Les efforts d`adaptation à la précarité des intérimaires

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Les efforts d`adaptation à la précarité des intérimaires
Journées d’étude « Servitude volontaire », GRACC, mars 2005
Dominique GLAYMANN, CPN
Les efforts d’adaptation à la précarité des intérimaires : une forme d’aliénation ?
Être intérimaire, c’est vivre dans le provisoire aux niveaux de l’emploi, du revenu et des droits
sociaux. Un provisoire qui peut durer des mois ou des années pendant lesquels la plupart des
intérimaires sont en quête de stabilité. Cette situation engendre des souffrances que les intérimaires
essaient de gérer en « faisant avec ». Leurs efforts d’adaptation, le plus souvent bâtis dans
l’isolement individuel, montrent que ce provisoire est source d’une forte contrainte à force de vivre
à la marge de notre société dans laquelle la normalité passe encore largement par la stabilisation
professionnelle.
La précarité de l’intérim complique la vie matérielle, limite les repères sociaux et affectifs, fait
vivre en permanence dans un provisoire et une attente dont on ne sait ni quand, ni comment on
sortira. Cette situation, indépendante du regard que chaque individu porte sur son emploi et son
parcours, confère un statut social « anormal » qui génère de la souffrance face à laquelle chacun
cherche à s’accommoder pour rendre le présent supportable sans pour autant accepter de s’y
installer. Cette adaptation aboutit même parfois à « aimer » ce qui fait souffrir révélant une
aliénation très répandue liée à l’écart entre sa situation et les règles sociales de l’intégration.
Un statut social dévalorisé et dévalorisant
Deux millions de personnes passent chaque année par l’intérim, de nombreux salariés y sont passés
et plus nombreux encore sont ceux qui ont côtoyé des intérimaires (Selon une enquête publiée par
Manpower en 2001, 18 % des salariés ont déjà travaillé en intérim). Pourtant, loin d’être banalisé, le
statut d’intérimaire est synonyme de droits limités, de regards stigmatisants et de fragilité sociale.
Des droits limités
Le statut social des intérimaires est caractérisé par le provisoire de l’emploi, du revenu, de l’accès à
la norme de consommation, de la protection sociale. En dépit des accords de la branche du TT qui
ont significativement accru leurs droits sociaux, les intérimaires restent des salariés de « seconde
zone » qui ont formellement autant de droits que les salariés en fixe mais qui, en réalité, n’en
bénéficient pas comme eux compte tenu de l’instabilité de leur situation d’emploi.
Les intérimaires sont probablement aujourd’hui les salariés précaires dotés des droits sociaux les
plus étendus : au terme d’une mission, ils conservent, même si ce n’est que momentanément,
l’accès aux avantages des organismes paritaires et les liens avec leur agence (qui leur donnent une
chance de retrouver une mission). Les titulaires de CDD ou les vacataires des fonctions publiques
ne disposent pas de cette forme de « continuité ». Mais, ces droits ne sont pas pérennes comme le
sont ceux des titulaires de CDI (bien que ces contrats ne constituent évidemment pas une garantie
absolue). Leur situation particulière dans laquelle il y a disjonction entre liens de travail et relations
d’emploi distingue les intérimaires et les isole des autres salariés (cf. annexe 1).
Des regards stigmatisants
Les regards portés sur les intérimaires restent largement négatifs : ils sont misérabilistes quand ils ne
voient en l’intérimaire qu’une victime passive, accusatoires quand ils lui attribuent la responsabilité
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de son état, et dans les deux cas, ils tendent à marginaliser voire à exclure à travers les dénis
(d’honneur et de droits) : « …malgré tout un intérimaire, c’est un paria de la société dans le sens où
il n’a pas droit à des crédits. S’il veut faire de gros crédits pour acheter une voiture ou une maison, il
ne peut pas. Les intérimaires, dans ce sens-là, c’est des chiens1 ».
L’étiquetage dont sont l’objet les intérimaires aggrave la précarité et la différence de statut dont ils
souffrent, engendrant une fragilité à la fois objective et subjective.
Une fragilité marquée
La fragilité, y compris psychologique, marque le quotidien des intérimaires et de leurs proches car
ils supportent une insécurité sociale et une insatisfaction récurrente. Ainsi, Karim qui dit qu’en
intérim « tout se passe très bien », ajoute pourtant qu’il ne veut pas rester intérimaire et veut
« trouver mieux ». Plus loin, il explique que sa femme voit cela : « d’un autre œil [que lui] parce
que ce n’est pas stable et c’est elle qui gère. Des fois, c’est la panique, c’est le trou et puis ça
remonte... On ne sait jamais ce que l’on va recevoir ». (Karim qui alterne intérim et CDI depuis
1985).
