Évaluation du Programme de solutions réparatrices
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Évaluation du Programme de solutions réparatrices
La justice réparatrice: Évaluation du Programme de solutions réparatrices James Bonta Suzanne Wallace-Capretta Jennifer Rooney Ministère du Solliciteur général du Canada Octobre 1998 Ce rapport trouve également sur le site Internet de Solliciteur général Canada http://www.sgc.gc.ca 1 Travaux publics et Services gouvernementaux Canada 1998 Nº de cat. : JS42-84/1998F ISBN: 0-662-83302-3 2 Remerciements Il y a eu deux évaluations d’étape du Programme de solutions réparatrices (SR) à Winnipeg. La première a été faite par Gord Richardson et Burt Galaway de l’Université du Manitoba, qui ont collaboré avec le personnel du programme, dirigé par Michelle Joubert, et ils ont élaboré le cadre de collecte des données. Leurs travaux nous ont permis de poursuivre les évaluations subséquentes, dont le présent rapport est l’aboutissement. Nous leur sommes redevables de leurs efforts. Nous tenons à remercier Yvonne Lesage, Michael Gray et Debbie Carriere qui ont aidé à la collecte de certains des renseignements employés pour constituer les bases de données, Kevin McAnoy, qui a réuni et codé les études de la méta-analyse, Janice Martens qui a fourni l’information sur les dédommagements versés par les délinquants. Nous remercions également Vic Bergen et Ron Parkinson d’avoir facilité la collecte des données aux établissements Headingly et Milner et d’avoir fourni des renseignements sur la récidive. Il va sans dire que notre reconnaissance est aussi acquise au personnel du Programme de solutions réparatrices pour leur collaboration et leur dévouement dans la tenue des bases de données utilisées dans la présente évaluation. Les opinions exprimées ici sont celles des auteurs et ne reflètent pas nécessairement la position officielle du ministère du Solliciteur général du Canada. i Table des matières Remerciements ..............................................................................................................................i Table des matières ...................................................................................................................... ii Introduction..................................................................................................................................1 Justice réparatrice ......................................................................................................................1 Évaluations de la justice réparatrice ..........................................................................................4 Programme de solutions réparatrices .........................................................................................7 Évaluations provisoires..............................................................................................................8 Évaluation présente..................................................................................................................10 Analyse des résultats..................................................................................................................10 1. Sélection de la clientèle cible..............................................................................................11 Figure 1. Processus de solutions réparatrices................................................... 13 Délinquants aiguillés vers le Programme de SR ...............................................................13 Tableau 1. Caractéristiques des délinquants proposés....................................... 15 Tableau 2. Caractéristiques des délinquants selon l’origine ............................. 16 Admission au programme ..................................................................................................15 Tableau 3. Caractéristiques des délinquants et admission au SR ...................... 17 Tableau 4. Caractéristiques des délinquants par période d’évaluation ............. 20 2. Application de la justice réparatrice ...................................................................................21 3. Solution de rechange à l’incarcération?..............................................................................24 Tableau 5. Participation directe au Programme de SR et incarcération en......... plus de la participation au Programme de SR .................................................... 26 4. Réduction du taux de récidive .............................................................................................27 Stratégie d’évaluation ........................................................................................................25 Récidive : SR et détenus ..................................................................................................28 Tableau 6. Comparaison entre les clients SR et les détenus............................... 30 Tableau 7. Récidive chez les délinquants du programme SR.............................. 31 Récidive : SR et probationnaires.......................................................................................33 ii Table des matières (suite) Tableau 8. Comparaison entre les délinquants SR et ........................................ 34 les groupes témoins de probationnaires.............................................................. 34 Résumé et conclusions ...............................................................................................................35 Bibliographie ..............................................................................................................................38 Annexe A.................................................................................................................................... 41 iii Justice réparatrice : Évaluation du Programme de solutions réparatrices Le programme évalué dans le présent rapport repose sur les principes de la justice réparatrice et s’inspire du souci de garder les délinquants dans leur milieu sans risque pour la collectivité. Il existe de nombreux programmes de cette nature au Canada (Conseil des Églises pour la justice et la criminologie, 1996). Le Programme de solutions réparatrices est toutefois l’un des seuls à comporter depuis le début une composante d’évaluation. La présente évaluation, qui vise la période d’application du programme allant du 1er octobre 1993 au 9 mai 1997, constitue, par conséquent, une importante contribution à nos connaissances de la justice réparatrice dans la collectivité. L’évaluation vise non seulement à éclairer la suite de l’évolution du Programme de solutions réparatrices, mais aussi d’autres programmes de déjudiciarisation dans un contexte de justice réparatrice. Justice réparatrice La justice réparatrice est une approche du traitement des délinquants qui s’écarte des méthodes traditionnelles de justice pénale. En Amérique du Nord, le comportement criminel est avant tout considéré comme un acte dirigé contre l’État et qui doit être puni. Toute infraction à la loi est punissable, et les conséquences qu’elle entraîne reflètent dans quelle mesure l’acte est réprouvé par la société et témoignent de l’application de la justice. En outre, l’application de sanctions a une visée dissuasive pour le délinquant et d’autres personnes qui pourraient être tentées de transgresser les normes de la société. Depuis une dizaine d’années, cependant, les observations empiriques s’accumulent : les sanctions pénales n’ont guère d’effets sur le taux de récidive (Andrews et Bonta, 1998; Andrews, Zinger, Hoge, Bonta, Gendreau et Cullen, 1990; Gendreau et Goggin, 1996). Qui plus est, l’accent qui est mis sur le délinquant a été dénoncé par des groupes de victimes, qui se sentent abandonnées et trahies par le système de justice pénale. Ces deux nouveaux courants ont favorisé les approches de la justice réparatrice (Messmer et Otto, 1992). 1 La justice réparatrice est une manière nouvelle de « régler les différends » (Hudson et Galaway, 1996). Les victimes, leurs familles et leurs amis ainsi que la collectivité sont considérés comme ceux qui ont été lésés par le délinquant. La justice réparatrice vise justement à réparer ce tort par un contact direct entre la victime et le délinquant plutôt que par la seule intervention de l’État. Le processus de réparation consiste à réunir le délinquant, la victime et la collectivité pour trouver des solutions qui doivent dans toute la mesure du possible donner satisfaction à toutes les parties. Grâce à cette médiation, les réparations sont négociées, et le processus de pardon et de guérison est amorcé. Au niveau opérationnel, les méthodes de la justice réparatrice ressortent avec le plus d’acuité dans les rencontres de réconciliation entre victime et délinquant (Hudson et Galaway, 1996; Umbreit, 1994). Il est cependant possible d’englober dans la même catégorie les programmes de dédommagement et de services communautaires (Hudson, 1992; Walgrave, 1992)1. Récemment, des approches qui trouvent leur source dans les collectivités autochtones, comme les conseils de détermination de la peine et les conférences familiales, se sont étendues au système de justice pénale général en Amérique du Nord. Ces programmes ont de nombreux traits communs avec la justice réparatrice (p. ex. la médiation, la participation de la collectivité), bien qu’il y ait eu un certain débat sur leurs avantages (LaPrairie, 1998; Umbreit et Zehr, 1996). On peut faire remonter l’origine de la justice réparatrice aux programmes de réconciliation victime - délinquant (PRVD) conçus au début des années 70. Le premier programme a vu le jour à Kitchener (Ontario), en 1974. Le programme, sous l’égide de l’Église mennonite de l’endroit, faisait appel à des techniques de médiation structurées dans le cadre de rencontres du délinquant et de la victime. Ces rencontres avaient pour but de répondre au besoin qu’éprouvaient les deux parties d’être mieux renseignées sur le processus de justice pénale, et d’atténuer les troubles émotifs que pouvait vivre la victime. Le PRVD diffère des rencontres délinquant - victime des programmes de dédommagement en ce sens qu’on insiste plus sur la réconciliation que sur la réparation financière. 