Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle
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Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle
Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle Sophie Lignon-Darmaillac Paris IV- Sorbonne Le vignoble espagnol d’appellation « Jerez, Manzanilla et vinaigre de Jerez », s’étend sur huit communes de la province de Cadix et sur l’une des communes de la province de Séville. La zone de production se situe dans le triangle Jerez de la Frontera-Puerto de Santa Maria et Sanlucar de Barrameda, fig 1. Mal connu en France, ce vignoble produit des vins généreux, vins fortifiés qui appartiennent à la catégorie des vins de liqueur européens. Aujourd’hui les 3 674 exploitations viticoles s’étendent sur 10 507,44ha, produisent 868 690 hl dont 77 % bénéficient de l’appellation « Jerez, Manzanilla et vinaigre de Jerez », la part restante étant commercialisée comme vins de “la Tierra de Cadiz”. Plus de 80 % de la production est exportée chaque année. Fig.1 L’aire de production du vignoble de Jerez 1 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle Cultivées dès l’époque phénicienne, les vignes de Jerez sont en partie arrachées dans la seconde moitié du Xème siècle sur ordre du calife Alhaken II. Pour sauver une partie de leur vignoble, les andalous produisent des raisins secs. Le vignoble de « Sherish » est ainsi épargné sur les 2/3 de sa superficie. La reconquête de Jerez par Alphonse X le Sage à partir de 1264 ouvre une période florissante. Le vignoble de Jerez devient peu à peu une source de richesse pour tout le royaume, la laine anglaise est échangée contre les vins de Jerez, la demande anglaise, française et flamande ne cesse de progresser. Les exportations de vin de Jerez, attestées dès la fin du XVème siècle, se sont confirmées au XVIème siècle, puis véritablement développées au XVIIIème siècle. Le vignoble que nous connaissons aujourd’hui, s’est progressivement mis en place dans le dernier tiers du XVIIIème siècle et au cours du XIXème. Dès le XVIème siècle, la production vinicole jérézane attire nombre de commerçants étrangers, essentiellement des Anglais qui ne sont alors que de simples importateurs, mais ce n’est qu’à partir du XVIIIème siècle que se développe véritablement le négoce viticole. L’essor considérable des transactions justifie alors l'installation d'une nouvelle génération de négociants, en majorité britanniques, qui font souche dans la région. Ils sont à l'origine des "grandes maisons viticoles" de Jerez, ancêtres de véritables dynasties de négociants. Ces grandes maisons commerciales ont joué un rôle fondamental dans l'économie locale et régionale du Sud-Ouest de l’Andalousie. Grand vignoble de l'Atlantique, le vignoble des vins de Jerez s'orienta très tôt vers l'Europe du Nord, principal débouché des exportations de vin de Jerez. L’Angleterre représente alors 90% des exportations des vins expédiés depuis Jerez. I Une forte croissance des exportations au milieu du XIXème siècle Jusque vers 1770, la viniculture andalouse produisait des vins jeunes, commercialisés dans l’année, abondamment coupés d’eau de vie pour mieux les conserver sans altération durant le temps des voyages vers les pays d’importation. L’industrie vitivinicole moderne apparaît dans les années 1770-1814. Progressivement des entreprises étrangères s’installent à Jerez ou à Puerto de Santa Maria, de nouvelles relations commerciales se mettent en place pour répondre à la demande grandissante de l’Europe du Nord. Désormais l’élevage des vins doit répondre à une demande plus exigeante quant à la qualité, plus constante dans le goût du vin. Le système de la solera se met en place, la gamme des vins offerts à la consommation se diversifie, fondamentalement répartie entre finos et olorosos. Dès la seconde décennie du XVIIIème siècle et jusque dans les années 1870, la demande ne cesse d’augmenter, Jerez entre dans une véritable période de prospérité. Alors qu'entre 1800 et 1821 les exportations de vins se situaient entre 7 000 et 9 000 botas, elles atteignaient 15 000 entre 18311840, 20 000 à 30 000 dans les années 1850, puis augmentèrent d'une façon plus considérable encore après 1859, et ce, jusqu'à l'année exceptionnelle de 1873, durant laquelle pas moins de 68 480 (342 400 hl) furent exportées depuis Jerez de la Frontera, et 30 443 depuis Puerto de Santa Maria, soit un total de 494 615 hl, fig.2 ! 