le mythe du plein emploi

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le mythe du plein emploi
éditorial
LE M Y T H E
DU PLEIN EMPLOI
NOMS voici, en ce début de l'année
2001, à nouveau confrontés en France à
deux
enjeux
qui,
paradoxalement,
demeurent traités de manière distincte :
celui des perspectives d'emploi et celui de
l'avenir des retraites.
Le trait d'union entre les deux, pourtant, est clair : il réside dans le ratio entre
le nombre d'actifs occupés et celui des inactifs allocataires. Pour une bonne part
donc, dans le rapport entre la durée d'activité professionnelle et la durée moyenne de
vie et, par conséquent, dans l'âge de cessation d'activité professionnelle.
Il réside
aussi dans le rapport entre les ressources
(donc le rendement du prélèvement obligatoire qui repose très largement, en France,
sur celui des cotisations assises sur les salaires ) et les dépenses du système de protection sociale qui, même si les allocations
chômage baissaient (?), risquent d'être
fortement accrues en raison des pensions
de retraite et des dépenses de santé liées au
vieillissement démographique et au risque
dépendance.
Revenons
un instant sur le débat
concernant
l'emploi
d'abord,
et les
retraites ensuite.
Nous avons souvent souligné dans la
revue Futuribles combien les perspectives
à long terme étaient influencées par la
conjoncture du moment. S'agissant
de
l'emploi,
le phénomène
est saisissant.
Nous avons vu le chômage augmenter jusqu'à plus de 12 % de la population
active
en igg6, celui-ci n'étant que la face émergée d'un i c e b e r g bien plus vaste, le sousemploi, qui touchait alors près de 40 % de
la population
d'âge actif, donc plus de
12 millions de personnes.
Puis, la conjoncture économique devenant plus favorable — et les politiques publiques y contribuant —, nous avons depuis
quatre ans enregistré en France une création d'emplois record (+ 1,6 million), une
création se traduisant rapidement par des
difficultés de recrutement et, bientôt, par
l'apparition de revendications salariales.
Cette heureuse dynamique de création
d'emplois — à mon sens, plus fragile
qu'on ne l'imagine — est venue accréditer
une thèse que l'on a déjà entendu parfois
avancer. La croissance économique repartait, cette reprise était le signe avantcoureur d'un nouveau cycle long de croissance stimulé par un
environnement
international plus favorable (on n'avait
d'yeux alors que pour la croissance américaine) et l'essor des nouvelles
technologies . La croissance était si forte que les
créations d'emplois (qui ont atteint à la
fin du siècle un niveau
exceptionnel)
allaient perdurer à un rythme soutenu.
Les difficultés de recrutement ne faisaient
1
1. CETTE Gilbert, MAIRESSE Jacques, KOCOGLU Yusuf. « L'impact des TIC sur la croissance ».
Futuribles, n° 259, décembre 2 0 0 0 , pp. 43-53.
3
futuribles
n" 261
- février
2.001
donc qu'augurer d'une situation de pénurie générale de main-d'œuvre
d'autant
plus prévisible d'ici 2010 que, entre-temps,
la population d'âge actif aurait commencé à diminuer .
2
Ce point de vue nous a toujours semblé
étrange car, à supposer — hypothèse extrême — que la France crée 500 000 emplois par an pendant 10 ans, cela ne représenterait jamais
que cinq
millions
d'emplois en plus, nettement moins donc
que la population d'âge actif potentiellement activable !
À moins que l'on juge qu'elle ne puisse
être effectivement activée... Le débat a pris
une curieuse tournure, du moins dans la
communauté des économistes. Relevant à
juste titre qu'il devait exister des « trappes
à inactivité », ceux-ci se sont en effet engagés dans un débat sur le niveau de plein
emploi qui n'entraînerait pas de tensions
inflationnistes excessives. C'est ainsi que,
brandissant le « NAIRU » (voir l'article
d'Edmond Malinvaud, p. 53J, l'on en est
venu à considérer que le plein emploi
pourrait être atteint avec 6 sinon 8% de
chômage, sans du reste que l'on s'appesantisse outre mesure sur le niveau auquel
évoluerait
lui-même
le fameux
taux
d'emploi.
Ce débat de techniciens — bien qu'il
soit important
— a quelque
chose
d'étrange. Je comprends donc
qu'Alain
Michel s'interroge : ecce h o m o . . . œconom i c u s ou s a p i e n s ? En effet, je ne crois
pas que nous manquions
quantitativement de main-d'œuvre.
Mais je suis
convaincu qu'il existe un hiatus croissant
entre les revenus escomptés et les salaires
proposés, entre les qualifications
acquises
et les qualifications
requises, entre les
emplois auxquels les gens aspirent et ceux
qui leur sont offerts.
Edmond Malinvaud a raison d'écrire
que « la dignité humaine est peu compatible avec la condition d'assisté
permanent ». Mais le travail qui, longtemps, fut
un devoir moral est aujourd'hui
une
valeur hautement prisée : on en attend
certes un revenu et une insertion professionnelle mais aussi qu'il soit source
d'épanouissement personnel 3.
Or, tous les postes ne sont pas jugés
aussi attrayants et égaux en dignité et cet
écart de dignité, lui aussi, a un prix.
En ne voulant pas revaloriser le Smic
(salaire minimum
interprofessionnel de
croissance) pour des raisons simples à comprendre — et quel que soit le bien-fondé de
la formule du «crédit d'impôt»
adoptée
par le gouvernement français —, je crains
que nous ne réussissions pas — ou très partiellement — à résoudre cette inadéquation.
Et si nous restions dans une situation
de chômage et surtout de sous-emploi
important,
on verrait mal
comment
— bien que le bon sens nous y incite —
augmenter le nombre d'annuités de travail donnant droit à une retraite à taux
plein ; donc comment retarder la retraite.
Au contraire, on continuera à recourir
aux retraites anticipées. Aussi, le problème des retraites et des
programmes
assimilés se posera avant que celui de
l'emploi ne soit résolu. Et la conjonction
des deux facteurs risque d'être explosive...
Edmond Malinvaud a certainement raison d'écrire que « la stabilité des orientations est une des exigences pour le bon fonctionnement des économies de
marché».
Encore faut-il, pour qu'elles s'inscrivent
dans une politique à long terme, qu'elles
reposent sur des anticipations qui ne fluctuent pas au gré de la conjoncture.
H u g u e s de Jouvenel
2. Voir « Les pénuries de main-d'œuvre ». Futuribles, numéro spécial, n" 254, juin 2 0 0 0 .
3. BRÉCHON Pierre, TCHERNIA Jean-François. « L'évolution des valeurs des Français ». Futuribles,
n° 253, mai 2 0 0 0 , pp. 5-20.
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