1 Cela n’est pas sans poser de problèmes, car nombre de programmes de dédommagement et de services communautaires sont appliqués par l’État et même prévus par la loi. Il y a donc affaiblissement de l’aspect médiation entre victime et délinquant. 2 Après le programme de Kitchener, un PRVD a été instauré à Elkhart (Indiana) en 1978 (là encore par l’Église mennonite de l’endroit). Depuis, les PRVD ont proliféré. La recension que Umbreit (1994) a faite des programmes existant aux États-Unis a permis de constater que, alors qu’il y avait 50 PRVD en 1986, on en dénombrait 123 en 1994. Cette croissance ne s’est pas limitée aux États-Unis. Au Canada, pays d’origine des PRVD, on estimait qu’il y en avait 26 tandis qu’il y en avait plus de 500 en Europe (Conseil des Églises pour la justice et la criminologie, 1996; Umbreit, 1994). La justice réparatrice a deux caractéristiques importantes : 1) la victime et la collectivité participent à l’administration de la justice et 2) le délinquant reste dans la collectivité. La place accordée à la victime est un élément particulièrement important. Les promoteurs de la justice réparatrice ont vivement reproché au système de justice pénale de négliger les victimes du crime et de faire porter l’essentiel de son attention sur la punition et la réadaptation des délinquants. Le fait de rencontrer le délinquant répond à certains besoins de la victime (p. ex. satisfaction sur le plan émotif et guérison personnelle) et incorpore le point de vue de la victime dans l’administration de la justice. C’est ainsi que la justice réparatrice donne à la victime le sentiment qu’elle peut faire quelque chose. Si la victime joue un rôle central, selon les principes de la justice réparatrice, il existe aussi un autre objectif, celui de gérer le délinquant hors du milieu carcéral. La plupart des programmes de justice réparatrice se présentent comme une solution de rechange à l’incarcération et aux méthodes traditionnelles de poursuite judiciaire (Nuffield, 1997). Les programmes s’appliquent aux délinquants soit avant leur condamnation (le plus souvent dans le cas des jeunes contrevenants) ou avant la détermination de la peine (habituellement dans le cas des adultes) L’objectif est d’éviter l’incarcération et de garder le délinquant dans son milieu. Il importe aussi de signaler que les principes de la justice réparatrice peuvent s’appliquer tout au long du processus de justice pénale. Ainsi, la victime et le délinquant peuvent se rencontrer au moment où celui-ci est incarcéré et prépare sa libération conditionnelle. Il est toutefois relativement rare que cela se fasse à cette étape. 3 Évaluations de la justice réparatrice Les recherches visant à évaluer les programmes de justice réparatrice vont de descriptions générales des modalités des programmes jusqu’à des études plus poussées avec groupes témoins en passant par des comptes rendus non scientifiques qui illustrent la valeur des programmes. Sur le plan de la méthodologie, les observations isolées sont la forme de preuve la moins solide. La majorité des évaluations de la meilleure qualité portent avant tout sur le succès des programmes dans la poursuite des objectifs de la justice réparatrice. Il s’agit en somme de voir s’ils réussissent à réunir la victime et le délinquant, s’ils aboutissent à des ententes de dédomma-gement et de services communautaires, s’ils atténuent les troubles émotifs vécus par la victime, etc. Évaluer les programmes en fonction de ces objectifs cadre parfaitement avec l’optique de la justice réparatrice. Dans quelle mesure les programmes atteignent-ils les objectifs de la justice réparatrice? Les résultats des études sont très favorables. Les victimes et les délinquants se disent satisfaits des rencontres de conciliation, des accords de dédommagement (s’il y a lieu) et des ententes de services communautaires. À l’évidence, ces constatations sont importantes pour le maintien de ces programmes. Après tout, si le personnel et les clients ne voyaient aucun intérêt au service, les doutes planeraient sur l’avenir du programme. L’importance générale de la « satisfaction du client » est toutefois atténuée par les difficultés qu’on éprouve dans beaucoup de programmes à réunir la victime et le délinquant. Ainsi, Gehm (1990) a constaté que 53 % des victimes, dans six PRVD refusaient de rencontrer le délinquant. Par conséquent, les conclusions sur la satisfaction à l’égard du programme reposent souvent sur des échantillons très sélectifs. Il y a d’autres problèmes dans l’interprétation de cotes de satisfaction élevées, notamment l’influence des divers types de délinquants et de victimes. La majorité des PRVD visent des jeunes contrevenants qui ont commis des infractions relativement peu graves. Le plus souvent, les victimes adultes sont plus indulgentes envers des jeunes ou des délinquants qui ont commis des crimes de peu de gravité (Gehm, 1990). Cela fait donc monter le degré de satisfaction. En ce qui concerne les victimes, Umbreit (1990) en a décrit trois types qui peuvent réagir différemment face aux délinquants. Il y a le « guérisseur », le « réparateur » et le « vengeur ». Le premier se soucie de la réadaptation, le « réparateur » cherche à obtenir réparation du préjudice et le 4 « vengeur » peut ne pas être porté, de toute évidence, à rencontrer le délinquant ni à donner une évaluation favorable des méthodes de justice réparatrice. La médiation victime - délinquant et la satisfaction de la victime ne sont pas les seuls objectifs de la justice réparatrice. Il ne faut pas oublier la sécurité de la collectivité (Bazemore, 1996). Il y a peu d’études raisonnablement bien conçues sur les effets des programmes de justice réparatrice sur la récidive. Ainsi, la bibliographie de McCold (1997), qui recense 552 rapports sur la justice réparatrice, n’en relève que deux qui ont utilisé un groupe témoin et livrent des données sur la récidive. Pour étudier plus à fond l’effet des programmes de justice réparatrice sur la récidive, nous avons entrepris une brève étude méta-analytique de la littérature. La méta-analyse est une méthode quantitative employée pour résumer la littérature, et elle a en grande partie remplacé l’examen narratif plus courant. Prenant comme point de départ la bibliographie de McCold (1997), nous avons mené notre propre recherche dans la littérature et avons relevé 14 évaluations de programmes de justice réparatrice donnant 20 estimations de l’importance de l’effet (coefficients phi). Pour qu’une étude soit retenue, il fallait qu’il y ait un groupe témoin et que la récidive soit indiquée de façon à permettre le calcul du coefficient phi. Celui-ci est une mesure de l’association utilisée pour évaluer la relation entre deux variables dichotomiques. Dans notre cas, nous avons évalué l’association entre la présence ou l’absence de justice réparatrice et de récidive (oui/non). Nous avons suivi les procédures de codage employées par Andrews, Zinger et leurs collaborateurs (1990) dans leur méta-analyse de la littérature sur la réadaptation des délinquants. De plus, lorsqu’il y avait plus d’un résultat sur les effets dans une seule étude, la moyenne a été établie selon la méthode décrite par Bonta, Law et Hanson (1998) de façon à obtenir un seul résultat par étude. On trouvera à l’annexe A les résultats détaillés de la méta-analyse. Le coefficient phi moyen, après rajustements pour tenir compte de la taille de l’échantillon et des taux de base, était de 0,08, valeur qui correspond à une diminution d’environ 8 %, en gros, de la récidive, diminution associée à des programmes ayant des caractéristiques propres à la justice réparatrice. Ces résultats sont prometteurs, certes, mais on observe des fluctuations 5 considérables d’une étude à l’autre. Certaines font état d’une très importante diminution de la récidive (p. ex. Heinz et coll., 1976) tandis que d’autres ont constaté une augmentation du taux de récidive (p. ex. Bonta et coll., 1983). Pis encore, toutes les études passées en revue avaient des lacunes sur le plan de la méthodologie. Aucune n’a employé l’assignation aléatoire de sujets dans le groupe d’étude ou le groupe témoin et rares sont celles qui ont utilisé un groupe témoin comparable. Pour illustrer certaines des difficultés éprouvées dans l’évaluation des programmes de justice réparatrice, prenons l’une des études de résultats les plus perfectionnées, l’évaluation quasi expérimentale que Umbreit (1994) a consacrée à quatre PRVD. Les programmes visaient des jeunes contrevenants (âge moyen de 15 ans), pour la plupart à leur première infraction (73 %). L’un des groupes témoins était composé de victimes et de délinquants, de même âge, de même sexe, de même race et ayant commis le même type d’infraction, mais qui n’ont pas été soumis au processus de médiation. Comme dans la plupart des évaluations de PRVD, Umbreit a relevé un haut degré de satisfaction (plus de 90 %) à l’égard des rencontres de réconciliation victimes - délinquants. Il y avait cependant un taux d’attrition de 64 % (p. 62) et 95 % des médiations ont mené à des ententes de dédommagement. Le degré de satisfaction a donc été ainsi mesuré d’après un échantillon de victimes qui avaient reçu une indemnisation. Fait important, on a néanmoins constaté que les victimes qui ont participé au PRVD étaient moins perturbées par le crime et disaient moins craindre d’être de nouveau victimes. Un suivi effectué un an après le programme a permis de constater que le groupe témoin avait un taux de récidive de 27 % tandis qu’il était de 18 % pour les jeunes qui avaient participé au PRVD. Cette différence n’est toutefois pas statistiquement significative. Umbreit (1994, p. 117) explique en ces termes l’absence de différences statistiquement significatives : « Il est naïf de croire qu’une intervention limitée dans le temps, comme la médiation seule (peut-être de quatre à huit heures par cas) puisse modifier radicalement le comportement criminel et délinquant ». Au sujet des principes de la justice réparatrice, Umbreit signale que ce haut niveau de satisfaction chez les victimes est un résultat que les procédés traditionnels de la justice pénale n’ont jamais pu obtenir. 