Les mille et une autres vies du raisin
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Les mille et une autres vies du raisin
REPORTAGE DISTILLERIE JEAN GOYARD Les mille et une autres vies du raisin À Mareuil-sur-Aÿ, sept-saulx (51) et Villemereuil (10), pendant les trois semaines que durent la vendange dans toute l’appellation, la distillerie Jean Goyard tourne à plein régime. Et pas seulement pour produire des marcs, fines ou ratafia… Reportage sur le site principal de Mareuil-sur-Aÿ. 40 • LA CHAMPAGNE VITICOLE • N° 806 • NOVEMBRE 2014 Fin de vendange, le « tas » a déjà nettement diminué. LA CHAMPAGNE VITICOLE • N° 806 • NOVEMBRE 2014 • 41 REPORTAGE La protection de l’environnement vue comme un atout Ci-dessous : 1 Les eaux-de-vie de vin (brandy) vieillissent en fûts de chêne. Page de droite : 2 Thierry Bouyé (à g.) et David Fourtet, responsables, respectivement, exploitation et vignoble. 3 Les résidus issus des marcs des pressoirs seront d’abord triés pour séparer les pépins, la pulpe et la rafle. Avant, en pénétrant sur le site de la distillerie Jean Goyard, aux Carelles, à Mareuil-sur-Aÿ, on pensait qu’il y avait une odeur, reconnaissable, unique. Il y a bien une odeur caractéristique, mais en réalité, elles sont plusieurs. Selon la destination finale, chaque colonne, cuve, piscine, fût… dégage la sienne, toujours caractéristique de l’alcool de raisin, mais avec sa particularité, qu’il s’agisse d’une eau-de-vie de vin en vieillissement, d’un alcool industriel prêt à remplir une citerne, ou de lies de vin bientôt transformées en huiles essentielles, exhausteur de goût incomparable. Bien sûr, la distillerie Jean Goyard est connue dans le monde entier pour son marc, sa fine ou ses ratafia, bientôt « champenois » et plus « de Champagne » — le processus de reconnaissance d’indication géographique protégée (IGP) est en cours —, un peu moins pour son brandy (eau-de-vie de raisin vieillie), et encore moins pour des 1 42 • LA CHAMPAGNE VITICOLE • N° 806 • NOVEMBRE 2014 débouchés destinés à d’autres industries, des coproduits insoupçonnables, qui permettent d’écrire que dans le raisin, tout est bien ! La distillerie de Mareuil-sur-Aÿ est le plus grand et le plus historique des trois sites d’exploitation de Goyard en Champagne. Les deux autres sont situés à Villemereuil, dans l’Aube, et à Sept-Saulx, dans la Marne. La visite, assurée par Thierry Bouyé, responsable d’exploitation, et David Fourtet, responsable des relations avec le vignoble et de la logistique, commence par l’aspect environnemental. Certifiée ISO 14001, la distillerie se soucie du développement durable, jusqu’au nettoyage des routes où les camions, équipés de portes étanches, ont forcément laissé s’écouler du jus. Quand d’autres voient encore les normes de protection de l’environnement comme des contraintes, à la distillerie Goyard, on a retourné la question pour en faire un point fort, devenu, du coup, un argument commercial. C’est dans ce même souci du respect de l’environnement, et aussi pour faciliter la logistique, que des points de collecte (430 en 2014) ont été installés partout dans le vignoble champenois. « Nous nous mettons au service du vignoble, c’est le vigneron qui décide quand nous pouvons aller chercher ses marcs. » David Fourtet, responsable vignoble REPORTAGE ÉVÉNEMENT FICHE D’IDENTITÉ 2 C’est Jean Goyard, en 1911, qui a débuté l’activité de distillerie. Depuis, le savoir-faire de son fondateur est perpétué au travers de ses trois métiers : la collecte des résidus de vinification, un service apporté aux vignerons, la production de spécialités et coproduits du vignoble pour l’industrie, l’élaboration de spiritueux destinés au marché grand public. Depuis 2007, la distillerie Jean Goyard a pour actionnaires les groupes coopératifs Cristal Union (90 %) et Acolyance (10 %). TOUT CE QUE FAIT LA DISTILLERIE… Les co-produits de vinification récoltés pendant une vendange en Champagne servent, on l’a vu, à la production d’alcools de bouche, et d’alcools industriels. La grande partie des industriels sert à l’élaboration de biocarburants produits à partir de matériaux organiques non fossiles provenant de la biomasse. À partir du marc de raisin, la distillerie extrait également un sel de calcium qui permet l’obtention d’acide tartrique naturel. Les pulpes de raisins sont principalement destinées à la fabrication de farines pour l’alimentation