Marcel BROODTHAERS Marcel BROODTHAERS

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Marcel BROODTHAERS Marcel BROODTHAERS
Marcel BROODTHAERS
Œuvres acquises en 1988 :
Les Poèmes Garamond, 1971-1972
Dimensions : 2 panneaux, 68 x 49 cm, 68
x 25 cm
N° d’inventaire : 988.3.1
Marcel Broodthaers, Poèmes Garamond,
1971-1972. ©Blaise Adilon ©Adagp,
Paris 2010
Signatures au cœur, 1971-1972
Dimensions : 2 panneaux, 37 x 14 cm, 37
x 30 cm
N° d’inventaire : 988.3.2
Signatures et points, 1971-1972
Dimensions : 2 panneaux, 28 x 56 cm, 28
x 10 cm
N° d’inventaire : 988.3.3
A.B.C.-A.B.C., 1974
160 diapositives
N° d’inventaire : 988.3. 4
Bateau-tableau, 1973
80 diapositives
N° d’inventaire : 988.3.5
Signatures, 1971
80 diapositives
N° d’inventaire : 988.3.6
Ombres chinoises, 1975
80 diapositives
N° d’inventaire : 988.3.7
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XIX siècle images d’Épinal, 1974
80 diapositives
N° d’inventaire : 988.3.8
C’est Jacques Guillot, alors directeur du Magasin, Centre national d’art contemporain de
Grenoble, qui nous signale en 1987 l’ensemble de diapositives réunies par Marcel
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Broodthaers de 1971 à 1974 . L’œuvre est encore disponible car elle n’appartient pas aux
best-sellers de l’artiste. Elle est peu connue, et le matériau qui l’incarne (diapositives) semble
bien fragile (et par trop reproductible). Mais c’est l’histoire particulière de la pièce, sa
mutation poétique de l’état de document à celui d’œuvre, son lien à la temporalité, sa
référence à la projection et la nature particulière de la sérialité qu’elle expose qui nous
passionnent.
Marcel Broodthaers présente pour la première fois cette projection le jeudi 28 mars 1974 à
20 h 15 (à l’initiative de « Jeunesse et Arts plastiques », siège social : 10, rue Royal, 1000
Bruxelles) au Palais des beaux-arts de Bruxelles dans la salle du studio. L’artiste a intitulé la
soirée L’image d’Épinal et l’image théorique. Elle fait suite à une présentation de ses films à
la Rotonde. La salle est comble.
Tout d’abord conférence de l’artiste sur son propre travail (autant que critique générale de
l’iconographie), Marcel Broodthaers décide bientôt de faire de ces images et du commentaire
qui les accompagne une œuvre, ou plutôt cinq, qu’il présente sous la forme de six ensembles
de 80 diapositives projetées à partir des fameux carrousels, paniers circulaires de l’époque.
Ces cinq œuvres s’intitulent respectivement Signatures, 1971, Bateau-tableau, 1973,
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Ombres chinoises, 1975, XIX siècle images d’Épinal, 1974 et A.B.C-A.B.C, 1974 (celle-ci est
composée de 160 diapos en deux paniers). Exposées ensemble, chacune de ces images
projetées défile sensiblement au même rythme sur le mur/écran du musée, composant avec
ses voisines une série visuelle aléatoire en permanence renouvelée, qui échappe au sens à
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Jacques Guillot (1941-1988).
© Musée d'art contemporain de Lyon - 2010
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l’instant même de son énonciation. De plus, Broodthaers décide de supprimer tout
commentaire : seul le clic-clac des diapos en cut rompt le silence. Par ailleurs, l’artiste n’a
laissé aucune consigne particulière sur le classement de ces images, qui ont été rangées
dans leurs paniers dans l’ordre où l’artiste les avait laissées. Commentaire de l’œuvre et
œuvre simultanément, mais sans aucun recours au mot, ces images incarnent le lien le plus
ténu jamais réalisé par Broodthaers entre « le dire » et « le voir », problématique qui traverse
tout son travail.
Le Musée a choisi de compléter cet ensemble de diapositives par trois œuvres sur pellicules
de la même époque, intitulées respectivement : Les Poèmes Garamond, 1971-1972,
Signatures au cœur, 1971-1972 et Signatures et points, 1971-1972. Ces œuvres sur « film »,
dont les images ne sont pas destinées à la projection mais à l’exposition reprennent par un
effet de retournement la problématique inversée des diapositives à partir d’une même ténuité
des supports (qui a pour vertu commune d’exposer la « fragilité » de l’image) :
répétition/sérialité, contournement des matériaux/temporalité, projection/exposition, exhibition
du film/absence de commentaires. L’ensemble des œuvres, « films et diapos », est acquis le
25 mars 1988.