6 Pour résumer, les études sur la justice réparatrice font clairement ressortir à quel point il est complexe d’appliquer et d’évaluer une approche qui est relativement nouvelle en Amérique du Nord. La participation de la victime et de la collectivité au processus de justice pénale exige que l’on prenne en en considération des facteurs normalement négligés par le système traditionnel de justice pénale. Les recherches effectuées jusqu’à maintenant montrent que les approches de la justice réparatrice peuvent avoir un effet appréciable sur l’attitude des victimes à l’égard des délinquants et du système de justice pénale. Quant à la récidive, l’efficacité des programmes est faible, mais ils ont un effet positif. La plupart des études portent toutefois sur des échantillons de jeunes contrevenants, et elles comportent toutes de graves lacunes méthodologiques. Programme de solutions réparatrices De nombreux programmes de justice réparatrice ont comme perspective la défense de la victime. Mais le Programme de solutions réparatrices (SR) est assez unique à cet égard. En effet, il est appliqué par l’entremise de la Société John Howard du Manitoba, organisme bénévole qui s’occupe de délinquants. Malgré cela, le programme tente d’appliquer les principes de la justice réparatrice, soit réparer le préjudice causé aux victimes, encourager la participation de la collectivité au processus de justice pénale et gérer le délinquant dans la collectivité. L’une des plus importantes caractéristiques du programme SR est la recherche de solutions de rechange à l’incarcération, dans un contexte de justice réparatrice, et c’est là une des raisons qui justifient l’évaluation du programme. Le Programme de SR a vu le jour en octobre 1993 comme projet pilote. Les services correctionnels communautaires, les services correctionnels pour les jeunes, les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense, les juges, les organismes communautaires, les membres des familles et les prévenus eux-mêmes ont été invités à proposer des candidatures. Le principal but du programme était d’offrir une solution de rechange à l’incarcération. Des règles ont donc été adoptées pour s’assurer que les délinquants acceptés dans le programme seraient vraisemblablement condamnés à une peine de prison s’ils ne participaient pas au programme. 7 Les délinquants proposés devaient satisfaire aux conditions de base suivantes : 1) La Couronne recommandait une peine de détention d’au moins dix mois. Cependant, comme il n’y a pas eu beaucoup de candidatures au début du programme, cette exigence a été ramenée à neuf mois le 1er janvier 1995, puis, progressivement, jusqu’à un minimum de six mois. 2) Le délinquant devait plaider coupable. 3) Le délinquant devait avoir la motivation voulue pour participer à un programme communautaire qui comprenait une rencontre avec la victime (si celle-ci acceptait) et pour participer aux programmes prescrits par le personnel du SR. Outre ces critères, d’autres précautions ont été prises pour éviter de ratisser trop large. Des efforts ont été faits pour accepter dans le programme des délinquants qui avaient déjà été incarcérés ou qui avaient déjà enfreint les conditions d’une ordonnance de probation. Par contre, les délinquants coupables d’agressions sexuelles, de crimes liés au gangstérisme ou aux drogues ou bien qui avaient commis des actes de violence en milieu familial ont été écartés. Malgré ces considérations secondaires, la recommandation d’une peine d’incarcération par la Couronne demeurait le principal critère de sélection. Ainsi, même des délinquants qui en étaient à leur première infraction étaient admissibles, à la condition que la Couronne ait recommandé une peine de prison d’au moins six mois. Une fois le délinquant accepté, le personnel du programme mettait au point un plan personnalisé de justice réparatrice. On essayait, entre autres, d’obtenir à ce sujet la collaboration de la victime et des membres de la collectivité. Au besoin, le plan portait également sur les besoins en traitement du délinquant. Une fois accepté par le juge, le plan était appliqué et le personnel du programme fournissait ou obtenait les services qui y étaient décrits. Évaluations provisoires Il y a déjà eu deux évaluations du Programme SR. La première a été celle de Richardson et Galaway (1995). Le programme était alors à mi-parcours des trois années prévues par les mesures de financement. En général, les résultats ont confirmé que le programme visait des délinquants susceptibles de se voir imposer une peine d’incarcération. Mais les candidats ont été 8 bien moins nombreux que prévu. Par conséquent, après la sélection des délinquants en fonction des critères du programme, l’élaboration des plans et l’acceptation par le tribunal, seulement 32 délinquants ont participé. Ce faible nombre a été attribué au fait que le programme en était encore au stade expérimental. À l’étape initiale du programme, il a fallu consacrer beaucoup de temps à faire connaître le programme et à susciter d’aiguillage de cas. Richardson et Galaway (1995) ont également fait état des observations recueillies auprès de victimes et d’un sondage de l’opinion publique. Beaucoup de victimes ont hésité à participer au programme et à l’évaluation. Elles voulaient oublier l’incident et avaient trop à faire pour participer. Seules deux victimes ont accepté d’être interviewées par le personnel du programme. Chose curieuse, la moitié des 16 délinquants interviewés par les évaluateurs estimaient que la plupart des délinquants ne veulent pas rencontrer leurs victimes. Dans le cadre du sondage mené dans la région de Winnipeg, un certain nombre de questions ont été posées à 814 personnes au sujet de leur opinion sur les principes de la justice réparatrice. On a constaté un soutien considérable pour ces principes. Près des trois quarts des répondants (72 %) ont dit qu’ils seraient disposés à participer à une médiation entre victime et délinquant, ce qui est loin de correspondre à l’expérience du personnel du programme. De plus, les deux tiers préféraient recevoir un dédommagement plutôt que de voir le délinquant condamné à la prison. La deuxième évaluation a été menée de façon à porter sur une période plus longue et donc sur un échantillon plus important. Bonta et Gray (1996) ont ajouté 14 mois à l’évaluation précédente (jusqu’en avril 1996). Le taux d’acceptation des délinquants dans le programme est resté inchangé d’une évaluation à l’autre, malgré le fait que le critère de recommandation d’emprisonnement ait été ramené à une peine de neuf mois. Au cours des 31 premiers mois, 54 clients ont été acceptés (sur 190 cas aiguillés vers le programme). Le programme semblait toujours viser les délinquants destinés à la prison. Dans tous les cas, le procureur avait recommandé une peine de neuf mois ou plus. Si on compare les résultats des deux évaluations, on constate qu’il y a également eu une augmentation du recours aux méthodes de justice réparatrice. La première évaluation avait indiqué que le tiers des plans comportaient un dédommagement et 37 %, des travaux communautaires. À la deuxième 9 évaluation, les proportions étaient d’un peu plus de la moitié pour le dédommagement, et de 96,6 % (la quasi-totalité) pour les travaux communautaires. Le personnel du programme a communiqué avec 122 victimes, mais la majorité (79,5 %) ne souhaitaient pas rencontrer le délinquant. Il n’y a eu que 11 rencontres victime - délinquant. Bonta et Gray (1996) ont fait une évaluation préliminaire des résultats. Il n’a pas été possible de faire l’évaluation après programme, car beaucoup de délinquants du Programme de SR étaient soumis à de longues périodes de probation. Ils ont donc fait une évaluation d’un an en cours de programme. Sur 35 délinquants soumis au programme pendant au moins un an, 80 % ont réussi. Deux des sept échecs ont été dus à une nouvelle infraction. Ce taux de succès se compare favorablement à ceux d’un groupe de délinquants en probation ayant des profils de risques et de besoins similaires. Évaluation présente L’évaluation que voici s’ajoute aux rapports antérieurs et prolonge la période visée jusqu’au 9 mai 1997. De plus, un effort concerté a été fait pour vérifier toutes les données disponibles en puisant à des sources multiples et pour réduire au minimum les données manquantes. Les rapports antérieurs ont fait appel à des banques d’information dont les données comportaient des lacunes pour de nombreux cas. Les dossiers officiels ont été consultés et les lacunes de l’information ont été comblées. Par la même occasion, nous avons vérifié les incohérences au moyen des dossiers correctionnels et corrigé les erreurs. En conséquence, certaines données figurant dans le présent rapport peuvent ne pas correspondre tout à fait à celles dont il a déjà été fait état. Pourtant, malgré ces efforts, certaines données manquent toujours. Analyse des résultats Les programmes de justice réparatrice ont des objectifs multiples. Le succès peut se mesurer de plusieurs façons : bon ciblage des clients, réalisation des objectifs de la justice réparatrice comme la tenue de rencontres entre les victimes et les délinquants, et réduction de la récidive. Comme il s’agit d’une solution de rechange à l’incarcération, il doit être établi aussi 10 que le programme ne s’étend pas à des personnes qui ne tomberaient pas autrement sous le contrôle des services correctionnels. Tous ces objectifs ont leur intérêt, et la valeur globale du programme dépend du nombre