La gestion efficace de la lingerie stérile

Transcription

La gestion efficace de la lingerie stérile
La gestion efficace
de la lingerie
stérile
Alors que les établissements de soins de santé
cherchent de nouvelles façons de contrôler les
coûts sans compromettre la qualité des services,
une gestion efficiente de la lingerie d’hôpital est
une façon de réduire les dépenses.
Gérer la lingerie stérile utilisée au bloc opératoire est le processus par lequel un hôpital
rend disponible, utilise et traite après usage la
lingerie stérile. Celle-ci inclut principalement
les champs opératoires et les blouses chirurgicales nécessaires à l’opération prévue par le
médecin et l’équipe désignés, au moment
par Hugues
voulu et à la salle d’opération déterminée.
Boisvert,
Le champ opératoire est la pièce de tissu
Ph.D., FCMA
qui couvre la partie du corps du patient
faisant l’objet de l’intervention chirurgicale; il a pour but de
garder au sec le malade en le protégeant de tout liquide qui
pourrait s’écouler de la plaie. Dans le même but, les intervenants revêtent une blouse chirurgicale.
La lingerie réutilisable est-elle plus économique que
la lingerie uniservice?
En l’absence d’une méthodologie qui permette de valider les
résultats, la Chaire internationale CMA s’est engagée dans
une analyse comparative du processus « gérer la lingerie
stérile au bloc opératoire ». Selon le modèle qu’on a développé, gérer la lingerie stérile comporte une série de tâches qui
ont été regroupées en 24 activités, elles-mêmes réparties en
six processus illustrés dans la figure suivante.
C MA
C M AMAN
MA A
NA
G EGME
E ME
NTNT35
35Mars
Mars2002
2002
Processus Gérer la lingerie stérile
Administrer, superviser et planifier
Approvisionner
Stériliser
Utiliser
Récupérer Traiter
après
usage
L’analyse du processus nous a amenés à proposer une nouvelle classification de la lingerie en fonction des activités requises à l’interne. C’est ainsi que nous distinguerons la lingerie à gestion minimale, la lingerie à traitement partagé et la
lingerie traitée à l’interne.
Selon les résultats obtenus auprès de 19 sites d’observation,
des économies intéressantes peuvent être réalisées pour les
établissements hospitaliers qui utilisent la lingerie à gestion
minimale, laquelle permet également de régler plusieurs
problèmes liés à l’approvisionnement en champs opératoires
et au traitement à l’interne de la lingerie souillée. L’analyse
comparative nous amène à étudier les pratiques de gestion
ayant cours dans les établissements participants.
La lingerie qui permet de minimiser les
activités de gestion à l’interne semble
être la plus économique pour les
établissements hospitaliers.
Gérer la lingerie stérile
L’approche axée sur le processus (souvent appelée « approche
processus »), inhérente à l’analyse comparative, a permis de
déterminer toutes les tâches reliées à la gestion de la lingerie
stérile, peu importe le lieu où elles sont exécutées dans l’hôpital. Certaines d’entre elles s’effectuent au bureau de réception
des marchandises, à l’aire de stérilisation, au bloc opératoire,
à la buanderie, dans les corridors (transport de la lingerie d’un
endroit à un autre) et parfois dans un endroit appelé « service
central », sorte de centre d’entreposage temporaire et d’acheminement de la lingerie vers les diverses unités de l’hôpital.
Gérer la lingerie stérile
comprend l’ensemble des activités
requises, de l’approvisionnement au traitement après usage.
Le processus de soutien administrer, superviser et planifier
comprend plusieurs tâches telles que la gestion des ressources
C MA MA NA G E ME NT
humaines, l’exécution du suivi, la coordination des activités,
etc. En ce qui concerne l’activité approvisionne,relle doit être
prise au sens large de « s’assurer que les besoins sont comblés ».
Elle peut englober les tâches acheter, réceptionner
, adapteret
livrer. Stérilisersignifie détruire les microbes par le procédé
de la stérilisation. Cette activité peut inclure les tâches suivantes : vérifier, préparer, mettre dans le stérilisateur
et livrer.
L’activité utiliserla lingerie stérile peut comprendre les tâches
entreposer
, préparer, vérifier, contrôleret draper le patient
.
Récupérersignifie recueillir la lingerie souillée après l’opération chirurgicale, l’acheminer vers l’endroit où elle sera
traitée, l’entreposer et traiter les déchets si nécessaire. Traiter
après usagepeut comprendre les tâches lessiver, marquer,
inspecter, repriser, plier, confectionner les paquets.
