Tant pis,

Transcription

Tant pis,
Tant pis,
Julie Desjardins,
Août 2013
Des ronces, que de ronces ! La forêt d'épines n'en finit plus. Elle griffe l'air chargé d'humidité, les
vêtements du prince, les cuisses du cheval.
Le jeune homme, fougueux et fier lors de son entrée sous l'ombre inquiétante, halète et s'impatiente.
Il a faim, il a froid, il est exténué. La pensée de la princesse endormie le nargue. Facile, elle n'a qu'à
l'attendre ! Lui, il doit traverser cette forêt tordue dont les ongles s'accrochent à son pourpoint,
patauger dans la boue du sentier qui borde le marais, supporter cette chaleur nauséabonde qui
s'imprègne dans sa chair et sous ses cheveux.
Le prince espère que la jeune fille sera jolie, et que la centaine d'années ne l'aura pas fripée comme
une vieille pomme. Tant de mal pour une inconnue ! Après tout, peut-être aurait-il dû suivre les
conseils de ses compagnons, qui l'avaient mis en garde contre cette légendaire forêt de ronces ? Il
aurait été préférable de continuer sagement la partie de chasse, plutôt que de succomber au rêve
idiot d'une princesse d'un autre siècle.
Depuis combien de temps suit-il ce sentier ? Il regarde le ciel orangé. La nuit semble tomber depuis
le début de sa marche, mais la noirceur ne vient toujours pas. Une douleur fulgurante envahit sa
joue. Il n'avait pas vu la branche à la hauteur de sa tête. Dans la pénombre de la forêt de ronces, le
prince voit que le gant qu'il a pressé sur son visage s'est maculé de sang.
C'en est trop. Il rebrousse chemin.
Tant pis pour la princesse.