Text_Edições Tijuana

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EDIÇÕES TIJUANA - PUBLISHING IN THE FRONTIER
Exposition du 20.05.2015 au 27.06.2015
Commissariat : Ana Luiza Fonseca
Texte : Ana Luiza Fonseca
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En 2005, le projet Istmo de Ana Paula Cohen a été exposé à la Galeria Vermelho (São Paulo,
Brésil) pendant un an, dans un format de fichier flexible. Ce projet a inauguré pour la galerie une
nouvelle façon de penser l'exposition d'œuvres sous la forme de textes, de cahiers de dessins et de livres.
L'expérience a représenté une sorte d'essai pour la création de ce qui allait devenir Tijuana : un espace
de présentation et de commercialisation de livres d'art. Lorsqu'il a été inauguré en 2008, ce qui était
alors appelé Espaço Tijuana n'était pas encore une maison d'édition, mais plutôt, un projet de Galeria
Vermelho qui avait pour finalité d'étudier la production de livres d'art contemporain et de travailler à
leur commercialisation. Tijuana est devenu en sept ans un projet plus complexe et qui couvre plusieurs
activités : c'est à la fois une maison d'édition, une librairie, un salon et une bibliothèque.
Le nom Tijuana renvoie à la ville qui se trouve à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.
Les villes elles aussi possèdent des traits de personnalité. Il y a les villes portuaires, avec leur éternel vaet-vient de visiteurs, de marins, de pirates. Il y a le chaos des grandes métropoles qui ne s'arrêtent ni ne
dorment jamais, et où nombreux sont ceux qui ne mangent pas. Et il y a les villes frontalières, qui sont
connues comme étant des lieux de conflits, territoriaux, politiques, culturels ou religieux, voire même
linguistiques. Tijuana s'est approprié cette métaphore géopolitique pour traiter des contradictions et des
inadéquations qui existent dans un domaine de la production artistique contemporaine, celui des livres
d'art. Ces dilemmes ne sont pas le fruit du hasard. Se situer à la limite de l'existence et de la visibilité est
l'essence même du livre d'art. La production de livres d'art dans les années 60 revêtait déjà un caractère
marginal et se plaçait en dehors des normes régissant les expositions et les marchés d'art, précisément
pour les remettre en cause et les subvertir, comme ce fut le cas surtout pour la production proche de l'Art
Conceptuel, avec des artistes, des éditeurs et des critiques comme Seth Siegelaug, Joseph Kosuth et
Lawrence Weiner.
En plus d'offrir un espace d'exposition d'œuvres d'art, l'un des objectifs de Tijuana est d'en
développer l'aspect commercial, de façon à introduire cette production sur le marché de l'art, par le biais
d'un système propre et spécifique aux livres d'art. D'une certaine manière, cette préoccupation nous a
amenés à réaliser un salon rassemblant les maisons d'édition travaillant dans ce domaine, en
partenariat avec le centre culturel français CNEAI (Centre National de l'Estampe et de l'Art Imprimé). En
août 2009, Tijuana et le CNEAI ont réalisé ensemble le Salon Light / Flores e Livres, à la Galeria
Vermelho. Tijuana a sélectionné les maisons d'édition latino-américaines et le CNEAI, les maisons
d'édition françaises. Il y a eu 15 stands en tout, et on comptait parmi les participants Silueta, Tangrama
(Colombie), Par(ent)esis (Brésil), L’endroit, Incertain Sens et Onestar Press (France). L'année suivante, en
2010, nous avons organisé le Salon de l'Art Imprimé de Tijuana, sur le modèle de ce que nous avons
appris avec le CNEAI ainsi qu'avec l'expérience du Salon Light. A l'heure actuelle, le Salon de Tijuana
s'est tellement agrandi que la Galeria Vermelho ne peut plus l'accueillir, raison pour laquelle il se tient,
depuis 2013, à la Casa do Povo. A titre illustratif, le Salon Tijuana en est à sa 8ème édition, la dernière
ayant réuni 120 maisons d'édition.
