Une dynamique sociale autour de l`accouchement en

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Une dynamique sociale autour de l`accouchement en
Université de Droit, d’Economie, et des Sciences
Université Paul Cézanne (Aix-Marseille III)
Institut de Formation en Ecologie Humaine et Anthropologie
Master 2 Recherche, mention Anthropologie
Spécialité : Anthropologie Bioculturelle
Une dynamique sociale autour de
l’accouchement en milieu rural indien
Le cas des ‘suins’ du Maharashtra
Mémoire présenté par Jessica L. Hackett
Sous la direction de Pr. Alice Desclaux
Juin 2006
Centre de Recherches Cultures, Santé, Sociétés
Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Dedicace et Remerciements…
Je tiens à dédier ce mémoire à ma grand-mère, qui a donné naissance à ma mère, et qui ensuite a donné
naissance un jour de grande chaleur du mois de juillet à ma sœur et à moi-même. La disparition de ma
grand-mère lors de mon terrain en été 2005 m’a profondément bouleversée. Même si elle n’a jamais quitté sa
Pennsylvanie natale, j’aime croire qu’elle a toujours voyagé avec moi, dans mon cœur.
Je tiens à remercier …
…toutes les suins qui m’ont accueillie si chaleureusement en partageant un petit peu de leur temps
avec moi afin de répondre à mes questions
…Pr. Alice Desclaux, ma directrice, pour mes études et pour ce mémoire
…la commission Fulbright/IIE qui m’a aidée avec une bourse généreuse me permettant de passer
autant de temps en Inde
…l’association de Guy Poitevin à Pune, et tous ses animateurs qui m’ont accompagnée et hebergée
dans leurs villages
…l’Institut Français de Pondichéry qui m’a offert une occasion de faire partie d’une équipe de
chercheurs dynamiques
…enfin, tous ceux et celles qui ont croisé mon chemin et qui ont pu former ou transformer ma
manière d’appréhender le monde.
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SOMMAIRE
Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien :
Le cas des suins du Maharashtra
Remerciements
2
Sommaire
3
Introduction
6
Objectif et développement de la problématique
7
Présentation du plan
8
Première Partie
Chapitre I :
Chapitre II :
10
Brève Introduction à L’Inde et au Maharashtra
12
L’Inde
12
Le Maharashtra
16
Pune district
18
Clarification et justification sémantique : l’utilisation du terme ‘suin’ 20
Deuxième Partie
Chapitre I :
Contextualisation I : Background
Contextualisation II : Réflexion
27
Méthodologie
28
Préparation du terrain
28
-choix du sujet
28
-Arrivée en Inde
30
Terrain et Obstacles envisagés
31
-Attentes de la part de l’association
31
-Obstacles prévus
32
Contraintes du terrain et changement de méthodes d’enquête
33
-Young Anthropologist from French University seeks Translator !
33
-You speak 5 languages…so what ?
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Do you know how to communicate ?
34
-Interprète devient research assistant
35
3
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Outils méthodologiques employés
36
-Le déroulement du terrain ou Du projet de recherche au terrain
36
-Un terrain…des terrains
37
-Entretiens semi-directifs
40
-Les suins rencontrées
41
-Les questions posées
42
-Après les périples méthodologiques, le sujet se modifie
et se transforme
Chapitre II :
Approches Conceptuelles
44
La naissance en anthropologie
44
Troisième Partie
Chapitre I :
Chapitre II :
43
-Naissance & ‘Authoritative Knowledge’
46
-Naissance & soins
47
-Naissance & rite de passage
48
-Naissance & folklore
49
La naissance, une fenêtre sur la société et la culture villageoise en
milieu rural maharashtrien
50
Une ethnographie de la naissance en milieu rural maharashtrien
52
La femme en milieu rural maharashtrien
52
Fécondité et changement de statut
53
La maison : espace féminin
56
La grossesse et l’assistance en couches-domaine féminin
59
Fin de grossesse, récompense : Dohal Jewan
62
Les douleurs arrivent, appelons la suin
63
La position de l’accouchée
65
Le traitement du cordon et de la délivrance
66
Les premiers soins et les suites de couches
67
Après l’accouchement
69
La suin, qui est-elle ?
72
Suin, seulement assistante en couches ?
75
Rituels autour de la naissance…Pacvi & Baravi
77
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Quatrième Partie
Une observation d’une ONG travaillant en milieu rural maharashtrien
86
Chapitre I :
Chapitre II :
L’Association de Poitevin
87
La structure existante
87
Les financements
90
Les Objectifs et Projets Principaux
91
Programme de santé et des suins
93
Une célébration des suins
99
Conclusion
104
Bibliographie
106
Glossaire (marathi – français/anglais)
111
Annexes
I:
Données démographiques
114
II :
Interprètes
115
III :
Suins rencontrées
117
IV :
Guide d’entretien
121
V:
Quelques extraits d’entretiens avec des suins
124
VI :
Quelques images
129
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien :
le cas des suins du Maharasthra
Introduction
un ‘chula’, cuisinière à bois typique en milieu rural.
Le fourneau, la cuisinière, le foyer… symbole de la culture, cœur de la maisonnée, et ainsi symbole de
la famille. Dans l’Inde villageoise, c’est à côté du ‘chula’ que nous trouvons les femmes, cuisinant du
matin au soir pour toute la famille et pour les visiteurs. Ce sont elles qui, en plus de leur travail aux
champs et de la surveillance des enfants, sont chargées d’allumer le feu au petit matin et de le nourrir
le long de la journée. La cuisine est centrale dans une maison de village. Si nous prenons ce
symbole, le fourneau, comme une sorte de métaphore à partir de laquelle nous pouvons commencer
à regarder la culture villageoise, nous allons pouvoir facilement et tout naturellement nous diriger
sémantiquement vers la maisonnée par le biais du terme foyer. Celui-ci est doublement convenable
comme synonyme de ce fourneau et également comme terme désignant le cœur de la famille. Dans
ce sens, le foyer se construit et se définit à partir du mariage et surtout de la naissance des enfants.
Ce sont deux événements qui marquent la vie d’une femme en milieu rural maharashtrien lui
accordant une place et un statut particulier. Dans les pages qui suivent, je propose de regarder cette
culture à partir de la naissance et de l’accouchement en Inde rurale, étape obligatoire dans la
constitution et la continuation de la famille.
L’analyse de cet événement offrira une meilleure
compréhension de la condition féminine au village et de leur environnement socio-culturel, de leurs
rapports sociaux et religieux et surtout de leur santé.
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Objectif et développement de la problématique…
La naissance d’un enfant en milieu rural indien cimente la cohésion d’une famille et assure la
pérénnité du lignage. L’étude qui suit prend pour point de départ une question simple : Comment la
naissance et l’accouchement se déroulent-ils dans le monde rural au Maharashtra, en Inde ? Cette
question à visée ethnographique ouvre sur d’autres interrogations. Où l’événement se déroule-t-il ?
Qui sont les acteurs présents ? Quelles sont les représentations de cet événement et aussi des acteurs
principaux ? Est-ce que les pratiques dites ‘traditionnelles’ sont en train de dépérir au profit d’une
biomédecine croissante dans ces régions ? A partir de cette première question, le champ d’étude
semble infini.
J’ai donc choisi d’articuler la présente recherche autour des ‘suins’, praticiennes
‘traditionnelles’ des soins liés à l’accouchement en milieu rural maharashtrien. Des questionnements
persistent.
Qui sont-elles ?
Comment pratiquent-elles ?
Que font-elles ?
C’est à partir des
questionnements qui émergent autour de cette figure que je constate une dynamique à plusieurs
niveaux. Tout d’abord à un niveau très local, c’est à travers l’ethnographie de l’accouchement que les
mécanismes et les forces se dévoilent entre les femmes, la parturiente et la praticienne.