2 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle Fig.2 Forte croissance des exportations au milieu du XIXème siècle Bien que dans la première moitié du XIXème siècle, le négoce viticole de Jerez souffre encore de la vive concurrence des vins de Porto, les vins de Jerez sont de plus en plus recherchés et dépassent ceux de Porto sur le marché britannique dans les années 1850. En 1873, Porto n'exporte plus que 273 622 hl tandis que les exportations des vins de Jerez embarqués à Puerto de Santa Maria et au Trocadero représentent un volume de quelques 500 000 hl1! Les statistiques des livres des exportations révèlent la très forte suprématie des exportations vers le Royaume-Uni : 87,6% des vins expédiés en 1840, 79,7% en 1873. A la fin des années 1860 et dans les premières années 1870, les exportations vers le Royaume-Uni se renforcent encore, le Royaume-Uni est de loin la première destination des vins de Jerez. Entre 1867-1878, ces derniers représentent toujours plus des 3/4 des exportations faites depuis le port du Trocadero, mais également plus des 3/4 des vins espagnols existant au Royaume-Uni! Cela s'explique par une très forte consommation de vins de Jerez au Royaume-Uni, (en partie due à la croissance démographique du pays, 28 415 935 hab. en 1858, 29 935 404 hab. en 1866), mais qui diminue par la suite alors que la consommation globale de vins continue à progresser2. Au milieu des années 1870, le goût des britanniques se modifie au profit de vins moins forts, et peut-être moins chers. L'apparition de l'oïdium dans les pays viticoles européens encourage très rapidement les achats de vins en Espagne. Par ailleurs, les marchés nord-américains se développent tandis que disparaissent presque totalement les importations sud-américaines. Au cours du XIXème siècle, la part relative du Royaume-Uni diminue légèrement, bien que toujours largement majoritaire. Inversement, les achats de l'Europe du nord se développent considérablement: la Suède qui importait 420 arrobas en 1840 en importe 21 220, en 1873 l'Allemagne 4 487 arrobas en 1840, 84 887 en 1873, la Russie 7 237 en 1840, 67 505 en 1873!. Parallèlement les marchés européens se diversifient au profit de l'Europe du sud, la France (863 en 1840, 61 791 en 1873), l'Italie (211 en 1840, 30 031 en 1873), et dans une moindre mesure vers le Portugal (149 en 1840, 1 061 en 1873). 1 A. Huetz de Lemps, Les vins généreux des pays ibériques et le marché européen, CENPA-Maison des Pays Ibériques, 1986, p.23. 2 Revista vinicola Jerezana, 18, (25 septembre 1866), p.142. 3 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle Si l'on considère plus précisément la structure et l'évolution du marché viticole britannique, nous constatons que le volume des importations de Jerez varie très fortement et très irrégulièrement. Il progresse légèrement de 1867 à 1871, puis encouragé par la constante augmentation de la consommation, très fortement de 1871 à 1873. Brutalement l'amorce de la diminution de la consommation entraîne une violente chute des importations en 1874, des stocks importants ayant pu être constitués les deux années précédentes. Désormais les importations fléchissent inexorablement, les vins de Jerez ont perdu de leur prestige auprès des consommateurs britanniques3, fig.3. Fig.3 Diminution des exportations britanniques à partir de 1873 Entre 1840 et 1873 année record des exportations des vins de Jerez, les importations des ports nord-américains ont triplé, celles des villes d'Europe du nord ont été multipliées par 22, celles des villes françaises et italiennes ont été multipliées par 85! L'augmentation des exportations vers la France s'accélère plus encore au lendemain de la signature du traité franco-espagnol du 6 Octobre 1882. Ayant perdu une grande partie de son vignoble détruit par le phylloxéra, la France acceptait de réduire ses droits de douane de 3,5 francs à 2 francs pour tous les vins ne titrant pas plus de 15,5 degrés. En 1891, dernière année de l'application de ce traité, les exportations en direction de la France atteignaient leur volume maximal, plus de 9,5 millions d'hectolitres! Depuis 1834, les exportateurs rassemblent tous les stades de l'activité vitivinicole au sein de grandes bodegas. Ces dernières réunissent des capitaux considérables. Seules, elles peuvent faire face aux crises les plus importantes aux dépens des petits viticulteurs qui, faute de pouvoir investir suffisamment, abandonnent leurs terres aux grandes caves qui les rachetèrent ou qui les louent. Les propriétaires de ces grandes maisons d’exportation devinrent dépendants des contrats qu'ils avaient 3 En 1860, un traité franco-britannique réduit d'un shilling par gallon (4,543 litres) la taxe douanière due à l'entrée des vins en Angleterre, mais uniquement pour les vins de moins de 26° sykes,. Les vins plus forts en alcool sont taxés de 2 shillings et 6 pennies par gallon. Dans ces conditions tous les vins français (Bordeaux, Bourgogne, Champagne ...) bénéficient de cette réduction et sont de plus en plus achetés par les Britanniques. La concurrence est ainsi renforcée avec les vins de Jerez plus alcoolisés qui de ce fait se trouvent fortement pénalisés. 