Superstructure du fort de Douaumont. 1918. Fossé
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Superstructure du fort de Douaumont. 1918. Fossé
LA GUERRE RÉDEMPTRICE Les reportages effectués à la fin de la guerre sur les anciens champs de bataille sont l’occasion pour Tournassoud de célébrer l’héroïsme et le martyre de la France combattante. Superstructure du fort de Douaumont. 1918. Les paysages désolés et méconnaissables du no man’s land que photographie Tournassoud offrent un contraste saisissant avec les images de la guerre joyeuse de la période précédente. La relation de la guerre passée ne se confond cependant pas avec sa résultante meurtrière et destructrice. Il s’agit en vérité, conformément à l’oeuvre patriotique et à la mission de propagande de son auteur, de transcender la réalité à partir d’objectifs qui relèvent de partis pris. En effet, le photographe ne nous fait pas entrer dans n’importe quel no man’s land mais dans celui qui depuis deux ans déjà symbolise le haut lieu de la résistance et du sacrifice de la nation lors de la bataille de Verdun. En revisitant un épisode magnifié de la guerre, Tournassoud rend d’emblée hommage au courage et à l’esprit de sacrifice des combattants de Verdun morts héroïquement. La vision chaotique du champ de bataille se trouve donc subordonnée à une histoire connue de tous. Le détournement de l’image au profit du mythe est également suggéré par la terre meurtrie observée au repos. Le décalage avec l’événement guerrier rapporté invite à considérer subséquemment le lieu comme la demeure sacrée des morts. L’association de la terre et des morts était au demeurant un mode très prisé pour célébrer l’héroïsme combattant et magnifier l’œuvre de la guerre rédemptrice. Ce point de vue est également contenu dans l’enquête que mène le photographe sur ce haut lieu de la mémoire de guerre et qui s’apparente par ce biais à une quête des traces et du souvenir des héros disparus (trois clichés du fort sont publiés dans l’album paru en 1920). Les approches différentes données aux fortifications mises à nue visent intentionnellement à rendre compte du déluge de feu qui s’est abattu deux ans plus tôt. Elles permettent de faire ressentir plus fortement l’enjeu de la bataille qui a déterminé le sort de la France et la valeur du sacrifice des hommes qui sont morts pour elle. Fossé nord du fort de Douaumont. 1918. Les traces laissées par les combattants revêtent sur ce cliché un aspect tangible et le photographe semble les utiliser de manière opportune pour évoquer leur souvenir. La profondeur donnée à la perspective du fossé se confond avec celle bien connue de la tranchée combattante et suggère par réminiscence le chemin de croix du soldat. L’assimilation de l’expérience de la tranchée à celle de la Passion du Christ est un thème que l’on retrouve fréquemment dans la littérature de guerre et notamment chez les poètes-soldats qui témoignèrent une même volonté de sanctifier les tranchées 1. L’intention semble se confirmer lorsqu’on observe la manière dont s’effectue le cadrage des vestiges apparents au sol et la place insolite de certains d’entre-eux. Ces éléments, seuls témoins de la présence des morts et de leur sacrifice, font penser dans leur organisation visuelle et leur symbolisme primitif à un rituel funéraire et christique sans qu’il soit toutefois possible de déterminer de manière certaine, contrairement à d’autres clichés, la part d’intention et d’intervention de l’auteur. La lecture métaphorique de l’image s’organise à partir du point de fuite donné à la composition. De là part un chemin longeant le revers défensif du fossé et qui croise, arrivé au premier plan, un autre chemin perpendiculaire. Ce dernier forme un passage au milieu des défenses hérissées de la tranchée et conduit à une excavation de la terre située à l’intersection des deux axes. C’est à ce point noeudal de la composition que se trouve établie la relation avec la « maison des morts », ce que semble également suggérer, de part et d’autre de la cavité, la présence insolite d’un petit tas de pierres et d’une petite cavité creusée dans la roche, laquelle contient un plateau qui s’apparente aux éléments d’un service religieux tenu à cet endroit. Les deux clichés pris dans les cimetières militaires se rapprochent de manière plus explicite du thème de la guerre régénératrice. Tombes de soldats envahies par l’inondation. Berry-au-Bac. Aisne, 1918. Le cliché fait à Berry-au-Bac montre un cimetière improvisé par les hommes du front et devenu prisonnier des eaux. Le caractère insolite de l’image est accentué par les croix penchées, à la dérive pour certaines, et qui semblent en se débattant rejouer la scène ultime du drame. Sur un ton pathétique, Tournassoud se fait l’interlocuteur des communautés en deuil. Il rappelle les souffrances et les sacrifices des combattants, leur fidélité aux uns et aux autres, leur acceptation stoïque du destin. Si l’image fait ressortir de prime abord l’idée de compassion pour les morts au combat, le propos de l’auteur se veut en même temps apaisant lorsqu’il invite à regarder l’œuvre du temps qui passe. La prise de possession du lieu par les eaux symbolise dans cette perspective non seulement le retour à la vie mais également les vertus réparatrices de la guerre qui valent sanctification pour les hommes enterrés. Cette promesse de salut est également suggérée par la forme sinueuse des eaux diluviennes sur le plan de la composition et l’impression de leur mouvement tel le lit d’une rivière dont le cours s’élargit au premier plan. Cimetière de Massiges. Marne, 1918. Situé dans une région hautement symbolique de la guerre patriotique, le cimetière de Massiges dans la Marne offre une vision plus achevée de la guerre régénératrice. Le choix d’un cimetière parfaitement entretenu (ou entretenu pour les besoins du reportage) permet à son auteur de rattacher l’hommage rendu aux morts et le souvenir qui s’attache à eux à la cause nationale. Le thème de la résurrection des morts est mis en exergue par le contraste existant entre la végétation dénudée du lieu témoin d’un temps reculé de la guerre et le carré militaire « fleuri » de cocardes tricolores. Le deuil et la compassion envers la génération sacrifiée sont symboliquement rappelés à droite et à l’arrière plan par une statue de la vierge légèrement renversée et une grande croix, symboles de la passion du Christ. Cependant, le cadrage adopté inscrit cet espace témoin du sacrifice dans un espace mémoriel plus large, celui du service rendu à la nation par les armes et de la patrie reconnaissante. Tournassoud fixe une image glorieuse de l’histoire de France et oeuvre déjà à la construction d’une mémoire collective. C’est ce que disent les listes nominatives qu’on distingue au premier plan et qui tiendront par la suite une place importante et nouvelle dans la liturgie du souvenir des morts. C’est ce que soulignent avec plus de force encore les rangées de cocardes tricolores intercalées entre les sépultures en tant que symboles de la fraternité entre les vivants et les morts et qui célèbrent, à la façon du « debout les morts » 2, la renaissance de la nation. -1Voir à ce sujet la communication de Jay M. Winter, Les poètes combattants de la Grande Guerre : une nouvelle forme du sacré , Guerre et cultures , Armand Colin, 1994. -2Forme poétique qui consistait à donner la parole aux morts, à maintenir en vie ceux qui étaient tombés à la guerre. « La représentation du soldat pendant la Grande Guerre » Dossier du sercice éducatif et culturel de l'Historial de Péronne. (Somme - France) © CRDP de l'académie d'Amiens, septembre 2004 Tous droits réservés. 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