Ce statut social déprécié est source de souffrances en raison de l’importance non seulement de
l’emploi comme instrument de normalisation sociale, mais aussi du travail en tant que lieu de
réalisation personnelle.
Pourtant les intérimaires n’expriment ni massivement, ni ostensiblement ces souffrances par la
plainte ou la révolte. Au contraire, ils s’efforcent en général de supporter et d’attendre.
Des souffrances souvent tues
Les souffrances, plus ou moins vives, transparaissent plus qu’elles ne sont exprimées dans la plupart
des cas. Ainsi, Habib qui dit : « c’est un inconvénient de changer à chaque fois de travail. » a du
mal à expliquer ce point de vue : « Ben, je ne sais pas comment vous expliquer. On fait ça, après on
change à chaque fois. » (Habib, 20 ans, électricien, intérimaire depuis 6 mois lors de l’entretien).
Abdou est plus lapidaire et plus explicite : « Je cherche un CDI pour la tranquillité ; l’intérim, c’est
trop de changements ! » (Abdou, 41 ans maçon, intérimaire depuis 2 ans et demi lors de l’entretien).
L’une des manifestations les plus éloquentes de cette souffrance, c’est la volonté quasi-unanime que
l’intérim ne dure pas, même chez ceux qui y trouvent en partie leur compte. En intérim, on ne peut
pas réellement exaucer ses espérances professionnelles d’une part parce qu’on ne choisit pas son
poste, on prend le poste à pourvoir qui est disponible, d’autre part parce qu’il n’y a ni stabilité, ni
certitude sur le lendemain, ni moins encore « progression de carrière » possible. Même si ça
dépanne, ça n’est pas durable. Pour les plus jeunes, il faut s’installer : « L’intérim, c’est bien, c’est
une aide pour trouver du travail. […] Mais ça ne peut pas durer. Il faut se fixer à un moment. »
(José, 23 ans, préparateur de commandes, intérimaire depuis 3 ans). Pour les plus âgés, pèse le
risque de ne plus rien avoir : « J’ai 50 ans et on ne fait pas de l’intérim indéfiniment à 50 ans. […]
Ce sera plus difficile à terme, au fur et à mesure, d’en trouver : « Je ne suis pas contre faire un petit
peu d’intérim qui déboucherait sur un CDI mais je sais pertinemment qu’à terme, l’intérim, ça ne
1
D. Linhart, 2003, p. 160, citant les propos de salariés passés par le TT.
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marchera plus. On ne propose pas de l’intérim à… » (Christiane, 49 ans, secrétaire, intérimaire
depuis 1 an, lors de l’entretien). Pour tous, il faut en finir un jour avec l’intérim.
« L’intérim, c’est mieux que rien » revient comme une rengaine qui signifie surtout que c’est mieux
que le chômage, mais ce « mieux » est loin de la situation souhaitée, il indique une lassitude que
l’on ressent par exemple chez Sandra ou Roger :
« J’ai fait de l’intérim contrainte et forcée puisque les Compagnies [aériennes] préfèrent aligner
des missions de TT durant des mois plutôt que de signer des CDD ou des CDI. […] J’ai travaillé
durant 2 mois pour Air France en mission pour A. […] J’aimerais trouver un CDI ou même un
CDD. Ce [l’intérim] n’est pas fait pour des gens qui ont besoin de se stabiliser. […] Mais, c’est
mieux que rien. » (Sandra, 30 ans, agent d’escale, intérimaire depuis 1 an et demi lors de
l’entretien).
« Le TT, c’est très bien pour débuter et acquérir de l’expérience. Mais, on n’a pas toujours du
travail... Là, je n’en peux plus ! ». (Roger, 30 ans, dessinateur industriel, intérimaire depuis
1991, sans mission depuis plusieurs mois lors de l’entretien).