4 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle signé, soumis désormais à une gestion plus rationnelle, à une exploitation contrôlée par des moyens plus scientifiques et techniques. Dans ces années de prospérité, l’offre de Jerez se voit peu à peu débordée, les prix augmentent à tous les stades du cycle viticole. Dès 1860, des gains importants se font de plus en plus aux dépens de la qualité. Après l'âge d’or des années 1860, en particulier de 1863 à 1867, le vignoble de Jerez connaît un important déclin dû en partie sans doute, à la flambée des prix, et à la très forte baisse de l’utilisation d'alcools de qualité au profit de vins très communs et bon marché qui ont encouragé les falsifications. II La brutale détérioration de l’économie viticole • Des crises conjoncturelles, l’inadéquation de l’offre et de la demande Toutes les périodes d'expansion du négoce furent suivies de longues années de crises. Une grande demande de vins de Jerez permettait d'épuiser les stocks, après 5 ou 6 excellentes années suivaient 20 ou 25 ans plus difficiles. Selon ce cycle, dans les années 1860-1870 une conjoncture économique très favorable favorise une hausse extraordinaire des exportations dont le volume culmine en 1873. A partir de cette année là, les exportations chutent brusquement et inexorablement. Parce que la demande n'a jamais été aussi forte et que la production est insuffisante, (l'oïdium a diminué les récoltes de moitié en 1863 causant immédiatement une forte inflation des prix du moût, qui se négocie en 1863 jusqu'à 230-235 pesos), les viticulteurs introduisent des vins d’origines diverses, les vins forasteros. Au début du XVIe siècle déjà, on importait des vins étrangers pour les exporter par la suite comme vins de Jerez. Cette pratique fut interdite par le Gremio de la Vinatera4 en 1739, mais pourtant les services des Douanes consignaient encore entre 1771-1773 l'introduction de 50 000 arrobas de vins. • Des pratiques frauduleuses: la falsification des vins de Jerez. Dans tous les groupes professionnels du monde viticole, les pratiques frauduleuses se multiplient afin de produire plus, et répondre ainsi à l'importante demande: les producteurs, cosecheros, recherchent plus que jamais pour leurs récoltes la quantité plus que la qualité, les almacenistas utilisent des colorants industriels, forcent la fermentation de leurs vins par l'ajout de résidus et de sucre, multiplient les mélanges de moûts de diverses origines géographiques, quant aux exportateurs, ils vendent comme vins de Jerez des vins achetés à l'extérieur et renforcent les moûts avec des alcools industriels importés, moins onéreux que les alcools naturels. Ils combinent ainsi leurs vins selon les goûts des différents marchés où ils les envoient. A partir de 1865 les premières accusations apparaissent dans la presse locale. Elles ne cessent par la suite de se multiplier. Alors que le vignoble de Jerez produit en moyenne 30 000 hl/an, les exportations s'élèvent à 60 000 hl/an! La soudaine chute de la production dans une période de forte demande force les maisons d'exportation qui ne peuvent pas payer des sommes devenues brutalement exorbitantes à chercher en dehors de la zone de production de Jerez de la Frontera-Puerto de Santa Maria-Sanlucar de Barrameda, le vin nouveau indispensable à leur commerce. 4 Le Gremio de la Vinateria était la corporation des entreprises de l’industrie et du commerce des vins de Jerez de la Frontera. Il était chargé de fixer les prix de vins, les salaires des journaliers et de réguler les stocks.Il fut dissous par real orden en 1834. 5 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle Bien meilleur marché car de moindre qualité, ayant moins de corps et moins d'arôme que les vins de Jerez, les vins de Huelva, Séville, et Montilla inondent les caves de la zone de production de Jerez. A Londres, en 1867, les prix des vins de Jerez ou présentés comme tels, se négocient selon leur qualité à des valeurs très diverses: 12 à 18 £ pour les plus communs, 20 à 24 £ pour les médiocres, 26 à 38 £ pour les bons, 40 à 50 pour ceux plus âgés, 60 à 120 £ pour les meilleurs de très grande qualité. Dans un tel contexte le prix du moût fléchit, en 1865 la bota se négocie à 100 pesos, moins de la moitié de sa valeur de 1863. Pour concurrencer les grandes bodegas traditionnelles, les maisons viticoles les plus récentes spéculent, vendent de grandes quantités au prix d'endettements excessifs, faute de capital suffisant, se ruinent souvent et font faillite pour avoir trop rapidement répondu à la demande britannique sans s’assurer des bases solides pour ellesmême. Dans ces conditions la décadence du vignoble était inévitable. Deux problèmes majeurs étaient à craindre : • le