La situation financière d`EDF Par Corinne Lepage

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La situation financière d`EDF Par Corinne Lepage
La situation financière d’EDF
Par Corinne Lepage
Edf est une entreprise très endettée, en raison de choix capitalistiques
désastreux, dont la stratégie constante est de faire peser sur le
contribuable ou l’usager sa politique tout en réduisant la sécurité au
bénéfice de la rentabilité pour ses actionnaires.
La vérité sur la situation financière
En 2010, avant la manipulation consistant à se débarrasser de la dette de
RTE et de l’obligation de constituer des provisions pour démantèlement,
l’endettement d’EDF se montait à 42,5 milliards d’euros pour un résultat
brut d’exploitation de 17,5 milliards, soit 2,4 fois moins. Le tour de passepasse qui a permis de sortir le fond de démantèlement des centrales
nucléaires a permis une apparente réduction de l’ endettement de 12
milliards d’euros. Pourtant, lors de la présentation de ses comptes 2010,
La dette nette n’a diminué que de 8,1 Mds € en 2010, à 34,4 Mds € au 31
décembre 2010 malgré la cession du réseau UK (6,7 Mds €). M. Proglio a
justifié le niveau d’endettement par l’obligation de provisionner 2,9
milliards d’euros de pour risques et ajustements de valeur liés à la
dégradation des conditions des marchés de l’électricité et du gaz à
l’international, dont 1 milliard aux Etats-Unis et 915 millions en Italie.
Les annonces d’Edf ont laissé le monde de la finance peu convaincu.
Cette situation n’est pas nouvelle. En 2009, en raison de l’acquisition de
British Energy, l’agence de notation Fitch avait décidé d’abaisser la note
de défaut émetteur long terme (IDR) à A+, contre AA- précédemment et
la note de la dette senior à AA-, contre AA auparavant.
Alors la situation financière d’EDF peut-elle s’améliorer? L’évaluation
des risques financiers faite par les agences de notation laisse plus que
quelques doutes compte tenu de la réalité économique et financière.
Le débat sur le prix réel du kWh nucléaire est ouvert et les comptes
présentés en février 2011 parient sur un prix de vente du KW de 42 cts
d’euros ce qui n’est pas tranché. En effet, durant des années, le coût du
nucléaire a été systématiquement sous-évalué pour améliorer sa
prétendue rentabilité au regard des autres formes d’énergie et en
particulier des énergies renouvelables. Mais, selon le principe bien connu
de l’arroseur arrosé, cette sous-évaluation systématique se retourne
aujourd’hui contre EDF. En effet, dans le cadre de la fixation du prix de
rachat de l’électricité par ses concurrents, EDF a bien entendu intérêt
aujourd’hui à réévaluer le prix de revient de son kWh nucléaire. Pour
cette raison, le prix affiché de 34 €/MWh est passé à 55 pour intégrer le
coût de remplacement des centrales nucléaires, mais en réalité pour
coller au prix de revient du kWh produit par un EPR. Mais ce coût serait
en réalité plus proche de 60 € que de 55. Les déboires de construction de
la centrale nucléaire de Flamanville ne sont pas achevés et le coût devrait
être encore réévalué à la hausse. Et, de surcroît, le contribuable est
appelé largement à mettre la main au porte monnaie, ce qui fausse
l’évaluation du coût réel du kWh nucléaire
Le débat porte également sur l’aval du cycle et en particulier sur le coût
de l’enfouissement des déchets à vie longue qui serait passé de 15 à 35
milliards d’euros ; l’essentiel du paiement de cette somme revient à EDF
et plus modestement à AREVA. A cet égard, le rapport au vitriol de
Messieurs Birraux et Bataille, grands défenseurs du nucléaire, sur les
difficultés de mise en place des laboratoires souterrains démontre que la
course est engagée, à la fois pour officiellement renchérir le coût du kWh
nucléaire (dans le cadre de la fixation du prix de vente de l’électricité
nucléaire à des concurrents) et officieusement le faire baisser le plus
possible (pour des raisons de rentabilité) au détriment bien évidemment
de la sécurité. Les solutions proposées par EDF pour faire diminuer la
facture des déchets consistent à utiliser des mines désaffectées. Quand on
sait la catastrophe absolue à laquelle aboutit ce choix en Allemagne, on
ne peut que refuser de la manière la plus vigoureuse une telle option , ce
que font du reste les deux députés rapporteurs de l’Office Parlementaire
d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Cette question de
l’aval du cycle pèse considérablement sur le coût de revient réel du
nucléaire et donc sur la réalité économique et écologique de son prix. Il
faut en effet rappeler que la provision actuelle dans les comptes d’EDF
s’élève à 6.3 milliards d’euros, sur la base d’estimations de 2005. Or, EDF
doit supporter 80 % du coût du traitement à long terme des déchets.