Corinne résume bien le sentiment dominant : « L’intérim, je sais que c’est une situation que je ne
tolère et que je fais bien que parce qu’elle est provisoire. Sinon, je serais sans doute très déprimée. »
(Corinne, secrétaire, intérimaire depuis 1 an et demi lors de l’entretien). Ce que disent ces
intérimaires, et ce qui se lit entre les lignes, ne relève pas seulement de souffrances
individuelles même si chacun vit cette douleur qui est aussi psychique en fonction de son histoire et
de sa personnalité. Il s’agit d’un problème social. Ce qui est en cause, c’est l’écart entre leurs
conditions de vie et leur emploi et ce à quoi ils aspirent en fonction des modèles sociaux. S’ils
souhaitent (re)trouver un emploi stable et sûr (ou moins incertain), c’est fondamentalement en
raison des « règles » ou des « conventions » qui font de cette stabilité professionnelle une norme de
socialisation et cela ne dépend pas de leurs goûts (qui leur font parfois aimer tel aspect de
l’intérim) : « Une règle, en effet, n’est pas seulement une manière d’agir habituelle ; c’est, avant
tout, une manière d’agir obligatoire, c’est-à-dire soustraite, en quelque mesure, à l’arbitraire
individuel2. » ; « L’observation de la convention […] est "exigée" de façon absolument sérieuse des
individus comme quelque chose d’obligatoire ou d’exemplaire, et n’est nullement laissée à leur
discrétion3. »
Face aux pesanteurs sociales qui encadrent leurs sentiments, la plupart des intérimaires souffrent d’
« un inconfort de vie : sentiment de précarité, difficulté de faire des projets à court ou long terme,
difficultés financières, fatigue engendrée par la nécessité de l’excellence au travail, complexité de la
gestion administrative4... » quand bien même leurs propos ne le montrent pas toujours. Il serait en
effet inexact de présenter tous les intérimaires comme vivant dans un malheur de tous les instants.
Mais, le fait dominant est là : être intérimaire, c’est vivre un statut social dont la précarité et la
2
É. Durkheim, 1998, p. IV. Les italiques figurent dans le texte de référence.
M. Weber, 1971, p. 34
4
DARES, 2001, p. 71.
3
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perception génèrent difficultés et souffrances d’une nature différente de celles que connaissent les
stables (y compris les nombreux salariés stabilisés dans leur emploi qui sont insatisfaits de leur
travail et de leur rémunération).
Comment expliquer que les intérimaires n’expriment pas tous des plaintes ou des reproches ? D’une
part, quelques-uns, très minoritaires, trouvent réellement leur compte à cette situation, comme
Kamel interviewé dans Libération : « Précarité ? Je l’entends souvent, mais je ne comprends pas
bien de quoi il s’agit. Précarité, pour moi, c’est les 10% de prime en bas de ma fiche de paie. […] Je
n’ai pas fait d’études mais je gagne deux fois plus que ma sœur, bac + 2, qui travaille à la Poste.
[…] Si mon patron n’est pas content de mon boulot, qu’il me vire. Mais si je ne suis pas content de
mon patron, je peux partir aussi5. » D’autre part, les conditions des rencontres et des entretiens ont
probablement poussé certains des interlocuteurs rencontrés à masquer une part de leur jugement
négatif. L’adhésion simulée au système et aux pratiques des agences d’intérim fait évidemment
partie des stratagèmes plus ou moins élaborés pour avoir du travail. Mais, plus fondamentalement,
beaucoup d’intérimaires ressentent la volonté, la nécessité même, de s’adapter et de « positiver »
leur situation pour réussir à « faire avec ».
« Faire avec » et « par soi-même »
Cette volonté de s’adapter, de s’arranger de l’instabilité, de l’incertitude, de l’attente permanente
traduit à la fois un fatalisme et une résignation devant une situation à laquelle on ne voit pas
comment échapper immédiatement, mais aussi une forme de résistance aux duretés et aux
souffrances pour pouvoir faire face et rebondir.
Faire avec la précarité pour la rendre supportable
Confrontés aux effets de la précarité et à l’obligation de trouver individuellement une issue, les
intérimaires sont bien obligés de « faire avec » pour ne pas vivre dans un mal-être permanent qui
compliquerait non seulement leur vie quotidienne, et celle de leurs proches, mais aussi leur possible
stabilisation professionnelle car on embauche plutôt les salariés « pleins d’allant et d’optimisme »
que des gens déprimés ou révoltés. Ils trouvent alors des façons de s’arranger de leur situation. Cela
prend des formes variées, parfois complémentaires chez la même personne.
La résignation conduit à considérer que « c’est comme ça » et qu’il faut essayer de gérer au mieux
ce qui arrive. La résistance pousse à trouver sa solution pour se faufiler dans le système tel qu’il est
et tenter de s’en sortir au mieux. Tout cela par soi même. En effet, les solutions collectives sont très
largement hors de leur champ de réflexion : les organisations syndicales sont au mieux jugées sans
efficacité réelle, les issues politiques ne sont à peu près jamais sollicitées tant les promesses
électorales en matière d’emploi sont dévalorisées, les acteurs publics (ANPE, ASSEDIC
notamment) sont dépréciés tant leur efficacité paraît douteuse. Cette réalité-là n’est pas propre aux
intérimaires, elle traverse la société et le salariat, mais « les précaires » et, parmi eux les
5
Cf. S. Faure, Libération, 18 août 2003.
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intérimaires, sont d’autant plus concernés qu’ils ne voient aucun projet collectif crédible face à leurs
problèmes.