détournement des consommateurs vers de nouveaux marchés à cause de la modification du goût des vins de Jerez, • la perte du prestige du vignoble, la perte de confiance dans ses produits, finalement, la perte progressive des clients traditionnels. Pour compenser la baisse des prix du vin et pour faciliter leurs différents mélanges, dès le début des années 1870, et plus encore dans les années 1880, les bodegas importent des alcools industriels allemands de très mauvaise qualité mais très bon marché. Ces pratiques frauduleuses viennent aggraver une conjoncture déjà très difficile. Pour faire face à la demande malgré l'insuffisance de la production locale, des vins qui auraient été quelques années plus tôt destinés à la distillation à cause de leur médiocre qualité, furent abondamment renforcés en alcool et exportés. En moyenne les caves importent d'Allemagne 3 221 botas d'eau de vie (16 040,6 hl) dans les années 1876-81, alors que l'on n'en produit que 912 botas (4 541,7 hl). Alors que l'alcool de vin se vend 120 pts/hl, l'alcool industriel se négocie entre 60 et 75 pts/hl selon son origine. Les importations d'alcools ne cessent d'augmenter dans l'Espagne toute entière. L'invasion de l'alcool importé touche tous les grands vignobles, dans les années 1880, la Rioja est elle même victime de telles pratiques encouragées là aussi par les négociants. Le gouvernement espagnol fit voter une nouvelle loi qui augmentait les taxes douanières frappant les alcools importés, six mois plus tard, une autre loi taxait également les alcools titrant plus de 19°. Toutes les catégories professionnelles du monde viticole ne furent cependant pas également touchées par cette crise. Tous ne cherchèrent donc point à la résoudre avec la même conviction faute de partager le même intérêt dans sa résolution. Alors que les cosecheros et les almacenistas se réunirent très vite pour lutter contre les effets catastrophiques de l'introduction de vins et d'alcools étrangers à leur zone de production, les exportateurs ne suivirent pas leurs revendications et rendirent les producteurs responsables de la situation. Dès 1865 les grandes maisons viticoles sont pourtant elles même reconnues coupables de la dépréciation de l'image de marque des vins qu'elles exportent sous le nom de Jerez sans que leur origine ait été contrôlée. Certaines d'entre elles reçoivent même des menaces. Cependant alors que les petits producteurs dénoncent sans relâche l'importation des alcools allemands, concurrents des vins bon marché consacrés jusque là à la distillerie, et responsables de la perte du prestige des vins authentiques de Jerez qu'ils renforcent pour favoriser les mélanges de vins de diverses origines, les exportateurs expliquent l'incohérence de leurs accusateurs. Pour les représentants des grandes maisons, les cosecheros oublient systématiquement la mauvaise qualité des moûts de Jerez que ces derniers produisent, l'insuffisance de cette production qui n'a pas encore totalement récupéré du choc causé par l'oïdium, et surtout, la nécessité d'offrir à l'exportation des vins meilleur marché pour 6 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle concurrencer en particulier les vins français sur le marché britannique. Or jamais les prix des vins nouveaux locaux n'ont été aussi élevés. • La crise du phylloxéra à l’extrême fin du XIXème siècle. L'arrivée du phylloxéra est plus tardive en Espagne que dans les autres pays européens. Apparu en 1863 en France, il arriva à Málaga en 1875. En prévision de nouvelles attaques dans les provinces voisines, un Ordre Royal du 19 Juin 1879 exigea que soient tenues dans chaque province espagnole trois conférences sur ce fléau dévastateur pour rechercher les moyens de lutte les plus efficaces contre cet insecte. Ce n'est qu'au début des années1890 que l'inquiétude augmenta à Jerez où l'on croyait que les fameuses albarizas ne constitueraient pas un terrain favorable à l'attaque du phylloxéra. En 1893 l'insecte dévastateur, le Phylloxéra vastatrix, était reconnu à Villamatin, au Prado del Rey dans la montagne de Cadix; la nouvelle est rendue officielle le 9 Novembre 1893. Dès le début de 1894 la presse viticole met en garde les viticulteurs, le Bulletin de la Chambre Agricole multiplie les informations et les descriptions des symptômes de la plaie phylloxérique. Nombre de recommandations sont faites pour lutter contre ce terrible fléau. En Juillet 1894 la récolte des prochaines vendanges est donnée comme perdue, et l'on annonce l'inéluctable disparition du précieux négoce de Jerez5. Le 2 Juillet 1894 une commission municipale de défense contre le phylloxéra organise une reconnaissance sur le vignoble de la commune pour déterminer le nombre des foyers et leur extension. Sur la route de Séville à Trebujena, au Nord, des