d’objectifs atteints et de la mesure dans laquelle ils sont atteints. Dans la présente évaluation, nous indiquons dans quelle mesure le programme réussit à atteindre ces objectifs. Pour être plus précis, nous présentons les résultats au sujet de ce qui suit : 1) sélection de la clientèle cible; 2) réalisation des objectifs de la justice réparatrice; 3) application d’une solution de rechange à l’emprisonnement; 4) réduction de la récidive. Avant d’aller plus loin, voici quelques observations sur la vérification de la signification statistique. Tout au long du rapport, de nombreuses comparaisons et prévisions sont faites au sujet des délinquants encadrés par le Programme de SR et ceux qui n’ont pas pris part au programme. Lorsque des différences ou des relations sont décelées, il faut se demander si les résultats ne sont pas le fait du hasard. Il est pratique courante en sciences, lorsque la probabilité que les résultats soient dus au hasard est inférieure à 5 %, de considérer ces résultats comme « statistiquement significatifs ». De tels résultats sont normalement exprimés au moyen de la valeur de probabilité, p < 0,05. Il arrive parfois que nous fassions état de valeurs de p < 0,01 (lorsque qu’il y a moins d’une chance sur cent que les résultats soient dus au hasard) et de p < 0,001 (une chance sur mille). Enfin, il faut signaler que, lorsque la taille de l’échantillon est faible, il devient plus difficile de déceler des relations statistiquement significatives. Lorsque cela se produit, nous essayons de le signaler au lecteur. 1. Sélection de la clientèle cible Il y a un certain nombre d’étapes à franchir avant qu’un délinquant ne devienne un client du Programme de SR. Les délinquants doivent être aiguillés vers le programme et satisfaire aux critères de sélection, et il faut que les plans soient élaborés et acceptés par le tribunal. Et, dans ce cheminement, il y a de nombreux points où les délinquants peuvent être écartés du programme. La figure 1 illustre l’attrition considérable qui se produit depuis l’aiguillage jusqu’au moment où le délinquant est condamné à suivre le programme. Au cours de la période visée par la présente évaluation (du 1er octobre 1993 au 9 mai 1997), 297 délinquants ont été proposés. Cependant, seulement 99 plans ont été acceptés par les tribunaux. 11 12 Figure 1. Processus des solutions réparatrices 94 délinquants ne répondaient pas aux critères 5 attendaient l’acceptation Cas proposés 297 - 99 24 délinquants ont été refusés par le Programme Cas admissibles (critères respectés) 198 - 24 24 n’avaient pas de plan 20 avaient des plans en attente 1 a récidivé avant que le plan ne soit préparé Cas acceptés 174 Préparation de plan de SR 129 - 45 9 délinquants avaient un plan préparé qui n’a pas été soumis -9 3 délinquants rejetés, mais SR a surveillé leur probation après la détention 15 délinquants – rejet du plan par le juge 3 délinquants, plan préparé – en attente de décision du tribunal Plan soumis à la défense, à la Couronne et au juge 120 - 21 Acceptation de plans par le juge 99 1 délinquant en prison, surveillance du SR en attendant libération 1 plan accepté par le juge, mais la Couronne interjette appel 1 délinquant sous surveillance, mais non confié au Programme SR 2 délinquants non à risque pendant un an -5 94 délinquants de SR à risque pendant un an 13 Délinquants aiguillés vers le Programme de SR. Un peu plus des trois quarts des délinquants dirigés vers le Programme étaient des hommes, et un peu plus de la moitié étaient célibataires. L’âge moyen était de 27,8 ans (écart-type = 9,7). Un jeune contrevenant a été proposé, mais n’a pas été accepté. Étant donné que le programme était destiné aux délinquants qui allaient vraisemblablement se voir imposer une peine d’emprisonnement, il n’est pas étonnant que 65 % des cas aient déjà eu par le passé des contacts avec le système de justice pénale. Le tableau 1 donne de l’information sur la source des aiguillages et les caractéristiques des délinquants proposés. Comme il a été signalé dans les évaluations antérieures du Programme de SR, ce sont les avocats de la défense qui ont présenté le plus de candidats. Il y a eu des différences appréciables quant au type de délinquant proposé par des sources différentes. Les cas aiguillés par la Couronne traduisaient une plus grande prudence (voir tableau 2). En moyenne, ces délinquants avaient à leur bilan moins de manquements aux conditions de probation et moins de peines d’emprisonnement (0,4 et 1,4 respectivement). De plus, seulement 16,2 % étaient inculpés d’un crime avec violence. Les candidats qui se sont présentés d’eux-mêmes avaient, ce qui n’est guère étonnant, la plus haute moyenne de manquements aux conditions de probation (2,0) et d’incarcérations antérieures (6,6). 14 Tableau 1. Caractéristiques des délinquants proposés Variable % Hommes 78,6 Célibataires 58,8 Source des aiguillages: Défense Probation Délinquant lui-même Couronne Autre 57,2 14,8 13,1 12,5 2,3 Race: Blancs Autochtones Métis Autres 62,8 17,4 10,3 9,6 Source de revenu: Emploi Assistance sociale Famille/autre 36,0 46,4 17,6 Inculpation la plus grave: Personne Biens Alcool/conduite en état d’ébriété/drogues Autre 32,7 59,2 5,7 2,4 35,0 Première infraction Moyenne Âge (années) 27,8 Niveau de scolarité 10,6 15 Tableau 2. Caractéristiques des délinquants selon l’origine Source de l’aiguillage Caractéristiques Couronne Probation Défense Délinquant Manquements aux conditions de probation 0,4 1,0 0,7 2,0 Incarcérations antérieures 1,4 3,5 2,1 6,6 Accusations en cours 5,0 2,6 4,1 6,1 16,2 31,8 34,5 39,5 % actes violents Admission au programme. Des 297 cas proposés, 174 ont satisfait aux critères de sélection du Programme et ont ensuite été acceptés par le personnel chargé du programme. Le critère le plus important était la recommandation, par la Couronne, d’une peine de prison de plus de six mois. Dans 91,4 % des cas acceptés par le personnel, la Couronne recommandait effectivement au moins six mois d’emprisonnement. On n’a pu obtenir une information précise sur la peine recommandée par la Couronne que pour 61 cas, candidatures acceptées et rejetées confondues2. Pour les délinquants admis au programme, la peine recommandée était plus longue (18,0 mois, écart-type = 9,5, n = 45) que pour les 16 délinquants rejetés par le personnel du SR (9,7 mois, écart-type = 6,0; t = 3,3, p < 0,01). Ces constatations confirment tout à fait la conclusion selon laquelle le personnel du programme a ciblé les délinquants qui feraient vraisemblablement l’objet d’une peine d’emprisonnement, et à qui il s’agissait d’offrir une solution de rechange. 2 Les recommandations ont été consignées pour tous les cas acceptés, mais souvent seulement par catégorie (p. ex., plus de 10 mois). Dans les cas refusés, les recommandations n’ont pas été consignées systématiquement. 16 Au-delà des différences concernant les cas proposés par la Couronne, il y avait peu de différences entre les délinquants considérés comme répondant aux critères du programme et ceux qui n’ont pas été acceptés (tableau 3). Les délinquants qui en étaient à leur première infraction étaient surreprésentés, 43,7 % d’entre eux étant acceptés, contre un taux de rejet de seulement 14,8 % (χ2 = 21,77, nu = 1, p < 0,001). Les délinquants inculpés de crimes contre la personne et les délinquants métis ou autochtones étaient moins susceptibles d’être acceptés (χ2 = 5,21, p < 0,05 et χ2 = 7.36, p < 0,01 respectivement). Tableau 3. Caractéristiques des délinquants et admission au SR (n) Variables Antécédents criminels : Acceptés (174) % première infr. Nbr. infr. antérieures Nbr. détentions ant. Nbr. infr. actuelle 43,7 0,9 3,0 4,4 (76) (93) (93) (174) Refusés (118) 14,8 0,8 2,3 4,1 (174) (13) (51) (52) (116) p 0,001 ns ns ns (117) Infraction la plus grave (%) : Personne Biens Alcool/drogues Autres 28,2 66,7 2,3 2,8 Âge (années) 27,8 (173) 28,0 (105) ns % hommes 77,5 (173) 81,2 (117) ns % jamais mariés 57,4 (169) 63,4 (71) ns % aide sociale 42,9 (168) 55,9 (68) ns (105) 0,01 41,0 44,4 10,3 4,4 (172) Race (%): Non-autoch. (n=200) 77,9 62,9 Autochtones (n=77) 22,1 37,1 0,05 Nota: p = probabilité; ns = non significatif Les chiffres peuvent varier à cause de lacunes dans les données. Cinq cas non tranchés sont classés dans le groupe des cas refusés. 17 D’autres analyses des données disponibles au sujet des Autochtones dirigés vers le programme n’ont permis de relever aucune différence entre les délinquants acceptés et ceux qui ont été refusés. Il n’y avait pas de différence quant à l’âge et au sexe entre les deux groupes, et les antécédents criminels (p. ex., nombre d’inculpations ou d’incarcérations antérieures) étaient semblables. La seule différence qui ait été relevée est qu’une proportion nettement plus forte des délinquants autochtones retenus pour participer au programme par le personnel étaient inculpés de crime contre la personne que cela n’était le cas chez les non-autochtones (42,1 % contre 23,9 %; χ2 = 4,89, p < 0,01). Un important facteur non lié au délinquant qui a pu influer sur l’acceptation des cas a été la source de l’aiguillage. La Couronne en a présenté relativement peu, mais la plupart ont été acceptés (83,8 %). Viennent au deuxième rang les cas proposés par les avocats de la défense, qui ont été acceptés à 69,3 %. Les chances de succès étaient moins bonnes lorsque les délinquants étaient proposés par un agent de probation ou lorsque le délinquant se proposait lui-même (34,9 % et 20,5 % respectivement). Pour résumer, la recommandation d’incarcération ainsi que l’aiguillage vers le programme présentés par la Couronne étaient associés à l’acceptation dans le programme. La première constatation cadre bien avec le critère d’acceptation qu’est la recommandation de peine d’emprisonnement. Cette recommandation garantit que le programme constitue une vraie solution de rechange à l’incarcération. La forte probabilité d’acceptation lorsque le cas est aiguillé par la Couronne laisse