Individuellement isolés dans un univers fortement socialisé
Paradoxalement, ils se retrouvent isolés avec leurs problèmes alors que leur sort dépend largement
d’un système d’emploi fortement « socialisé » par l’intervention d’acteurs et d’institutions multiples
qui laissent peu de places aux initiatives individuelles. Le travail temporaire est une situation où des
individus sont contraints par des faits sociaux à s’installer dans un parcours du combattant dans
lequel ils sont censés trouver eux-mêmes leur solution, or il s’agit très largement d’une illusion. On
retrouve ici l’une des questions soulevées il y a un siècle par Émile Durkheim : « Comment se fait-il
que tout en devenant plus autonome, l’individu dépende plus étroitement de la société ?6 » à ceci
près qu’il semble plus pertinent de parler d’isolement que d’autonomie pour caractériser la situation
des intérimaires. Ils sont atomisés et souvent instrumentalisés : « Les intérimaires deviennent
substituables entre eux et leurs droits s’exercent principalement sous une forme objectivée (droits à
l’assurance chômage, à la formation, etc.) mais qui leur donne peu de pouvoir sur la relation directe
de travail et d’emploi7. »
Les réactions de la majorité des intérimaires s’inscrivent dans une perception atomisée : chacun se
sent seul avec sa situation et s’efforce de faire face à des mécanismes sociaux qu’il ne maîtrise pas.
La relation salariale particulière de l’intérimaire avec son ETT (son agence, voire sa chargée de
recrutement) l’isole très fortement tant des salariés des EU où il passe en mission que des autres
intérimaires, même de son agence. Il se perçoit donc comme seul face à ses problèmes d’emploi et
de travail. La faible syndicalisation (qui n’est pas l’apanage des intérimaires) n’est qu’un indicateur
d’une individualisation de leur condition qui se traduit aussi par la fragilité de leurs liens, et par un
très faible et très rare sentiment d’appartenir à un collectif ayant des intérêts communs où se
noueraient entraides et solidarité.
L’essor de l’intérim, et la précarisation en général, pousse à cette individualisation apparente de la
condition salariale ; elle n’est qu’apparente puisque c’est bien une gestion de la main-d’œuvre par
les firmes, un fonctionnement du système d’emploi, une logique sociale qui engendrent cette
évolution des relations salariales, et non des rapports interindividuels, mais chacun se sent isolé face
à l’emploi qu’il lui appartient de « conquérir » et de préserver. Cela rejoint le phénomène
idéologique de montée de l’individualisme dans le système de valeurs qui fait que : « Jamais les
individus n’ont été à ce point évalués et sollicités à s’engager dans des projets personnalisés et à se
"projeter positivement dans l’avenir", au moment même où la société ne semble plus trop assurée de
savoir où elle va8. » Cette exhortation à se « projeter positivement dans l’avenir » sonne comme une
injonction paradoxale pour les intérimaires et ne peut qu’être source d’un malaise générant souvent
de la résignation, plus rarement de la révolte. Beaucoup sentent, plus ou moins confusément, que la
situation dans laquelle ils sont résulte de causes qui leur échappent, mais avec lesquelles il leur faut
6
É. Durkheim, 1998, p. XLIII.
I. Billiard, D. Debordeaux, M. Lurol, 2000, p. 116.
8
J.-P. Le Goff, 2003, p. 123.
7
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– individuellement – composer : « Je sais que, de toute façon, il n’y a pas que moi, c’est comme ça
pour tout le monde, on sera de plus en plus dans la précarité sans pour autant être malheureux. Les
gens vont s’habituer à changer de job, à être très mobiles, à faire des bifurcations… » (Corinne,
entretien déjà cité).
Deux raisons, totalement extérieures à la volonté comme à la personnalité de chacun, jouent un rôle
central : le chômage, avec la concurrence qu’il engendre entre les actifs, et les modalités de gestion
de la main-d’œuvre par les entreprises, avec les barrières à l’embauche et l’instabilité de nombreux
emplois qu’elles impliquent. Quelle que soit l’analyse qu’ils font, ou ne font pas, des raisons pour
lesquelles le chômage massif persiste, les intérimaires sentent bien qu’il pèse lourdement sur leur
vie professionnelle et sur leur vie en général. De même, quels que soient les motifs qu’ils trouvent,
ou ne trouvent pas, pour expliquer la façon dont les entreprises recrutent, gèrent et licencient leurs
salariés, ils ont intégré qu’il leur faut tenter de s’y adapter pour sortir de leur statut. On observe des
« formes d’adaptation-résistance des salariés face à l’éclatement des lieux de travail et à la
fragmentation des marchés du travail [qui] ne sont pas collectives. Elles sont bien au contraire très
individualisées et se coulent dans les formes offertes par les employeurs au lieu d’y résister et de les
combattre9. » En se sens, ils sont socialisés et intégrés dans le système même s’ils se sentent mal
dans l’emploi et la vie sociale.
