Les mille et une autres vies du raisin

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Les mille et une autres vies du raisin
REPORTAGE
DISTILLERIE JEAN GOYARD
Les mille et une
autres vies du raisin
À Mareuil-sur-Aÿ, sept-saulx (51) et Villemereuil (10), pendant les trois semaines que durent la vendange dans toute l’appellation, la distillerie Jean
Goyard tourne à plein régime. Et pas seulement pour produire des marcs,
fines ou ratafia… Reportage sur le site principal de Mareuil-sur-Aÿ.
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Fin de vendange, le « tas » a déjà nettement diminué.
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REPORTAGE
La protection de l’environnement
vue comme un atout
Ci-dessous :
1 Les eaux-de-vie de vin (brandy)
vieillissent en fûts de chêne.
Page de droite :
2 Thierry Bouyé (à g.) et David Fourtet,
responsables, respectivement, exploitation
et vignoble.
3 Les résidus issus des marcs
des pressoirs seront d’abord triés pour
séparer les pépins, la pulpe et la rafle.
Avant, en pénétrant sur le site
de la distillerie Jean Goyard, aux
Carelles, à Mareuil-sur-Aÿ, on
pensait qu’il y avait une odeur,
reconnaissable, unique. Il y a bien
une odeur caractéristique, mais
en réalité, elles sont plusieurs.
Selon la destination finale,
chaque colonne, cuve, piscine,
fût… dégage la sienne, toujours
caractéristique de l’alcool de
raisin, mais avec sa particularité,
qu’il s’agisse d’une eau-de-vie
de vin en vieillissement, d’un
alcool industriel prêt à remplir
une citerne, ou de lies de vin
bientôt transformées en huiles
essentielles, exhausteur de goût
incomparable.
Bien sûr, la distillerie Jean Goyard
est connue dans le monde entier
pour son marc, sa fine ou ses ratafia, bientôt « champenois » et plus
« de Champagne » — le processus
de reconnaissance d’indication
géographique protégée (IGP) est
en cours —, un peu moins pour
son brandy (eau-de-vie de raisin
vieillie), et encore moins pour des
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débouchés destinés à d’autres
industries, des coproduits insoupçonnables, qui permettent d’écrire
que dans le raisin, tout est bien !
La distillerie de Mareuil-sur-Aÿ est
le plus grand et le plus historique
des trois sites d’exploitation de
Goyard en Champagne. Les deux
autres sont situés à Villemereuil,
dans l’Aube, et à Sept-Saulx,
dans la Marne. La visite,
assurée par Thierry Bouyé,
responsable d’exploitation,
et David Fourtet, responsable
des relations avec le vignoble
et de la logistique, commence
par l’aspect environnemental. Certifiée ISO 14001, la
distillerie se soucie du développement durable, jusqu’au
nettoyage des routes où les
camions, équipés de portes
étanches, ont forcément laissé
s’écouler du jus.
Quand d’autres voient encore
les normes de protection de
l’environnement comme des
contraintes, à la distillerie
Goyard, on a retourné la question pour en faire un point fort,
devenu, du coup, un argument
commercial.
C’est dans ce même souci du
respect de l’environnement, et
aussi pour faciliter la logistique,
que des points de collecte (430
en 2014) ont été installés partout
dans le vignoble champenois.
« Nous nous mettons
au service du
vignoble, c’est
le vigneron qui
décide quand nous
pouvons aller
chercher ses marcs. »
David Fourtet,
responsable vignoble
REPORTAGE
ÉVÉNEMENT
FICHE D’IDENTITÉ
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C’est Jean Goyard, en 1911, qui
a débuté l’activité de distillerie.
Depuis, le savoir-faire de son
fondateur est perpétué au
travers de ses trois métiers :
la collecte des résidus de
vinification, un service apporté
aux vignerons, la production
de spécialités et coproduits
du vignoble pour l’industrie,
l’élaboration de spiritueux
destinés au marché grand
public.
Depuis 2007, la distillerie Jean
Goyard a pour actionnaires les
groupes coopératifs Cristal
Union (90 %) et Acolyance
(10 %).
TOUT CE QUE FAIT LA DISTILLERIE…
Les co-produits de vinification
récoltés pendant une vendange
en Champagne servent, on l’a
vu, à la production d’alcools de
bouche, et d’alcools industriels. La
grande partie des industriels sert
à l’élaboration de biocarburants
produits à partir de matériaux
organiques non fossiles provenant de la biomasse. À partir du
marc de raisin, la distillerie extrait
également un sel de calcium
qui permet l’obtention d’acide
tartrique naturel.
Les pulpes de raisins sont principalement destinées à la fabrication de farines pour l’alimentation
animale.
