Histoire d`une vie intime et publique

Transcription

Histoire d`une vie intime et publique
Histoire d’une vie intime et publique
Ébauche d’un portrait
d’après le Journal de Jean-Luc Lagarce
collage, scénographie et mise en scène François Berreur
mardi 30, mercredi 31 mars, jeudi 1er et vendredi 2 avril à 20:30
maison de la culture, salle Boris-Vian
théâtre
durée 1h50
www.lacomediedeclermont.com
direction Jean-Marc Grangier
renseignements & réservation :­
0473.290.814
contact presse Céline Gaubert
[email protected]
t.0473.170.183
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Un homme est assis à sa table de travail, des piles de livres et de feuilles posées devant lui. Il tape son
journal sur une machine à écrire. Un être dans sa singularité, sa subjectivité, qui tisse dans l’écriture,
en une sorte de vaste palimpseste, sa vie et sa mort, ses amours et sa maladie. Cet homme, c’est
Jean-Luc Lagarce, interprété par le comédien Laurent Poitrenaux. En témoin privilégié de sa vie de
théâtre et en gardien passionné de sa mémoire, François Berreur a choisi de mettre en scène le Journal
que l’auteur a tenu de 1977 à sa mort, en 1995. On y retrouve ses rencontres marquantes, les films vus
et les livres lus, la disparition des grands artistes de son temps, ses réflexions et doutes sur le théâtre
comme sur le monde. De ces vingt-trois cahiers noircis par l’incandescence de sa parole et
l’extraordinaire acuité de sa pensée, François Berreur réalise un montage d’extraits emblématiques.
C’est d’une simplicité bouleversante. Laurent Poitrenaux incarne l’auteur autant que sa langue, avec une
élégance et une ironie toutes lagarciennes. Il dresse un portrait éblouissant de précision et de vérité où
retentissent, toujours aussi dévastateurs, son humour et sa vitalité.
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avec
Laurent Poitrenaux
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mise en scène et scénographie François Berreur
son et vidéo David Bichindaritz
lumière Bernard Guyollot
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production déléguée compagnie Les Intempestifs
coproduction Théâtre Ouvert – centre dramatique national de Création – Paris,
compagnie Les Intempestifs ­– Besançon
avec le soutien de la Maison de la Culture de Bourges – scène nationale
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Note sur l’adaptation
Au travers de cette relation très particulière de l’auteur avec son Journal, se dessine le portrait d’un
homme qui consacre sa vie au théâtre et se projette dans l’éternité d’une œuvre, apostrophant au-delà de
sa disparition le lecteur. C’est le feuilleton d’une aventure théâtrale, ses espoirs, ses déceptions,
ses rebondissements… C’est le feuilleton de sa maladie, sept années de doute, de lutte et de courage.
C’est le feuilleton de ses mises en scène, ses « succès » traversés par des échecs désespérants. C’est surtout
le feuilleton de son écriture et de son incapacité à écrire, de ses interrogations permanentes. Les mots
de Jean-Luc Lagarce sont une part de notre histoire, celle de la fin du XXème siècle, une vie théâtrale
qui défile mais aussi une interrogation sur la barbarie du monde, sur la nécessité de l’artiste et sa
difficulté à être. Durant toute sa vie de théâtre, Jean-Luc Lagarce tient ses petits cahiers (il en commence
la rédaction au moment de la création du Théâtre de la Roulotte en 1977), où on retrouve ses doutes,
ses lectures, les films et les spectacles qu’il voit et son interrogation permanente sur le déroulement de sa
vie, son questionnement sur ses amours et le sens de son œuvre. Ce n’est pas théorie, c’est au quotidien
l’homme Lagarce qui raconte, comme souvent nous l’avons connu dans ces repas d’après spectacle qu’il
affectionnait, où son humour dévastateur et son sens de la formule faisaient taire les conversations de
tables entières. On me demande souvent de parler de sa vie. Le plus simple m’a paru qu’on l’écoute
lui-même nous raconter pendant une heure et demie ce que fut sa vie.
