Créer des logements très sociaux dans le diffus change "petit à petit
Transcription
Créer des logements très sociaux dans le diffus change "petit à petit
Paris, le 21/06/2016 12:41:00 Dépêche n°539748 Créer des logements très sociaux dans le diffus change "petit à petit le regard de la société" (A. Régnier, SNL-Union) Par Elodie Raitière SNL-Union mise sur les logements très sociaux en diffus pour favoriser l’insertion de locataires en difficulté. Avec 1 000 logements répartis à travers l’Île-de-France, 1 200 bénévoles et 70 salariés, l’association accompagne des personnes en situation de très grande précarité vers un logement durable. Une "goutte d’eau" dans la solution au problème du mal-logement, reconnaît son président Alain Régnier, qui appelle les différents acteurs du secteur à développer ce type de logement pour lutter contre la ségrégation sociale. S’il salue globalement les mesures prévues par le projet de loi Égalité et citoyenneté pour favoriser la mixité, il doute cependant de la capacité du gouvernement à les mettre en œuvre d’ici la fin du quinquennat. Alain Régnier, président de Solidarités nouvelles pour le logement : Quel bilan tirez-vous de l’activité de l’association depuis que vous en êtes devenu le président, en septembre 2015 ? Alain Régnier : Entre décembre et avril, le contexte francilien a été marqué par les élections régionales et l’installation d’une nouvelle équipe. Nous avons eu des inquiétudes sur le préprogramme de Valérie Précresse, qui nous a ensuite rassurés sur le fait que la Région maintiendrait les financements pour la maîtrise d’ouvrage insertion. Mais comme il faut toujours D.R.AEF environ six mois pour qu’une nouvelle équipe prenne ses marques, nous avons de nombreuses opérations en attente. La crise des réfugiés a entraîné un mouvement de solidarité sur les questions de mal-logement. Des collectivités ou des propriétaires privés se sont manifestés en proposant des logements pour des familles de réfugiés, apportant de nouvelles opportunités immobilières qui n’étaient pas connues. Pour SNL cela représente une vingtaine de logements, mais il faut encore les expertiser pour vérifier qu’ils correspondent aux besoins. Comme on a toujours refusé de privilégier tel ou tel public pour ne pas les opposer entre eux, on ne garantit pas qu’on prendra un réfugié sur un logement précis, mais on s’est engagé à proposer au moins 15 % du flux de nos renouvellements d’entrée sur le parc à des ménages réfugiés. Les bénévoles de l’association ont lancé des collectes locales, à Paris et dans les Yvelines, pour garantir la location d’appartements pendant trois ans pour des réfugiés. La crise des réfugiés a aussi entraîné un durcissement de l’opinion, avec l’affaire du centre d’hébergement dans le XVIe arrondissement par exemple (lire sur AEF). Compte tenu de la tension qui règne dans la société française, si on ne travaille pas pour recoudre le lien social et refavoriser de la cohésion, le pays sera de plus en plus ségrégué et les tensions sociales seront de plus en plus élevées, avec un risque de violence qu’on constate déjà aujourd’hui dans certains territoires. AEF : Qu’est-ce qui freine la mixité sociale aujourd’hui en Île-de-France ? Alain Régnier : La gentrification des territoires en Île-de-France se renforce avec l’augmentation du coût d’acquisition du foncier et des biens immobiliers. Les prix ont été multipliés par deux en quinze ans, avec parfois des niveaux d’acquisition de 8 000 à 10 000 euros par mètres carrés, ce qui réduit considérablement la capacité des classes moyennes à accéder à des logements en Îlede-France et pousse les ménages à aller de plus en plus loin du centre de Paris pour se loger. En dépit de tous les efforts menés depuis 20 ans, avec le PNRU notamment, on assiste à une accentuation de la précarisation de certains publics qui sont toujours concentrés dans les mêmes territoires et où il y a de la discrimination à l’école, à l’emploi ou encore dans l’accès à la santé. AEF : Quelle solution développez-vous à SNL-Union pour renforcer la mixité sociale ? Alain Régnier : Nous achetons des logements en diffus pour loger des personnes modestes de manière temporaire, en logement insertion ou passerelle. Ce type de logement est mieux accepté dans son environnement que les gros ensembles collectifs, correspond à notre capacité