Après plusieurs mois de recherche et d’entretiens dans ces campagnes du Maharashtra, je
commençais à ressentir un lien avec ces vieilles femmes. Lors d’une sortie au village, un animateur
associatif qui m’accompagnait a écouté les interrogations que je livrais à haute voix à mon traducteur
à propos des suins lors d’une longue marche à travers une colline. A un moment donné, il nous a
arrêté et m’a expliqué : « Jessica, tu sais, quand ma fille était en âge de porter le sari 1, un jour elle est
arrivée à la maison en savari sari. C’était un scandale !! Pourquoi ne portait-elle pas le sari à neuf
mètres que porte sa mère, que portait sa grand-mère, que portent toutes les femmes au village ?!!... et
tu sais quoi…elle a continué à porter son sari de 5 mètres…et petit à petit, le scandale qu’il y avait eu
au début s’est estompé. Aujourd’hui, plus personne ne remarque le fait qu’elle n’a jamais porté le
navari sari. Cette pratique traditionnelle se perd et on n’y peut rien. Alors, c’est bien que tu viennes
t’intéresser aux suins mais elles vont disparaître aussi…c’est comme ça. On n’y peut rien. » Cette
histoire de Khandbhor m’a intriguée.
Comment cet animateur villageois faisant partie d’une
association active dans la lutte pour l’autonomie villageoise depuis tant d’années pouvait me dire avec
tant de non-chalence que ces suins allaient disparaître ? Non seulement Khandbhor m’a fait me
questionner quant à la validité de mon étude mais ses remarques m’ont également permise de
m’interroger sur les personnes qui pouvaient être intéressées par ces femmes et leurs pratiques « en
voie de disparition ».
C’est alors en observant les activités d’une ONG travaillant en milieu rural
1 Le sari est le vêtement traditionnel féminin en Inde. Il est porté de différentes manières. Au Maharashtra, il
existe un sari à neuf mètres, appelé le navari sari. Ce sari est drapé et ensuite passé entre les jambes et ne se porte
pas par-dessus un jupon. C’est ce sari qui est porté traditionnellement dans cet état. Aujourd’hui dans les
villages ruraux le navari est toujours porté, mais de moins en moins de jeunes femmes portent celui-ci,
préférant le savari sari (sari à 5 mètres) qui se porte par-dessus un jupon et qui ne se passe pas entre les jambes.
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qu’une autre dynamique se manifeste lorsque l’on se pose la question : Qui s’intéresse aux suins et
pourquoi ?
La dynamique sociale, à ces différents niveaux, entourant l’événement de la naissance en milieu rural
et ses actrices, est alors au centre de la problématique de cette recherche.
Présentation du plan
Ce mémoire se divise en 4 parties, chacune divisée en deux chapitres. Les deux premières parties
contextualisent l’étude qui a été menée.
En premier lieu, une brève introduction à l’Inde et au
Maharashtra permettra aux lecteurs de situer le lieu de l’étude dans une région qui n’est que peu
étudiée par des anthropologues francophones. Ensuite, je propose de faire un détour sémantique.
Le long de ce mémoire, je choisis délibérément d’employer le terme local de ‘suin’ pour désigner
l’assistante en couches en milieu rural, l’objet de cette étude. Ce chapitre expliquera mon choix tout
en exposant les différentes actrices qui assistent à l’accouchement en Inde rurale et leurs divserses
appellations.
La deuxième partie du mémoire, une suite de cette contextualisation, est d’un ordre épistémologique
présentant plus précisément l’étude en question. Tout d’abord, je dévoilerai la méthodologie que j’ai
employée pour effectuer cette étude. Je présenterai alors le choix du sujet de départ ainsi que le
chemin parcouru pour arriver au sujet qui sera abordé dans ce mémoire. J’expliquerai également les
diverses contraintes rencontrées lors de cette étude. Cette partie méthodologique sera suivie d’une
présentation des approches conceptuelles en anthropologie qui ont étayées cette étude permettant de
regarder la naissance et les acteurs associés.
La troisième et la plus grande partie de ce travail présente une ethnographie de la naissance en milieu
rural maharashtrien. L’observation de cet événement nous permet non seulement d’analyser les
pratiques de la suin lors de l’accouchement, mais aussi le rôle de la femme et sa vie en milieu rural.
Suite à cette ethnographie, je propose un chapitre qui s’articulera autour de la suin, où je pose la
question « la suin, qui est-elle ? ». Ce chapitre abordera donc la manière dont une femme devient une
suin et le rôle de celle-ci. Cette discussion nous permettra de comprendre que son rôle va au-delà de
l’assistance en couches.
La dernière partie de ce mémoire concerne une association non gouvernementale basée à Pune qui
travaille depuis une trentaine d’années en milieu rural. Cette organisation m’a accueillie sur place et
m’a mise en lien avec les suins dans les régions visitées. J’ai choisi d’introduire ce chapitre dans le
mémoire car il est important de saisir les conditions dans lesquelles ce terrain a été effectué. Ce
chapitre n’est en aucun cas exhaustif pour des raisons qui seront abordées dans le chapitre lui-même
mais l’exemple de cette ONG me semble très intéressant, non pas pour représenter l’ensemble des
ONG en Inde, mais pour donner un aperçu du genre de travail qui s’effectue dans une région rurale
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indienne. Cette association a de nombreux projets, mais ce qui retiendra notre attention est leur
programme de santé et celui des suins. Ceci nous permettra d’aborder des notions de légitimité et de
revalorisation de pratiques « traditionnelles », de tradition vs modernité, et de questionner la notion de
développement.
En fin de mémoire, se trouve un glossaire marathi-français/anglais suivi de plusieurs annexes visant à
faciliter la lecture.
J’espère au fil de ces chapitres offrir aux lecteurs une partie de ma rencontre avec l’accouchement en
Inde rurale et aussi les mener vers une compréhension de ce que voudrait traduire le titre de ce
mémoire : une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural maharashtrien.
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PREMIERE PARTIE
Les pages de cette première partie serviront de ‘toile de fond’. Je propose d’offrir deux chapitres
pour contextualiser l’étude qui a été menée. Dans le premier chapitre, je souhaite tout d’abord
dresser un portrait de l’Inde et du Maharashtra. Je reprendrai ici des éléments culturels et historiques
clés qui aident à mieux comprendre le contexte auquel le jeune chercheur en Inde est confronté. Je
reprendrai des notions de castes si présentes en Inde ainsi que des grands mouvements culturels qui
ont formés ce pays. J’insiste sur le fait qu’il ne s’agit ici que d’une ‘toile de fond’. De nombreux
chercheurs passent leur vie à examiner l’histoire de l’Inde et ce système de castes qui à eux seuls
mériteraient un mémoire à part entière. Pour continuer dans la contextualisation, je souhaite ensuite
faire part d’une réflexion autour du terme ‘suin’ qui sera utilisé le long de ce mémoire pour désigner
les femmes qui assistent aux accouchements en milieu rural maharashtrien. Un détour pour examiner
la sémantique autour de cette femme est alors à mon sens intéressant et nécessaire.
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L’Inde
La Carte de l’Inde
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Chapitre I : Brève Introduction à l’Inde et au Maharashtra
L’Inde…Le Maharashtra…Pune district
Le positionnement géographique de l'Inde dans le Monde
Avant de rentrer dans le vif du sujet de ce mémoire, je souhaiterais tout d’abord présenter très
brièvement le pays, l’état, et la région où s’est déroulée cette étude. Certains diront qu’en Inde on
peut trouver tout et son contraire.
Malgré la complexité et les contradictions que l’on peut
rencontrer dans ce vaste pays, il est important d’avoir quelques informations sur sa géographie,
l’histoire, et la culture pour mieux apprécier les études que l’on peut y faire.
L’Inde est constitué
d’une quantité de diverses régions et de diverses cultures. C’est pour cette raison que je suivrai cette
brève introduction d’une présentation de l’état du Maharashtra, où s’est déroulée la présente étude.
L’Inde
« India offers astounding variety in virtually every aspect of social life. Diversities of ethnic,
linguistic, regional, economic, religious, class, and caste groups crosscut Indian society,
which is also permeated with immense urban-rural differences and gender distinctions.
