensemble. Ces mesures correspondent à une succession de choix pragmatiques plus
qu’à des options théoriques nettes. Elles ont été ciblées sur des « publics en difficulté » dont la
définition a évolué en fonction du diagnostic porté successivement par les pouvoirs publics sur les
chances respectives des différentes catégories touchées ou menacées par le chômage. Ces
politiques d’emploi et d’insertion ont ainsi oscillé sans cesse entre des actions visant à redonner
leur chance aux catégories les plus vulnérables, par des actions destinées à contrecarrer la
sélectivité du marché du travail (formation et contrats aidés) et d’autres visant à enrichir la
croissance en emplois, soit en abaissant le coût du travail, soit par le biais de dispositifs de
réduction collective du temps de travail ou de création de « nouvelles » activités dans les services
non marchands.
Ces brouillages ont imposé aux acteurs de l’insertion, et particulièrement aux missions locales,
chargées de mettre en œuvre localement les politiques d’insertion sociale et professionnelle des
jeunes, une série de messages paradoxaux et ,en définitive, contre-productifs.
Les missions locales doivent « favoriser la concertation entre les différents partenaires en vue de
compléter les actions conduites par ceux-ci, notamment pour les jeunes rencontrant des difficultés
particulières d’insertion ». Les difficultés de mise en œuvre de cette fonction historique n’ont
cessé, elles aussi, de croître du fait d’un enchevêtrement de dispositifs quasi exponentiel durant
cette période. Enchevêtrement qui rend l’offre de services localement pratiquement illisible, sa
régulation improbable et « dévoreuse » de temps et l’évaluation de ses effets incertaine. Alors que,
dans le même temps, de nouvelles collectivités sont apparues, entraînant le redéploiement des
compétences liées à l’insertion, aux politiques d’emploi, de développement économique et de
développement local. Cependant, l’aspect le plus paradoxal de cette situation se révèle être la
surprise qu’affichent avec constance les acteurs de l’emploi et de l’insertion devant le constat que
l’ajustement du marché du travail ne s’opère pas de manière simple et que les individus n’y sont
pas interchangeables. Dans les discours et dans les actes, en effet, il apparaît que l’on ne sait
toujours pas que ce difficile ajustement tient autant à l’adéquation entre la formation reçue et
l’insertion professionnelle choisie, à « l’attractivité » des emplois proposés et au niveau d’exigence,
2
notamment en termes d’expérience, des employeurs lors du recrutement, qu’à un glissement du
sens du travail et de son importance dans la représentation sociale que s’en font les jeunes.
Le danger de l’instrumentalisation.
Une des fonctions principales de la mission locale est « d’aider les jeunes de 16 à 25 ans, à
résoudre l’ensemble des problèmes que pose leur insertion sociale et professionnelle, en
assurant des fonctions d’accueil, d’information, d’orientation et d’accompagnement ». De
toutes les activités d’une mission locale, celles-ci apparaissent comme les plus évidentes, sans
doute parce qu’elles sont les plus visibles. Elles constituent de fait les activités qui
concourent le plus, dans la proximité des jeunes, à leur insertion sociale et professionnelle.
Elles représentent une part importante de la professionnalité historique des missions locales,
en ce qu’elles contribuent à l’objectif de « qualification sociale » des jeunes que suggérait
déjà Bertrand Schwartz dans son rapport de 1981. Mais la conception de ces activités,
centrée sur la construction d’une relation inconditionnelle, a été constamment remise en
cause par une tendance à la rationalisation fonctionnelle des modes d’organisation de ces
structures et à leur instrumentalisation comme des outils d’application de directives, de lois
ou de dispositifs administratives, comme se les représentent aujourd’hui leurs principaux
financeurs et partenaires.
Désormais, la question centrale posée aux missions locales est bien celle de la possibilité de la
reconquête d’une « fonction politique autonome ». Ce principe constitue l’un des fondements à
l’origine de leur création. Il est même une des intuitions majeures du rapport de Bertrand
Schwartz, qui voyait en elles non pas des institutions, des administrations ou des guichets
supplémentaires, mais bien des dispositifs d’animation territorialisés, susceptibles de transformer
l’approche que pouvaient avoir de la question sociale jeune.
Réaffirmer une utilité sociale en déshérence.
Redéfinir une stratégie et refonder un nouveau projet en ce sens nécessite de concevoir les
missions locales non plus simplement comme l’instrument de l’application de textes divers mais
comme une institution, qui, à partir de ses pratiques et des discours de ses représentants et
agents, construit son territoire, définit ses activités, et délimite un espace politique. Ce
renversement de perspective apparaît comme la condition nécessaire, mais certainement pas
suffisante, pour construire un avenir possible.
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Les missions locales doivent donc tout à la fois affirmer la pertinence de leur approche de
l’accompagnement de l’insertion professionnelle des jeunes, tout en redevenant les animatrices de
démarches de réflexion et de propositions d’actions structurantes concernant l’orientation des flux
de formation, l’amélioration des salaires et des conditions de travail, ainsi que la prise en compte
des « nouveaux » rapports qu’entretiennent les jeunes avec le travail, et ce à partir de la
connaissance qu’elles ont de ces publics et des territoires où ils vivent. C’est ainsi que pourra se
réaffirmer leur utilité sociale et politique, actuellement en déshérence dans ce pays qui connaît le
taux de chômage des jeunes le plus élevé d’Europe.
Jean-Luc Charlot
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