Ainsi, le passage des provisions nécessaires de 22 à 35 milliards alors que
la provision n’est que de 6,3 Mds d’euros pose un problème évident et se
fonde sur des estimations remontant à 2005..Le risque de bombe à
retardement est double, financier pour EDF, financier et sociétal pour
l’État, c’est-à-dire la collectivité qui devra d’une manière ou d’une autre
assumer les défaillances d’EDF et les conséquences à long terme choix du
nucléaire.
A la question de l’aval du cycle, s’ajoutent d’autres risques financiers
considérables. A commencer par les surcoûts prévus de la construction
de la centrale nucléaire EPR de nouvelle génération à Flamanville relevé
de 3.3 milliards d’euros à 4.5 milliards d’euros, voire 5Mds d’euros. Ceci
explique le souhait d’EDF de se tourner à l’avenir vers d’autres types de
centrales.
Enfin, les investissements à l’étranger ont été au mieux sans bénéfices et
parfois catastrophiques. L’investissement de 4,5 Mds pour acquérir
Constellation ne s’est pas traduit par des pertes comptables mais la
dévalorisation des centrales thermiques est probable et surtout le refus
d’accepter la garantie de l’Etat américain au niveau de 5,5 Mds pour la
construction d’une centrale nucléaire au motif que le montant était
insuffisant rend plus que jamais aléatoire la construction d‘un EPR aux
Etats-Unis.
Les difficultés financières s’accumulent alors même que les difficultés
économiques restent considérables. Tout d’abord, la marge réelle de la
capacité de production d’électricité a sensiblement baissé, même si, sous
l’ère Proglio, elle est remontée à la fin de l’année 2010.. La production en
2009 a baissé de 5,5 % par rapport à 2008, soit le niveau de 1999 ; La
baisse des exportations en 2009 à été de 47 % en un an ramenant
l’exportation d’électricité à 24,6 TWh, soit le niveau de 1985 où nous ne
possédions que 40 réacteurs nucléaires contre 58 aujourd’hui.
Que le contribuable paye !
La stratégie constamment menée et qui continue consiste à faire payer
par le contribuable d’aujourd’hui ou de demain ce qui devrait être à la
charge d ‘une entreprise normale. Dans la mesure où le service public
passe par pertes et profits, le contribuable perd deux fois !
Le contribuable a assumé la charge de l’investissement initial et la
recherche et développement (selon un rapport de l’ENA, le soutien
accordé à la recherche nucléaire depuis 1974 s’élèverait à 159 Mds $) non
compris les risques spécifiques qui pèsent sur l’investissement (les
surcoûts, incertitudes sur le prix des combustibles, risques politiques,
réglementaires et la garantie de l’emprunt). Rappelons que l’aventure du
surgénérateur a coûté 30 Mds, que la recherche nucléaire continue à être
supportée par le budget public alors que toute société digne de ce nom
supporte le coût de sa R et D.
Si on ajoute la question du démantèlement (voir ci-dessous), la situation
financière d’EDF est telle aujourd’hui qu’elle menace d’accroître très
considérablement la dette publique. Après le démantèlement, ce sont très
probablement les déchets qui vont être insidieusement remis à la charge
du contribuable.
L’objectif non dit est-il de séparer la production d’électricité déjà
partiellement privatisée, de la distribution et de l’aval du cycle, qui
resteraient gérés par l’Etat. Dans ce cas, l’usager paierait 3 fois, une
première lorsqu’il s’agissait de provisionner pour l’aval du cycle, une
seconde fois sur leur quittance une sur la quittance, une dernière,
masquée, comme contribuable pour assumer le coût du traitement final.
Quelle serait alors la situation de ceux qui achèteraient de l’électricité
verte ou qui seraient auto-producteurs ? Devraient-ils contribuer aussi
comme contribuable pour aider le nucléaire à réduire l’endettement
d’EDF et à éviter sa faillite !
Dans tous les cas de figure, le contribuable paiera pour des choix qu’il n’a
jamais fait démocratiquement et qui présentent de surcroît un véritable
risque pour sa sécurité.
Corrine Lepage