Differences between north India and south India are particularly significant, especially in
systems of kinship and marriage. Indian society is multifaceted to an extent perhaps
unknown in any other of the world’s great civilizations—it is more like an area as varied as
Europe than any other single nation-state. Adding further variety to contemporary Indian
culture are rapidly occurring changes affecting various regions and socioeconomic groups in
disparate ways. Yet, amid the complexities of Indian life, widely accepted cultural themes
enhance social harmony and order. » (Jacobson, 2004)
L’Inde est une république fédérale constituée de 28 états et de sept territoires fédéraux gouvernée par
un président et un premier ministre, tous deux élus par le Parlement pour une durée de cinq ans. Son
parlement est divisé en deux parties : une Chambre du peuple et un Conseil des Etats, élus pour cinq
ans et six ans respectivement. L’Inde est un grand pays comptant un peu plus d’un milliard
d’habitants, soit le deuxième pays le plus peuplé du monde, sur une superficie d’environ 3 287 000
km².
Si le début de cette république date de 1947, date de son Indépendance, son histoire remonte
beaucoup plus loin. En effet, la civilisation de l’Indus (Mohenjo-Daro) vit son apogée vers 2500Mémoire de Masters 2
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1800 avant J-C. Dans ce deuxième millénaire avant JC, les Aryens arrivent en Asie centrale et
colonisent ce qui est aujourd’hui l’Inde du Nord, amenant leur langue, le sanskrit, leur religion
védique, soit la base de l’Hindouisme, et leur conception de la hiérarchie sociale, soit le système des
castes.
L’Inde a connu plusieurs invasions après l’arrivée des Aryens, parmi elles notamment, les Grecques
avec l’arrivée d’Alexandre le Grand vers 327-325 avant JC, puis par les musulmans de 1206-1414.
C’est à partir du 15ème siècle que la colonisation européenne atteint l’Inde d’abord avec les Portugais
(1497), les Anglais (1660), puis les Français (1664). Après un siècle de lutte pour la domination de ce
pays d’épices, ce sont des Anglais qui dominent d’abord avec la Compagnie Anglaise des Indes
Orientales, puis en 1858, cette compagnie est supprimée et le pays est rattachée à la Couronne
Britannique. Pendant cette période coloniale, les Anglais développent ce pays, en apportant leur
langue, leurs systèmes éducatifs et juridiques. Ils ont largement développé les réseaux ferroviaires.
Les rapports que faisaient des agents administratifs britanniques sous forme de Gazeteer ont apporté
une précieuse documentation quant aux mœurs et coutumes présentes en Inde. Ces gazeteers sont
toujours consultés par de nombreux chercheurs encore aujourd’hui.
Au début du vingtième siècle, une lutte nationale pour l’Indépendance a été lancée par l’Indian
National Congress, menée par des Indiens dont Tilak, Gandhi, S.V. Patel, J. Nehru. Des millions de
manifestants s’engageront dans les campagnes de ‘civil disobedience’, s’engageant à obéir à une nonviolence totale. Ce mouvement de résistance non-violente contre le colonialisme Britannique a
amené l’Inde vers son indépendance en août 1947. Depuis ce moment-là, l’Inde est divisée en deux,
l’Inde et le Pakistan. Source de nombreuses disputes entre hindous et musulmans, ce conflit a
influencé de nombreuses guerres dont une, qui en 1971 a résulté en la séparation du Pakistan de l’Est
devenant une nation à part entière, celle du Bangladesh.
L’économie de l’Inde est vaste et diverse, incluant l’agriculture traditionnelle et moderne, l’artisanat,
l’industrie moderne de tous genres, et un important secteur de service. C’est à ce secteur que l’Inde
doit la partie principale de sa croissance économique. Environ 3/5 de sa force de travail réside dans
le secteur de l’agriculture. Depuis à peu près une dizaine d’années, l’Inde connaît une ouverture
économique due à la libéralisation de l’investissement dans des secteurs de l’aviation civile, de
télécoms, et de la construction.
Cependant, malgré ce boom économique qu’elle connaît
actuellement, l’Inde est tourmentée par un problème social, économique, et écologique majeur ; celui
de la surpopulation.
Que connaît-on de l’Inde ?
L’image d’un pays extrêmement pauvre est peu à peu en train de changer grâce notamment à diverses
études qui ont pu y être menées, mais aussi par un intérêt médiatique et touristique pour ce pays en
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pleine croissance depuis son ouverture économique dans les années 90.
Mais quelle image retient-
on de l’Inde ?
Depuis longtemps ce « pays d’épices » a attiré voyageur et chercheur occidentaux. Aujourd’hui,
l’Inde représente toujours une terre d’accueil ; pour visiteurs et pour réfugiés. Pour ces personnes
venant de l’extérieur, l’Inde est connue non seulement pour sa surpopulation mais aussi pour certains
éléments culturels qui intriguent chercheurs et touristes. Des trouvailles des sites archéologiques et
de ce que l’on peut lire dans des écrits, livres sacrés, permettent de nous éclairer sur certains éléments
de cette culture ancienne. Sont élaborés, le système médical ayurvédique, des lois sociales dites de
Manu, et la base de l’élément culturel le plus frappant et certainement le plus compliqué ; son système
social hiérarchisé traduit par ce que l’on appelle son système de ‘castes’. Certains l’appellent une
« casse-tête », et j’ai tendance à les comprendre. Ceci dit, ce système mérite un détour afin de donner
un aperçu à ce pays.
Bien que l’Inde semble être fière d’être la plus grande démocratie du monde, les notions d’égalité
complète sont peu évidentes dans la vie au quotidien. Ceci est particulièrement marqué dans la vie
villageoise, rurale. « L’inégalité » la plus apparente réside dans le système de castes. Le mot ‘caste’
semble venir du portugais ‘casta’ signifiant « l’espèce » ou « la race ». Des termes indiens que l’on
retrouve assimilant cette notion sont ceux de varna, jati, jat, et d’autres. Le terme varna, qui signifie
couleur, réfère aux quatre grandes catégories, Brahman, Kshatriya, Vaishya, et Shudra. Selon le Rig
Veda, les textes sacrés d’il y a plus de 3 000 ans, les quatre varnas représentent les différentes parties
du corps de l’homme crée par Brahma. A l’image du corps et ses différents organes et membres,
chaque groupe avait un rôle particulier afin d’assurer le bon fonctionnement de la vie sociale ; le
corps social. Les Brahmanes étaient désignés prêtres, sortant de la bouche, fournissant les besoins
spirituels et intellectuels de la communauté. Les Kshatriyas, guerriers et rois, dérivés des bras, avaient
pour rôle de régner et de protéger les autres. Les Vaishya, propriétaires terrestres et marchand,
sortant des cuisses, avaient le devoir de s’occuper du commerce et de l’agriculture. Les Shudras,
artisans et serviteurs, venant des pieds, devaient fournir le travail manuel. Une cinquième catégorie a
été conceptualisée par la suite ; celle des Intouchables, que l’on appelle aujourd’hui Dalit ou Scheduled
Castes. Ceux-ci s’occupent des tâches « polluantes » en relation avec le corps des animaux et humains,
et la décomposition de celui-ci. Inhérente à cette notion est donc celle de pureté/pollution. Les plus
hautes castes sont associées à une pureté, alors que les basses castes à une pollution.
Traditionnellement, on associe certaines occupations aux groupes de castes. Le varna est composé de
groupes endogames hiérarchisés d’où l’appartenance est déterminée par la naissance. Ces groupes de
parenté sont fondamentaux dans la structure sociale en Inde fournissant une appartenance et un
soutien à ses membres. Les autres termes, jat ou jati, réfèrent aux castes et des subdivisions de cellesci. Les groupes de castes sont particulièrement associés à l’Hindouisme bien que des groupes
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ressemblants peuvent se trouver chez des Musulmans, Chrétiens, et d’autres groupes religieux en
Inde.
Il est difficile aujourd’hui pour le chercheur ou pour le visiteur de passage de discerner les différentes
castes à première vue, surtout en milieu urbain. Ici, d’autres facteurs socio-économiques rentrent en
jeu aujourd’hui permettant certains de grimper l’échelon social. Des mariages inter-castes et d’autres
unions deviennent de plus en plus apparentes. En milieu rural, même si la relation entre caste et
occupation est en déclin, le système de caste reste plus apparente qu’en ville de par la disposition
géographique du village et le maintien de la tradition des mariages arrangés.
