Petites leçons de physique dans les jardins de Paris

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Petites leçons de physique dans les jardins de Paris
« Petites leçons de physique dans les jardins de Paris »
Hans Christian von Baeyer (Dunod, 2009, 183 p., 15 €)
Voici un petit livre de vulgarisation original, que l’on pourrait sous-titrer « un
Américain à Paris » ou « les rêveries d’un promeneur (pas tout à fait) solitaire ». Hans C. von
Baeyer, théoricien des particules, professeur à l’Université William and Mary en Virginie, est
aussi l’éditeur de la section Book reviews qui conclut chaque numéro d’American Journal of
Physics. Il nous livre ici la traduction d’un ouvrage publié en 2008 aux Etats-Unis sous le titre
The Swing under the Eiffel Tower.
De même que Sébastien Balibar, dont l’ouvrage La pomme et l’atome (Odile Jacob,
2005) m’avait charmé, l’auteur nous accroche en associant aux histoires scientifiques qu’il
nous conte ses expériences personnelles, ses goûts et ses méditations. Le fil conducteur lui a
été fourni par son amour de Paris où il séjourne régulièrement depuis une quarantaine
d’années. Il a découvert les jardins publics en y surveillant les jeux de ses filles tout en
rédigeant des articles scientifiques, de sorte que physique et parcs sont intimement mêlés dans
son esprit. Le jogging lui a fait parcourir de nouveaux lieux, et il en a acquis une connaissance
peut-être plus approfondie que bien des Parisiens… (Connaissez-vous le square Louise
Michel ?) Chacun des 12 chapitres du livre est donc initié par une promenade dans un parc de
Paris. Après quelques considérations esthétiques, touristiques, historiques ou toponymiques,
H. C. von Baeyer évoque les images et associations d’idées que les particularités du lieu lui
suggèrent, souhaitant ainsi faire sentir à un large public comment un physicien appréhende le
monde à travers ses lunettes. Les balançoires du Champ de Mars le font rêver de résonance et
de levier, puis d’applications comme la mise en branle du bourdon de Notre-Dame ou les
antennes de la Tour Eiffel. Le parc Citroën lui évoque les multiples formes de l’énergie, le
Jardin des Plantes l’effet de serre. D’autres correspondances moins évidentes émergent de
fantasmes de l’auteur : c’est par des « métaphores à multiples niveaux » qu’il associe la
mécanique quantique aux petits voiliers du Luxembourg, la théorie des cordes et la
cosmologie aux Buttes Chaumont, la « métamorphose » des neutrinos à l’Allée des Cygnes.
Quoique inattendus, ces rapprochements sont évocateurs et instructifs : En regardant tourner
la grande roue tout en marchant dans les allées des Tuileries, l’auteur fait comprendre la
dilatation relativiste du temps.
En fait, Hans von Baeyer cherche à faire sentir combien les analogies et l’imagination
ont d’importance pour le physicien dans sa quête d’une compréhension unifiée des choses.
Des ressemblances cachées guident au théoricien lorsqu’il cherche à élucider un nouveau
problème à l’aide d’outils mathématiques déjà éprouvés sur d’autres phénomènes. L’auteur en
donne divers exemples, qui illustrent comment la physique élabore des images cohérentes de
notre monde compliqué. Il met également en valeur d’autres facettes de la démarche
scientifique, comme le rôle et la valeur des modèles ou le va-et-vient entre observation et
théorie. Ainsi, la couleur bleue du ciel est expliquée par la théorie de la diffusion de
Rayleigh ; mais celle-ci prévoit aussi qu’au crépuscule le ciel devrait devenir jaunâtre dans la
direction du zénith ; on observe qu’il reste bleu, ce qui conduit à une nouvelle théorie, où cette
couleur vespérale est déterminée par l’absorption de la lumière par l’ozone atmosphérique.
Comme on le voit, le livre vise en premier lieu à exciter la curiosité : dès lors que l’on se
questionne sur leurs causes, des phénomènes d’apparence banale deviennent mystérieux, donc
fascinants. Avant Newton, qui s’était demandé pourquoi la Lune, contrairement aux pommes,
ne tombait pas ? C’est l’émerveillement et l’interrogation face à un mystère de la vie
quotidienne ou à une surprise expérimentale qui suscite une recherche d’explication. Parmi
ces mystères, Hans von Baeyer nous fait observer que les canards du parc Kellermann comme
les bateaux, quelles que soient leur taille et leur vitesse, laissent derrière eux un sillage en V
dont l’angle au sommet a toujours la même valeur magique de 38°,94 = 2 arcsin (⅓). Il nous
indique ensuite sur quelles bases Kelvin s’est appuyé pour rendre compte du phénomène,
mais nous laisse sur notre faim ; il est vrai qu’il partage avec nous cette frustration car il n’a
pu trouver d’argument intuitif justifiant ce résultat... Bien que le livre soit conçu pour un large
public, le physicien y trouvera des éléments de réflexion comme celui-là. Dans sa préface,
Georges Charpak estime qu’il devrait figurer sur la table de tout éducateur, pour initier les
jeunes aux merveilles du monde et de la science. Et ne donnerait-il pas aussi envie de flâner
dans les parcs de Paris ?
Roger Balian

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