foyers sont reconnus sur les terroirs Ducha, Espartinas et El Carrascal, particulièrement dans la vigne Nuestra Señora de los Angeles, propriété de Victorina González, veuve de Ysasi, 4 ha 21 ares semblent être affectés. Le prestigieux Macharnudo n'est pas épargné, en particulier deux foyers sont reconnus dans la propriété de Pedro Domecq. Au Sud, le terroir de Torrox est également contaminé. Les observations faites par la commission menée par l'ingénieur agronome Gumersindo Fernandez de la Rosa ne sont point catastrophiques, sans doute parce que l'arrivée du phylloxéra avait été prévue, les vignes atteintes ne correspondent qu'à 18,5 ha sur les 7 850 ha de l'ensemble du vignoble. Cependant ce sont essentiellement les meilleurs terroirs, ceux des albarizas qui ont été atteints, et ce, presque simultanément sur toutes les vignes. Les foyers reconnus sur ces terres représentent la quasi totalité des vignes endommagées, 97% de la surface viticole atteinte par le phylloxéra. Ce n'est qu'un an plus tard que l'insecte dévastateur attaque les vignes de Sanlucar de Barrameda et de Puerto de Santa Maria. Sa progression fut lente mais durable : à la fin de 1896 la superficie détruite était de 130 ha, répartis sur 63 vignes et 125 foyers; cependant deux ans plus tard en 1898 1 374 ha étaient ravagés, environ 20 % du vignoble. Beaucoup plus encore d'après les sources locales pour lesquelles à la fin de 1898 la moitié des albarizas auraient été détruites, la quasi totalité vers 1902, en 1909 2% seulement aurait été épargné. En 1898 la totalité des vignes du terroir de Ducha étaient perdues (134 ha), de même celles de Espartinas d'une extension comparable, 1 300 ha détruits dans le Carrascal, 1 400 ha dans la Macharnudo. Progressivement disparaissent dans des proportions tout aussi alarmantes les vignes des terroirs atteints plus tardivement par le fléau : San Julián, Montana, Corchuelo, Rui-Diaz, 5 F.Zoido Naranjo, « Observation sur la crise du phylloxéra et ses conséquences ». dans Alain Huetz de Lemps, René Pijassou, et Philippe Roudié (éd.), Géographie historique des vignobles. Actes du colloque d’Octobre 1977, Paris, CNRS, 1978, t.II : Vignobles étrangers, pp.63-76. 7 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle Cantarranas, Alfaraz et Llano de las Tablas sont ravagés sur la moitié de leurs vignes, soit sur 700 ha environ de même que Balbaïna, Cuadros, Plantalina, Carrahola, La Gallega Rincones, atteints sur une surface comparable de l'ordre de 700 ha. Le vignoble n'est plus que ruine et désolation. III La naissance du vignoble et du négoce viticole contemporains Comme souvent, à plus longs terme, les effets des crises peuvent être bénéfiques. Dans le cas du vignoble de Jerez, la reconstitution du vignoble se fit surtout au profit des meilleurs terroirs, la lutte contre les pratiques frauduleuses engendra la recherché d’une appellation d’origine, le négoce se diversifia en s’ouvrant à la production des premiers Brandy aux côtés des vins traditionnels de Jerez. 1 La recherche de l'authentification des vins de Jerez: vers une dénomination d'origine. En Juillet 1866 les cosecheros et les almacenistas sollicitent déjà l'arbitrage de la municipalité de Jerez de la Frontera pour répondre à l'insuffisance de la législation. Pour défendre leurs intérêts ils soutiennent à partir de 1866 la Revista Vinícola Jerezana qui ne cesse de dénoncer la pratique frauduleuse de l'utilisation des vins forasteros par les exportateurs, jusqu'à ce qu'elle soit interdite par la municipalité en 1867. Le 4 Janvier 1867, les cosecheros et les almacenistas déposent une plainte contre la "fraude" qui consiste à vendre un vin sous un nom d'origine géographique qui n'est pas la sienne. Ils demandent que les vins incriminés soient taxés. Les exportateurs s'y opposent et proposent à la municipalité une réunion de tous les groupes professionnels concernés, cosecheros, almacenistas et extractores, le maire ne pouvant trancher seul le conflit en l'absence de toute législation. Très peu d'entre eux s'y rendent le 20 Janvier. La mesure est refusée. La proposition ayant échoué, les importations de vins forasteros ne cessent de s’accroître au rythme de la progression des exportations. Les producteurs poursuivent cependant leurs efforts, s'unissent avec d'autres producteurs espagnols qui partagent leur situation pour fonder ensemble, en 1887, la Sociedad Española Viticola y Enologica. Dès 1877, les exportateurs durent se résoudre à une nouvelle mesure, la reconnaissance de l'origine de vins véritablement de Jerez, désignés par une estampille. Le blason de la ville de Jerez de la Frontera devait désormais figurer sur toutes les botas des exportateurs qui n'avaient pas importé de vins forasteros depuis un an au moins. Plus tard la mesure