L’approche axée sur le processus nous a amenés à définir la
lingerie stérile, non pas en fonction de sa composition, mais
plutôt des activités qu’elle générera à l’interne. Cette définition concorde avec le fait qu’un article n’est pas seulement
une matière, mais qu’il est aussi associé à un ensemble de
services. Comme les articles utilisés correspondent de plus en
plus à un panier de services, il est donc approprié de les
définir en fonction des activités qu’ils requièrent.
La lingerie à gestion minimale implique que seulement 10
des 24 activités de gestion sont réalisées à l’interne. C’est dans
cette catégorie que nous retrouvons la lingerie uniservice,
laquelle n’entraîne à l’interne aucune activité de traitement
après usage ou de stérilisation. La lingerie réutilisable, dont le
contrat d’approvisionnement inclut le traitement après usage
des vêtements souillés et la stérilisation, tombe aussi dans
cette catégorie.
La lingerie à traitement partagé comprend 13 ou 14 activités (sur un total de 24) qui sont réalisées à l’interne. Cette
catégorie englobe la lingerie réutilisable dont le traitement
après usage est externalisé, mais dont la stérilisation est effectuée à l’interne. Dans le cas de la lingerie traitée à l’interne,
les 24 activités de gestion sont effectuées sur place.
Cette classification de la lingerie stérile en trois catégories,
que l’on peut aussi associer à trois modes de fonctionnement,
pourrait être raffinée davantage et donner lieu à une division
en cinq, voire en sept catégories ou plus.
Les coûts de gestion
La lingerie qui permet de minimiser les activités de gestion à
l’interne semble être la plus économique pour les établissements hospitaliers. De plus, un tel choix permet de régler les
problèmes d’entreposage, de commande en attente, d’utilisation de produits substituts et d’entretien des nouveaux textiles.
En effet, les coûts de gestion à l’interne, en particulier des
activités stériliseret traiter après usage
, sont à un tel niveau
qu’on peut s’approvisionner en lingerie uniservice à un coût
moindre ou encore en lingerie réutilisable dans le cadre d’un
contrat couvrant le traitement de la lingerie souillée. C’est-àdire que le coût des activités stériliseret traiter après usageà
l’interne est tel qu’on obtient les équations suivantes :
1. Coût (Lingerie uniservice) < Coût (Stériliseret traiter après
36
Mars 2002
usageà l’interne)
2. Coût (Stériliseret traiter après usageà l’externe) < Coût
(Stériliseret traiter après usageà l’interne)
Toutefois, il est possible qu’un établissement hospitalier
ait des coûts à l’interne inférieurs au coût de la lingerie uniservice ou de l’externalisation des activités stériliseret traiter
après usage, mais nous n’avons pu en trouver d’exemples sur
les 19 sites observés.
Au niveau des autres activités administrer, approvisionner
,
utiliseret récupérer, les différences de coûts sont parfois minimes et donc non significatives sur le plan statistique. Par
ailleurs, si l’on considère principalement le facteur de la qualité, c’est sans équivoque la lingerie à gestion minimale qui
prime.
Il semble que la lingerie qui provient
directement d’un fournisseur externe
(la lingerie à gestion minimale)
simplifie les activités du processus de
gestion tout en n’ayant aucun effet
négatif sur les activités des processus
connexes, ce qui n’est pas le cas avec
les autres types de lingerie.
Le coût des activités stériliser et traiter après usage
Le tableau suivant résume les coûts de ces deux activités
lorsqu’elles sont exercées à l’interne.
Or, pour la plupart des établissements participant à notre
Coût à l’interne
incluant les avantages
sociaux
Si le taux salarial est...
Si l’ensemble des activités
Stériliser et Traiter après
usage prend...
45 minutes 60 minutes 75 minutes
15 $ l’heure
18,63 $
24,84 $
31,05 $
20 $ l’heure
24,84 $
33,13 $
41,41 $
25 $ l’heure
31,05 $
41,41 $
51,76 $
étude, il faut entre 45 et 75 minutes en moyenne et par intervention pour s’acquitter de ces deux activités. Le taux salarial
incluant les avantages sociaux est rarement inférieur à 20 $
l’heure. Nous suggérons donc de prendre le montant de
33,13 $ comme point de repère (« benchmark »), dans le cas
des activités stériliseret traiter après usage
.
Au-delà des chiffres, nous avons essayé de comprendre
pourquoi ces deux activités prenaient tant de temps à l’interne. Premièrement, nous savons que le nombre d’interventions n’est pas un facteur pertinent : en effet, selon les données recueillies, aucune économie d’échelle ne serait possible
sur ce plan. Nous en concluons donc que c’est le type
d’équipement en place, la technologie inhérente à cet
équipement et l’organisation physique des lieux qui
expliquent ces écarts. De plus, s’ajoutent souvent à ces coûts
les délais de transport de la lingerie d’un endroit à l’autre en
fonction des traitements exigés.
