Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n`est pas mort pour rien”

Transcription

Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n`est pas mort pour rien”
Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n’est pas mort pour rien”
Écrit par Stéphanie Dongmo
Vendredi, 28 Octobre 2011 13:57
Warning: Invalid argument supplied for foreach() in /home3/bassaweb/public_html/litenliba
ssa.com/plugins/system/rokcandy_system.php
on line
144
Ingénieur en informatique installé en France, le fils du nationaliste Ruben Um Nyobè, 54 ans,
pose un regard sur la dernière élection présidentielle au Cameroun ; parle du souvenir de son
père et fait une critique acerbe des divisions au sein de l’Upc.(...)Le président est coupé du
reste de la population, il n'a pas de compte à rendre. L'élection est un choix. Or, la population
n'a pas la possibilité de choisir.
Je ne suis pas contre ceux qui mettent longtemps au pouvoir, à condition que le processus
électoral soit démocratique, ce qui n'a pas été le cas au Cameroun.
Le 9 octobre 2011, vous avez voté, pour la première fois de votre vie, à l'ambassade du
Cameroun en France. Quelle signification donnez-vous à cet acte?
J'y suis allé par civisme et non par conviction. Par civisme parce que cela faisait longtemps que
la diaspora avait demandé que le droit de vote lui soit accordé. Sans conviction parce que le
résultat était connu d'avance. Les conditions de vote ont été complètement ignobles. Comment
demander aux Camerounais qui sont en France de produire la carte de séjour pour pouvoir être
électeur? Beaucoup de compatriotes n’ont pas pu voter faute de ce document. La question est
de savoir s'il était nécessaire de dépenser autant d'argent à ces élections, au moment où le
pays est dans une situation difficile.
1 / 10
Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n’est pas mort pour rien”
Écrit par Stéphanie Dongmo
Vendredi, 28 Octobre 2011 13:57
Pour qui avez-vous voté?
Le choix que j'ai fait ne peut pas compter, il reste dans le secret des urnes.
Paul Biya est le grand vainqueur de cette élection. Il va effectuer son 6e mandat de 7 ans
à la tête de l’Etat, après 29 ans de pouvoir. Quelle lecture vous suggère cette longévité
politique?
Cette longévité montre qu'il y a quelque chose qui ne marche pas dans notre pays ; le système
est bloqué et ne permet pas de se remettre en cause. Le président est coupé du reste de la
population, il n'a pas de compte à rendre. L'élection est un choix. Or, la population n'a pas la
possibilité de choisir. Je ne suis pas contre ceux qui mettent longtemps au pouvoir, à condition
que le processus électoral soit démocratique, ce qui n'a pas été le cas au Cameroun. Il ne suffit
pas d'organiser des élections pour que la démocratie y trouve son compte. Il faut que
l'inscription sur les listes électorales et les conditions de vote soient claires. Ce n’est pas
seulement le président de la République, mais tout le système en place qui est en cause.
Quand, aujourd'hui, on nous dit qu'en l'an 2035 le Cameroun sera un pays émergeant, c'est un
discours qui sonne creux. L'avenir du Cameroun importe peu à ceux qui nous gouvernent. Les
années à venir vont être difficiles car, il me semble que notre pays n'est pas préparé pour
affronter la récession économique et les défis qui nous attendent. C'est comme si nous étions
sur le quai et que nous regardions le train passer.
53 ans après sa mort, que reste-t-il du combat nationaliste de Ruben Um Nyobè ?
Il reste ses idées, mais elles ne sont pas exposées, car elles ont été kidnappées par des
opportunistes qui se réclament de l'Upc [Union des populations du Cameroun, ndlr]. Ces gens
2 / 10
Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n’est pas mort pour rien”
Écrit par Stéphanie Dongmo
Vendredi, 28 Octobre 2011 13:57
n'ont jamais été pour la libération du Cameroun, ni des partisans d’Um Nyobè. L’action de ces
organisations, de ces sectes, tourne autour d'une personne. On parle de l'Upc K, de l’Upc M et
de l'Upc H. Or, le combat d’Um Nyobè a été au service du peuple. On l'a appelé "Mpodol",
c'est-à-dire porte-parole. Et c'est ainsi qu'il est allé à l'Onu faire ce qu'on a appelé «le procès de
l'indépendance». Les gouvernements successifs au Cameroun ont essayé de gommer cette
histoire-là.
