Sur le bec-de-lièvre et sur la couleur des yeux

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Sur le bec-de-lièvre et sur la couleur des yeux
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13.3.2009
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en marge
Sur le bec-de-lièvre et sur la couleur
des yeux
L
a publication, ces derniers jours,
au contraire vers de nouvelles possibilide deux informations scientifités libératrices, dénouant d’une nouvelle
ques nous conduit à revenir vers
manière les liens entre l’inné et l’acquis.
«Bienvenue à Gattaca», cette formidable
Précisément ce que tente – ou nous procréation vieille de douze ans et signée
met – de nous dire l’épigénétique, cette
Andrew Niccol. Ceux qui la connaissent
Réforme annoncée et déjà agissante au
hésitent généralement à la qualifier. Film
sein de l’Eglise dominante.
de science-fiction ou film d’anticipation ?
Deux informations scientifiques à conEt ceux qui ne connaissent pas ce trounotation génétique donc. La première
blant chef-d’œuvre gagneront beaucoup
concerne la fente labio-maxillo-palatine
à le découvrir au plus vite ; un chef-d’œuque les médias d’information générale révre qui devrait être
duisent, pour l’occa«… "On n’est pas responinscrit au programsion à l’entité commume des écoles prine «bec-de-lièvre».
sable de ses gènes" …»
maires et secondaiOn sait ou non que
res tant il porte en lui les questionnecette expression est apparue en langue
ments éthiques essentiels induits par les
française au milieu du XVIe siècle. Les
développements multiformes de la génédictionnaires les plus simples expliquent
tique contemporaine.
qu’il faut voir là une simple analogie avec
Il sera une fois Vincent, enfant né nala lèvre supérieure du lièvre quand d’auturellement ou, en d’autres termes, un
tres nous laissent supposer que la for«naturel», un «invalide». Vincent rêve de
mule pourrait s’entendre, de même que
devenir astronaute et de pénétrer au sein
les épousailles des carpes et des lapins,
de la base de Gattaca, unique chance de
comme la résultante pathologique d’une
partir dans l’espace et le futur. Le concerassociation entre oiseaux et mammifères.
nant Antonio et Marie Freeman avaient
Que nous disent de tout cela les déchoisi de ne pas avoir recours aux servipêches généralistes destinées au plus
ces de la génétique et de la procréation
grand nombre de nos contemporains ?
médicalement assistée. Antonio et Marie
Ceci : «Les gènes pourraient jouer un rôle
avaient dû comme tant et tant de couplus important que l’on croyait dans une
ples humains durant des millénaires s’en
malformation de la face, la fente labioremettre à l’amour et au hasard.
maxillo-palatine, plus connue sous le
Mais la Science est là qui – désormais
nom de "bec-de-lièvre", selon une étude
et pour l’éternité – sait dire l’avenir. Une
publiée le 8 mars dans la revue spécialigoutte de sang prélevée sur le nouveausée Nature Genetics. Il s’agit d’une des
malformations congénitales les plus couné aussitôt introduite dans le cerveau d’un
rantes à la naissance, touchant un nouordinateur ; le verdict tombe après trois
veau-né sur 700 à 1000 en Europe. Cette
secondes : Vincent ne dépassera pas la
anomalie du développement embryontrentaine, d’ores et déjà condamné par
naire se traduit par une ouverture qui
de graves anomalies cardiaques à venir.
subsiste entre les lèvres, la mâchoire et
Vincent est dès lors un paria programparfois également le palais.»
mé, condamné à ne jamais entrer dans
Et encore : «Cette anomalie est due à
la base dont il rêve et qui porte le nom
la fois à des influences environnementades quatre bases azotées constitutives
les agissant sur l’enfant depuis l’extéde l’ADN.
rieur jusque dans le ventre maternel, et à
Tel n’est pas le cas de son frère Andes facteurs génétiques. Les chercheurs
ton. Le concernant Antonio et Marie ont
de l’Université de Bonn ont examiné le
fait une croix sur le hasard. L’enfant n’a
patrimoine génétique de 462 personnes
vu le jour qu’après une fécondation in
ayant une fente labio-maxillo-palatine et
vitro suivie d’une sélection fondée sur
sont allés dans le détail pour plus de la
quelques dizaines de critères génétiques ;
moitié d’entre eux afin établir des comune sélection excluant des pathologies
paraisons avec des bouts de gènes de
et retenant certains critères morpholoplus 950 sujets non atteints. Ils ont consgiques. Anton est un standard humain
taté sur une partie du chromosome 8 la
haut de gamme destiné à intégrer l’élite
présence d’une variante génétique bien
humaine. Anton et Vincent sont frères ;
plus fréquente chez les personnes concersont-ils encore des frères de sang ?
nées que chez les autres.»
Par égard pour ceux qui la découvriPour le Dr Elisabeth Mangold, qui a
ront bientôt, nous n’en dirons pas plus
dirigé et qui signe ce travail dans les cosur cette fable ; si ce n’est qu’elle est
lonnes de Nature Genetics «c’est là une
tout le contraire d’un enfermement sur le
preuve manifeste de ce qu’un gène situé
totalitarisme génétique : elle s’ouvre bien
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Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 18 mars 2009
dans cette région est impliqué dans l’apparition de cette anomalie». Elle ajoute :
«s’il n’y avait pas ce facteur génétique
sur le chromosome 8, la probabilité qu’un
enfant vivant dans notre société ait une
fente labio-maxillo-palatine serait sensiblement inférieure à 1 pour 700. Au fond,
c’est une bonne nouvelle pour toutes les
mamans d’enfants touchés par cette malformation, qui avaient tendance à se dire
qu’elles avaient fait quelque chose qu’il
ne fallait pas pendant leur grossesse. On
n’est pas responsable de ses gènes.»
L’équipe de Bonn entend ne pas en
rester là. Elle fait d’ores et déjà appel à
de nouveaux volontaires, allemands ou
non, pour améliorer la précision de ses
investigations moléculaires. Selon le Dr
Mangold, une meilleure compréhension
de l’intimité physiopathologique permettrait de déterminer l’utilité d’une prévention médicamenteuse pendant la grossesse. Elle semble ne pas évoquer l’existence,
en l’espèce, du diagnostic préimplantatoire.
Résumons au plus serré la deuxième
information qui justifie notre propos et
les inquiétudes de ceux qui entreront à
Gattaca et de ceux qui n’y entreront pas.
Elle vient d’être publiée dans Current Biology. Manfred Kayser et ses collègues
du centre médical de l’Université Erasmus de Rotterdam exposent les derniers
résultats de leur quête sur les bases génétiques de la couleur de nos yeux. Près
de 6000 Néerlandais ont participé à ce
travail qui permet de mieux saisir l’éventail des SNP qui fait que nous regardons
notre prochain d’un iris brun ou bleu. Des
travaux complémentaires sont, là aussi et
comme toujours, nécessaires pour conclure.
Gattaca ou pas la conclusion surviendra.
Jean-Yves Nau
[email protected]
Revue Médicale Suisse – www.revmed.ch – 5 janvier 2009
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