Aujourd’hui, même si les hiérarchies traditionnelles semblent s’affaiblir, les identités de castes sont
réinforcées dans certaines situations surtout parmi les plus désavantagés par la mise en place de
système de quotas dans les domaines de l’éducation et du travail, surtout dans le cadre des
fonctionnaires de l’état.
En opposition avec la rigidité du système hiérarchique hindoue, de
nombreux dalits se sont convertis au Bouddhisme suivant l’exemple de B. R. Ambedkar.
Le Maharashtra
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Carte du Maharashtra avec les divisions de districts. Le district de Pune est entouré en noir. (Carte
tirée du Maharashtra Road Atlas, Indian Map Service, 2004)
La référence à Dr. Ambedkar me permet de faire un lien avec l’état où s’est déroulé mon terrain
d’étude, le Maharashtra. Bien que je ne traiterai pas ici ce mouvement politique important qu’est la
conversion au Bouddhisme qu’a incité cet homme, il reste néanmoins à noter que ce mouvement a
été suivi largement dans cet état. Certaines des suins que j’ai rencontrées issues de basses castes sont
ce que l’on appelle aujourd’hui des « néo-bouddhistes », suite à ce mouvement.
Le Maharashtra, un des plus grands états de l’Inde avec une population d’environ 96 752 247
personnes (recensement 2001), est bordé au nord par le Gujarat et le Madhya Pradesh, au sud-est par
l’Andhra Pradesh et le Karnataka et à l’extrémité au sud-ouest Goa. Ainsi cet état, marathiphone, est
entouré d’états et de territoires de différentes langues et cultures. Ce qui est intéressant à noter, c’est
que le Maharashtra se situe à la frontière des langues d’origine indo-aryennes au nord et au sud des
langues du groupe dravidien. Cette place particulière se fait ressentir non seulement au niveau de la
structure de sa langue, mais surtout culturellement.
Ce sont des divisions géographiques qui marquent les frontières du Maharashtra plus que des
divisions politiques et administratives. Le Maharashtra se trouve au sud de la rivière Narmada et de
la chaîne des Satpuda. A l’est, cet état donne sur une plaine appelée le plateau du Chattisgadh et une
zone forestière, le Bastar, (peuplés de divers groupes ethniques, notamment les Gond). Cette région
est ouverte au nord.
Le Maharashtra est un très grand état (devenu ainsi en 1960) et « son étendue donne à chacune de ses
régions une importance propre. » (Kshirsagar et Pacquement, 1999 : 15) On oppose la bande côtière
du Kokan au plateau du Deccan que l’on appelle le Desh. Ces deux régions sont séparées par la
chaîne des « Western Ghâts » qui est parallèle à la côte puis par le Mawal, une bande d’une trentaine
de kilomètres de large constituant le versant est des Sahyadri. Pour l’étude présentée ici, il a été prévu
d’enquêter dans cette région entre les montagnes et la plaine. Il se trouve que j’ai pu effectuer des
enquêtes dans cette région mais également dans un taluka2 voisin et dans un taluka du Desh.
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Taluka : Il s’agit d’une sous-division administrative des districts qui correspond au ‘cantons’ en France
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Même si les divisions majeures du Maharashtra sont la côte et le plateau, le plateau peut être divisé en
sous-régions : le Desh (à l’ouest), le Khandesh (au nord est du Desh), le Marathwada (à l’est du Desh)
le Berar (à l’est du Khandesh et au nord-est du Marathwada) et le Vidarbha (à l’est du Berar).
La langue parlée dans tout l’état est le Marathi, bien que dans le Kokan (la région côtière), on parle le
kokani, un dialecte du marathi (que l’on retrouve également à Goa). Le hindi et l’anglais sont
également parlés dans les grandes villes.
La caste la plus importante dans cet état est celle des « Maratha ». Il s’agit de la caste des chefs
militaires qui ont été artisans au temps de l’expansion marathe du XVIIIème siècle. A l’origine de
caste shudra, soit au bas de la hiérarchie traditionnelle des castes, ils ont acquis la terre, et c’est
naturellement qu’autour d’eux la société villageoise traditionnelle s’est structurée. Chefs de villages,
ils étaient les meneurs, ce qui leur conférait un rôle important en temps de guerre. Ceux qui ont pu à
l’époque des dynasties musulmanes se constituer des fiefs et ensuite accéder à des positions de
commandement dans les armées de Shivaji et des Peshwa ont constitué dans la société du pays
marathe une sorte d’aristocratie à la fois militaire et terrestre appelée les « 96 familles », cependant
que la caste dans son ensemble s’octroyait le rang de Kshatriya. (Kshirsagar et Pacquement, 1999)
L’antagonisme entre les Maratha et les Brahmanes, une autre caste dominante du Maharashtra, est un
élément-clé de l’histoire politique et sociale du pays marathe. Ce que l’on peut décrire comme une
lutte d’influence a tourné à l’avantage des seconds à partir de l’époque des Peshwa au XVIIIème
siècle et, de manière encore plus nette, sous les Britanniques. Ce sont les Brahmanes qui ont imposé
leur mode de vie et de pensée dans le Maharashtra contemporain, tout particulièrement dans les villes
et les milieux éduqués. Cette primauté socioculturelle brahmane explique sans doute le succès avec
lequel le néologisme « maharashtrien » supplante, pour désigner les habitants du Maharashtra, le mot
« marathe » qui réfère trop explicitement à la caste des Maratha et à la société rurale qu’ils incarnent
toujours.
Pune district aujourd’hui…:
Pune district et ses 14 talukas. Pune se situe au milieu représenté ici par un point noir. Les
visités pour ce terrain se trouvent dans les talukas de Mulshi, Maval, et Shirur.
lieux
Au cœur de Pune district se situe la deuxième plus grande ville du Maharashtra, Pune, connue sous le
nom de Punavadi ou Poona au temps de la colonialisation britannique.
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Souvent appelée « the
Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Queen of the Deccan » (La reine du Deccan), Pune est la capitale culturelle des Maharashtriens qui
ont pour langue natale le marathi. Sa population en 2005 était estimée à environ 4 485 000 habitants
selon les calculs du recensement de 2001. Ce chiffre prend en compte la banlieue proche de PimpriChinchwad qui est la jumelle industrielle de Pune. Ici, on parle marathi bien que l’anglais et le hindi
soient couramment utilisés. Actuellement, Pune connaît une croissance de l’investissement dans les
secteurs de l’automobile et du IT (Information Technology), ce qui provoque un flux de travailleurs
venant du pays entier. Pune, parfois appelé « the Oxford of the East », est également connu pour ses
écoles supérieures et universités, parmi elles notamment, Deccan College et le Bhandarkar Institute
of Indology, attirant des étudiants de toute l’Inde mais aussi du monde entier.
La présente étude s’est déroulée entièrement dans le district de Pune, c’est à dire dans la région rurale
entourant la ville du même nom. Pour certains des villages visités, on a pu tout simplement
emprunter un ST bus (bus de transport public de l’état) pour s’y rendre. Pour d’autres, ce voyage en
ST a été accouplé de quelques heures de marche.
Ce district est divisé en quatorze talukas. Il s’agit de divisions politiques qui peuvent correspondre
aux communes que nous connaissons ici en France. Ce district couvre une surface d’environ
700 km². Les régions que j’ai visitées lors de ce terrain se trouvent dans trois talukas du district de
Pune. Il s’agit de Mawal, Mulshi, et Shirur talukas. Malgré le fait que ces trois talukas se trouvent
dans un même district, leur alimentation, leur agriculture et leurs coutumes sont variées à cause d’une
géographie différente. Mawal et Mulshi sont talukas voisins dans la région montagneuse à l’ouest de
la ville de Pune. Shirur taluka se trouve à l’est de Pune dans les plaines.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Chapitre II : Clarification et justification sémantique :
l’utilisation du terme ‘suin’
Dans la littérature concernant la naissance dans les pays du Sud, on retrouve une pléthore de mots
désignant la personne qui assiste une femme pour son accouchement. Le milieu rural en Inde ne fait
pas exception.