Les coûts de la lingerie uniservice, ou encore de la lingerie
réutilisable, dont le traitement après usage est assuré par un
contrat de service, ainsi que la stérilisation, dépendent de
l’ensemble des champs opératoires requis et des blouses
chirurgicales. Par exemple, le prix des champs opératoires
uniservice peut varier de 15 $ à 75 $ selon leur complexité.
Par contre, le coût moyen de l’ensemble des interventions
des établissements utilisant de la lingerie uniservice se
situerait entre 20 $ et 25 $ par intervention, ce qui est significativement inférieur au montant repère de 33,13 $.
C M A MA NA G E ME NT
Cependant, comme nous n’avons pas essayé de vérifier ni de
valider les prix des champs opératoires, lesquels peuvent
changer selon le marché, nous avons préféré considérer les
montants du tableau précédent comme représentant des
seuils d’indifférence en deçà desquels la lingerie à gestion
minimale est économiquement avantageuse.
Enfin, selon les données recueillies, les coûts des activités
stériliseret traiter après usagese répartissent dans des proportions de 2/3 et de 1/3 respectivement.
Stériliser
Des quatre tâches associées à l’activité stériliser, c’est l’action
préparerqui consomme le plus de temps et c’est aussi la tâche
la plus critique pour assurer la qualité de la stérilisation. En
effet, selon les entrevues réalisées, cette préparation est effectuée manuellement par du personnel spécialisé qui doit, lors
de l’assemblage des paquets, suivre des normes très strictes.
Les champs opératoires et les blouses chirurgicales doivent
être pliés selon une technique précise pour éviter qu’ils ne
soient contaminés. La formation du personnel revêt également une importance particulière, notamment en ce qui concerne les nouvelles matières. Un paquet de lingerie mal
assemblé augmente sensiblement le risque de contamination
bactérienne au bloc opératoire et gêne l’équipe dans ses
gestes médicaux.
Lorsque la tâche de préparation est confiée à un fournisseur externe, le centre hospitalier demeure tributaire de la
façon dont les paquets sont emballés chez celui-ci. Par
ailleurs, advenant un litige, le fardeau de la preuve consistant
à prouver la stérilité des paquets revient au centre hospitalier
qui a choisi de sous-traiter et non au fournisseur.
Enfin, il faut souligner la problématique du transport entre
l’aire de stérilisation et le bloc opératoire. La lingerie stérilisée à l’interne demeure souvent stockée un certain temps et
ne bénéficie pas d’une protection aussi efficace, ce qui peut se
traduire par la nécessité d’un relavage et d’une restérilisation.
Au contraire, la lingerie traitée à l’externe, souvent préparée
en paquets personnalisés, arrive dans un emballage qui en
assure la qualité.
37
Mars 2002
L’analyse comparative générique,
utilisant l’approche axée sur les
processus, s’est avérée extrêmement
utile pour établir des points de repère
et pour dégager les pratiques de
gestion performantes.
Traiter après usage
Cette activité compte pour environ un tiers des coûts liés au
traitement de la lingerie souillée, ce qui en confirme l’importance. En outre, le traitement des nouveaux types de matières
demande des soins particuliers, au niveau du lavage et de
l’assemblage des paquets. Il arrive aussi que la réparation des
champs opératoires endommagés pose des difficultés.
Le lavage revêt une importance particulière puisqu’il
touche directement au processus d’asepsie. En effet, comme
le lessivage précède la stérilisation, les agents nettoyants utilisés sont importants car ils préparent les textiles à la stérilisation. Par ailleurs, les fibres textiles se dégradent à chaque
lavage et la lingerie provenant du bloc opératoire, selon un
buandier, subit fréquemment des lavages supplémentaires
parce que l’écoulement des liquides biologiques y crée des
taches tenaces. De plus, lorsqu’une tache a résisté à un premier lavage ordinaire (formule standard), la lingerie souillée
est mise à part et traitée de nouveau avec une formule savonneuse spéciale et, si la saleté n’est pas délogée à cette étape, le
vêtement doit être mis au rebut. La tâche du lavage revêt
donc une importance majeure, en particulier lorsque le centre
hospitalier utilise de la lingerie faite de microfibres, ce type
de matière requérant des soins particuliers. Le relavage, dans
ce dernier cas, détermine le destin à court terme de la pièce
en question.