soupçonner l’existence d’un certain nombre de facteurs médiateurs. Tout d’abord, les efforts concertés du personnel du programme pour sensibiliser les procureurs de la Couronne au programme ont permis à ces avocats de mieux connaître les critères du programme. Ils étaient donc mieux placés pour proposer des cas convenant bien au programme. Deuxièmement, lorsqu’un cas est proposé par la Couronne cela signifie, pour le personnel du programme, qu’il y a de bonnes chances pour que le tribunal accepte le plan proposé, hypothèse que confirment les constatations dont il est fait état plus loin. Un autre facteur critique, pour être accepté dans le programme, est la motivation du délinquant. Le personnel écartait les délinquants qu’il ne jugeait pas prêts à assumer la 18 responsabilité de leur comportement ou à rencontrer la victime. Malheureusement, il n’y a pas de données disponibles sur le nombre de cas refusés parce qu’ils n’étaient pas suffisamment motivés. Une fois les délinquants acceptés, des plans personnalisés étaient élaborés. En général, 85,6 % des 174 délinquants acceptés avaient un plan préparé ou le plan était à l’étude. L’élaboration d’un plan de gestion du délinquant en milieu communautaire demande beaucoup de temps au personnel. En moyenne, il a fallu 25,5 heures par cas. Cependant, seulement 120 plans ont été présentés officiellement au tribunal, et il s’est écoulé en moyenne 112 jours (écart-type = 68,0) entre l’acceptation par le personnel du programme et l’approbation par le juge. Il n’y a pas eu de plans élaborés dans le cas de 25 délinquants, et 20 autres étaient à l’étude. Neuf plans ont été préparés, mais n’ont jamais été présentés. Des 120 plans présentés au tribunal, le juge en a rejeté 18 et trois étaient en attente de décision. En fin de compte, le tribunal a accepté les plans de 99 délinquants, soit 82,5 % des cas soumis. Selon les données disponibles sur 97 délinquants, la période de probation imposée a été en moyenne de 28,5 mois (écart-type = 6,8). La plupart des plans ont été acceptés sans modification (73,2 %). Dans 22,7 % des cas, le tribunal a ajouté des conditions au plan et, dans seulement 4,1 %, il a supprimé des éléments. Les délinquants dont le plan a été accepté par le tribunal ne différaient pas, par la race, l’emploi, l’état civil et le sexe, de ceux qui ont essuyé un refus. Les chances d’être accepté étaient moins bonnes pour les auteurs de crimes contre la personne. Sur les 18 refus, 11 délinquants (61,1 %; χ2 = 7,04, p < 0,01) avaient commis un crime contre la personne. Là encore, l’influence de la Couronne était perceptible. Le tribunal n’a refusé qu’un seul des 57 délinquants proposés par les procureurs de la Couronne. Seulement 21,1 % des délinquants qui avaient commis un crime contre la personne ont été appuyés par la Couronne. Compte tenu de la forte attrition entre l’acceptation par le personnel du programme et la décision du tribunal (de 174 à 99), nous avons fait une analyse des cas rejetés. Les évaluations d’après le test de classification risques-besoins du Manitoba n’ont mis en lumière aucune différence quant aux risques et aux besoins. Le score moyen des délinquants retenus était de 19 10,3 et celui des personnes écartées de 10,2 (t = -0,09). Il n’y avait pas de différence non plus en ce qui concerne les antécédents criminels, l’âge, le sexe et la source des revenus. Comme on le mentionne plus haut, le critère de sélection qu’était la recommandation d’incarcération par la Couronne a changé avec le temps. Cela nous a amenés à nous demander si le type de délinquant accepté dans le programme avait, lui aussi, évolué au cours des trois ans et demi du programme. Le tableau 4 illustre les caractéristiques des délinquants aux trois étapes du programme. Bien qu’une légère tendance à accepter des délinquants à plus faible risque semble se dessiner, la plupart des changements ne sont pas statistiquement significatifs. Ainsi, le score des risques et des besoins établi au moyen du test de classification du Manitoba a diminué depuis le début du programme. Les seuls changements statistiquement significatifs concernaient le type d’infraction et la race. Par rapport au début, le programme a accepté moins de délinquants qui avaient commis des crimes contre la personne (χ2 = 3,91, p < 0,05) et de délinquants autochtones ou métis (χ2 = 5,69, p < 0,05). Tableau 4. Caractéristiques des délinquants par période d’évaluation (n) Période Résultats T1 (70) T2 (49) T3 (55) 40,0 49,0 43,6 Nbr. accusations en cours 2,9 3,9 6,6 Nbr. manquements probation 1,3 0,1 0,9 Nbr. détentions antérieures 3,9 2,6 2,3 Infraction violente (%) 36,2 24,5 20,0 Infr. contre biens (%) 59,4 71,4 72,7 Score risques-besoins 11,3 10,2 9,8 Autochtones/Métis (%) 30,4 22,9 11,0 Aide sociale (%) 50,0 37,0 38,9 Première infraction (%) Source de l’aiguillage (%) : 20 Couronne Défense Probation Délinquant lui-même Nota : 17,1 64,3 5,7 7,1 12,2 77,6 4,1 4,1 23,6 58,2 16,4 1,8 T1 = du 1er octobre 1993 au 28 février 1995 T2 = du 1er mars 1995 au 30 avril 1996 T3 = du 1er mai 1996 au 9 mai 1997 En somme, le programme a tout à fait réussi à cibler les délinquants qui risquaient probablement d’écoper d’une peine de prison. Pour presque tous les délinquants (91,4 %), il y avait une recommandation d’emprisonnement d’au moins six mois. De plus, la majorité des délinquants admis avaient déjà eu des démêlés avec le système de justice pénale, avec une moyenne de trois incarcérations antérieures. Le cas une fois accepté par le personnel du programme, il a fallu près de quatre mois pour que le plan soit soumis au tribunal. Au cours de cette période, le personnel a déployé des efforts considérables pour élaborer un plan de justice réparatrice. Un seul délinquant a récidivé pendant cette période (voir la figure 1). Enfin, nous pouvons conclure que les délinquants dont les plans ont été acceptés par les tribunaux représentaient un groupe de délinquants qui échappaient à l’incarcération. 2. Application de la justice réparatrice La justice réparatrice favorise la participation de la victime et de la collectivité au processus de justice pénale. Le délinquant est aussi tenu responsable de réparer le préjudice que ses actes ont causé à la victime et à la collectivité. Le succès du programme de SR dans la poursuite de ces objectifs a été évalué à partir de l’information fournie dans les plans de SR et de celle qui est contenue dans les bases de données sur les cas et les victimes. Il y avait 249 dossiers de victimes disponibles pour étude3. Le personnel du programme a communiqué avec 209 victimes (83,9 %). Le groupe de victimes le plus important était celui des employés d’entreprises (41,5 %), suivi de celui des particuliers (29,8 %) et des personnes 3 Le dossier de la victime est ouvert lorsque le délinquant est accepté dans le programme de SR. 21 exploitant leur propre entreprise (16,5 %). Les pertes signalées à la police allaient de pertes très mineures (20 $ de friandises) à des biens de plus de 20 000 $ (p. ex., voitures volées). Les préjudices physiques causés aux victimes étaient très rares (4,9 % des cas), mais 22,2 % des victimes ont déclaré une forme ou l’autre de souffrance psychologique. Le personnel du programme a essayé de communiquer avec les victimes et leur a demandé de participer à l’élaboration d’un plan de justice réparatrice. Trente-quatre victimes n’ont pu être jointes en raison de difficultés à les retrouver. Seulement 10,3 % (25) des 243 victimes sur lesquelles nous avions de l’information ont rencontré le délinquant. Ce faible taux n’est pas rare dans les programmes de justice réparatrice et peut s’expliquer par un certain nombre de facteurs. Certaines victimes peuvent répugner à rencontrer le délinquant parce qu’elles veulent oublier l’incident. D’autres peuvent ne pas avoir été assez gravement touchées, sur le plan émotif, par le fait d’avoir été victime pour rechercher une forme de résolution émotive de l’expérience. Il ne faut pas oublier que seulement une minorité de victimes ont déclaré un préjudice physique ou psychologique. Dans les 25 rencontres directes qui ont effectivement eu lieu, une entente mutuellement satisfaisante a été conclue dans 24 cas et des excuses ont été présentées personnellement à 22 victimes. En plus de ces excuses faites de vive voix, des délinquants ont envoyé des lettres d’excuses aux victimes dans 58 cas. Relativement peu de victimes ont rencontré le délinquant, mais d’autres indications montrent que des victimes ont participé au processus de justice pénale et profité des efforts de dédommagement faits par les délinquants. La majorité des victimes (78,6 %) ont produit des déclarations sur l’impact subi et, comme on l’a déjà dit, 58 victimes (23,9 %) ont reçu des excuses écrites des délinquants. Les accords de dédommagement et de services communautaires sont également des expressions d’un effort de réparation. Le tribunal a ordonné un remboursement à 53 des 94 délinquants confiés au programme. Les montants à rembourser variaient entre 200 $ et 42 000 $, et la moyenne des montants à rembourser s’élevait à 5 622 $. Des renseignements sur les montants effectivement versés par les délinquants étaient disponibles dans 51 cas. Vingt et un délinquant se sont acquittés intégralement de leur dette et neuf cas sont encore en suspens. Treize délinquants n’ont rien remboursé. 