Les vinasses de distillation
permettent la réalisation d’amend e m e n t s o r ga n i q u e s , s o u s
forme d’engrais liquides riches
en potasse et oligo-éléments,
compatibles « Agriculture Bio ».
Avec les lies des vins, la distillerie
réalise cette fameuse huile essentielle exhausteur de goût destiné
aux industries pharmaceutique et
cosmétique. Là, le rendement est
très faible (0,035 % de la matière
première, 2 000 kg produits par
an), mais compensé par la dura-
bilité des marqueurs.
Enfin les pépins de raisins sont
utilisés pour la production
d’huiles alimentaires et pour
l’extraction des polyphénols,
ces molécules aux vertus anti-
oxydantes que les industriels de
la cosmétique et de la pharmacie
font entrer dans la composition
des traitements contre le vieillissement de la peau. Les polyphénols de pépins de raisins limitent
également le risque de maladie
cardio-vasculaires en diminuant
la cholestérolémie, l’oxydation
des lipoprotéines, l’agrégation
des plaquettes et en renforçant
les capillaires.
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REPORTAGE
Dans les exploitations viticoles de grande taille, les
camions Goyard et ceux
des 45 sociétés de transport sous-traitantes, toutes
locales, mobilisées pendant
la vendange, viennent directement récupérer les marcs
issus des pressoirs. Pendant
ces trois semaines de récolte
dans l’appellation, on compte
en moyenne 600 rotations de
camions par jour sur les trois
sites.
« Nous cultivons
nous aussi l’esprit
Champagne : qualité
et souci
du terroir. »
Les camions qui apportent
les marcs sur les sites sont équipés de portes étanches. Il faut
voir la quantité de jus de raisin
qui coule, au pied des tas, dès
que le chauffeur commence à
actionner sa benne. Aujourd’hui
la distillerie se dote des moyens
nécessaires en collaboration avec
les instances professionnelles
pour collecter les marcs dans les
meilleures conditions et apporter
au vignoble une prestation de
qualité.
les processus de respect de l’environnement jusque dans la gestion
de la chaîne logistique. Quand on
sait que Goyard traite environ
12 % du volume français des
résidus de vinification, ça n’est
pas une « petite » responsabilité…
La politique de développement
durable répond à une démarche
volontaire, qui rejoint la philosophie globale de la distillerie : tout
maîtriser. Les compétences en
interne sont de très haut niveau,
ce qui permet à l’entreprise de
faire reposer son avenir sur un
laboratoire de recherche et de
développement maison, d’assurer
les ventes via un service commercial propre, ou encore de pousser
quand les cuves sont pleines.
1
Thierry Bouyé,
responsable d’exploitation
••• Tony Verbicaro
1 Une colonne à distiller.
2 Le premier alambic de Jean Goyard, qui a
commencé à distiller en Champagne en 1911.
3 La « piscine » de la distillerie, qui permet
de stocker des jus pendant quelques jours
2
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REPORTAGE
ÉVÉNEMENT
Goyard en chiffres
– 1 atelier de distillation de
marc ;
– 1 atelier de distillation sur
vases de marc de champagne ;
– 1 atelier d’extraction et de
séchage de tartrate de chaux ;
– 1 chaudière biomasse de
8MW ;
– 2 chaudières gaz de 10 MW ;
– 3 sites d’exploitations à
Mareuil-sur-Aÿ, Sept-Saulx
(51) et Villemereuil (10) ;
– 3 ateliers d’extraction de
pépins ;
– 5 colonnes à distiller ;
– 48 salariés permanents, dont
7 cadres ;
– 150 véhicules roulants
(poids lourds et engins) ;
– 150 tonnes de tartrate de
chaux (production d’acide
tartrique naturel) ;
– 430 points de collecte en
Champagne (23 dans l’Aisne,
88 dans l’Aube, 319 dans la
Marne) ;
– 1 500 tonnes de pépins de
raisin extraits pour les huileries ;
– 2 000 kg d’huiles essentielles
de lies pour l’industrie cosmétique ;
– 3 000 tonnes de pépins pour
l’extraction des polyphénols ;
– 11 000 tonnes de pulpes
déshydratées (alimentation
animale et amendements
organiques) ;
– 18 000 hl de capacité de
stockage d’alcool ;
– 45 000 hl d’alcool distillés
(alcools industriels et alcools
de bouche) ;
– 90 0 0 0 tonnes de marcs
collectés pendant une
vendange ;
– 100 000 hl de lies collectés
pendant une vendange ;
– 110 000 tonnes de capacité
de stockage de marcs
– 150 0 0 0 hl de capacité
de stock age de matières
premières liquides ;
– 200 000 hl de vins collectés
pendant une vendange ;
– 17 000 000 d’euros de chiffre
d’affaires.
••• T.V
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