Le chômage et l’organisation du système d’emploi produisent des effets différents pour chacun
selon ses caractéristiques démographiques et socioprofessionnelles puisque l’exposition aux risques,
la capacité de convaincre les recruteurs et la possibilité de se stabiliser dans l’emploi varient
fortement selon ce que l’on est. Mais, le poids de ces caractéristiques est également conditionné par
le jeu de mécanismes sociaux et cela n’est que partiellement et rarement perçu du fait des
pesanteurs idéologiques et de leur force de persuasion. L’idée selon laquelle chacun est responsable
de son « employabilité » a fait du chemin, et notamment parmi les intérimaires que les agences
d’intérim tendent à conditionner dans cette logique congruente à leur raison d’être et leur possibilité
de subsister.
Il y a ici une double réalité : la construction individuelle de son « employabilité » est largement
illusoire car celle-ci dépend plus des critères fixés par les recruteurs et de la façon dont ils jugent un
individu (au moyen de son CV, d’entretiens, de certificats, d’essais prolongés au moyen des CDD
et/ou du TT) que de leur qualification (formation, expériences, « compétences ») vérifiable ; mais la
sélection pour les embauches se fait de plus en plus sur le « savoir-être », le volontarisme
ostentatoire, la soumission aux contraintes, la disponibilité de son temps, et cela implique une
compétition individuelle qui peut permettre de s’en sortir en montrant ses « bonnes » dispositions,
ce que l’intérim permet (surtout lorsqu’il s’agit de pré-recrutement). Autrement dit, la réalité macrosociale que constitue l’ensemble chômage, sous-emploi, emplois précaires, modes de gestion de la
main-d’œuvre et de recrutement ne peut être transformée qu’à l’échelle collective puisque cela
concerne l’organisation socio-économique et qu’aucune embauche individuelle n’y changera rien.
9
J.-P. Durand, 2001, p. 54.
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Mais, chaque personne est d’abord soucieuse de son sort et de son avenir et cherche à triompher des
obstacles qu’elle rencontre. Cela signifie que même si tout le monde ne peut pas y arriver en même
temps, chacun essaie, légitimement, de trouver sa solution pour réussir un itinéraire dans lequel la
précarité n’aura été qu’un passage. Les intérimaires cherchent alors à profiter de leur passage par le
travail temporaire pour améliorer leur situation et leur « employabilité » (parfaire son expérience,
suivre une formation, améliorer son CV, tenter une pré-embauche, se faire apprécier de
responsables de recrutement, voire tester les entreprises avant de se fixer…). Beaucoup en arrivent
souvent à se construire une stratégie comprenant des objectifs comme si le recours à l’intérim
s’inscrivait dans un parcours construit et pensé (cf. annexe 2).
Fatalisme, résignation, attente…
S’ils éloignent d’une réaction de révolte assez rare, le fatalisme face à l’inévitable (subir la précarité
de l’emploi) et l’autopersuasion (qui fait admettre que ce n’est « pas si mal que ça » ou « mieux que
rien ») ne conduisent généralement pas à accepter de s’installer durablement dans ce temporaire.
Face à l’impossibilité de construire des projets précis, certains (jeunes en général) se contentent, au
moins quelques temps, de vivre dans le présent en tentant de « jouir » des temps « libres », les
jeunes célibataires sont les plus nombreux à adopter cette posture. Pour d’autres, le fait de vivre en
permanence dans l’attente conduit souvent à fantasmer sur l’avenir pour rendre le présent incertain
moins pénible.
Se positionner dans l’attente permanente traduit un refus de s’installer dans l’intérim. Comme l’écrit
Daniel Martinez : « Pour tenter d’échapper à sa condition de travailleur précaire, un intérimaire doit
se battre sur tous les fronts : multiplier les investigations, organiser son temps comme un chômeur
pour parcourir toutes les annonces dans la presse. [...] Toutes ces démarches réclament une
importante débauche d’énergie. Des efforts qui finissent par user psychologiquement. Mais il faut
continuer, et surtout ne pas se laisser gagner par le découragement et la lassitude10. »
Cette posture fréquente provient d’une série de pressions aussi bien « intérieures » (le besoin de se
normaliser, d’y arriver, de se réaliser) qu’« extérieures » (famille, amis, voire banquier…) qui
poussent à la fois à faire de l’intérim pour ne pas chômer et à ne pas accepter de s’enfermer dans
cette situation. C’est là une forme de résistance, très individuelle toujours, que les chercheurs de la
DARES ont nommé résilience11 : « il s’agit de la capacité à dépasser les expériences douloureuses,
à en tirer des enseignements sans pour autant se sentir atteint dans son identité12. » Cette résistance
est « psychomotrice » plutôt que revendicative : il s’agit de ne pas plier, et cela explique
probablement pourquoi beaucoup d’intérimaires tentent de s’adapter sans vouloir s’installer.