22 Le montant moyen remboursé par les participants au programme s’est élevé à 2 563 $. En tout, 130 741,37 $ ont été versés aux victimes. Depuis le rapport de Richardson et de Galaway (1995), les services communautaires sont devenus une composante importante des plans des clients du programme. Dans leur première évaluation provisoire, Richardson et Galaway (1995) n’ont relevé des services communautaires que dans 37 % des plans. Cette conclusion a amené les responsables du programme à intensifier leurs efforts pour combler cette lacune. Dès la deuxième évaluation (Bonta et Gray, 1996), des services communautaires figuraient dans 96,6 % des plans. Ce taux élevé s’est maintenu. Toutefois, si on tient compte de toute la période visée par la présente évaluation, le pourcentage s’établit à 69 %. Le nombre d’heures de services communautaires a varié entre 50 et 800 heures (la moyenne étant de 175,9 heures). Malheureusement, il a été impossible de consulter les dossiers indiquant dans quelle mesure les tribunaux ont approuvé les recommandations de services communautaires formulées par le personnel du programme et aussi dans quelle mesure ont été respectées ces ententes de services communautaires. La justice réparatrice n’était pas la seule composante des plans dressés par le personnel. La quasi-totalité des 174 plans (96,7 %) comportaient des recommandations sur des services de conseils ou de thérapie. Dans les programmes de déjudiciarisation, on néglige souvent les besoins personnels des délinquants (Nuffield, 1997), même lorsque ces besoins sont évidents. L’analyse des profils des risques et des besoins des délinquants a permis de constater que plus de la moitié des délinquants (58,3 %) avaient des problèmes d’alcool ou de drogues. Des problèmes d’emploi ont également été décelés dans 64,8 % des cas, et les relations familiales ou conjugales instables étaient un phénomène très répandu chez ces délinquants (70,9 %). À signaler également que 44,9 % d’entre eux éprouvaient des difficultés émotives, d’après l’évaluation, et que 60,6 % avaient des fréquentations préjudiciables. Lorsqu’il s’agit d’évaluer dans quelle mesure le Programme de SR réussit à appliquer les principes de la justice réparatrice, les comparaisons avec les services de probation ordinaires sont révélatrices. Le dédommagement et les services communautaires sont des moyens qu’on peut utiliser dans la probation. Il y a donc lieu de se demander si la probation, telle qu’elle se pratique normalement, ne peut être aussi efficace pour appliquer les principes de la justice 23 réparatrice que des programmes plus structurés comme celui des SR. Dans ce cas, la réponse est négative. Une étude de notre base de données sur plus de 1 000 probationnaires au Manitoba révèle que les taux de dédommagement et de services communautaires sont beaucoup plus faibles. Les plans du Programme de SR sont plus susceptibles de prévoir un dédommagement (56,4 % contre 24,9 %) et des services communautaires 96 % contre 13,8 %). Le montant moyen des remboursements des clients SR (2 563 $) était également plus élevé que les montants fixés pour les probationnaires (1 517 $). Enfin, nous ne pouvons négliger le succès remporté par le Programme de SR pour ce qui est d’amener les délinquants à présenter des excuses aux victimes, ce qui se fait très rarement dans le régime classique de probation. En somme, le Programme de SR a réussi relativement bien à respecter les principes de la justice réparatrice. Les victimes ont été contactées et invitées à participer; les services communautaires sont devenus une composante de presque tous les plans; et les accords de remboursement ont été beaucoup plus élevés que dans le régime de probation. En tout, plus de 130 000 $ ont été versés aux victimes. Enfin, et c’est très important, le Programme de SR a accordé une attention non négligeable aux besoins des délinquants. Des recherches théoriques récentes dans les domaines de la justice réparatrice et de la réadaptation des délinquants donnent à penser que les deux approches ont beaucoup en commun et que, à elles deux, elles peuvent contribuer à renouveler la confiance dans le système de justice pénale (Crowe, 1998). Le programme de SR a fait de la planification du traitement des délinquants une partie intégrante du plan de justice réparatrice et une nouvelle composante précieuse du programme. 3. Solution de rechange à l’incarcération? Le travail avec les délinquants dans leur milieu est un principe important des programmes de justice réparatrice, mais ce n’est pas là nécessairement le seul objectif. Certains programmes de justice réparatrice, dont celui des SR, visent aussi à offrir une solution de rechange à l’incarcération. Il s’agit certes là d’un des objectifs déclarés du programme des SR. Le problème de nombreux programmes de justice réparatrice est qu’ils accueillent des délinquants à risque relativement faible qui auraient fait l’objet d’une intervention moins lourde s’il n’y avait pas eu de programme de « déjudiciarisation » (Nuffield, 1997). 24 Nous avons déjà signalé que, pour plus de 90 % des délinquants participant au Programme de SR, la peine d’incarcération était de six mois ou plus. Même si la Couronne recommande une peine d’incarcération, les tribunaux peuvent opter pour une peine non privative de liberté. Afin de mieux nous assurer que les 96 délinquants confiés au programme auraient probablement écopé d’une peine de prison, nous avons évalué leur niveau de risque au moyen du test de classification des risques et de besoins du Manitoba. Le score moyen des risques et des besoins des délinquants participant au programme était de 10,4, soit un peu plus que le score moyen de 8,8 obtenu par les probationnaires au Manitoba. D’après les lignes directrices manitobaines sur la classification, seulement 9,9 % des délinquants étaient considérés comme à faible risque (scores de 0 à 5); 50,5 % étaient à risque moyen (de 6 à 11) et 39,6 % présentaient de grands risques (scores de 12 ou plus). C’est dire qu’environ 90 % des clients du programme de SR étaient considérés comme présentant des risques et des besoins moyens ou plus, ce qui donne à penser que le programme ciblait effectivement un groupe approprié pour la déjudiciarisation. Malgré les efforts du personnel du programme pour cibler les délinquants destinés à la prison, les décisions des tribunaux ont modifié l’effet du programme comme moyen de détourner des délinquants de la prison. L’analyse des décisions judiciaires montre que 18 des délinquants (près de 19 %) ont non seulement été confiés au Programme, mais ont aussi eu à purger une peine de détention. La peine d’incarcération moyenne, avant la participation au programme, a été de 4,9 mois, l’éventail des peines allant jusqu’à 24 mois (un délinquant était toujours en prison au moment de la présente évaluation). Le tiers de ceux qui ont été mis sous garde ont eu à purger une peine discontinue (peine moyenne de 2,8 mois) et les autres, une peine moyenne de 5,9 mois. Les délinquants qui ont dû à la fois purger une peine de prison et participer au programme ont été comparés aux délinquants qui sont passés directement au programme. Le tableau 5 résume les comparaisons entre les deux groupes. On n’a décelé que de rares différences. Ceux qui sont allés en prison avant de participer au programme étaient plus susceptibles d’avoir commis un crime contre la personne. Cependant la gravité des crimes violents, évaluée d’après le préjudice causé à la victime, n’était guère différente de celle des crimes commis par les délinquants qui sont passés directement au Programme de SR. 25 Globalement, les scores de risques et de besoins et les antécédents criminels étaient semblables pour les deux groupes, à cette exception près que les délinquants mis directement sous surveillance communautaire avaient à leur actif plus de manquements aux conditions de surveillance communautaire. Si on considère les différences non significatives entre les deux groupes aux chapitres des scores de risques et de besoins et de préjudice aux victimes, il y a lieu de se demander si les décisions des tribunaux n’ont pas eu pour effet d’élargir la portée du programme. En outre, une analyse des taux de récidive des deux groupes au moyen d’une analyse de survie n’a mis en évidence aucune différence. Malheureusement, nous n’avons pas fait d’enquête auprès des tribunaux et des procureurs de la Couronne pour savoir pourquoi certains délinquants ont été à la fois condamnés à la prison et à participer au programme. La question reste donc sans réponse. Tableau 5. Participation directe au Programme de SR et incarcération en plus de la participation au Programme de SR (n) Variable SR SR + Incarcération p Personelle-démographique Hommes (%) 78,2 88,9 ns Célibataires (%) 61,5 62,5 ns Autochtones (%) 24,4 11,1 ns Ayant un emploi (%) 38,7 33,3 ns Âge (années) 27,2 26,4 ns Années d’études 11,6 11,7 ns Alcoolisme et toxicomanie (%) 61,1 44,5 ns Crime contre la personne (%) 23,1 55,6 0,01 Victime : préj. physique (%) 5,7 6,7 ns 22,0 21,4 ns 3,7 2,7 ns Antécédents criminels Préjudice psychologique (%) Nbr. accusation en cours 26 Nbr. manquements antérieurs 1,0 0,3 0,05 Première infraction (%) 52,6 55,6 ns Score des risques et des besoins 10,5 10,2 ns Nota : Dans le groupe SR, n = 78; dans le groupe SR + incarcération, n = 18. 