Il est ainsi important d’examiner ces différentes appellations afin d’offrir une
clarification sémantique. Dans cette étude, je choisis d’employer le terme utilisé localement, ‘suin’,
pour désigner cette femme. Il s’agit d’un choix personnel qui nécessite une explication voire
justification. Parce que ce papier concerne principalement un public francophone, je souhaite tout
d’abord justifier mon refus des termes tels ‘matrone’ ou ‘sage-femme’ simplement pour la raison que
ces termes renvoient à un système médical spécifique. Aujourd’hui, même si on emploie ces termes,
il n’existe pas d’assistante en couches correspondant à la femme qui assiste en milieu rural
maharashtrien. Aujourd’hui en France, même si une femme accouche à domicile, elle a recours à une
assistante spécialisée, soit une sage-femme, soit une doctoresse ; toutes deux issues de formation
universitaire biomédicale longue.
De ces trois termes (matrone, accoucheuse, sage-femme), ‘accoucheuse’ ou bien ‘matrone’
conviendrait en cas de besoin de traduction car ils réfèrent à une femme qui est appelée à venir en
aide, dépourvue de formation biomédicale. Même si ces comparaisons, voire parallèles, peuvent être
dessinées, ces termes sont également plein de sens, référant au développement d’un système de santé
spécifique ; dans ce cas celui de la France.
L’utilisation des termes ‘matrone’ ou ‘accoucheuse’,
probablement le plus proche si nous prenons en compte le rôle historique de ces personnages,
nécessiteraient pour décrire les assistantes en milieu rural maharashtrien un rajout complémentaire de
‘maharashtrienne’ voire ‘indienne’, mais un mot composé, tel ‘accoucheuse indienne’ ne convient pas
ici dans le sens où la pratique de cette femme varie de région en région et l’étude présentée ici ne
prétend pas à une exhaustivité pour généraliser sur une pratique indienne. De plus, nous allons voir
que la pratique de cette assistante en couches va au delà de la simple assistance en couches. Ainsi le
terme ‘accoucheuse’ ne prendrait pas en compte cette dimension supplémentaire. Je préfère donc ne
pas utiliser ces termes car ils sont aujourd’hui sans correspondance dans le langage courant.
Les termes venant de l’anglais ou même du hindi, tels ‘TBA’, ‘midwife’ ou ‘dai’ méritent aussi examen
car il s’agit de termes utilisés au quotidien en Inde. Malgré le fait que chacun de ces termes désignent
une assistante en couches, chacun est rempli de sens propre avec une utilisation connotée.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
En anglais, en Inde et ailleurs, on emploie souvent le terme de Traditional Birth Attendant (TBA). TBA
se réfère selon le WHO (World Health Organisation) 3 à :
« Strictly, (the term TBA refers) only to traditional, independent (of the health system), nonformally trained and community-based providers of care during pregnancy, childbirth and
the postnatal period.» 4 (WHO, 2004)5
Derrière cette courte définition apparaît un discours associé au développement impliquant non
seulement une dichotomie tradition vs. modernité, mais aussi une opposition entre cette praticienne6 et
une autre qui selon WHO et d’autres institutions serait plus apte à conduire des accouchements: la
skilled birth attendant.
“a skilled attendant is an accredited health professional — such as a midwife, doctor or nurse
— who has been educated and trained to proficiency in the skills needed to manage normal
(uncomplicated) pregnancies, childbirth and the immediate postnatal period, and in the
identification, management and referral of complications in women and newborns.” (WHO :
2004)7
Il n’est pas difficile de voir la différence de vocabulaire dans les deux définitions. Alors que selon les
anthropologues, les soins font partie intégrale d’un système de santé, dans le vocabulaire des
développeurs, le mot “care ”8 employé dans la définition de la TBA renvoie à la place inférieure
accordée à cette dernière par rapport aux “skills” (en français : compétences ou techniques) que possède la
“skilled attendant”. La TBA est regardée par cet organisme et par ceux qui suivent cette posture
comme une extension d’un système de soins ; une personne qui peut apporter du ‘care’, mais qui n’a
pas les compétences à assister en couches et qui devrait donc servir d’intermédiaire entre le peuple et
le système de soins ; une personne ne pouvant jamais acquérir les ‘skills’ que possède l’autre ; une
personne qui n’est donc pas envisagée comme une professionnelle.
« Experts believe that the best role for the TBA in the skilled attendant strategy is to serve as
an advocate for skilled care, encouraging women to seek care from skilled attendants. TBAs
3
En français, on dit “Organisation Mondiale de la Santé” (OMS); Dans ce mémoire, je citerai des extraits de
documents venant des textes anglais, donc j’employerai le terme WHO.
4 Traduction personnelle : « Strictement, (le terme TBA se réfère) seulement à ceux ou celles qui de manière
indépendante, traditionnelle, sans formation formelle, basée dans une communauté, donnent (apportent) de
l’aide et des soins pendant la grossesse, l’accouchement, et la période suivant l’accouchement »
5 WHO, 2004. Making Pregnancy Safer: the critical role of the skilled attendant: A joint statement by WHO, ICM and
FIGO. (Geneva: WHO). [http://www.who.int/reproductive-health/publications/2004/skilled_attendant.pdf]
consulté le 27 juillet 2005.
6 Ici, j’emploie le terme au féminin, mais en anglais le genre n’est pas apparent.
7 Traduction personnelle : « une assistante compétente est une professionnelle de la santé reconnue, diplômée –
telle une sage-femme, médecin, ou infirmière – qui a été éduquée et formée (to proficiency) dans les techniques
requises pour gérer des grossesses normales (celles sans complications), l’accouchement, et la période
immédiatement post-natale, et dans l’identification, gestion, et renvoie (à des systèmes de soins) de femmes et
nouveaux-nés. »
8 L’utilisation du mot care nous renvoie au concepts de ‘care vs cure’. Ces concepts ont été bien exploités par
F. Saillant et d’autres en anthropologie de la santé ; le domaine du ‘care’ est renvoie souvent à l’univers
domestique alors que ‘cure’ renvoie souvent au domaine professionnel.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
will be able to perform this role effectively only when there are good working relations
between TBAs, skilled attendants, and staff in referral facilities. The TBA must be
welcomed by the health care system and seen as an extension of it. » (WHO : 2004)9
Les stratégies de valorisation des pratiques des accoucheuses qui ont amené ces débats autour des
‘TBA’ et ‘skilled attendants’ auxquels je fais référence en citant l’OMS ont également concerné l’Inde.
Même si dans ce débat de santé publique l’accoucheuse a pris première place depuis les années
soixante-dix en Inde comme ailleurs, ce n’est pas la première fois que l’on s’adressait à ces femmes
afin d’améliorer la santé et tâcher d’instaurer des programmes. Selon C. Van Hollen, même dans la
période coloniale, on donnait des cours pour ces femmes. Selon d’autres, c’est surtout à partir des
« 5-year-plans » qu’a instauré Nehru en 52, que l’on commence à apprêter plus d’attention aux ‘dais’.
On leur accorde une place importante dans la mise en place d’un système de soins à plusieurs
échelons. L’accoucheuse, appelée en hindi, dai, suivant une posture plutôt pragmatique, devait servir
d’élément central. Se basant sur son statut de femme respectée au village et par le fait qu’elle
s’occupe des naissances et par extension de la santé, on estimait que cette femme était la mieux placée
pour renseigner le peuple villageois sur les règles de bases en hygiène et d’autres soins de santé
primaires. Ce n’est que depuis assez récemment que l’on a changé de stratégie, laissant la première
place aux ‘skilled attendants’ car il s’est avéré que la stratégie suivie auparavant n’atteignait pas la cible
voulue en terme de baisse considérable de mortalité maternelle et infantile. Aujourd’hui, selon un
document WHO de 2004, il s’avère que “the skilled attendant is at the center of the continuum of
care.” On change alors un peu de discours. On a donc laissé de côté l’idée que la dai puisse remplir
la tâche d’intermédiaire entre le village et les structures publiques de soins, préférant la skilled
attendant.
“The skilled attendant is at the center of the continuum of care. At the primary health care
level, she/he will need to work with other care providers in the community, such as
traditional birth attendants and social workers. She/he will also need strong working links
with health care providers at the secondary and tertiary levels of the health system.