fut étendue à tous les cosecheros des terroirs albarizas. En 1886, la notion de dénomination d'origine était encore un peu plus précisément définie par l'ingénieur agronome Gumersindo Fernández de la Rosa. Ce dernier proposait au Congrés vinicole de Madrid, en tant que représentant de la Mairie de Jerez, "deux marques d'origine": la "marque entière" et la "demie marque". La première pour les vins naturels fino, amontillado, palo-cortado ...), reconnue par le blason entier de Jerez et une légende, "vins naturels", la seconde serait réservée aux vins issus de coupages, reconnus par le dessin de la moitié du blason de la ville de Jerez, assorti de l'indication, "Xerez combiné". Peuvent y adhérer `tous les propriétaires, cosecheros vinicultores de la province. Ce projet fut cependant difficile à mettre en pratique, faute de pouvoir convenablement identifier l'origine du vin contenu dans chacune des botas, tandis que la grande majorité des exportateurs, sollicitaient pour chacune de leurs botas l'estampille de la ville de Jerez sans autre 8 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle garantie ! Ainsi refusaient-ils une « marque » qui imposait inévitablement une limite géographique : celle-ci interdit le commerce des vins bon marché, et par voie de conséquence, aurait réduit considérablement l'offre des moûts au profit des cosecheros, qui alors aurait pu augmenter leurs prix une nouvelle fois. C’est donc uniquement à l’étranger que les grandes maisons viticoles de Jerez défendirent les vins authentiques de Jerez contre l'usurpation du nom, sans jamais s'opposer véritablement aux vins forasteros sur le territoire du vignoble andalou. Dans ces années 1870-80, les conflits entre producteurs et exportateurs, qui jamais ne furent très violents, ne purent déboucher sur une véritable nouvelle législation. La diversité parmi les cosecheros était trop grande, certains d’entre eux étant à la fois producteurs et exportateurs, et aucun n’ayant su proposer un programme suffisamment clair et mobilisateur ou facile à appliquer. Les grandes maisons viticoles, dans ces conditions, purent cependant bénéficier de l'appui du gouvernement qui à l'inverse de celui de la France, défendait plutôt leurs initiatives que celles des producteurs. Le terrain était désormais favorable pour que les grandes sociétés d'exportation, au lendemain de la crise du phylloxéra, puissent mettrent fin aux structures traditionnelles du vignoble de Jerez, d'autant plus qu'elles avaient su diversifier leur production pour faire face aux aléas commerciaux. La crise du phylloxéra renforça plus encore ces inégalités au profit des grands exportateurs. 2 La lutte contre le phylloxéra, et la difficile reconstitution du vignoble Dès le 29 Juillet 1894, sur l'initiative de la municipalité, les viticulteurs s'organisent en un syndicat regroupant 271 vignerons qui détiennent 8 346 aranzadas, soit la moitié du vignoble. Ils réclament une station de viticulture, la formation d'une Chambre viticole, ils préconisent le choix des terroirs d'Albarizas pour les plantations, l'exportation uniquement des vins de Jerez à l’exclusion de ceux issus de divers mélanges. Cependant bien que constitué comme un groupe de défense contre le fléau, ce syndicat s'oriente rapidement vers la défense de la production du plus grand nombre d'entre eux, petits propriétaires, créant inévitablement une scission: les exportateurs se retirent et fondent à leur tour une "Compagnie Viticole de Jerez". Parrallèlement, le Boletin de la Camara Agricola de Jerez de la Frontera puis la revue qui lui succéda, La Agricultura Bética, proposent différents remèdes contre le fléau, l'inutile traitement au sulfure de carbone et l'utilisation peu efficace de la « phylloxérine ». Longtemps les viticulteurs s'interrogèrent sur les qualités des vins qui pourraient être produits sur des cépages autres que ceux qui ont de tous temps assurés le prestige des vins de la région. Ce n'est que bien plus tard, à partir de 1897 mais surtout en 1898, que leurs articles présentent les bienfaits des cépages américains et encouragent les nouvelles plantations. Les grandes maisons d'exportation sont alors les premières à replanter et à reconstituer progressivement le vignoble disparu. A la fin du XIXème siècle les grandes maisons viticoles devienent l'élément moteur du vignoble de Jerez dont elles contrôlent peu à peu toutes les activités de production, de vinification et de commercialisation. Le XIXème siècle transforme les structures agraires du vignoble. Les crises dues aux aléas climatiques ou aux maladies de la vigne, ont renforcé à la fin du XIXème siècle les effets des fluctuations de la production dues aux variations de la conjoncture économique, de la plus ou moins forte demande extérieure des