Justement, Um Nyobè et d’autres nationalistes camerounais ont été réhabilités en 1991.
Malgré cela, leur histoire n’est pas encore enseignée dans les écoles. Um Nyobè fait-il
peur ?
Pour répondre à cette question, il faut revenir à la base. On a éliminé tous ceux qui réclamaient
l’indépendance pour confier le pouvoir à ceux-là qui étaient contre, des personnes qui n'étaient
pas préparé à gouverner un pays. Sans légitimité, ils étaient des marionnettes au service de la
France. N’ayant pas de légitimité, ils n'ont pas intérêt à ce que l'action d’Um Nyobè soit
reconnue. Quand on fait référence à eux, on les traite de maquisards. C'est comme si le
Cameroun avait commencé à vivre en 1960. Sinon, comment comprendre qu'aucune rue de la
ville d'origine d’Um Nyobè, Eséka, ne porte son nom alors que nos bâtiments résonnent des
noms des colons et des gens qui nous ont bafoués ? A l’occasion du cinquantenaire de
l’indépendance, le président Biya avait reconnu, dans un discours, qu’il y a des gens qui se sont
battus pour l’indépendance, sans jamais citer de nom. Je suis convaincu que le jour où il dira
les noms, le reste suivra. L'idée que nos pères avaient de l'indépendance n'a pas été atteinte.
Ruben Um Nyobè est-il donc mort pour rien?
Non, Um Nyobè n'est pas mort pour rien. Parce qu'il y a quand même l'idéal qui est là. A
L'époque, l'Africain était un non sujet. Quand Um Nyobè et ses camarades ont pris la parole, ils
se sont d’abord adressés à leurs propres frères pour leur demander de se rebeller contre
l'indigénat. L'indépendance, oui, mais après, rien n'a été fait, les bases n'ont pas été posées
pour qu’elle puisse se matérialiser.
3 / 10
Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n’est pas mort pour rien”
Écrit par Stéphanie Dongmo
Vendredi, 28 Octobre 2011 13:57
En 2005, vous avez exprimé le désir de transférer les restes de votre père d’Eséka où il a
été inhumé à Boumnyebel. Où en êtes-vous, avec ce projet ?
Le corps d’Um Nyobè n'a jamais été remis à sa famille, il avait été confisqué. En me référant à
la loi de réhabilitation de 1991, je suis allé voir le préfet d'Eséka en 2005 et je lui ai fait une
demande pour le transfert des restes de mon père, pour que nous puissions enfin faire notre
deuil. J'ai fait ampliation de cette demande au Premier ministre et au président de la
République. On m'a demandé d'attendre et jusqu'aujourd'hui, je n’ai pas eu de suite. Je
m'accorde encore un temps de réflexion et si je n'ai pas de réponse de l'administration, je vais
passer à l'acte. Quand il a été assassiné, mon père a été enterré dans le cimetière de l'église
protestante d'Eséka. A côté de sa tombe, on avait planté un arbre témoin. Le lieu est repérable
actuellement. Les charognards des différentes tendances de l'Upc font la danse du ventre
autour de cette tombe.
Concrètement, qu’est-ce que cette loi a impliqué ?
Rien du tout. La loi dit que les familles peuvent transférer les corps avec le financement de
l'Etat. Mais il n’en est rien. Cette loi-là, à mon avis, n'était pas réfléchie. Dans une guerre
politique, le pouvoir a voulu couper l'herbe sous les pieds des tendances de l'Upc qui parlaient
beaucoup de cette mémoire-là.
Vous semblez très remonté contre les dirigeants des différentes factions de l’Upc. Que
reprochez-vous à Kodock, Mack-Kit et Hogbe Nlend?
4 / 10
Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n’est pas mort pour rien”
Écrit par Stéphanie Dongmo
Vendredi, 28 Octobre 2011 13:57
Cela me gêne quand on parle de l'Upc en parlant de faction. Ce n'est pas parce qu'un
groupuscule s'appelle Upc qu'il faut confondre avec le parti de Ruben Um Nyobè, créé en 1948.
Ce que je condamne, c'est la récupération que ces mouvements font. Comme l’Upc, la
mémoire de Ruben Um Nyobè est un bien collectif qui n’appartient même pas à sa famille.
Même si, en tant que héritier, j’en suis le garant.
