Un genre hollywoodien pensé en France : le film noir, 23 février 2016.

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Un genre hollywoodien pensé en France : le film noir, 23 février 2016.
Cours « Une histoire du cinéma en mots et en images » Cinémathèque suisse, salle du Cinématographe Prof. Alain Boillat (Section d’histoire et esthétique du cinéma, UNIL) Séance du 23 février 2016 Un genre hollywoodien pensé en France : le film noir Citations 1. « C’est au cours de l’été 1946 que le public français eut la révélation d’un nouveau type de film américain. En quelques semaines, de la mi-­‐juillet à la fin du mois d’août, cinq films se succédèrent sur les écrans français, qui avaient en commun une atmosphère insolite et cruelle, teintée d’un érotisme assez particulier : Le Faucon maltais de John Huston, Laura d’Otto Preminger, Assurance sur la mort de Billy Wilder et La Femme au portrait de Fritz Lang. » Raymond Borde et Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-­‐1953), Paris, Minuit, 1955, p. 11. 2. « Nous retrouvons cette dureté, cette mysogonie dans Double Indemnity. Ici, pas de mystère, on sait tout depuis le début. […] Ainsi, ces films « noirs » n’ont-­‐ils plus rien de commun avec les bandes policières de type habituel. Récits nettement psychologiques, l’action, violente et mouvementée, y importe moins que les visages, les comportements, les paroles – donc la vérité des personnages […]. Après des films comme ceux-­‐ci, les personnages de bandes policières usuelles ont l’air de fantoches. » Nino Frank, « Un nouveau genre policier : l’aventure criminelle », L’Ecran français, n°61, 1946, p. 14. 3. « Sans doute y a-­‐t-­‐il une convention de récit policier : il y faut un cadavre, et l’assassinat n’est recommandé par aucune morale. Mais, avec un détective sympathique et une bonne proportion d’innocents, la confiance en la nature humaine peut y trouver son compte. Dans Double Indemnity comme dans Murder My Sweet, tous les personnages sont plus ou moins ignobles. […] On voit combien l’attrait sexuel a d’importance dans la trame de ces récits. Par une sorte de contradiction due à la convention, la censure, insensible au pessimisme désespérant qui se dégage de ces personnages, interdit que l’on donne sa vraie valeur à ce facteur de leur détermination. Le résultat est que les actes de tous ces gens semble conditionnés par une obsédante fatalité du crime. » Jean-­‐Pierre Chartier, « Les Américains aussi font des films “noirs” », La Revue du cinéma, n°2, 1946, pp. 68-­‐69. 4. « Dès 1949, le genre noir proprement dit achève sa carrière. Cet effacement se laissait pressentir dans la période précédente, et il semble tenir essentiellement : d’une part à une certaine crise du sujet, que le thème de l’insolite avait promptement déclenchée ; d’autre part à un goût pour le réalisme radical, chez les metteurs en scène comme dans le grand public, où l’on doit percevoir, au moins en partie, l’influence aux USA des productions européennes et surtout italiennes. Désormais, on va essayer de « faire vrai » jusque dans les moindres détails, et même de petits films dramatiques catégories B seront tournés en décor réel. Or, cette orientation était beaucoup plus compatible avec les séries traditionnelles : psychologie criminelle et gang. Elle l’était davantage encore avec le documentaire policier, qui va connaître, à partir de cette année-­‐là, un important essor. A vrai dire, le style noir ne disparaît pas, il tend à se résorber dans des séries voisines et, au moment où le néo-­‐réalisme en modifie certains traits, il renforce la dose d’atrocité, de psychopathologie ou de sensualité qu’il y avait déjà introduite. » Raymond Borde et Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-­‐1953), Paris, Minuit, 1955, p. 105. 5. La Dame de Shanghaï, le dernier film tourné dans le cadre de ses contrats avec R.K.O., et pour lequel il accepta habilement un scénario policier effroyablement conventionnel afin de mieux le détruire à chaque mètre de pellicule. […] Puisqu’il n’en était plus à pouvoir imposer explicitement sa liberté à Hollywood, du moins allait-­‐il frauduleusement fausser tous les ressorts de la machine. De l’histoire policière originale, il ne doit plus rester grand’chose. » Jean Cocteau et André Bazin, Orson Welles, Paris, Editions P.-­‐A. Chavane et Cie, 1950, pp. 21-­‐22 et p. 32. Extraits de films montrés I. Sunset Boulevard (Boulevard du crépuscule, Billy Wilder, 1950). II-­‐III. Laura (Otto Preminger, 1944). IV. Double Indemnity (Assurance sur la mort, Billy Wilder, 1944). V. Le Jour se lève (Marcel Carné, 1939) VI. The Long Night (Anatole Litvak, 1947) VII. The Lady from Shanghai (La Dame de Shanghai, Orson Welles, 1947). Autres films mentionnés Le Dernier tournant (Pierre Chenal, 1939) The Maltese Falcon (Le Faucon maltais, John Huston, 1941). Murder my Sweet (Adieu, ma belle / Le Crime vient à la fin, Edward Dmytryk, 1944). Lady in the Lake (La Dame du lac, Robert Montgomery, 1947) The Naked City (La Cité sans voiles, Jules Dassin, 1948). Chinatown (Roman Polanski, 1974) Blade Runner (Ridley Scott, 1982) Blood Simple (Sang pour sang, Ethan et Joel Coen, 1984) Lost Highway (David Lynch, 1997) Dark City (Alex Proyas, 1998) Références bibliographiques Raymond Borde et Etienne Chaumeton, Panorama du film noir américain (1941-­‐1953), Paris, Minuit, 1955. Jean-­‐Pierre Chartier, « Les Américains aussi font des films “noirs” », La Revue du cinéma, n°2, 1946. Jean-­‐Pierre Esquenazi, Le Film noir. Histoire d’un genre populaire subversif, Paris , CNRS Editions, 2012. Nino Frank, « Un nouveau genre policier : l’aventure criminelle », in L’Ecran français, n°61, 1946. Anne-­‐Françoise Lessuisse, Du film noir au noir. Traces figurales dans le cinéma classique hollywoodien, Bruxelles, DeBoeck, 2002. Thomas Pillard, «Une histoire oubliée : la genèse française du terme "film noir" dans les années 1930 et ses implications transnationales», Transatlantica, [en ligne] 1/2012, http://transatlantica.revues.org/5742