Sur le bec-de-lièvre et sur la couleur des yeux
Transcription
Sur le bec-de-lièvre et sur la couleur des yeux
34028_650.qxp 13.3.2009 9:40 Page 1 en marge Sur le bec-de-lièvre et sur la couleur des yeux L a publication, ces derniers jours, au contraire vers de nouvelles possibilide deux informations scientifités libératrices, dénouant d’une nouvelle ques nous conduit à revenir vers manière les liens entre l’inné et l’acquis. «Bienvenue à Gattaca», cette formidable Précisément ce que tente – ou nous procréation vieille de douze ans et signée met – de nous dire l’épigénétique, cette Andrew Niccol. Ceux qui la connaissent Réforme annoncée et déjà agissante au hésitent généralement à la qualifier. Film sein de l’Eglise dominante. de science-fiction ou film d’anticipation ? Deux informations scientifiques à conEt ceux qui ne connaissent pas ce trounotation génétique donc. La première blant chef-d’œuvre gagneront beaucoup concerne la fente labio-maxillo-palatine à le découvrir au plus vite ; un chef-d’œuque les médias d’information générale révre qui devrait être duisent, pour l’occa«… "On n’est pas responinscrit au programsion à l’entité commume des écoles prine «bec-de-lièvre». sable de ses gènes" …» maires et secondaiOn sait ou non que res tant il porte en lui les questionnecette expression est apparue en langue ments éthiques essentiels induits par les française au milieu du XVIe siècle. Les développements multiformes de la génédictionnaires les plus simples expliquent tique contemporaine. qu’il faut voir là une simple analogie avec Il sera une fois Vincent, enfant né nala lèvre supérieure du lièvre quand d’auturellement ou, en d’autres termes, un tres nous laissent supposer que la for«naturel», un «invalide». Vincent rêve de mule pourrait s’entendre, de même que devenir astronaute et de pénétrer au sein les épousailles des carpes et des lapins, de la base de Gattaca, unique chance de comme la résultante pathologique d’une partir dans l’espace et le futur. Le concerassociation entre oiseaux et mammifères. nant Antonio et Marie Freeman avaient Que nous disent de tout cela les déchoisi de ne pas avoir recours aux servipêches généralistes destinées au plus ces de la génétique et de la procréation grand nombre de nos contemporains ? médicalement assistée. Antonio et Marie Ceci : «Les gènes pourraient jouer un rôle avaient dû comme tant et tant de couplus important que l’on croyait dans une ples humains durant des millénaires s’en malformation de la face, la fente labioremettre à l’amour et au hasard. maxillo-palatine, plus connue sous le Mais la Science est là qui – désormais nom de "bec-de-lièvre", selon une étude et pour l’éternité – sait dire l’avenir. Une publiée le 8 mars dans la revue spécialigoutte de sang prélevée sur le nouveausée Nature Genetics. Il s’agit d’une des malformations congénitales les plus couné aussitôt introduite dans le cerveau d’un rantes à la naissance, touchant un nouordinateur ; le verdict tombe après trois veau-né sur 700 à 1000 en Europe. Cette secondes : Vincent ne dépassera pas la anomalie du développement embryontrentaine, d’ores et déjà condamné par naire se traduit par une ouverture qui de graves anomalies cardiaques à venir. subsiste entre les lèvres, la mâchoire et Vincent est dès lors un paria programparfois également le palais.» mé, condamné à ne jamais entrer dans Et encore : «Cette anomalie est due à la base dont il rêve et qui porte le nom la fois à des influences environnementades quatre bases azotées constitutives les agissant sur l’enfant depuis l’extéde l’ADN. rieur jusque dans le ventre maternel, et à Tel n’est pas le cas de son frère Andes facteurs génétiques. Les chercheurs ton. Le concernant Antonio et Marie ont de l’Université de Bonn ont examiné le fait une croix sur le hasard. L’enfant n’a patrimoine génétique de 462 personnes vu le jour qu’après une fécondation in ayant une fente labio-maxillo-palatine et vitro suivie d’une sélection fondée sur sont allés dans le détail pour plus de la quelques dizaines de critères génétiques ; moitié d’entre eux afin établir des comune sélection excluant des pathologies paraisons avec des bouts de gènes de et retenant certains critères morpholoplus 950 sujets non atteints. Ils ont consgiques. Anton est un standard humain taté sur une partie du chromosome 8 la haut de gamme destiné à intégrer l’élite présence d’une variante génétique bien humaine. Anton et Vincent sont frères ; plus fréquente chez les personnes concersont-ils encore des frères de sang ? nées que chez les autres.» Par égard pour ceux qui la découvriPour le Dr Elisabeth Mangold, qui a ront bientôt, nous n’en dirons pas plus dirigé et qui signe ce travail dans les cosur cette fable ; si ce n’est qu’elle est lonnes de Nature Genetics «c’est là une tout le contraire d’un enfermement sur le preuve manifeste de ce qu’un gène situé totalitarisme génétique : elle s’ouvre bien 650 Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 18 mars 2009 dans cette région est impliqué dans l’apparition de cette anomalie». Elle ajoute : «s’il n’y avait pas ce facteur génétique sur le chromosome 8, la probabilité qu’un enfant vivant dans notre société ait une fente labio-maxillo-palatine serait sensiblement inférieure à 1 pour 700. Au fond, c’est une bonne nouvelle pour toutes les mamans d’enfants touchés par cette malformation, qui avaient tendance à se dire qu’elles avaient fait quelque chose qu’il ne fallait pas pendant leur grossesse. On n’est pas responsable de ses gènes.» L’équipe de Bonn entend ne pas en rester là. Elle fait d’ores et déjà appel à de nouveaux volontaires, allemands ou non, pour améliorer la précision de ses investigations moléculaires. Selon le Dr Mangold, une meilleure compréhension de l’intimité physiopathologique permettrait de déterminer l’utilité d’une prévention médicamenteuse pendant la grossesse. Elle semble ne pas évoquer l’existence, en l’espèce, du diagnostic préimplantatoire. Résumons au plus serré la deuxième information qui justifie notre propos et les inquiétudes de ceux qui entreront à Gattaca et de ceux qui n’y entreront pas. Elle vient d’être publiée dans Current Biology. Manfred Kayser et ses collègues du centre médical de l’Université Erasmus de Rotterdam exposent les derniers résultats de leur quête sur les bases génétiques de la couleur de nos yeux. Près de 6000 Néerlandais ont participé à ce travail qui permet de mieux saisir l’éventail des SNP qui fait que nous regardons notre prochain d’un iris brun ou bleu. Des travaux complémentaires sont, là aussi et comme toujours, nécessaires pour conclure. Gattaca ou pas la conclusion surviendra. Jean-Yves Nau [email protected] Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2009 00