Recognizing the pivotal role of the skilled attendant in reducing maternal and newborn
mortality and morbidity, WHO, ICM and FIGO undertake to work together to increase
access to skilled attendants for all women and newborns in pregnancy, childbirth and the
immediate postnatal period.” (WHO : 2004)10
9 Traduction personnelle : « Des experts disent que le meilleur rôle pour la TBA dans la stratégie des assistantes
compétentes est de servir en tant qu’avocates pour les soins techniques, en encourageant des femmes à
consulter des assistantes techniques et compétentes. Les TBA peuvent accomplir ce rôle de manière efficace
seulement lorsqu’il existe de bonnes relations entre les TBA, ‘skilled attendants’, et le personnel dans les
structures des soins de référence. »
10 Traduction personnelle : « L’assistante compétente est au centre d’un continuum de soins. A un premier
niveau de prise en charge, elle/il devra travailler avec d’autres fournisseurs de soins dans la communauté, tels
les TBA et les travailleurs sociaux. Elle/Il aura besoin de liens forts avec le personnel soignant aux deuxième et
troisième niveaux du système de soins. Reconnaissant le rôle important du skilled attendant pour la réduction
de la mortalité maternelle et infantile, WHO, ICM et FIGO travailleront ensemble pour accroître l’accès aux
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Ces termes de ‘TBA’ et ‘Skilled Attendant’ sont comme nous avons pu percevoir chargés d’un discours
d’organismes internationaux, de programmes ayant pour but de réduire la mortalité maternelle et
infantile. Leur posture pragmatique a favorisé la prise en compte de l’accoucheuse non spécialiste
qu’ils ont alors nommé TBA. La baisse de la mortalité infantile et maternelle n’atteignant pas les taux
souhaités, ces organismes ont changé de cible, prenant alors une femme avec un niveau plus élevé
d’éducation. Je ne voudrais pas m’étendre sur les différents programmes de ces organismes de
développement, je souhaite simplement insister sur le fait que ces deux termes réfèrent à une
assistante en couches spécifique, avec un « background » de discours d’organismes de santé. Ceci ne
correspond pas à mon sens à la femme que je voudrais représenter ici. Ne voulant pas la réduire à ce
profil, je m’abstiendrai d’utiliser ces termes en son égard.
En Inde, en anglais-indien, il y a également une autre femme dans le tableau villageois qui peut
assister aux accouchements. Elle s’appelle l’Auxiliary Nurse Mid-Wife (ANM). Il s’agit d’une femme
de formation biomédicale qui peut pratiquer des accouchements.
Primary health centers are the cornerstone of the rural health care system. By 1991, India had about
22,400 primary health centers, 11,200 hospitals, and 27,400 dispensaries. These facilities are part of a
tiered health care system that funnels more difficult cases into urban hospitals while attempting to
provide routine medical care to the vast majority in the countryside. Primary health centers and
subcenters rely on trained paramedics to meet most of their needs. The main problems affecting the
success of primary health centers are the predominance of clinical and curative concerns over the
intended emphasis on preventive work and the reluctance of staff to work in rural areas. In addition,
the integration of health services with family planning programs often causes the local population to
perceive the primary health centers as hostile to their traditional preference for large families.
Therefore, primary health centers often play an adversarial role in local efforts to implement national
health policies. (Source : U.S. Library of Congress; http://countrystudies.us/india/36.htm)
Elle est « the multipurpose extension health worker(s) who works at the interface between the
community and public health system, »11 et qui « manages the sub-center, mandated at a population
of 3,000-5,000 for rural areas. »12 Il s’agit donc d’un personnage présent dans le milieu villageois en
Inde, pas seulement au Maharashtra. Mais cette femme n’est souvent pas originaire du village où elle
exerce son métier, ni est-elle mariée avec quelqu’un de ce village.
“In India, performance and quality of health system in rural areas is significantly dependent
on Auxiliary Nurse Midwives (ANMs), the multipurpose extension health worker who works
at the interface between the community and public health system. While a team of physicians
and paramedical workers staff the primary and community health centers, a single ANM
skilled attendants pour toutes femmes et nouveaux-nés pendant la grossesse, la naissance, et la période postnatale. »
11 Traduction personnelle : « une personne, extension versatile du système de soins, qui travaille à l’interface
entre la communauté et le système de soins public »
12 Traduction personnelle : « gère le centre de soins subsidiaire, à une population de 3 000 à 5 000 personnes
pour des régions rurales »
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manages the sub-center, mandated at a population of 3,000-5,000 for rural areas. She is
expected to perform a large number of diverse preventive and curative functions such as
motivation for family planning, immunization, conducting deliveries, and treatment for
childhood illnesses. She is expected to reside in the subcenter village and remain available
round the clock.”
(Mohan, et al. : 2003.)13
Même si au sein du terme Auxiliary-Nurse Midwife, on retrouve le terme “midwife” qui veut
habituellement en anglais signifier « la femme qui aide ou assiste aux accouchements », les devoirs de
l’ANM vont bien au delà des accouchements. Ce terme réfère à un agent de santé désigné par les
autorités gouvernementales ayant suivi une formation particulière. Elle est souvent nommée à un
endroit, un quartier particulier. Mais il s’avère que ces ANM pour diverses raisons socioculturelles
n’occupent pas toujours leurs postes et ne sont donc pas toujours présentes au village quand les
accouchements ont lieu.(cf. Iyer et Jesani, 1999) La femme qui assiste en couches dont je voudrais
dresser le portrait n’est pas celle-ci.
Ne voulant ni se référer aux TBA, ni aux skilled attendants, certains chercheurs contournent ces termes
en utilisant pour l’assistante indienne en milieu rural un terme hindi, ‘dai’. Il s’agit d’un mot venant
du hindi ‘adopté’ par les gouvernements pour désigner la TBA. Ce terme est très répandu en Inde,
même dans les régions où le hindi n’est pas la langue maternelle. Les indiens citadins marathiphones
que j’ai pu rencontrer à Pune-ville, fiers de m’apprendre du vocabulaire dans la langue locale, à
l’annonce de mon sujet de recherche, me traduisait le terme ‘mid-wife’ ou ‘traditional birth attendant’
par ‘dai’. « In the village, we say ‘dai’ for this woman who helps with birth. » ou « We call her the ‘dai’. »
« It is worth noting that the term dai is also commonly used in India, although the word itself
appears to be of Arabic origin. In North India, the term is used to refer to women, generally
of low-caste Hindu groups, but sometimes also Muslim, whose primary function appears to
be dealing with and removing the « pollution » assiociated with birth» (Rozario)14
Dans le nord de l’Inde, donc région hindi-phone, ce terme a peut-être gardé sa définition d’origine,
c’est-à-dire désignant une femme âgée venant en aide aux couches pour enlever la pollution associée
13
Traduction personnelle : « En Inde, la performance et la qualité du système de santé en régions rurales est
dépendante de l’ANM, cette personne soignante, extension versatile, qui travaille à l’interface entre la
communauté et le système de soins public. Lorsqu’une équipe de médecins et de personnel paramédicaux
occupent les centres primaires et communautaires de soins, l’ANM, à elle seule, gère le centre de soins
subsidiaire, d’une population entre 3,000 et 5,000 personnes pour des régions rurales. On s’attend à ce qu’elle
accomplisse un grand nombre de diverses fonctions curatives et préventives, dont l’encouragement pour le
planning familial, l’immunisation, les accouchements, et le traitement de maladies infantiles. Elle devrait résider
dans le village où se trouve son centre subsidiaire afin de rester disponible 24h/24h. »
14 Traduction personnelle : « Il faut noter que le terme ‘dai’ est utiliser de manière commun en Inde, bien que le
mot semble être d’origine arabe. Dans le nord de l’Inde, le terme est utiliser pour référer aux femmes,
généralement de groupes hindous de basse-castes, mais aussi parfois des musulmanes, à qui la fonction primaire
est de s’occuper de et de retirer la « pollution » associée à la naissance » (tiré d’un article en ligne, voir bibliographie)
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à la naissance. Il va de même que ce terme soit utilisé couramment dans ces régions dans le langage
quotidien pour désigner cette femme qui vient en aide au moment des couches. Mais dans des
régions non hindi-phones, ce terme ‘dai’ vient dépourvu de son sens primaire. Ce terme apparaît
alors comme une importation et par conséquence est peu utilisé par les locaux. Santi Rozario a
rencontré ce questionnement lors de son enquête en Bangladesh. « In Noakhali, I found that village
women avoided using the term dai, but, although no specific term was used to refer to TBAs, they
had no difficulty in identifying those local women who assisted at births » (Rozario).15 Rozario a
démontré une différence intéressante entre la ‘dai’ et l’assistante en couches.