d’investissement et permet à nos bénévoles et salariés de proximité de s’engager sur de l’accompagnement de quelques ménages. À chaque opération, nous prenons contact avec le conseil syndical de l’immeuble, nous nous rendons sur place pour présenter notre projet, qui s’accompagne généralement de travaux de rénovation qui améliorent la qualité générale du bien : on fait un travail pédagogique très pragmatique. Nous essayons de démontrer au quotidien qu’en mobilisant du logement dans le diffus en copropriété, dans la plupart des cas tout se passe bien. Au-delà de la représentation qu’on peut avoir d’une personne "fragile" ou "en difficulté", une relation se crée : ces nouveaux arrivants ont des enfants, qui vont à l’école, ils s’insèrent dans l’immeuble et dans le quartier… Avec ces opérations dans le diffus, on change petit à petit le regard de la société. Jusqu’à présent, nous avons produit une cinquantaine de logements par an, en diffus ou en petit collectif (10 à 15 logements maximum). Ce travail de dentelle peut paraître une goutte d’eau, mais je reste convaincu qu’il paiera dans les années à venir. Nous sommes bien conscients que nos petits milliers logements ne sont pas à la hauteur de la problématique du mal-logement, mais ce n’est pas uniquement au tissu associatif de résoudre cette situation. AEF : Qu’attendez-vous de la part des autres acteurs du logement ? Alain Régnier : Nous devons produire du logement abordable en Île-de-France, dans le parc public comme dans le privé, pour que les gens puissent sortir des dispositifs d’hébergement et aller vers des solutions de logements durables. Il faudrait mettre en œuvre une sorte de politique industrielle de traitement du mal-logement, avec un process automatique pour que les maires carencés au titre de la loi SRU utilisent l’habitat dans le diffus. Le fonds d’épargne de la CDCpourrait par ailleurs être mobilisé pour financer un nouveau produit d’acquisition de logement dans le diffus par les organismes HLM. Les bailleurs sociaux, qui n’ont pas beaucoup d’expérience sur ce type de logement, pourraient créer des entités juridiques spécialisées communes. Il faudrait aussi augmenter l’offre disponible dans le parc privé, avec une incitation de l’État pour les propriétaires privés à louer à des ménages modestes. AEF : Est-ce que le projet de loi Égalité et citoyenneté permet selon vous de répondre aux problématiques ? Alain Régnier : C’est la quatorzième loi logement depuis 2000… Malgré cela, beaucoup de mesures vont dans le bon sens, comme l’attribution de logements hors QPV, les avancées sur la responsabilité en matière de Dalo ou encore la mobilisation du foncier. Une autre avancée intéressante est : comment imaginer des "sous-loyers" (par rapport aux sur-loyers) de manière à rendre vraiment abordables des logements à loyer modestes. Il faudra voir comment le texte sera reçu au Parlement. Ce texte arrive un peu tard, alors que Cécile Duflot avait fait un travail important en 2013. Nous sommes dubitatifs sur la capacité du gouvernement à le mettre en œuvre avant l’élection présidentielle de 2017. Si on prend l’exemple de la loi Alur, il y a encore des dizaines de décrets d’application toujours pas publiés. AEF : Quelles seront vos priorités pour les mois à venir ? Alain Régnier : Nous voulons tripler la production de notre offre de logement en diffus d’ici 2018 par rapport à 2015, mais nous savons qu’il sera difficile de tenir l’objectif en 2016 en raison du retard pris avec l’élection régionale. La labellisation "La France s’engage", qui nous apporte 200 000 euros par an pendant trois ans, va nous permettre de développer les groupes locaux de solidarité au plus près des besoins. Nous développons aussi le financement participatif depuis environ un an, avec des sites de crowdfunding comme Ulule ou Les Petites Pierres. Cela nous permet d’avoir des petits compléments de financement (5 000 à 10 000 euros), mais aussi de nouveaux contacts de bénévoles potentiels. Avec la Fondation Abbé Pierre, nous participerons comme à chaque présidentielle à une interpellation collective et au questionnement des principaux candidats sur leur programme pour les populations les plus fragiles. Reproduction avec l’aimable autorisation d’AEF Habitat et Urbanisme, www.aef.info Retrouvez l’article en ligne : http://www.aef.info/abonne/depeche/539748/search/