vins de Jerez, des variations des exigences qualitatives des consommateurs. Plus touchés que les exportateurs, les petits producteurs réagissent vivement et demandent aux grandes maisons viticoles de revoir leurs conditions de travail. Se constitue alors un 9 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle nouveau paysage socio-économique à la fin du XIXème au début du XXème siècle, dans l'activité viticole jérézane. La crise du phylloxéra met un point final à la viticulture traditionnelle, le groupe des cosecheros, des almacenistas et des exportateurs perd 40 à 60% de ses membres dans les villes de Puerto de Santa Maria et Jerez de la Frontera. Par voie de conséquence le nombre des journaliers viticulteurs et le nombre des ouvriers des caves diminue considérablement, des 5 700 ouvriers qui travaillaient les vignes seuls 2 200 sont encore en activité, plus de la moitié 61,4% ont perdu leur emploi! La modernisation a éliminé brutalement les petits viticulteurs, nombre d'entre eux ont pris le chemin de l'émigration, tandis que seules les maisons les plus puissantes renforçaient leur négoce. Dans ce contexte, de violentes crises sociales éclatent à la fin du XIXème siècle avantmême la crise du phylloxéra. Cette dernière porta ainsi un coup fatal aux plus petits producteurs, incapables fionancièrement de replanter. Le journal "El Guadalete" se fit le porte parole de l’affrontement du début des années 1890, de la "prise de Jerez" par les paysans le 8 Janvier 1892. en publiant une brève biographie de Pedro Domecq, un an après sa mort, en 1895. Il retrace les évènements du 8 Janvier 1892 en évoquant non point les ouvriers, les journaliers agricoles ou les anarchistes mais « les alucinés et agents inconscients du mal ». Ces derniers ayants échoué dans leur initiative, en mars, leur situation est tout aussi insoutenable, ils sont de nouveau dans l'obligation de demander une aide. Cette fois, sous une toute autre forme après les condamnations modèles, le 8 mars ils envahissent Jerez non pas avec des cris subversifs et animés par la colère, mais avec la modestie de celui qui au nom de Dieu vous tend une main tremblante, en disant « mon frère »! pour accompagner sa modeste pétition… Non pas un groupe d'anarchistes dérangés, mais des déshérités demandant la charité. Ils avaient abandonné le chemin du mal, leur instinct leur avaient fait fuir ces procédés ignobles, l'esprit chrétien que Don Pedro Domecq reconnaissait au fond du peuple espagnol s'était révélé, et en adoptant une conduite humaine ils venaient demander à leurs frères le « pain et la charité ». 3- L'apparition des premiers "coñac": nouvel enjeu de l'économie du vignoble de `Jerez à la fin du XIX e siècle. Apparu bien plus tardivement que le vin de ce vignoble, dans le dernier tiers du XIXème siècle, le brandy de Jerez a permis dès son origine de répondre à la crise économique à laquelle se trouvait confronté l'ensemble des grandes maisons de commerce viticole. La loi de 1888 qui augmenta les taxes douanières perçues sur les importations d'alcools de plus de 19° fut jugée acceptable pour égaliser les conditions de la concurrence entre les alcools industriels et les alcools naturels de vins, mais elle fut attaquée par la Chambre de Commerce de Jerez administrée par les plus grandes maisons d'exportation car elle entravait l'industrie de nouveaux alcools: l'industrie du "coñac". La première distillation connue fut pratiquée durant la domination musulmane de l'Espagne vers l'an 900 mais ce ne fut que bien plus tardivement que des eaux de vie furent exportées depuis l'Espagne. Le Brandy de Jerez apparu bien plus tardivement encore, alors que les premières références aux eaux de vie charentaises remontent au début du XIVème siècle, et le véritable développement de ses exportations au XVIIème siècle, le Brandy de Jerez n'est exporté que deux siècles plus tard, à la fin du XIXème siècle en s'arrogeant une appellation déguisée par une prouesse orthographique qui permit d'hispaniser l'appellation charentaise sous le non de coñac. C'est avec la très forte augmentation des vins de Jerez au XIXe siècle que se développe véritablement la fabrication des eaux de vie. Dès la seconde moitié du XIXe siècle apparaissent à 10 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle Jerez les premières fabriques d'eau de vie. Se pose alors la question de l'origine du Brandy en tant que telle. Dans quelques correspondances ou livres de caves apparaît le nom de Brandy mais sans que l'on puisse penser toutefois qu'il s'agisse d'un Brandy au sens propre du terme, l'appellation est encore synonyme de celle d'eau de vie. Les premières commandes de Brandy au milieu du XIXème siècle ne précisent aucunement la nature du produit, et ne concernent que de faibles quantités. L'invasion