La ‘dai’ était
historiquement celle qui coupait le cordon, acte hautement ‘polluant’ et refusé par beaucoup. Les
femmes qu’elle a pu rencontrer lors de son enquête ont cherché à se différencier de la ‘dai’. Au
Maharashtra, je n’ai pas rencontré cette même situation, mais j’ai pu relever une différence tout de
même pertinente en milieu rural. Dans les régions rurales de Pune district où j’ai mené mon enquête,
les femmes (marathiphones) ne maîtrisent pas le hindi. Quand les ONG et OG (organisations
gouvernementales) viennent dans ces campagnes maharashtriennes pour promouvoir des formations
pour des ‘matrones traditionnelles’, on utilise le terme ‘dai’ pour désigner l’accoucheuse. Le terme est
ainsi approprié par les femmes de ces régions rurales pour désigner l’accoucheuse qui a suivi cette
formation.
A d’autres moments, les villageoises peuvent employer le terme ‘dai’ lorsqu’elles
s’adressent à des étrangers ou citadins, sachant que ce terme vient de l’extérieur, lorsqu’elles veulent
faire la distinction entre une ‘sage-femme biomédicale’ et une ‘matrone’. Lorsque les femmes
villageoises des régions que j’ai pu visiter parlent entre elles de la vieille femme réputée pour sa
prouesse dans les accouchements, la femme qui connaissaient tout ce qu’il fallait faire dans ces
moments difficiles, qui a appris d’une autre vieille femme, elles utilisent le terme ‘suin’ et non pas
‘dai’, ni ‘doctor’, ni ‘nurse’, ni ‘midwife’, pourtant ce sont des termes qui s’emploient au quotidien.
Outre le fait d’établir une précision sémantique uniquement pour la présente étude, cette déclinaison
sémantique laisse apparaître des divergences à un niveau local de la représentations associées à de ces
divers termes. Au village, ‘dai’, ‘midwife’, et ‘suin’ n’ont pas la même signification, alors que les trois
s’emploient. Le mot ‘dai’, dans la région étudiée, est associé aux programmes gouvernementaux ou
non-gouvernementaux de développement, de formation de nouvelles techniques qui peuvent différer
de celles dont les ‘suins’ ont l’habitude. Le terme de ‘midwife’ se réfère à cette femme, souvent jeune,
venant d’ailleurs, ayant suivi une formation biomédicale, qui ne s’occupe pas seulement
15 Traduction personnelle : « A Noakhali, j’ai trouvé que les femmes évitaient d’utiliser le terme dai, mais, bien
qu’il n’y a pas d’autre terme spécifique pour désigner la TBA, elles n’ont pas eu de difficulté à identifier les
femmes locales qui assistaient aux accouchements » (tiré d’un article en ligne, voir bibliographie)
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d’accouchement et très souvent ne partage pas les traditions des locaux du village où les autorités
l’ont placée.
Afin d’éviter l’utilisation de terminologie connotée non seulement d’une hiérarchisation/stratification
exogène mais aussi d’une attache à un système médical ou à une histoire culturelle qui n’est pas
propre à cette praticienne et pour ne pas utiliser ces termes qui sont à mon sens trop chargés de
connotations relatives à ce discours que nous pourrions appeler « celui des développeurs », je préfère
me restreindre à l’utilisation du terme local de suin.
Il s’agira au cours de cette étude de situer la
fonction et le statut de la suin et les représentations et pratiques sociales dont elle fait l’objet. A divers
moments on pourrait la considérer sous la lumière de la terminologie employée par divers organismes
et/ou chercheurs. Si j’emploie ces termes dans ce récit, ils y sont explicitement remplis de sens et
leur utilisation est ainsi intentionnelle.
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DEUXIEME PARTIE
Méthodologie et Approches Conceptuelles
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Dans cette deuxième partie, le lecteur pourra découvrir la méthodologie que j’ai employée pour
mener cette enquête ainsi que les approches en anthropologie dont je me suis inspirée.
Cette partie méthodologique est une portion biographique du mémoire où j’expose l’évolution d’un
projet de recherche vers une enquête de terrain. Suite à la partie méthodologique, j’examinerai
différents concepts en anthropologie que j’ai exploré lors de cette étude.
Chapitre I : Méthodologie
Préparation du terrain
Choix du sujet
Lors d’un séjour en Inde en 2000-2001, j’ai pu côtoyer des villageois dans les campagnes de Pune
district dans le cadre d’enregistrements des chants de la meule dont mon ex-mari était responsable
pour une association/ONG locale dirigée par un socio-anthropologue français installé en Inde depuis
les années 70. Lors d’une des sorties, l’association tenait une réunion, qu’ils ont appelé ‘suinmela’, avec
des « matrones traditionnelles », qui je l’ai appris par la suite s’appellent ‘suins’. Ces femmes, toutes
âgées, se plaignaient, anxieuses quant à la pérennité de leur savoir en matière d’accouchement. Elles
disaient que des jeunes femmes du village ne voulaient pas reprendre le flambeau, que personne ne
voulait apprendre. Elle blâmaient « l’hôpital », et la médecine « moderne » venant de la ville et ainsi
de l’Occident. Cette rencontre n’était qu’une parmi tant d’autres que j’ai pu faire en allant dans ces
villages. Mais pour une raison que je ne maîtrise pas encore, j’étais interpellée par les apparentes
inquiétudes de ces femmes. L’association leur avait consacré une réunion pour mieux comprendre
leurs plaintes. Je m’interrogeais alors sur cette plainte. Quel savoir revendiquaient-elles ? De quelle
tradition parlaient-elles ? Pourquoi désigneraient-elles la médecine « moderne » comme raison pour
la désuétude de leurs pratiques et ainsi de leur « tradition »? Peut-on opposer de façon si tranchante
le bon et le mauvais, la tradition et la modernité ? Pour quelles raisons cette association s’intéressaitelle à ces femmes ? Quel message était véhiculé par cette association ? S’agissait-il d’une volonté de
«revalorisation » de leurs « traditions » ? Lors de ce séjour, j’ai fait donc une triple rencontre qui
changera mon orientation professionnelle et ainsi ma vie : une rencontre avec un anthropologue et
donc l’anthropologie et le terrain, une rencontre avec l’Inde et son milieu rural, et une rencontre avec
les suins et ainsi le domaine de la naissance.
Une fois de retour en France après ce premier séjour, je me suis promise de repartir un jour en Inde
pour mieux comprendre le sort de ces femmes. J’ai donc pris des mesures pour le faire dans les
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
meilleures conditions. Je me suis réinscrite à l’université pour préparer une licence puis une maîtrise
en ethnologie. Même si je détenais déjà une licence en lettres et études internationales, faire ces deux
diplômes en France m’a permis d’approfondir mes connaissances théoriques et conceptuelles dans le
domaine de l’ethnologie à un niveau personnel mais aussi pour acquérir un statut de diplômée pour
ainsi légitimer un futur voyage auprès des locaux.
Pour embarquer sur un terrain dans un pays qui m’est à la fois cher et tout de même lointain, je me
suis préparée à plusieurs niveaux.
Un terrain de n’importe quelle durée doit se préparer
académiquement, matierellement et financièrement. C’est pour cette raison que j’ai fait une demande
de subvention auprès de la Commission IIE/Fulbright16. N’étant ni ressortissante française ni
européenne, cette commission était un de mes seuls recours. Avant d’avoir la certitude d’une réponse
positive de la part de cette commission, je me suis préparée à l’étude dont l’exposé va suivre sur
d’autres plans. Mon enquête et mémoire de maîtrise, soutenu en septembre 2004 à l’Université de
Provence, Aix-en-Provence, a porté sur l’accouchement à domicile dans le sud de la France. Etudier
des questions rapportant à l’accouchement, même si ceci avait lieu dans un pays « développé » m’a
permis de me familiariser avec non seulement le vocabulaire de cet événement mais aussi les
questionnements anthropologiques le concernant et la littérature actuelle en anthropologie de la
naissance venant de divers pays.