Depuis 2010, Tijuana mène également une activité de maison d'édition. Les Edições Tijuana
produisent des livres d'art et nous en sommes aujourd'hui à notre trente-troisième titre. La quasi-totalité
de ces ouvrages sont tirés à 30 et jusqu'à 70 exemplaires, numérotés et signés. A l'invitation de MdM
Gallery, nous avons le plaisir de rassembler pour la première fois le catalogue presque complet de
Tijuana, dans l'exposition EDIÇÕES TIJUANA – PUBLISHING IN THE FRONTIER. A cette occasion,
nous avons sélectionné 26 titres édités par Tijuana, parmi lesquels on trouve le livre qui a fait
l'inauguration de la maison d'édition en 2010 - Vermes, de Dora Longo Bahia – mais aussi Matriz de
Lucia Mindlin Loeb, pour le lancement d'aujourd'hui, en 2015. Nous souhaitons montrer, avec cette
sélection, la capacité de notre maison d'édition de s'adapter aux projets proposés par chaque artiste. Des
techniques spéciales, des tirages et des formats particuliers sont certains des facteurs qui voient le jour à
chaque production. Tijuana ne se limite pas à une seule technique ou à un format unique pour les livres
d'art, notre catalogue reflétant précisément bien au contraire le regard individuel que nous portons sur
chaque projet.
Quatre des titres présentés dans l'exposition ont été entièrement imprimés en sérigraphie :
Quarta Margem (André Komatsu), S/T (Nicolás Robbio), A Teus Pés (Fabio Morais), et Possíveis Volumes
(Flávia Ribeiro). Pour ces derniers, l'édition varie entre 30 et 50 livres, ce qui offre une quantité
raisonnable de gravures par livre. En revanche, pour le livre Mecânica, une autre œuvre de l'artiste
Flavia Ribeiro, chaque exemplaire a été peint, un à un, à la gouache et à la poudre de bronze. Cet ouvrage
n'est donc même pas considéré comme une édition, mais bien comme une série de dix livres uniques. Il
en va de même pour le livre de Chiara Banfi qui a étudié des chansons censurées et a créé une “playlist”
différente pour chacun des 10 exemplaires que nous publions. Les livres ont été produits sous la forme
d'un album silencieux, dont les morceaux n'amènent pas à la musique en tant que telle, mais plutôt au
fantôme des disques censurés, et représentés par des frottages dessinés à la main sur chacun des livres.
Un autre volet important du catalogue des Edições Tijuana concerne les livres objets.
L'exposition propose Bloco (João Loureiro), La Pintura Española (Daniel Senise), Le Livre (Klaus
Scherubel), A4-da série nóias (Marcelo Cidade) et Presente de Marcius Galan. Ces œuvres renvoient à
une discussion sculpturale du livre, des formes particulières qui font de l'objet – autant par leur design
que par leurs symboles - ce qu'il est. Ce qui est également intéressant, c'est comprendre de quelle façon
ces livres-objets naissent dans la production de chacun des artistes. João Loureiro, par exemple, présente
dans ses productions l'idée d'une synthèse et d'une relecture des formes des choses. Sur la même ligne,
lorsqu'il réalise le livre Bloco, il propose une reliure qui rassemble 1 500 feuilles imprimées avec à peine
deux tons de gris, de sorte qu'à la fin, le livre ressemble magiquement aux blocs de béton typiques des
constructions de São Paulo. !
Grâce à la variété et aux défis que pose un si grand nombre de projets, Tijuana peut également
explorer les techniques d'impression et de reliure, ainsi que les variétés de papier qui vont au-delà de
l'industrie graphique conventionnelle. Les livres Nunca (Mariano Ullua) et Álbum (Lia Chaia) sont de
bons exemples de prouesse technique. Pour le livre de Mariano Ullua, nous avons eu recours pour
l'impression à un plotter, en remplaçant la lame de découpe par un crayon graphite. Quant à Álbum, de
Lia Chaia, il est tout entier imprimé sur du polyester translucide, un matériau normalement utilisé pour
photolite et qui n'a pas pour vocation de servir de page de livre.