On observe souvent un double refus : celui de vivre l’intérim sur le seul mode de la souffrance
(refus de la victimisation en quelque sorte), et celui de s’installer longtemps dans cette situation
(refus de l’enfermement dans la précarité). Ce qui est en jeu, c’est la « survie » psychologique.
10
D. Martinez, 2003, p. 118.
« Résilient » signifie : « qui résiste (plus ou moins) au choc… » (P. Robert, 1978, p. 1684).
12
DARES, 2001, p. 42.
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Affirmer des raisons et des objectifs à son choix de l’intérim même quand il est (parfois très
fortement) contraint, même quand on y est « faute de mieux », c’est refuser d’être le jouet des
événements. Trouver des motifs de satisfaction alors qu’on subit de plein fouet les effets de la
précarité, c’est une façon de se réaliser « quand même » bien qu’il soit impossible de le faire dans le
travail « comme les autres » ou « comme avant ». Ce double refus est une façon d’exister et
d’affirmer que l’on existe. Essayer de tirer du positif, des enseignements de ses expériences, cela
relève aussi d’une forme de vitalité : « Au départ quand on débute, on vit au jour le jour, notamment
au plan financier. Et puis, au bout d’un moment, on réfléchit 3 ans à l’avance. […] Le travail
temporaire apprend à se connaître. Ça apprend à connaître ses qualités et ses défauts. Il apprend à
connaître le monde de l’entreprise, ce qui n’est pas facile. Le travail temporaire apprend à être
caméléon, à s’adapter. » (Norbert, 25 ans, ancien électrotechnicien intérimaire était professeur
vacataire en lycée professionnel lors de l’entretien ; son handicap reconnu par la COTOREP lui a
valu d’énormes difficultés pour travailler).
Au-delà du fatalisme, de l’instinct de survie ou de la résilience, l’adaptation à l’intérim et à ses
effets douloureux traduit aussi une domination et une aliénation qui finissent par rendre acceptable
sinon souhaitable ce qu’on aurait fui si on l’avait pu. Bien sûr, tout le monde apprend à vivre avec
diverses causes de souffrance et à s’en arranger. Faire face aux difficultés de l’existence n’est pas
propre aux intérimaires. Mais, ce qui est remarquable dans leur cas, c’est la tendance fréquente à
trouver « normales » les conditions qui leur sont faites, « acceptables » les contraintes qui pèsent sur
leur vie, voire « souhaitables » les atteintes à leur équilibre. Cela traduit une domination
idéologique qui fait peu à peu adopter des normes et des valeurs en modifiant la façon de penser ce
que l’on vit.
Que les intérimaires tentent de reprendre la maîtrise de leur destin n’est pas surprenant, le problème
est de savoir comment cela est possible dans leur situation. On rejoint cette question d’Alain
Touraine : « …comment peut-on être acteur dans un monde où les bouleversements économiques et
technologiques semblent ôter aux individus, aux groupes sociaux et aux nations elles-mêmes tout
contrôle sur les changements qui les affectent ?13 » L’acceptation comme normales des souffrances
qu’implique le fonctionnement actuel du système d’emploi semble plutôt le signe d’une forte
contrainte sociale que d’une réelle autonomie d’acteur, ce que traduit le terme domination : « La
domination repose donc en partie sur la contrainte, mais une contrainte légitimée par des normes
sociales (et/ou des passions individuelles) auxquelles l’individu adhère. Dans la dialectique de la
liberté et de la contrainte, le sujet agit de façon, formellement libre, à reproduire la domination dont
il est l’objet14. » Légitimer son passage par l’intérim pour gagner sa vie ou (ré)intégrer un emploi
stable, c’est librement adhérer à la contrainte (nouvelle) qu’exerce l’organisation actuelle du
système d’emploi, cela peut signifier en admettre l’inéluctabilité (fatalisme, résignation disionsnous), en supporter les effets (adaptation, résilience), mais aussi en justifier l’existence et là,
intervient la domination.
13
14
Préface de M. De Coster, F. Pichault, 1998.
