Victime de la mode
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Victime de la mode
Victime de la mode C’était un mois d’automne, en banlieue de Stockholm…. Nous venions d’être empaquetés et parqués dans la cale d’un immense bateau en partance pour divers pays du monde. Le voyage, redouté très long, fut néanmoins très agréable, grâce aux rais de lumière qu’apportait le beau soleil de l’été indien. Un matin, nous arrivâmes finalement en France, au Havre exactement d’où nous fûmes chargés sur de gros camions en direction de la banlieue parisienne. Le lendemain, je me retrouvai, auprès d’autres compagnons, dans une énorme salle éclairée, une musique branchée en fond sonore. Une valse d’acquéreurs potentiels ou non me tournait autour, certains me touchaient, d’autres me prenaient en photo, directement envoyées à leur conjoint pour requérir leur avis. C’est alors que s’approcha un couple de moi. La dame me caressa sur toute ma longueur, s’extasia sur mes incroyables rondeurs, invita son mari à s’asseoir afin de voir si j’étais aussi « bon » que j’étais beau. Je leur procurais visiblement un intense plaisir car les compliments sur le confort que j’apportais, sur ma couleur très tendance, qui apporterait le chic sobre dans le beau salon de leur nouvelle maison, ne tarissaient point. Puis ils discutèrent du meilleur endroit où ils me disposeraient, fallait-il des coussins ou pas, un plaid ou littéralement nu? Après ces préliminaires, Ils s’intéressèrent enfin à l’autre aspect tout aussi important : mon prix, qu’ils trouvèrent très élevé. Toutefois, au vu de tous mes atouts, le mari affirma que je le valais bien ! Et quand on aime on ne compte pas, renchérit l’épouse. C’est ainsi qu’une demi-heure plus tard, je me retrouvai dans une citadine pour un n-ième voyage vers de nouvelles aventures avec mes nouveaux propriétaires, dans une grande pièce d’un pavillon cossu des Hauts-de-Seine. Les premiers jours, les premiers mois, les premières années tout se passait très bien pour moi. Ils étaient aux petits soins pour moi, j’étais nettoyé avec les produits les plus doux, nul n’avait le droit de se servir de moi comme d’un lit ; seuls deux coussins garnis au duvet de canard me tenaient compagnie. Je faisais la fierté de mes propriétaires, car j’étais vraiment beau, on aurait dit que j’avais été créé spécialement pour cet intérieur. Ma vie était des plus agréables, paisible et apaisante. Seulement comme pour une histoire d’amour, la mode dure ce que dure une mode. Mes qualités d’alors devinrent mes défauts d’aujourd’hui. Je prenais tout d’un coup beaucoup trop de place, ma couleur était tristounette, j’avais fait mon temps, bref, j’étais « has been ». Je n’avais plus droit à aucun soin, je servais de lit au premier venu, j’ai même eu droit à des coups de stylo sur mes flancs de la part du fils d’amis de mes propriétaires, qui en ont ri !!! Incroyable, impensable il y a encore quelque temps ! Le mari qui, pourtant, était pour qu’on ne change rien s’est rallié à la cause de son épouse qui, il faut bien l’avouer, n’avait pas arrêté de les lui « casser ». Un dimanche matin a sonné mon glas. Moi, ce canapé qui n’avait eu de cesse de réchauffer douillettement leur derrière, Moi, ce canapé qui avait recueilli beaucoup de leurs secrets et leurs jeux… Moi, ce canapé qui les inspirais à la lecture, Moi, ce canapé grâce auquel ils avaient gagné le concours du plus beau canapé, J’étais désormais bon à rejoindre les encombrants. Je venais donc d’être déposé devant le portail du pavillon quand est arrivé Hervé, un ami du couple qui, après s’être étonné de ce que ses amis se débarrassent d’un si beau et élégant canapé, se proposa de le récupérer. Ce qui fut fait fort heureusement, car je fais le bonheur des divanneurs – y compris mes anciens propriétaires ! - dans le club de lecture encore aujourd’hui.