des alcools allemands fit disparaître les eaux de vie de vin au profit d'eaux de vie industrielles. Les grandes maisons viticoles se lancèrent dans la production de brandy dès les années 1880. En 1909, elles expédiaient déjà 29 000 hl. C'est dans les années 1880-86 que les maisons d'exportation les plus importantes, Domecq, Misa, Gonzalez-Byass ou Bertemati, décidèrent de perfectionner les procédés de fabrication et de vieillissement des eaux de vies de vin, selon les normes employées en France, d'où l'on fit venir les alambics, suivies peu à peu de toutes les autres maisons d'exportation. La production moyenne annuelle de ces 9 fabriques ne représente que 3 250 hl, un volume somme toute très modeste, en 1876 les exportations de vins ayant représenté 42 662 botas, soit 213 310 hl! En 1876 il ne peut donc s'agir que d'une production secondaire, destinée au coupage des vins et non à l'élaboration d'un produit spécifique. Deux fabriques représentent plus du tiers de cette production, Jose Bertemati Troncoso et José de Cala y Fernández, tandis que les deux grandes maisons d'exportation de vins, González-Byass et Pedro Domecq, représentent un volume modeste, 12% de l'ensemble. Aucune des deux ne semble alors s'être véritablement intéressée au vieillissement de ces eaux de vie pour les transformer en brandy. Aucune grande maison d'exportation viticole ne s'est encore lancée dans la production de brandies. A Puerto de Santa Maria, en 1884, seules deux fabriques produisent de l'eau de vie de vin, et ce, en très faible quantité puisque les 1 124 hl de vin qu'elles distillent ne produisent que 129,6 hl d'aguardiente, Les premières exportations de Brandy nous permettent de noter leur rapide développement à la fin du XIXème siècle, puisqu'encore au stade expérimental au début des années 1890 elles atteignent un volume de 29 000 hl en 1909. Cette croissance est d'autant plus spectaculaire que dans la même période, les exportations de vin ont chuté des deux tiers de leur volume. Les exportations de brandy ont été activement relancées par les principaux exportateurs de vins de Jerez dont le négoce était sérieusement menacé par l'apparition du phylloxéra. En valeur, la part du brandy commercialisé est encore plus signifiante, 27,5% en 1894, 32,7%, près du tiers, en 1895. A la grande différence du négoce du vin, un tiers (36,7%) seulement des ventes de brandy étaient réalisé à l'exportation, 72 botas étaient vendues sur les marchés extérieurs, 124 en Espagne sur le marché national, tandis que la même année 96% des vins de Domecq étaient commercialisés à l'étranger. Conclusion: les effets d’une crise profonde La crise du phylloxéra entraîna la quasi disparition du vignoble de Jerez qui ne retrouva son extension que bien plus tard. Estimé à 8 000 ha environ pour la seule commune de Jerez à la veille de l’arrivée de l’insecte dévastateur, le vignoble ne comptait que 2 518 ha en 1963_1964 et ne retrouva sa superficie d’avant la crise, qu’en 1975-1976. La crise du phylloxéra a renforcé les effets de la crise précédente en diminuant la productivité des grandes propriétés et en faisant disparaître les plus petites. De nombreuses vignes 11 Séminaire de l’IHC UMR CNRS 5605 - Le vin à l'épreuve du déclin : destruction, dépression et mutation – 8 décembre 2004 Sophie Lignon-Darmaillac, Crises et mutations du vignoble de Jerez à la fin du XIXème siècle sont abandonnées faute de capitaux pour les exploiter, de nombreux journaliers ne trouvent plus de travail et grossissent le nombre des chômeurs réduits à la misère. En 1904, la commission qui étudie le vignoble de Jerez en vue de le reconstituer, considère que le phylloxéra a fait perdre 40 journées de travail par an et par aranzada de vigne, soit 800 000 journées pour l'ensemble des 20 000 aranzadas du vignoble. Les conflits sociaux ne s’atténuèrent que bien plus tard dans les années 1930 avec la création de la dénomination d’origine du Jerez et la création du premier Conseil Régulateur espagnol: le Consejo regulador del Jerez en 1935. Les décennies qui suivirent marquèrent la véritable récupération du vignoble qui connut un nouvel âge d’or dans les années 1850-1980 marqué par le quintuplement des exportations et donc par la véritable reconnaissance des principales bodegas exportatrices. Les crises du XIXème siècle ont définitivement implanté et développé l’économie capitaliste viticole, en renforçant le pouvoir des grandes entreprises du secteur. Les exportateurs contrôlent aujourd’hui toutes les phases de la production du raisin à l’élevage des vins. Depuis les années 1980, la concentration économique s’est simplement accentuée par l’intégration de ces grandes maisons familiales héritées du XIXème siècle aux principales multinationales des vins et spiritueux. 12