T. Coutrot, 1998, p. 121.
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Jean-Pierre Le Goff parle d’une « barbarie douce » dont l’une des particularités consiste en ce
qu’ « à la contrainte externe succède l’intériorisation de contraintes et de normes paradoxales,
l’identification impossible à un modèle d’un individu devenu méconnaissable15. » Quoi qu’on
puisse en penser par ailleurs, il ne s’agit pas ici d’évaluer le bien-fondé ou la justice d’un tel
fonctionnement social, mais d’en constater l’existence. De nombreux intérimaires, et de nombreux
salariés, ont accepté, intériorisé et légitimé l’absolue nécessité de « faire avec » la précarité et ses
coûts, ils considèrent que c’est un prix à payer pour accéder ou pour revenir à un statut social de
plein droit, quand ce n’est pas simplement pour avoir un emploi et un revenu comme si c’était
« normal ».
Une forme d’aliénation particulière ?
En acceptant ses valeurs, on contribue, aujourd’hui comme hier, au fonctionnement du capitalisme
car comme l’expliquait Fernand Braudel : « Privilège du petit nombre, le capitalisme est impensable
sans la complicité active de la société. Il est forcément une réalité de l’ordre social, même une
réalité de l’ordre politique, même une réalité de civilisation. Car il faut que, d’une certaine manière,
la société tout entière en accepte plus ou moins consciemment les valeurs16. » Cette acceptation peut
s’analyser comme une forme d’aliénation telle que l’expose Bernard Mottez : « Le comble de
l’aliénation n’est-il pas en effet de se trouver satisfait d’une situation qui n’est pas perçue comme
aliénante ?17 ». Ce « comble de l’aliénation » ressort de nombreux propos des intérimaires
interviewés qui trouvaient des avantages aux situations parfois inextricables qu’ils vivaient et qu’ils
ne voulaient pas voir perdurer. C’est précisément le fait que presque tous, et notamment parmi ceux
qui soulignaient les bons côtés de l’intérim, affirmaient vouloir en sortir qui montre leur
aliénation18. Le paradoxe est que cela repose sur les côtés effectivement ressentis comme positifs de
l’intérim : aimer la mobilité, redouter la routine, préférer la liberté de son temps plutôt qu’une
organisation contrainte par un employeur sont des sentiments très intelligibles. Là où une analyse
psychologique conclurait peut-être à l’ambivalence voire à la schizophrénie individuelle, le concept
d’aliénation permet de traduire un phénomène social.
L’intériorisation de contraintes et de normes paradoxales n’est pas seulement le résultat d’une
offensive idéologique néo-libérale même si celle-ci existe effectivement, elle est aussi le fruit de
l’aliénation, ancienne, que produisent le capitalisme et le salariat en général, comme l’avait analysé
Hannah Arendt : « L’expropriation, consistant à priver certains groupes de leur place dans le monde
et à les exposer sans défense aux exigences de la vie, a créé à la fois l’accumulation originelle de la
richesse et la possibilité de transformer cette richesse en capital au moyen du travail […] ce
processus, qui est bien le "processus vital de la société", comme disait Marx, et dont la capacité de
produire des richesses ne peut se comparer qu’à la fertilité des processus naturels par lesquels la
15
J.-P. Le Goff, 2003, p. 130.
F. Braudel, 1985, p. 67.
17
B. Mottez, 1975, p. 85.
18
Il n’y a là aucun jugement de valeur : ces sentiments paradoxaux sont sans doute une condition pour supporter cette
vie-là et s’organiser pour en sortir, cette réaction mérite autant de respect que toute autre façon de faire face.
16
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Journées d’étude « Servitude volontaire », GRACC, mars 2005
Dominique GLAYMANN, CPN
création d’un homme et d’une femme suffirait à produire par multiplication un nombre d’humains
aussi élevé qu’on voudra, ce processus reste lié au principe qui lui a donné naissance : celui de
l’aliénation par rapport au monde19. »
L’aliénation évoquée ici est moins globale, mais elle rejoint la problématique soulevée dans
Condition de l’homme moderne. Elle concerne le changement social qu’éclaire l’essor du travail
intérimaire20. Les contradictions qui sont au cœur des réactions face à l’intérim et à sa précarité sont
nombreuses :
- entre les souffrances de l’instabilité (dans l’intérim) et le goût de la mobilité ou la crainte de
la routine (des emplois stables),
- entre les affres de l’incertitude (dans l’intérim) et l’aversion pour les contraintes répétées
-
dans le travail et l’organisation du temps (dans l’emploi stable),
entre la précarité des garanties sociales (dans l’intérim) et la subordination salariale
permanente (des CDI),
entre le sentiment de liberté et d’autonomie (dans l’intérim) et l’attraction de la sécurité du
revenu et des droits sociaux (dans l’emploi stable),
entre les rêves de « Sublimes21 » (jamais formulés ainsi bien sûr) et la réalité (toujours
ressentie) de l’image dégradée des intérimaires,
entre les attentes liées au travail (réalisation de soi, reconnaissance sociale, liens…) et les
rudesses quotidiennes de l’emploi (précaire mais aussi stable),
Ces contradictions révèlent combien l’intégration sociale s’avère problématique tant qu’on vit dans
la précarité intérimaire tout en mettant à jour les difficultés et l’aliénation réactualisée que produit
pour tous, intérimaires ou non, le fonctionnement actuel de notre société.