animale. Les vinasses de distillation permettent la réalisation d’amend e m e n t s o r ga n i q u e s , s o u s forme d’engrais liquides riches en potasse et oligo-éléments, compatibles « Agriculture Bio ». Avec les lies des vins, la distillerie réalise cette fameuse huile essentielle exhausteur de goût destiné aux industries pharmaceutique et cosmétique. Là, le rendement est très faible (0,035 % de la matière première, 2 000 kg produits par an), mais compensé par la dura- bilité des marqueurs. Enfin les pépins de raisins sont utilisés pour la production d’huiles alimentaires et pour l’extraction des polyphénols, ces molécules aux vertus anti- oxydantes que les industriels de la cosmétique et de la pharmacie font entrer dans la composition des traitements contre le vieillissement de la peau. Les polyphénols de pépins de raisins limitent également le risque de maladie cardio-vasculaires en diminuant la cholestérolémie, l’oxydation des lipoprotéines, l’agrégation des plaquettes et en renforçant les capillaires. 3 LA CHAMPAGNE VITICOLE • N° 806 • NOVEMBRE 2014 • 43 REPORTAGE Dans les exploitations viticoles de grande taille, les camions Goyard et ceux des 45 sociétés de transport sous-traitantes, toutes locales, mobilisées pendant la vendange, viennent directement récupérer les marcs issus des pressoirs. Pendant ces trois semaines de récolte dans l’appellation, on compte en moyenne 600 rotations de camions par jour sur les trois sites. « Nous cultivons nous aussi l’esprit Champagne : qualité et souci du terroir. » Les camions qui apportent les marcs sur les sites sont équipés de portes étanches. Il faut voir la quantité de jus de raisin qui coule, au pied des tas, dès que le chauffeur commence à actionner sa benne. Aujourd’hui la distillerie se dote des moyens nécessaires en collaboration avec les instances professionnelles pour collecter les marcs dans les meilleures conditions et apporter au vignoble une prestation de qualité. les processus de respect de l’environnement jusque dans la gestion de la chaîne logistique. Quand on sait que Goyard traite environ 12 % du volume français des résidus de vinification, ça n’est pas une « petite » responsabilité… La politique de développement durable répond à une démarche volontaire, qui rejoint la philosophie globale de la distillerie : tout maîtriser. Les compétences en interne sont de très haut niveau, ce qui permet à l’entreprise de faire reposer son avenir sur un laboratoire de recherche et de développement maison, d’assurer les ventes via un service commercial propre, ou encore de pousser quand les cuves sont pleines. 1 Thierry Bouyé, responsable d’exploitation ••• Tony Verbicaro 1 Une colonne à distiller. 2 Le premier alambic de Jean Goyard, qui a commencé à distiller en Champagne en 1911. 3 La « piscine » de la distillerie, qui permet de stocker des jus pendant quelques jours 2 44 • LA CHAMPAGNE VITICOLE • N° 806 • NOVEMBRE 2014 3 REPORTAGE ÉVÉNEMENT Goyard en chiffres – 1 atelier de distillation de marc ; – 1 atelier de distillation sur vases de marc de champagne ; – 1 atelier d’extraction et de séchage de tartrate de chaux ; – 1 chaudière biomasse de 8MW ; – 2 chaudières gaz de 10 MW ; – 3 sites d’exploitations à Mareuil-sur-Aÿ, Sept-Saulx (51) et Villemereuil (10) ; – 3 ateliers d’extraction de pépins ; – 5 colonnes à distiller ; – 48 salariés permanents, dont 7 cadres ; – 150 véhicules roulants (poids lourds et engins) ; – 150 tonnes de tartrate de chaux (production d’acide tartrique naturel) ; – 430 points de collecte en Champagne (23 dans l’Aisne, 88 dans l’Aube, 319 dans la Marne) ; – 1 500 tonnes de pépins de raisin extraits pour les huileries ; – 2 000 kg d’huiles essentielles de lies pour l’industrie cosmétique ; – 3 000 tonnes de pépins pour l’extraction des polyphénols ; – 11 000 tonnes de pulpes déshydratées (alimentation animale et amendements organiques) ; – 18 000 hl de capacité de stockage d’alcool ; – 45 000 hl d’alcool distillés (alcools industriels et alcools de bouche) ; – 90 0 0 0 tonnes de marcs collectés pendant une vendange ; – 100 000 hl de lies collectés pendant une vendange ; – 110 000 tonnes de capacité de stockage de marcs – 150 0 0 0 hl de capacité de stock age de matières premières liquides ; – 200 000 hl de vins collectés pendant une vendange ; – 17 000 000 d’euros de chiffre d’affaires. ••• T.V LA CHAMPAGNE VITICOLE • N° 806 • NOVEMBRE 2014 • 45