Senghor_Je ne sais

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Senghor_Je ne sais
Léopold Sédar Senghor « Je ne sais » pour khalam Je ne sais en quel temps c’était, je confonds toujours l’enfance et l’Éden Comme je mêle la Mort et la Vie -­‐ un pont de douceur les relie. Or je revenais de Fa’oye, m’étant abreuvé à la tombe solennelle Comme les lamantins s’abreuvent à la fontaine de Simal. Or je revenais de Fa’oye, et l’horreur était au zénith Or c’est l’heure où l’on voit les esprits, quand la lumière est transparente Et c’était l’heure où l’on voit les Esprits, quand la lumière est transparente Et il fallait s’écarter des sentiers, pour éviter leur main fraternelle et mortelle. L’âme d’un village battait à l’horizon. Était-­‐ce des vivants ou des Morts ? « Puisse mon poème de paix être l’eau calme sur tes pieds et ton visage Et que l’ombre de notre cour soit fraîche à ton cœur », me dit-­‐elle. Ses mains polies me revêtirent d’un pagne de soie et d’estime Son discours me charma de tout mets délectable -­‐ douceur du lait de la mi-­‐nuit. Et son sourire était mélodieux que le khalam de son dyâli. L’étoile du matin vint s’asseoir parmi nous, et nous pleurâmes délicieusement. _ Ma sœur exquise, garde donc ces grains d’or, qu’ils chantent l’éclat sombre de ta gorge. Ils étaient pour ma fiancée belle, et je n’avais pas de fiancée. _ Mon frère élu, dis-­‐moi ton nom. Il doit résonner haut comme un sorong Rutiler comme le sabre au soleil. Oh ! Chante seulement ton nom. Mon cœur est un coffret de bois précieux, ma tête un vieux parchemin de Djenné. Chante seulement ton lignage, que ma mémoire te réponde. Je ne sais en quel temps c’était, je confonds présent et passé Comme je mêle la Mort et la Vie – un pont de douceurs les relie. Lexique des noms communs: • dyâli : troubadour d’Afrique noire, poète et musicien. • khalam : sorte de guitare tétracorde. C’est l’accompagnement ordinaire de l’ode ou de l’élégie. • kôra (ou kora): sorte de harpe de 16 à 32 cordes. Le dyâli chante l’ode majeure ou l’épopée en s’accompagnant de la kôra. • sorong : mot employé chez les Peuls du Fouta Dyallong pour désigner une sorte de kôra. Lexique des noms propres: •
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FA'OY (ou FA'OYE) : Sanctuaire proche de ]oal. SIMAL : Village sérère à 5 km de Dyilôr. Lieu de culte animiste (libations sur les tombes). Extrait de Poèmes / Éthiopiques, Éditions du Seuil, Paris, 1964, 256p. (p.148-­‐149) 

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