19
H. Arendt, 1994, pp. 323-324.
Cf. D. Glaymann, 2003, L’essor du travail temporaire : un symptôme de changement social ?, Thèse de sociologie
sous la direction de J.-P. Durand, Université d’Évry Val d’Essonne et D. Glaymann, 2005, La vie en intérim, Fayard.
21
Cf. B. Gazier, 2003 et D. Poulot, Le Sublime, ou le travailleur comme il est en 1870 et ce qu’il peut être, Maspero,
1980
20
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Dominique GLAYMANN, CPN
Annexe 1
Le triangle du travail temporaire
Gestion de la main-d’œuvre et organisation de
la production internalisées
UNITÉS DE PRODUCTION, ENTREPRISES
UTILISATRICES DE TRAVAIL TEMPORAIRE (EU)
• relations d’emploi
• organisation du travail
• contrats commerciaux
CDI (+ CDD)
Sous-traitants
Contrat de
mise à
disposition
INTÉRIMAIRES
LE TRIANGLE
Gestion de la main
d’œuvre et organisation de
la production externalisées
DU TT
ENTREPRISES DE TRAVAIL TEMPORAIRE (ETT)
Direction de l’ETT :
• accords commerciaux avec les grandes EU
• recherche de travail
• recherche d’emploi (de
revenu, de droits sociaux…)
Contrat de
mission
Gestion de la main-d’œuvre
externalisée et organisation de
la production internalisée
Agences de TT :
• relations commerciales avec les EU
• relations d’emploi avec intérimaires
Les trois catégories d’acteurs du TT – ETT, EU et intérimaires – figurent dans les trois rectangles entourant « le triangle du TT ».
Leurs relations sont figurées par des flèches de couleurs différentes selon leur nature. Les tailles relatives des figures représentant
les CDI, les CDD, les sous-traitants et le travail temporaire ne sont nullement proportionnelles à leur poids respectif.
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Annexe 2
Les raisons du recours au TT classées par ordre croissant d’autonomie
+
11
Goût du changement
10
Avantages de l’intérim
9
Tremplin vers un CDI
8
Manque d’expérience, de connaissances
7
Efficacité pour trouver un emploi
6
Reprise d’activité
5
Changement de situation
4
En attendant…
3
Avoir un emploi et/ou un revenu
2
Choix par défaut, âge élevé…
1
Aucun choix personnel
IV. Niveau de choix le plus autonome
III. Choix utilitaristes
II. Choix contingents
I. Niveau de choix le plus faible
Commentaire de lecture : le vert est de plus en plus foncé au fur et à mesure que le degré de choix s’accroît.
Bibliographie
Arendt H., 1994, Condition de l’homme moderne [1961], Pocket
Billiard I., Debordeaux, D., Lurol, M., 2000, Vivre la précarité (Trajectoires et projets de vie),
Éditions de l’Aube
Braudel F. 1985, La dynamique du capitalisme, Arthaud
Castel R., 1995, La métamorphose de la question sociale, Fayard
DARES, 2001, Enquête sur le devenir des intérimaires (1ère et 2ème cohortes, Résultats de synthèse)
Durand J.-P., 2004, La chaîne invisible (Travailler aujourd’hui : flux tendu et servitude volontaire),
Seuil,
Durkheim É., 1998, De la division du travail social [1893], PUF, Coll. « Quadrige »
Gazier B., 2003, Tous sublimes ! Vers un nouveau plein emploi, Flammarion
Glaymann D., 2003, L’essor du travail temporaire : un symptôme de changement social ?, Thèse de
sociologie sous la direction de J.-P. Durand, Université d’Évry Val d’Essonne,
Glaymann D., 2005, La vie en intérim, Fayard
Le Goff J.-P., 2003, La barbarie douce (La modernisation aveugle des entreprises et de l’école)
[1999], La Découverte
Linhart D., avec B. Rist et E. Durand, 2003, Perte d’emploi, perte de soi, Érès
Martinez D., 2003 Carnets d’un intérimaire, Agone
Mottez B., 1975, La sociologie industrielle [1971], PUF
Weber M., 1971, Économie et société (tome premier), [1921], Plon
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