Votre père a été tué alors que vous n’étiez qu’un bébé. Comment avez-vous appris à le
connaître?
Quand j’étais enfant, il y avait beaucoup de sympathisants à l’action d’Um Nyobè qui me
racontaient qui mon père a été. J'ai rencontré pas mal de gens avec qui mon père a été dans le
maquis. Certains me remettaient des documents en cachette et c'est comme cela que je me
suis imprégné de son histoire. Quand je suis arrivé en France, j’ai trouvé pas mal de
documentation. J'ai ainsi eu l'opportunité de lire le compte rendu de son assassinat et ce
document m'a permis de faire mon deuil, un tant soit peu. J'ai pu savoir comment il a vécu et
quels sont les gens qui l'ont trahi.
Qui a trahi?
La plupart des responsables des différentes tendances de l'Upc actuellement ont été complices
de son assassinat. Il était un "gros poisson", d'après les services secrets français. Le compte
rendu auquel j'ai pu avoir accès raconte les cinq derniers mois de traque avant son assassinat.
Il est très détaillé et les noms de ceux qui ont trahi apparaissent.
5 / 10
Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n’est pas mort pour rien”
Écrit par Stéphanie Dongmo
Vendredi, 28 Octobre 2011 13:57
Quelques noms?
La difficulté est que c'est un document qui reste classé secret défense, plus de 50 ans après.
J'ai eu l'opportunité de le consulter, sans pouvoir en faire une copie. Il est très accablant pour
ceux qui se réclament actuellement de Ruben Um Nyobè au Cameroun.
De quel document s'agit-il?
C'est un document confidentiel. Je veux bien citer les noms mais je n'ai pas la preuve en ma
possession. Si je l'avais, je poursuivrais ces gens en justice.
Quel rapport entretenez-vous entretenu avec les familles des autres nationalistes?
A un moment donné, les rapports étaient difficiles parce que chaque fois qu'on parle de la lutte
pour l’indépendance, on parle toujours de mon père. C'est comme si on s'était accaparé de
cette lutte. J'ai été en contact avec la famille Ouandié. Mais mes actes ont pu les rassurer.
Parce que ce n'était pas un combat solitaire, mais commun.
Quelle a été votre vie après l’assassinat de votre père ?
6 / 10
Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n’est pas mort pour rien”
Écrit par Stéphanie Dongmo
Vendredi, 28 Octobre 2011 13:57
Je suis né le 25 avril 1957 dans le maquis, mon père est mort le 13 septembre 1958. Après son
assassinat, ma mère [Marthe, ndlr] est restée dans le maquis pendant une semaine. Puis, elle
s’est installée dans son village natal, à Libel Ligoï. Ma mère était très jeune quand elle a épousé
mon père et ils sont partis au maquis. Le même jour, elle a perdu, non seulement son mari,
mais aussi sa mère qui l'avait accompagné dans son mariage. Le traumatisme a été grand.
Jusqu'à très récemment, elle n'arrivait pas à m'en parler sans être interrompue par des flots de
larmes. A 70 ans, elle vit à Boumnyebel. Elle a eu deux enfants après, qui sont décédés
aujourd’hui. Ma mère est consciente du travail abattu par son mari, mais est très choquée par
l'ingratitude de tous ceux qui, à longueur de journée, se proclament de Ruben Um Nyobè.
Pourquoi êtes-vous parti du Cameroun?
Au Cameroun, je n'avais pas d'issue. Nous étions très pauvres et j’ai dû interrompre mes
études en classe de terminale au lycée d’Eséka, parce qu'il fallait subvenir aux besoins de la
famille. On a vraiment vécu dans la misère. On n’avait pas de soutien, certaines personnes
qu'on croyait proches de mon père nous fuyaient, personne de voulait s'approcher de nous
parce qu'on était toujours surveillé. Cet environnement m'a marqué, j'ai eu très peur à l'époque.
Et comment êtes-vous arrivé en France ?