Des sept tâches de ce sous-processus, ce sont les tâches
inspecter
, lessiveret plierqui requièrent le plus de temps de
personnel. Celle du lessivage requiert à elle seule 36 % du
temps de l’activité traiter après usagelorsqu’elle est exercée à
l’interne. L’assemblage des paquets à la buanderie semble
plus efficient lorsqu’il est exercé à cet endroit plutôt qu’à
l’aire de stérilisation. Par contre, selon les normes d’asepsie
prescrites par l’Association canadienne de normalisation,
l’assemblage des paquets devrait se dérouler à l’aire de stérilisation.
Utilisation de la lingerie stérile
Bien que nous n’ayons pas pu établir de différences de coûts
statistiquement significatives entre les divers types de lingerie
relativement à ce processus, plusieurs éléments favorisent la
lingerie à gestion minimale. Utiliser la lingerie stérile au bloc
opératoire peut comprendre les tâches entreposer
, préparer,
vérifier, contrôleret draper le patient
. Or, certains systèmes de
livraison automatique fonctionnent à toutes fins pratiques
C MA M A NAG E M E NT
selon la méthode du juste-à-temps, de sorte que l’entreposage
y dure au plus quelques heures.
Les paquets personnalisés ont pour objet de réduire au
minimum la tâche préparer. Les tâches de vérification et de
contrôle sont pratiquement inexistantes lorsque les paquets
de lingerie proviennent directement du fournisseur. Dans le
contexte de la tâche draper le patient
, il arrive qu’il faille modifier un champ opératoire pour diverses raisons, par exemple si
le chirurgien trouve que l’ouverture du champ n’est pas assez
grande pour l’opération ou décide d’utiliser un champ substitut parce qu’il n’a pas en main le champ approprié.
Il arrive aussi qu’une personne de l’équipe retouche sa
blouse chirurgicale pour des raisons de confort. Dans un cas
comme dans l’autre, lorsqu’il s’agit d’une pièce réutilisable, la
retouche effectuée doit être réparée, ce qui est difficile à faire
avec les nouveaux types de textiles et peut parfois rendre le
vêtement inutilisable. Dans les cas urgents, où le temps de
préparation est limité, on utilisera souvent des ensembles personnalisés pour réduire les délais.
Donc, il semble que la lingerie qui provient directement
d’un fournisseur externe (la lingerie à gestion minimale) simplifie les activités du processus de gestion tout en n’ayant
aucun effet négatif sur les activités des processus connexes, ce
qui n’est pas le cas avec les autres types de lingerie.
Pour l’ingénieur, la lingerie est surtout faite de composants
textiles qui présentent certaines propriétés et répondent à des
spécifications techniques, par exemple des normes
d’étanchéité et des normes de protection du patient et du
personnel intervenant lors de l’opération.
Pour le comptable en management, la lingerie est associée
à un ensemble de tâches qu’il faut gérer, c’est-à-dire planifier,
coordonner et contrôler; ces tâches prennent du temps,
nécessitent du personnel et des équipements spécialisés et
coûtent cher. À cet égard, l’analyse comparative générique,
utilisant l’approche axée sur les processus, s’est avérée
extrêmement utile pour établir des points de repère et pour
dégager les pratiques de gestion performantes. Mieux encore,
elle a permis de voir clairement dans quel sens doivent travailler les établissements hospitaliers pour réduire les coûts de
gestion de la lingerie stérile, et dans quelle direction doivent
travailler les fournisseurs hospitaliers pour améliorer leur
produit. Elle a également permis d’envisager le débat
touchant la lingerie réutilisable ou la lingerie uniservice sous
un autre angle, soit celui des activités générées à l’interne.
C’est ainsi que les établissements examinés ont pu considérer
également les avantages « économiques » de la lingerie dite à
gestion minimale.
Hugues Boisvert, Ph.D., FCMA, est spécialiste de l’analyse comparative, de la
comptabilité et de la gestion par activités. Il est titulaire de la Chaire internationale
CMA (www.hec.ca/cicma), professeur titulaire à l’École des HEC et associé universitaire
chez Arthur Andersen & Cie.
La Chaire internationale CMA, en collaboration avec le groupe CHAÎNE de l’École des
HEC, a réalisé ce projet d’analyse comparative. L’équipe de projet était composée de
Hugues Boisvert, professeur et directeur du projet, Sylvain Landry, Ph.D., professeur,
Martin Beaulieu, professionnel de recherche, Étienne Poulin et Marie Chassé, tous deux
aspirants CMA et assistants de recherche, et Laurent Cabana, assistant de recherche.
38
Mars 2002