François Berreur
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Extrait du Journal
Samedi 25 Janvier 1986
Ai-je dit que Isherwood est mort ? Non. Je le dis. C’était il y a deux ou trois semaines. J’ai pensé à
Hockney, beaucoup. En fait, vous le saviez déjà (que Isherwood est mort...). Incroyable, le nombre
de choses que je crois vous apprendre et que vous savez déjà, à cause du temps. Et Hockney,
maintenant, est mort aussi. Et vous le savez avant moi, et même moi aussi, je suis mort, il n’y a que
vous dont on puisse être à peu près sûr...
Dimanche 18 février 1989
Paris, Edgar Quinet, 14 heures 40
Bilan hier à l’hôpital, excellent. 12 tubes de prise de sang (moi qui claquais des dents il y a à peine
quelque temps devant une seringue). Médecin-femme Dr Salmon, plus sympathique que les fois
précédentes. (Parce qu’elle tient un cobaye ? ou parce qu’elle s’habitue à mon allure désinvolte,
faussement désinvolte…?) Visite tous les 15 jours. On verra. Descente kafkaïenne dans les deuxièmes
sous-sols de l’hôpital Bichat. La responsable-pharmacienne s’appelle Madame CERTAIN. Elle me reçoit
dans un minuscule bureau sans fenêtre plein de livres y compris par terre et enfumé par ses cigarettes.
Elle me remet une dose pour 15 jours (et une autre dose de « secours » si je devais perdre, égarer
celle-là…). Elle me serre la main. À dans 15 jours. La mission s’appelle « Concorde » et je suis un agent
secret. J’ai un numéro de code, mon nom est connu de ces deux femmes, Mme Salmon et – Mme Certain – on voit que ce sont des faux noms, et que ce ne sont même pas des femmes… – de belles
espionnes de couleur noire – et l’une s’appelle Ophélie – nues très certainement sous leurs blouses
blanches me raccompagnent. Au détour d’un couloir deux pancartes : « centre de diététique » et
« chambre mortuaire ». Je prends l’ascenseur et je remonte à l’air libre. Générique de début de l’épisode.
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Entretien avec François Berreur
Editer le Journal de Jean-Luc Lagarce, c’est se faire passeur d’une vie, d’une intimité,
mais aussi d’une œuvre ?
Que répondre d’autre que oui… Dans son testament, Jean-Luc me laisse prendre la décision sur
la publication de ce texte. J’ai attendu car je pensais qu’il fallait que l’œuvre soit là et en complément
éditer le journal. Aujourd’hui, l’œuvre de Lagarce se déploie, la Comédie-Française avec son succès pour
Juste la fin du monde, les Bouffes du Nord avec Fanny Ardant dans Music-Hall. Ce que l’on croit être de
l’ordre de l’intime dans le théâtre de Lagarce est en réalité l’intimité de chacun. Alors que son journal est
véritablement de l’ordre de l’intime. Ses pièces sont comme un puzzle. Il n’a pas écrit des pièces mais
une œuvre, une pièce complète l’autre. Et le journal complète ses pièces.
Vous étiez très intimes. Dans son journal, il parle du « Beau François ».
Le fait de l’avoir fréquenté me permet d’être un témoin privilégié, mais ma relation amicale n’a rien
à voir. Si je devais raconter certaines scènes qu’il évoque dans son journal, ce ne serait pas la même
version. Quant à la vision de Lagarce, par rapport à moi, c’est de la littérature. Il ne faut pas oublier,
Jean-Luc se percevait comme quelqu’un de laid, c’est pour cela qu’il dit le « Beau ». Cela me flatte,
et je l’en remercie mais je ne suis pas Brad Pitt.