4. Réduction du taux de récidive Stratégie d’évaluation. Normalement, l’effet d’un programme sur le taux de récidive est mesuré une fois que les participants ont terminé ce programme. Cependant, comme la durée moyenne de la probation est de 28,5 mois pour les délinquants confiés au programme, cela veut dire que plus de deux ans doivent s’écouler avant qu’un nombre appréciable de délinquants aient terminé leur période de surveillance du Programme de SR. C’est en 1995 que le premier délinquant a achevé sa participation, et, depuis le début du programme jusqu’au 9 mai 1997, seulement 15 délinquants sont allés jusqu’au bout du programme. Nous avons donc choisi de mesurer les résultats pendant le déroulement du programme plutôt qu’après. Les données sur la récidive ont été extraites des dossiers de détention et d’une base de données sur la probation fournie par le ministère de la Justice du Manitoba (Division des services correctionnels). Ces dossiers informatisés comportaient un certain nombre de limites. Ainsi, les dossiers de détention n’indiquaient pas les cas des délinquants reconnus coupables d’un nouveau crime donnant lieu à une amende. La base de données sur la probation n’indiquait pas la date des manquements aux conditions de probation survenus pendant la durée du programme. Évidemment, comme il s’agissait de dossiers provinciaux, les cas de nouvelles infractions commises à l’extérieur du Manitoba n’étaient pas consignés. Il était donc important de voir si les résultats étaient cohérents par rapport à nos diverses autres mesures de la récidive. Deux mesures de la récidive ont été mises au point. La première, appelée CONVICT, a été extraite directement des dossiers de détention et la récidive a été définie comme toute nouvelle condamnation entraînant une incarcération. La deuxième mesure a été extraite à la fois des dossiers de détention et de la base de données sur la probation. Cette mesure a été appelée VIOLATION. Elle comprenait les nouvelles arrestations et (ou) condamnations entraînant une détention ou un manquement aux conditions de surveillance. L’analyse des taux de récidive des 27 divers groupes s’est faite au moyen de périodes de suivi différentes. La plupart des résultats dont il est fait état ici se rapportent à des périodes de suivi d’un an et de 18 mois. Dans le cas des délinquants participant au Programme de SR, la période de risque débute à la date où le tribunal les confie au programme. Quatre-vingt-quatorze délinquants ont eu une période de risque d’au moins un an (voir la figure 1) et les chiffres diminuent au fur à mesure que la période de suivi s’allonge. Quant aux 18 délinquants SR condamnés à l’incarcération avant de participer au programme, la période passée en prison a été soustraite dans le calcul de la période de risque. Pour les six délinquants dont la peine était discontinue, la durée de la peine a été soustraite en bloc au début de la période de suivi. Il ne suffit pas de rendre compte de la récidive dans un groupe de délinquants pour évaluer un programme. Il est important de comparer la récidive chez les participants au programme à des délinquants semblables qui n’ont pu en profiter. L’affectation au hasard des sujets dans les groupes, méthode privilégiée pour rendre des groupes égaux, était inapplicable. Nous avons donc tenté de faire correspondre les groupes témoins aux délinquants du Programme de SR pour certaines variables clés. Le premier groupe témoin se composait de 70 hommes détenus dans les établissements Headingly et Milner en mars 1996. Dans le choix de ce groupe, nous avons essayé de sélectionner des détenus répondant au critère de recommandation du programme SR, qui était alors de neuf mois de détention. Nous nous sommes aussi efforcés de choisir des détenus qui avaient, à leur actif, des manquements aux conditions d’ordonnances de probation ainsi que des incarcérations (critère secondaire de sélection pour le Programme de SR). La difficulté que présentait ce groupe témoin est qu’il était composé exclusivement d’hommes. Par conséquent, seulement les 75 participants masculins du programme pouvaient être comparés au groupe de détenus. De plus, comme la moitié des clients du Programme de SR en étaient à leur première infraction, nous n’avons pas pu trouver assez de détenus correspondant aux délinquants quant aux antécédents d’incarcération. Les deuxième et troisième groupes témoins étaient composés de probationnaires (hommes et femmes). Ces groupes ont été extraits d’une grande banque de données sur 1 062 probationnaires au Manitoba (Bonta et coll., 1994). La comparaison entre les clients du 28 Programme de SR et les probationnaires a permis une analyse de la valeur que présente l’ajout de la justice réparatrice à une sanction traditionnelle dans la collectivité (c’est-à-dire la probation). Les groupes témoins de probationnaires ont aussi permis de contrôler l’effet de la surveillance et la probabilité accrue de détecter une activité illégale. Un grand nombre des détenus ont été libérés sans autre forme de surveillance ni de contrôle correctionnels. Le deuxième groupe témoin, composé de 94 probationnaires, correspondait aux clients du programme de SR pour les six facteurs de risque suivants : 1) sexe, 2) race (Autochtone/ Métis), 3) âge (+/- 4 ans), 4) classification des risques et des besoins (minimum, moyen, élevé), 5) infraction violente et 6) première infraction. La correspondance était parfaite pour le sexe, le facteur infraction violente et la classification des risques et des besoins, réussie à 97,5 % pour la race, à 94 % pour l’âge et à 90 % pour le facteur première infraction. Un troisième groupe témoin se composait de 83 probationnaires dont l’ordonnance de probation était assortie d’une condition de dédommagement ou de services communautaires. Ils correspondaient à 83 clients du Programme de SR pour deux facteurs de risque : sexe et niveau de classification selon les risques et les besoins. La taille du groupe SR a été ramenée à 83 parce que 11 délinquants ne semblaient avoir dans leur plan ni dédommagement, ni services communautaires, ni contact avec la victime. Tous les délinquants correspondaient parfaitement pour ce qui est du sexe, et à 94 % pour le niveau des risques et des besoins. La comparaison des clients SR à ce troisième groupe témoin a permis de voir si les services du Programme de SR contribuaient à une réduction de la récidive au-delà de ce que faisait une sanction plus traditionnelle dans la collectivité assortie de quelques caractéristiques de la justice réparatrice. Récidive : SR et détenus. Au cours de la période d’évaluation, le critère de la recommandation d’une peine d’incarcération, pour participer au Programme de SR, a été modifié. Toutefois, le groupe témoin formé de détenus a été choisi à partir du critère d’une peine d’au moins neuf mois. C’est pourquoi il était important de vérifier l’équivalence entre les clients SR et les détenus. Il était possible que les différences entre les deux groupes expliquent les différences dans le taux de récidive. Le tableau 6 présente une comparaison des deux groupes. Les échantillons de détenus et de clients SR étaient très semblables. En ce qui concerne les risques et les besoins, les deux groupes ne présentaient aucune différence, et il y avait 29 similitude pour de nombreux facteurs personnels-démographiques et les antécédents criminels. Il y avait toutefois des différences appréciables pour le degré d’instruction et les antécédents d’incarcération, les détenus présentant un plus haut risque. Les antécédents d’incarcération sont un facteur qui a été particulièrement lié à la récidive (Gendreau, Little et Goggin, 1996). Tableau 6. Comparaison entre les clients SR et les détenus (hommes seulement) Variable SR (75) Détenus (67) p Âge 25,7 28,6 ns Études 11,5 10,1 0,001 % Employés 37,5 46,3 ns % Autochtones/Métis 22,7 40,3 0,05 % Célibataires 67,6 68,2 ns 0,9 0,6 ns 50,7 20,9 0,001 Nbr. manquements antérieurs % première infraction ns Infraction la plus grave (%) Contre la personne 34,7 28,4 Contre des biens 61,3 58,2 Alcool/conduite automobile 1,3 10,4 Autre 2,7 3,0 11,0 10,6 Risques-besoins à l’admission ns ns Classification risques-besoins (%) 30 Faible 6,8 7,5 Moyenne 48,6 47,8 Élevée 44,6 44,8 Nota : p = niveau de probabilité; ns = non significatif Les résultats en ce qui concerne la récidive, pour les délinquants participant au programme SR et les détenus, figurent au tableau 7A. Les délinquants masculins SR semblent avoir un taux de récidive inférieur à celui des détenus pour la variable CONVICT (6,7 % contre 14,9 %), mais les différences ne sont pas statistiquement significatives. À deux ans, par contre, des différences statistiquement significatives apparaissent (11,5 % pour les délinquants SR et 33,3 % pour les détenus; χ2 = 3,84, P < 0,05). Si on se sert de la mesure VIOLATION, qui est peut-être plus sensible aux comportements à problème, les délinquants SR regroupés avaient des taux de récidive notablement plus faibles (χ2 = 4,56, P < 0,05). Tableau 7. Récidive chez les délinquants du programme SR Récidive (%) VIOLATION CONDAMNATION (A) SR et groupes témoins SR : Tous 16,7 5,3 19,0 6,7 Probationnaires (tous) 48,6 17,0 Détenus (hommes seulement) 37,0 16,7 Groupes témoins confondus 43,7 16,1 SR (83) 14,1 3,6 Probationnaires (83) 56,3 16,9 Hommes seulement (B) SR c. probation (D et SC) 31 Nota : D = dédommagement; SC = service communautaire. VIOLATION = arrestation / condamnation avec détention / manquement aux conditions à 18 mois. CONDAMNATION = condamnation avec détention à 12 mois. Le taux plus faible de récidive dans le groupe SR, comparé à celui des détenus, est non seulement très encourageant, mais semble aussi ouvrir la voie à de nouveaux développements dans le programme. Les similitudes entre les détenus et les clients du programme de SR pour les facteurs personnels-démographiques et les antécédents criminels montrent qu’il existe peut-être parmi les détenus tout un groupe qui pourrait tirer parti de la surveillance du programme SR. Vu les difficultés que le programme a éprouvées à recruter des clients avant le prononcé de la sentence, cibler ce groupe de détenus en vue d’accélérer leur libération permettrait peut-être de trouver les candidats manquants. Récidive : SR et probationnaires. Il y avait deux groupes témoins formés de probationnaires4. L’un d’eux correspondait aux clients SR pour six facteurs. Le deuxième se composait de probationnaires à qui on avait imposé comme condition de verser un dédommagement ou de rendre des services communautaires. Comme on l’a déjà dit, le taux de correspondance entre les groupes était excellent. Le tableau 8 illustre une comparaison entre les délinquants qui participaient au programme de SR et les probationnaires d’après d’autres caractéristiques. Les trois groupes étaient très semblables, et seulement quelques différences ont été décelées. En moyenne, les délinquants SR avaient atteint un niveau de scolarité plus élevé que les probationnaires du groupe A (t = 7,81, p < 0,001), mais ils étaient susceptibles d’avoir, à leur actif, plus d’incarcérations (t = 2,49, p < 0,05) et de manquements aux conditions d’ordonnances de probation (t = 2,51, p < 0,05). Le plus important est que le groupe SR avait un score plus élevé que celui des deux groupes de probationnaires selon la mesure de classification des risques et des besoins du Manitoba (p < 0,05). Les taux de récidive des clients SR et des deux groupes de probationnaires figurent aux tableaux 7A et 7B. Pour la variable CONVICT, le taux des probationnaires a été établi d’après la récidive dans l’année suivant le programme. En ce qui concerne la variable VIOLATION, le 32 taux a été calculé d’après les échecs pendant le programme et pendant la période de probation. Comme les membres des deux groupes étaient sous surveillance dans la collectivité, la variable VIOLATION est peut-être la mesure la plus appropriée pour comparer les taux de récidive des délinquants SR et des probationnaires. Un suivi à 18 mois a été utilisé, parce que cela correspondait à la période de risque moyenne dans la base de données sur la probation. 