Vue de l’exposition Marcel Broodthaers, 14 mai -20 juin 1988. ©Blaise Adilon ©Adagp, Paris 2010
Marcel Broodthaers, le poète
Poète, Marcel Broodthaers participe le 15 novembre 1945 à la réunion de la Centrale
surréaliste à Bruxelles. Le 7 juin 1947, il est signataire avec, entre autres, René Magritte et
Christian Dotremont du manifeste Pas de quartier dans la révolution. Journaliste et libraire, il
publie son premier recueil de poèmes Mon livre d’ogre en 1957. Il réalise cette même année
son premier film La Clé de l’horloge, poème visuel en forme d’hommage à Kurt Schwitters.
En 1962, Piero Manzoni signe de sa main l’artiste qui devient ainsi « œuvre d’art authentique
et véritable ». En 1963, à quarante ans, Marcel Broodthaers décide d’embrasser la carrière
artistique.
Marcel Broodthaers, le musée
« En 68, peu de temps d’ailleurs après cette vague de contestation que nous avons connue,
quelques amis et moi, des amis où on retrouvait des gens de galeries, des collectionneurs et
des artistes, nous nous sommes réunis pour tenter d’analyser ce qui n’allait pas au point de
© Musée d'art contemporain de Lyon - 2010
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vue artistique en Belgique, c’est-à-dire pour analyser les rapports Art/Société, et nous avons
bavardé puis finalement convenu d’une réunion chez moi dans mon atelier pour développer
cette analyse.
On en a parlé pas mal autour de nous et finalement j’attendais 60, 70 personnes. Cet atelier
est assez vide, il n’y a que deux, trois chaises. Je me suis dit : “Comment les asseoir ?” J’ai
eu l’idée de téléphoner à une firme de transport assez connue ici (Menkès) pour leur
demander des caisses à prêter afin que ces gens puissent s’asseoir dessus. Je trouvais
naturel de les asseoir sur des caisses qui servent à emballer des tableaux, des sculptures.
Ces caisses sont arrivées, je les ai disposées ici d’une manière finalement assez particulière,
comme on disposerait, justement, une œuvre d’art. Et je me suis dit : “Mais au fond, le
musée, c’est ceci.” Ceci regarde la notion de musée.
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Alors j’ai ajouté à ce décor des cartes postales reproduisant des œuvres du XIX siècle, un
peu par provocation, pour marquer ma distance avec les matériaux en plastique que j’utilisais
déjà.
Alors j’ai écrit le mot MUSEE sur mes fenêtres, le mot DEPARTEMENT DES AIGLES sur le
ème
SIECLE.
mur du fond dans le jardin, et sur la porte d’entrée de ce jardin SECTION 19
Le Musée était né, non pas à travers un concept, mais justement d’une circonstance. Le
concept est venu après.
Et comme Marcel Duchamp disait : “Ceci est un objet d’art”, au fond, j’ai dit : “Ceci est un
musée.” Avec toutefois cette grande différence, c’est qu’au bout d’un an, j’ai remballé tout ce
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matériel à la maison de transport d’où […] il venait. »
Marcel Broodthaers, le dernier tour
Marcel Broodthaers est né le 28 janvier 1924 et il est mort
le jour de son anniversaire, le 28 janvier 1976.
Commentaire de Freddy De Vree : « L’enterrement de
Marcel Broodthaers, à Ixelles, était remis de jour en jour.
Je n’étais pas au courant. Il ne figurait pas sur la liste de la
clinique. Aux entreprises funèbres du quartier on ignorait
le nom de Broodthaers. Je n’étais pas le seul à chercher
sans savoir à qui m’adresser. Un homme à la chevelure
blonde et frisée se trouvait manifestement dans la même
situation, éprouvant le même doute.
Nous fîmes connaissance. C’était Roger Somville. À deux,
tripotant un peu la serrure de la porte de la morgue, nous
pénétrâmes, vraisemblablement pendant l’heure du
déjeuner des employés, dans les cages abandonnées, miprison, mi-zoo.
Un cercueil nu, de bois clair, se trouvait dans un des
couloirs. Une carte blanche était fixée au cercueil au
moyen d’un fil de fer. (Je me fis même la réflexion : “Ceci
n’est pas une œuvre d’art.”) Mention : “Broodthaers. Ohne
Religion. Nach Brüssel”. La ressemblance avec son
Musée d’Art Moderne, Département des Aigles,
abandonné était frappante, pendant un instant, pour de
bon. C’était comme si Marcel nous avait joué un tour
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ultime . »
Marcel Broodthaers, Détail de
XIXème siècle Images d’Epinal,
1974. ©Blaise Adilon ©Adagp,
Paris 2010
Marcel Broodthaers
Né en 1924 à Saint-Gilles (Belgique), décédé en 1976 à Cologne (République fédérale
d’Allemagne).
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Freddy De Vree, catalogue Marcel Broodthaers, œuvres 1963-1975, Bruxelles, édition Isy Brachot,
avril 1990, p. 12.
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Ibid. Première édition, réalisée à partir de transcriptions d’entretiens entre Freddy De Vree et l’artiste
à partir de 1969, in Marcel Broodthaers, Elsevier, 1980.
© Musée d'art contemporain de Lyon - 2010
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