Toujours concernant les techniques particulières, les livres A(e)rea Paulista (Carla Caffé) et A
Melhor Reposta que Encontrei (por enquanto) para uma Pergunta Ontológica (Guilherme Peters), ont été
imprimés par jet d'encre sur du papier coton, qui préserve les caractéristiques des dessins originaux à
l'aquarelle. Celui de Carla Caffé se déplie comme un plan des alentours de l'Avenida Paulista, avec la
topographie particulière de la ville de São Paulo. Pour sa part, Guilherme Peters présente une séquence
de dessins qui narrent, avec une ironie acide et humoristique, le tâtonnement d'un personnage et ses
réponses aux questions existentielles.
D'autres livres comme Flores do Mal (Dora Longo Bahia) et la Série Corpo-Mobília (Keila Alaver)
font appel à des livres déjà publiés comme point de départ. Dora Longo Bahia a utilisé comme support de
son cahier de peinture le livre de Baudelaire Les Fleurs du Mal. Tijuana a reproduit 50 copies de la
version intégrale du livre, avec les interférences de Dora Longo Bahia, en plus d'un disque vinyle qui fait
partie du même projet, appelé petit.la. Dans une dynamique semblable, Keila Alaver transforme les
représentations du corps humain qui illustrent les vieilles encyclopédies d'anatomie en pages de livresobjets. En complément de la série de livres que Tijuana a produits avec Keila Alaver, on trouve le vidéolivre El Corazón, né de cette même étude de publications sur l'anatomie humaine.
Produits sur une large échelle, en impression offset, nous avons le poster Tipografía Interna /
Tipografía Externa (Pablo Accinelli) et 4.000 disparos (Jonathas de Andrade). Avec Jonathas de Andrade,
nous avons aussi publié Museu do Homem do Nordeste qui, même si le livre est épuisé, est représenté
dans cette exposition par le poster produit par la maison d'édition Aplicação.
En rappelant les idées que l'artiste mexicain Ulises Carrión avance dans son manifeste “La nueva arte de
hacer libros” (1975), le livre est défini comme un format conçu à des fins diverses. Les livres Binário
(Edith Derdyk) et Listas (Juan Carlos Romero et Ivana Vollaro) répondent à cette définition. Les pages de
Binário coulent comme la lumière entrant dans un scanner. Non seulement Edith Derdyk renvoie-t-elle
au milieu en tant que tel, en produisant à partir de rien des images dérivées d'une numérisation, mais
elle crée également un jeu de reliure qui fonctionne comme un système binaire. Edith Derdyk transforme
de la sorte son livre en support qui subvertit le format même du livre. A l'autre extrême, la paire d'artistes
argentins Juan Carlos Romero et Ivana Vollaro ont passé des années à collectionner des listes de tout
types : des poèmes, des listes de courses, des calendriers, des listes visuelles, etc. Une simple reliure ne
suffirait pas à faire de la reproduction de ces listes un livre. Pour cette raison, l'objet est pensé comme un
livre qui doit être une liste de listes, soigneusement imprimé sur du papier à annuaire téléphonique et
dans un format de carnet de notes.
!
On peut trouver tous ces titres à la librairie de Tijuana, un kiosque à journaux où nous
distribuons 18 autres maisons d'édition d'Amérique latine. C'est dans ce kiosque Tijuana que l'on trouve
également notre bibliothèque, le projet le plus récent que nous ayons inauguré. Elle abrite notre
collection de livres d'art ouverte au public et à la disposition des chercheurs, des étudiants et des
personnes intéressées par ce domaine, pour consultation.
Traduction Catherine Leterrier
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MDM Gallery
6 rue Notre-Dame de Nazareth / 75003 Paris
T +33 9 54 59 23 77
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www.mdmgallery.com!