Lire son journal, c’est traverser vingt ans de création et d’histoire du théâtre…
Il a vécu ce deuxième mouvement de la décentralisation. Il se demandait comment écrire du théâtre au
XXe siècle. Son souci était la forme. Dans les années 80, la forme était portée par le metteur en scène.
Chez Lagarce, c’est le texte qui donne la forme. Il était aussi un praticien de la scène. Il allait aussi
beaucoup au théâtre, ce qui n’est pas toujours le cas dans le milieu.
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C’est aussi aborder le sida d’une manière concrète...
C’est avant tout le rapport à la maladie. Un rapport de lutte, comme si cela avait été un cancer. Malgré
la mort prochaine, il luttait pour la vie. C’est de résistance dont il est question. J’étais impressionné par
cela. Il n’a jamais été un militant, mais acceptait l’idée de l’exemplarité : on peut vivre, travailler avec la
maladie.
Ébauche d’un portrait est la théâtralisation de ce journal, comment passer de mille pages à 1h30 ?
Je répondrais un peu comme à la première question. J’ai connu Jean-Luc plus de quatorze ans et la
perspective pour Ébauche était de dire : voilà ce qu’il me racontait au restaurant. Je désirais que le public
se retrouve dans la situation dans laquelle je me trouvais alors, créer un rapport intime avec les gens
dans la salle comme il l’avait avec moi. J’ai sélectionné des passages qui me semblaient emblématiques.
C’est dans ce sens que j’ai travaillé avec Laurent. Vous savez, Jean-Luc était très bavard. On riait beaucoup, c’est certainement une des raisons de notre longue amitié.
Justement comment Laurent Poitrenaux, qui réalise une prestation remarquable, s’est glissé dans
ce personnage qui n’est pas de fiction ?
On est dans le rapport à l’intime, à la parole, pas dans l’interprétation. On est dans la parole vraie,
c’est Lagarce que l’on entend. Laurent est dans l’authenticité, on a beaucoup travaillé sur l’énergie,
sur le verbe. On retrouve l’incandescence de la personnalité de Jean-Luc. Folie de parole, de pensée,
de vitalité. A travers le corps de Laurent, on « voit » la parole de Jean-Luc, on entend le texte.
Même moi, je suis troublé quand Laurent me fait rire comme Jean-Luc.
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Laurent Poitrenaux
Il a effectué la majeure partie de sa formation à l’école Théâtre en Actes, dirigée par
Lucien Marchal. Et c’est dans ce cadre qu’il rencontre pour la première fois Ludovic Lagarde.
Outre quelques apparitions dans des long-métrages, notamment Tout va bien on s’en va, de Claude
Mouriéras, son parcours de comédien l’amène à travailler avec de nombreux metteurs en scène, tels que
Thierry Bédard, Christian Schiaretti, Éric Vigner, Arthur Nauzyciel Le Malade Imaginaire de Molière,
Daniel Jeanneteau Iphigénie en Aulide de Jean Racine et Yves Beaunesne. Il a créé, avec le comédien
Didier Galas, un tour de chant Les Frères Lidonne, et une compagnie L’Ensemble Lidonne. Il vient de
jouer sous sa direction, 3 cailloux et La flèche et le moineau d’après des textes de Gombrowicz. Habitué
des mises en scène de Ludovic Lagarde il a joué dans pratiquement tous ses spectacles : Sœurs et frères
d’Olivier Cadiot, Trois Dramaticules de Samuel Beckett, Le Cercle de craie caucasien de Bertolt Brecht.
Il a créé le monologue Le Colonel des Zouaves d’Olivier Cadiot en 1997 et a depuis participé aux deux
créations suivantes de l’auteur : Retour définitif et durable de l’être aimé et Fairy queen.
