Ça y est, c`est fait

Transcription

Ça y est, c`est fait
1
Ça y est, c’est fait
Je dois le faire.
Avant la rentrée.
Il faut que j’y arrive.
Avant de retourner à la fac.
À vingt ans, je ne veux plus être le seul puceau de la bande ;
j’en ai assez qu’on me mette en boîte. Il ne reste que quelques jours,
mais je peux encore y parvenir. J’ai remarqué que Kessy a changé
d’attitude. Après trois semaines, elle semble enfin baisser sa garde —
moi qui prenais les Anglaises pour des filles faciles !
Ce soir, je vais jouer le tout pour le tout.
Pendant que mes parents fêteront leurs vingt ans de mariage au
restaurant, je vais lui dire que je suis tombé amoureux d’elle, et que je
voudrais que ma première fois se passe avec elle. On m’a dit que les
filles sont sensibles à ce genre d’aveux. Ça devrait la décider.
Au fond, je ne l’aime pas.
Je ne la trouve pas belle non plus, mais septembre approche et
le temps presse. En attendant, j’imagine mes mains sur ses gros seins
crémeux, ses cuisses ouvertes dévoilant son intimité, mon sexe entrant
en elle avec ardeur, s’enfonçant loin. Je veux pénétrer sa chair sans
jamais revenir en arrière.
Je rêve du moment où je pourrais enfin me dire : Ça y est, c’est
fait. Philippe, tu n’es plus puceau.
*
Ça y est, c’est fait.
Je l’ai fait.
28 août 1989, moi, Kessy Carter, j’ai perdu ma virginité.
À dix-huit ans.
Avec le père.
J’aurais préféré avec le fils, mais je rentre dans trois jours et
Phil ne semble pas s’intéresser aux filles. C’est un rêveur. Je crois
qu’il est gay.
Pas comme son paternel.
2
Quel dragueur celui-là !
Ces Français ont une juste réputation de roi des baratineurs.
Sous prétexte de m’accompagner à l’agence de voyage pour acheter
mon billet retour, Max s’est ménagé un tête à tête avec moi. Il m’a dit
qu’il était fou de moi, que j’étais belle. Qu’il valait mieux que ma
première fois se passe avec un homme expérimenté, et qui me respecte
de surcroît. Je lui ai rendu ses baisers. Sa main s’est frayée un chemin
sous ma robe. J’ai voulu parler de sa femme, mais il n’avait pas envie
de gâcher ce moment en mentionnant Béatrice.
Alors j’ai dit « oui ».
Il a été doux, mais je n’ai pas aimé.
Parce qu’il trouvait que j’étais bizarre après, il m’a achetée une
glace à la vanille sur le chemin de la maison. Je me suis dépêchée de
lécher les coulures sur le cornet pendant que du liquide dégoulinait
entre mes jambes.
*
Ça y est, c’est fait.
J’ai trompé ma femme.
Depuis le temps qu’on ne couche plus ensemble, ça devait
arriver.
Et puis quelle idée d’inviter la correspondante de Philippe en
vacances chez nous !
Trois semaines qu’elle agite ses fesses devant moi.
Sacrées Anglaises ! À dix-huit ans, elles ont l’air d’en avoir
vingt-cinq.
Je conduisais Kessy à l’agence pour son billet d’avion quand
j’ai senti le désir bouillir dans mes veines. Je me suis garé dans un
endroit tranquille. Je l’ai regardée dans les yeux, lui ai passée la main
dans la nuque et c’est elle qui m’a embrassé — quelque chose comme
un fruit sucré, écrasé sur la bouche. Je n’ai pas mis longtemps à la
convaincre. J’ai juste failli débander quand elle a parlé de Béatrice,
mais je me suis repris en me concentrant sur son profond décolleté qui
dévoilait des seins comme des meringues accolées par de la crème. Je
me suis dit : Max, c’est ton jour.
3
J’ai allongé Kessy dans la voiture. Relevées par le siège, ses
hanches étaient plus hautes que sa tête. Dans cette position, elle ne
pouvait guère bouger. Je l’ai prise, sans la meurtrir. Je me suis senti
vivant, animé de passion. Comme à vingt ans.
Je ne comprends pas pourquoi Philippe n’a pas cherché à être
dessalé par sa correspondante. Je commence à avoir des doutes à
propos de mon fils. Je crois qu’il a dû faire une chose sale et qu’il
n’est pas à l’aise. Et Béa qui ne se doute de rien. Je n’ose pas imaginer
sa réaction quand elle va savoir qu’il est homo.
*
Ça y est, c’est fait.
Mon fils a enfin sauté le pas.
Avec sa correspondante.
Du moins, j’espère. Car elle part dans trois jours, et après, il
sera trop tard. Mais à voir le trouble de Kessy, je ne pense pas me
tromper.
Quelles affranchies, ces Anglaises ! Leur réputation n’est pas
surfaite. Elles ont l’aplomb, le déluré qui plaît aux hommes ; elles sont
toutes plus avancées pour les choses de la vie. Rien à voir avec mon
garçon qui donne dans le sentimental.
Je dois admettre que je suis soulagée que Philippe ait écarté les
cuisses d’une fille, même si ce n’est pas la plus jolie. J’ai bien cru que
ça n’arriverait jamais. Je commençais à croire qu’il aimait les
hommes, et je ne me voyais pas annoncer ça à son père. Insupportable
pour quelqu’un avec des valeurs, comme Max.
Je ne peux toutefois m’empêcher de penser : tel père, tel fils,
car, à la décharge de Phil, on ne peut pas dire que Max soit porté sur le
sexe. Quand je l’ai rencontré, il était encore puceau. À vingt-six ans, il
y avait de quoi se poser des questions.
Je crois qu’il me reste reconnaissant de l’avoir déniaisé.
Quelle bonne idée j’ai eu de prétexter un échange linguistique
pour sortir Phil de cette impasse, et éviter ainsi une crise familiale.
Plus tard, ils me remercieront.
J’en suis certaine.