Je suis arrivé en France en 1983, c'était le seul pays où j'avais des proches qui pouvaient
m'accueillir. J’ai été hébergé par un cousin à qui je dois toute ma reconnaissance, jusqu'à ce
que je puisse voler de mes propres ailes par de petits boulots, six mois après. Après avoir
obtenu mon bac en France, j'ai fait deux années d’économie. Le cursus était long et j’ai
finalement opté pour l’informatique. Je suis ingénieur en informatique et je travaille avec la
Caisse d'allocation familiale en France. Je suis marié à une Camerounaise et j’ai trois filles de
14, 7 et 3 ans. Je leur parle souvent de leur grand-père et elles en sont très fières. Mais cela a
été difficile de sortir du Cameroun. Si bien que, pour que j'aie un passeport, une tante qui
7 / 10
Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n’est pas mort pour rien”
Écrit par Stéphanie Dongmo
Vendredi, 28 Octobre 2011 13:57
travaillait à la Béac a été obligé de se porter garante de moi auprès du délégué général à la
sureté nationale.
Pourquoi ces difficultés ?
Parce que je porte un nom, celui de Ruben Um Nyobè. Je n'ai pas demandé à naître dans cette
famille. J’ai été impliqué dès le jeune âge et je l’assume. Quand je suis né, mon père m'a donné
le nom de Daniel, qui signifie "Dieu seul est mon juge". J'ai toujours refusé de changer de nom,
c'est la seule chose qui me reste de lui.
Vous vivez en France alors que c'est l'administration coloniale française qui a assassiné
votre père…
Mon père disait qu’il ne faut pas confondre les coloniaux français et le peuple français. Ce n'est
pas la France qui a fait du mal au Cameroun, ce n'est pas la France qui a assassiné mon père,
ce sont des dirigeants français à une époque donnée.
Ils l’ont fait au nom de la France…
Quand mon père se rendait à L'Onu et que les Etats-Unis refusaient de lui délivrer le visa à la
demande de la France, c'est quand même en France que les manifestations étaient organisées
devant l'ambassade des Etats-Unis pour qu'il puisse avoir le visa. Il y a beaucoup de Français
8 / 10
Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n’est pas mort pour rien”
Écrit par Stéphanie Dongmo
Vendredi, 28 Octobre 2011 13:57
qui ont œuvré pour la lutte pour l'indépendance au Cameroun.
Envisagez-vous un retour au Cameroun?
Je ne me considère pas comme définitivement installé en France. J’ai une famille et une
demeure au Cameroun, j'y vais quand l'occasion se présente. Le Cameroun c'est mon pays, je
ne suis pas en exil en France.
Avez-vous des ambitions politiques?
On peut poursuivre le combat d’Um Nyobè sans pour autant vouloir accéder au pouvoir. Si je
peux, par les actes que je pose, aider à l'amélioration des conditions de vie de nos populations,
j'estime que cela va dans le sens du combat qu'il a mené. Aujourd'hui, trop de gens veulent le
pouvoir pour eux-mêmes. Mon père a abandonné sa carrière de greffier pour entrer au maquis,
pour que les générations futures aient le bien-être. Or, ceux qui ont été installé au pouvoir après
les indépendances n'ont pas travaillé pour le bien-être du peuple. D’où le retard qu'on accuse
aujourd'hui.
Quel sentiment éprouvez-vous, d’être le fils d’Um Nyobè?
Dès le jeune âge, je savais qui j'étais et j'en étais fier. Chez nous, on n'a pas toujours
conscience de l'ampleur de ce qu'il a été. Il a été un visionnaire, peut-être incompris de son
9 / 10
Daniel Ruben Um Nyobè “Um Nyobè n’est pas mort pour rien”
Écrit par Stéphanie Dongmo
Vendredi, 28 Octobre 2011 13:57
époque. Si vous lisez ses discours, ils restent d'actualité. On a eu la malchance d'être sous
influence française. Si on avait été sous influence anglaise, peut-être qu'il n'aurait pas été
assassiné.
Vous auriez eu un père dans ce cas…
Cela m'a marqué de grandir sans mon père. S'il avait été là, ma vie aurait pris un tout autre
sens. Cette présence paternelle me manquera toujours. Je me refugie souvent dans la lecture
de ses écrits, pour avoir l'impression d'être avec lui. Il y a quelques mois, j'ai écouté un discours
qu'il avait prononcé. C'était la première fois que j'entendais sa voix. J'ai été ému jusqu'aux
larmes et j'ai dû m'interrompre. Le fait que mon père ne repose pas dans son village
m'empêche de dormir. Je voudrais tant perpétuer son souvenir!
© Le Jour : Propos recueillis par Stéphanie Dongmo, à Paris
{jcomments on}
10 / 10