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François Berreur
Né en 1959. C’est à Besançon‚ au cours d’un stage de pratiques théâtrales qu’il rencontre
Mireille Herbstmeyer et Jean-Luc Lagarce‚ fondateurs depuis déjà quelques années d’une troupe
amateur‚ le Théâtre de la Roulotte. S’associant à leur rêve que la compagnie devienne professionnelle‚
il consacre son temps d’étudiant entre les répétitions et une formation d’acteur sous la direction de
Jacques Fornier. À Besançon‚ il travaille également comme comédien au centre dramatique de Besançon‚
au théâtre et au cinéma‚ sous la direction de Denis Llorca. Les années passant‚ François Berreur devient
le plus proche collaborateur artistique de Jean-Luc Lagarce. Il fonde avec lui en 1991 les éditions
Les Solitaires Intempestifs dont il est aujourd’hui encore le directeur littéraire. Il devient metteur en
scène, en 1998, après avoir réalisé la mise en scène du Voyage à La Haye, spectacle qui sera repris au
sein d’un triptyque (avec Le Bain et Music-hall) créé au festival d’Avignon en 2001. Il a monté également
Rodrigo Garcia Prometeo au Festival d’Avignon en 2002 et Serge Valletti Monsieur Armand dit Garrincha
en 2004. En 2007, il organise « l’Année (…) Lagarce », une série de manifestations autour de
Jean-Luc Lagarce. Après la réalisation de Juste la fin du monde, il clôt son travail autour de Lagarce
par l’histoire théâtrale de celui-ci : Ébauche d’un portrait avec Laurent Poitrenaux. François Berreur est
aussi le fondateur du site theatre-contemporain.net au sein de l’association Cris (Centre de Ressources
Internationales de la Scène) dont la vocation est la mise en ligne de contenus autour de la création
théâtrale contemporaine.
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Jean-Luc Lagarce
Son œuvre est née par petites touches discrètes et obstinées au monde de la scène. Aujourd’hui
Jean-Luc Lagarce est l’un des auteurs français les plus admirés et les plus joués dans son pays et
à l’étranger. Alors qu’il accède à la reconnaissance de son vivant en tant que metteur en scène de textes
classiques, il demeure un auteur confidentiel jusqu’à sa disparition en 1995, à l’âge de trente-huit ans.
Dès lors, son œuvre littéraire – vingt-cinq pièces de théâtre, trois récits, un livret d’opéra – est marquée
d’un élan nouveau, saluant enfin sa juste dimension : elle est traduite en vingt-cinq langues, étudiée au
lycée et à l’université, mise en scène par les plus grands comme par des amateurs. Entré au conservatoire
de Besançon, son port d’attache, Jean-Luc Lagarce étudie les lettres et la philosophie. Il fonde en 1977
la compagnie de la Roulotte aux côtés d’irréductibles compagnons, dont François Berreur, aujourd’hui
encore directeur de leur maison d’édition, Les Solitaires Intempestifs. Lagarce a vingt ans et commence
son Journal, qu’il tient jusqu’à sa mort, annoncée dès 1988 d’un laconique : « Je suis séropositif », alors
qu’il est en train d’écrire Juste la fin du monde. Deux œuvres majeures que nous pourrons découvrir cette
saison à travers le regard de metteurs en scène qui ont bien connu l’auteur : le comédien Bruno
Marchand et l’ami indéfectible, François Berreur. L’arrangement avec la vérité, la famille, toutes les
familles, l’amitié, l’amour, encore et toujours, nourrissent cette œuvre fulgurante marquée par le sceau
de l’intime. La causticité, la satire sociale ne sont pas en reste. Les mots de Lagarce sont une part de
notre histoire, celle de la fin du XXe siècle, une vie théâtrale qui défile mais aussi une interrogation
sur la barbarie du monde, sur la nécessité de l’artiste et sa difficulté à être. Son humour désabusé, sa
sensibilité, sa pudeur, la prescience qu’il a de son destin bouleversent et font de lui un héros ordinaire,
tragique mais tendrement élégiaque. C’est dans ce rapport au monde, cette sorte d’élégance stoïque,
qu’il construit son écriture : un art de la distance, de l’effleurement, à la densité sidérante.
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