4 Environ la moitié des probationnaires faisaient partie des deux groupes. 33 Tableau 8. Comparaison entre les délinquants SR et les groupes témoins de probationnaires (n) Variable SR Probation A Probation B Homme (%) 79,8 79,8 80,7 Âge 27,0 26,4 26,8 Niveau des études 11,6 9,3 11,7 Autochtone (%) 22,3 24,5 21,7 Emploi 49,5 35,6 50,0 Famille 7,5 2,2 7,3 42,0 42,3 42,7 Contre la personne 28,7 28,7 27,7 Contre les biens 68,1 69,1 69,9 3,2 2,2 2,4 Première infraction (%) 52,1 41,3 55,4 Nbr. manquements antér. 0,9 0,3 0,8 Nbr. incarcérations antér. 2,5 1,1 2,1 Faible 8,6 8,5 9,6 Moyen 49,5 50,0 56,6 Élevé 41,9 41,5 33,7 10,6 9,4 9,1 Source de revenu (%) Aide sociale / autre Infraction la plus grave (%) Alcool / conduite / autre Antécédents criminels Niveau de risque Total risques-besoins Nota : A. Correspondance pour les facteurs sexe, âge, race, niveau de risque, première infraction et infraction la plus grave (n = 94). B. Ordonnance de dédommagement ou de services communautaires. Correspondance pour les facteurs sexe et niveau de risque (n = 83). 34 Quelle que soit la mesure utilisée, le taux de récidive était nettement plus bas pour les clients SR. Si on les compare aux probationnaires qui devaient verser un dédommagement ou rendre des services communautaires (voir le tableau 7B), ils ont tout de même un taux de récidive notablement plus faible (χ2 = 24,98, p < 0,001 pour VIOLATION et χ2 = 7,93, p < 0,01 pour CONVICT). En général, il semble que les services offerts par le Programme de SR sont associés à une réduction de la récidive, si on les compare aux services de probation traditionnels. Les résultats de l’analyse de la récidive montrent clairement que les délinquants surveillés par le personnel du Programme de SR ont un taux de récidive plus bas que celui des délinquants faisant l’objet d’une surveillance correctionnelle ordinaire. Il est vrai que les groupes témoins n’ont pas été choisis de façon aléatoire et que chacun présente des lacunes sur le plan méthodologique. Néanmoins, la constance des conclusions tend à confirmer l’efficacité du Programme de SR dans la gestion des délinquants dans la collectivité. Si nous situons ces constations dans le contexte de la littérature générale sur l’efficacité des programmes de justice réparatrice, le Programme de SR se compare favorablement. Dans notre méta-analyse de la littérature (annexe A), le coefficient phi moyen est de 0,08. Le calcul des coefficients phi, pour la récidive, dans la présente évaluation, va de 0,13 (avec la comparaison aux détenus) à 0,22 (avec le groupe de probationnaires qui doivent verser un dédommagement ou rendre des services communautaires). Résumé et conclusions Au début de la partie du présent rapport intitulée « Résultats et discussion », nous avons fait observer que les programmes de justice réparatrice avaient plusieurs objectifs. Ils comprennent la prestation de services de justice réparatrice, la proposition d’une authentique solution de rechange à l’incarcération et l’amélioration de la sécurité du public en réduisant le taux de récidive chez les délinquants. Nous avons vu dans quelle mesure le Programme de SR atteignait ces objectifs et avons conclu qu’il était généralement fructueux. 35 Si on les compare aux délinquants en probation ordinaire, les clients SR sont plus susceptibles de verser un dédommagement à leur victime et d’avoir dans leur plan de surveillance des services communautaires. À la différence de la probation traditionnelle, le Programme de SR a organisé des rencontres entre la victime et le délinquant, bien que ces rencontres n’aient pas été aussi fréquentes qu’on le souhaitait. En outre, les délinquants ont envoyé des lettres d’excuses aux victimes. À la lumière de ces constatations, on peut dire que le Programme de SR a généralement réussi à respecter les principes de la justice réparatrice. Une observation importante est que le programme a réussi à cibler des délinquants qui auraient probablement été envoyés en prison, n’eût été du programme. Si on laisse de côté les délinquants qui ont été à la fois mis en détention et inscrits au programme, celui-ci a été une authentique solution de rechange à l’incarcération pour 81 délinquants. Le nombre absolu de délinquants déjudiciarisés peut sembler faible, si on tient compte du fait que l’évaluation porte sur une période de trois ans et demi. Mais la faiblesse de ce nombre n’est pas attribuable à l’incapacité du programme d’assurer un service. Elle dépend en grande partie du degré de coopération et de soutien de la part des procureurs de la Couronne et des tribunaux. Ce sont eux qui semblent avoir contrôlé le nombre de délinquants confiés au personnel du programme. Les résultats de la présente évaluation permettront peut-être de sensibiliser davantage les praticiens de la justice pénale à la valeur du Programme de SR comme solution de rechange efficace à l’incarcération. L’identification d’une population carcérale qui pourrait être détournée vers le programme serait peut-être un autre moyen de trouver des candidats. Enfin, selon toutes les analyses sauf une, les clients SR ont un taux de récidive significativement plus faible que celui des groupes témoins. Le calcul des coefficients phi, qui vont de 0,13 à 0,22, donne une estimation simple de la réduction de la récidive associée au Programme de SR. On peut s’attendre à une réduction de 13 % à 22 % du taux de récidive. Cette réduction est plus forte que celle normalement obtenue grâce aux programmes de justice réparatrice. Nous soupçonnons que les services de traitement offerts par le Programme de SR peuvent expliquer les résultats plus favorables. Les principales constatations se résument ainsi : 1. Il y a une importante attrition entre la présentation de candidatures au Programme de SR et la décision des tribunaux d’y envoyer les délinquants. Il y 36 2. a eu 297 cas aiguillés vers le programme et 99 cas (33,3 %) acceptés par les tribunaux. Ceux-ci ont accepté 82,5 % des plans élaborés par le personnel du Programme de SR. Près du tiers des cas aiguillés (n = 99) ne satisfaisaient pas aux critères du programme et 8 % (n = 24) n’ont pas été acceptés pour diverses raisons (p. ex., manque de motivation). 3. Le programme a accepté 174 des cas aiguillés, et 91,4 % des délinquants acceptés par le personnel étaient sous le coup d’une recommandation de peine d’emprisonnement de plus de six mois. De plus, 90 % des délinquants SR étaient considérés comme présentant des risques et des besoins moyens ou élevés. Par conséquent, le personnel du programme ciblait des délinquants destinés à la prison. 4. Les tribunaux ont atténué l’impact du programme comme moyen de détourner des délinquants de la prison. En effet, les tribunaux ont envoyé 19 % des clients SR en prison avant leur participation au programme communautaire. Dans le tiers des cas, les peines étaient discontinues. 5. Les procureurs de la Couronne jouent un rôle de première importance pour aiguiller les délinquants vers le Programme de SR. Les candidatures proposées par la Couronne étaient celles qui avaient le plus de chances d’être acceptées par le personnel du programme et les tribunaux. 6. En ce qui concerne la participation de la victime au processus de justice pénale et l’obtention d’un dédommagement de la part des délinquants, la réussite a été moyenne. Seulement 10,3 % des victimes ont accepté de rencontrer le délinquant, même si 78,6 % d’entre elles ont fait des déclarations d’impact. Nous n’avons décelé aucune composante de justice réparatrice pour 12 clients SR. Environ le quart des victimes ont reçu du délinquant une lettre d’excuses. Des services communautaires ont été recommandés dans 69 % des plans. Cependant, ces services sont devenus depuis un an et demi une composante normale des plans de SR. Dans 56,4 % des cas, les tribunaux ont ordonné un dédommagement; c’est ainsi que plus de 130 000 $ ont été versés aux victimes. 7. Selon toutes les analyses sauf une, le taux de récidive des clients SR est plus faible, et ce, de façon statistiquement significative. Ces résultats sont constants quels que soient le groupe témoin ou la mesure employés dans l’analyse. 8. Le Programme de SR est une option relativement sûre et viable pour surveiller les délinquants en milieu communautaire et promouvoir la participation de la victime au processus de la justice. 37 Bibliographie (Les études marquées d’un astérisque ont servi à la méta-analyse) Andrews, D. A. et Bonta, J. The psychology of criminal conduct (2e éd.), Cincinnati (Ohio), Anderson, 1998. 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(1983) Levi (1982) Butts et Snyder (1992) Phi Shichor et Binder (1982) PRVD, D et SC jeunes 0,14 Umbreit (1992; 1994) PRVD, D et SC jeunes 0,10 Heinz et coll. (1976) D adultes 0,39 Weibush (1993) SC a) jeunes 0,01 b) jeunes -0,16 a) jeunes 0,10 b) jeunes 0,02 c) jeunes -0,10 d) jeunes -0,45 Griffth (1983) SC Cannon et Stanford(1981) SC jeunes 0,07 Schneider (1986) D jeunes 0,07 Nota : D = Dédommagement; SC = Services communautaires 41