La bourse que j’ai finalement obtenue m’a permise de partir pendant une durée beaucoup plus longue
que ce qui est normalement exigé pour un terrain de Master 2. Cependant, je ne voulais pas refuser la
bourse pour des raisons de dates et échéances universitaires. J’avais tout à fait l’intention de
continuer sur ce même sujet après ce diplôme. Le terrain m’a, donc, servi doublement : un premier
terrain en Inde en tant qu’universitaire et apprentie chercheure en anthropologie, mais aussi de « préterrain » pour une éventuelle thèse en anthropologie.
La commission de bourse exigeait un rattachement institutionnel en Inde. En février 2004, lors d’un
court séjour à Pune, j’ai préparé ma demande avec l’aide de Mr. Guy Poitevin, directeur de
l’organisme non-gouvernemental [que je nommerais C.] qui m’hébergerait et me servirait d’affiliation
institutionnelle pendant mon séjour en 2005. Cette association, dont j’ai fait la connaissance lors de
mon premier voyage en Inde, s’intéressait depuis ses débuts à des campagnes de santé mais
seulement depuis quelques années aux ‘matrones traditionnelles’.
16 La bourse IIE/Fulbright est à destination de ressortissants américains voulant étudier dans un pays étranger,
mais existe également pour des étrangers voulant étudier aux Etats-Unis d’Amérique.
Pour plus d’informations voir le site internet : www.fulbright.org
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Jessica L. Hackett
2005-2006
Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
L’occasion s’est présentée en février 2004 de retourner en Inde. Ceci m’a permis de mettre au point
l’accord pour le dossier de bourse avec Mr. Poitevin et son organisation mais aussi d’aller un peu sur
le terrain. Il semblait pour moi être le lieu idéal pour faire une étude anthropologique sur les suins
car cette association avait des contacts et un certain prestige dans les villages depuis une trentaine
d’années. Leur démarche me semblait intéressante également car aucun des chercheurs associés ne
venaient du milieu médical alors que le sujet, me semblait-il, était en relation directe avec la santé.
J’apprendrais une fois à Pune qu’il y a eu un médecin avec qui l’association avait collaboré pour les
campagnes de santé dans les années 80-90.
Avoir un anthropologue spécialisé sur l’Inde et sur cette région en particulier sur place était pour moi
un salut car en tant qu’apprentie anthropologue, j’avais encore beaucoup de questions et de doutes
quant à mes recherches. Aussi, je ressentais un besoin de conseils quant à la littérature locale
abondante. Malheureusement, il s’est avéré que Mr Poitevin est tombé gravement malade en juillet
2004 et a succombé à son trouble en août 2004. Avec l’accord et l’encouragement de sa veuve qui
reprit la direction de l’organisation, j’ai décidé de poursuivre mon projet initial malgré l’absence de M.
Poitevin.
Entre temps, j’ai été contactée par Dr. Laurent Pordié, pour faire partie d’une équipe de recherche
sur les sociétés et médecines de l’Asie du Sud à l’Institut Français de Pondichéry. J’ai accepté son
offre. En plus d’être un merveilleux lieu de travail, ce deuxième rattachement, bien que loin de mon
lieu de terrain m’a permis de garder un lien avec les institutions et les réseaux français en Inde.
Arrivée en Inde…
Je suis arrivée en Inde au mois de février 2005 après un semestre universitaire chargé. J’ai vite repris
mes repères à Pune, ville de plus de trois millions d’habitants, où j’avais déjà vécu quatre ans
auparavant. Malgré la taille impressionnante de cette ville, j’habitais dans le même quartier et donc
j’ai fréquenté les mêmes lieux et souvent je croisais les mêmes personnes. Cette fois-ci je revenais
non seulement avec un nouveau statut d’étudiante en anthropologie mais aussi avec celui de femme
divorcée. Le fait de le préciser ici dans ce mémoire peut sembler dérisoire, mais personnellement sur
le terrain, j’ai ressenti des répercussions, des changements de regards.
Avec des amis et des
connaissances du premier voyage, j’ai dû discuter de ce fait et souvent j’ai eu en quelque sorte à les
convaincre que c’était pour le mieux tout en expliquant les us et coutumes des relations entre
hommes et femmes en Occident. J’ai souvent dû donner des nouvelles de cet homme avec qui je n’ai
plus beaucoup de contact. De plus, j’ai dû me reforger une identité pour moi en tant que femme
voyageant seule. Avec des amis que je pensais proches, nous avons dû ‘recréer’ une amitié. Cela s’est
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
fait très facilement. Cependant, cette période m’a permis de réaliser à quel point les relations sont à
refaire constamment car rien n’est acquis d’avance.
L’association C. a de nombreux animateurs, des travailleurs sociaux villageois. J’avais d’ailleurs pu en
rencontrer lors du premier voyage. La veuve du directeur m’a avoué qu’elle a réservé l’annonce de
mon divorce avant d’être sûre de mon arrivée. Même si les unions extra-maritales ont lieu au village
et le divorce permis par la loi, ce n’est pas chose courante et on dit souvent que si divorce a lieu, la
faute est celle de la femme, soit pour cause d’infidélité, soit pour cause d’infertilité. J’ai dû donc faire
confiance à la directrice pour bien rapporter les raisons de cette séparation même si cette dernière
souhaitait souvent savoir les raisons pour lesquels un tel « bon match » ne pouvait plus fonctionner.
Auprès des animateurs, je ressentais parfois malgré la barrière de la langue, une réticence. On leur a
donné l’ordre de m’aider lors de mes enquêtes, mais tout au long de mon séjour, j’ai dû prouver être
une femme sérieuse et déterminée. Au fur et à mesure l’atmosphère s’est détendue. Ce qui m’a aidé
et qui a légitimé ma présence, c’était l’accord que Poitevin et moi-même avions mis en place l’année
précédente. De son vivant, on avait beaucoup de respect pour lui au sein de l’association. Mais
depuis sa mort, l’association connaissait beaucoup de changements.
J’ai eu l’impression que
beaucoup d’animateurs « tenaient » par leur amour et respect pour « Guy Baba17 ». Même si j’ai pu
faire mes preuves et que certains m’apprécient beaucoup aujourd’hui, je suis convaincue que leur aide
pendant mon enquête ne faisait pas exception à ce sentiment de devoir envers lui.
Terrain et Obstacles envisagés
Attentes de la part de l’association…
En février 2004, Mr Guy Poitevin a signé son accord d’affiliation affirmant que le centre de recherche
qu’il dirigeait allait me prendre en charge durant la totalité de mon séjour de terrain en Inde lors de
mon Fulbright 2004-2005.
Cette institution avait comme responsabilité de m’aider dans mes
recherches dans la région, de m’offrir des conseils académiques/professionnels. Malgré son décès, sa
veuve a encouragé ma venue et mon étude. Avant d’arriver à Pune, la commission Fulbright/USEFI
a offert de m’intégrer dans un programme de « facilitation » pour faciliter différentes procédures
administratives et autres. Ils ont proposé à cette institution de s’occuper de cette étape importante
qui, en plus des démarches administratives, sert aux chercheurs pour établir un réseau avec des
chercheurs locaux de leur discipline, de découvrir les différents centres et lieux de recherche dans la
ville.
17
« Baba » est un surnom que l’on ajoute au nom d’un homme pour montrer le respect que l’on peut avoir à
son égard.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Cette affiliation institutionnelle a ainsi facilité mes démarches pour l’obtention d’un visa de recherche.
Mais je dois dire que mes attentes allaient au delà de cette démarche administrative. J’étais dans
l’expectative de plus d’aide en ce qui concerne les rencontres avec d’autres chercheurs confirmés de
cette ville réputée pour son foisonnement intellectuel. Peut-être ai-je été leurrée par la réputation de
la bourse que j’avais acquise qui aurait dû à mes yeux ouvrir certaines portes. Peut-être ai-je été
également aveuglée par la réputation que je me faisais de cette organisation et de son directeur
défunt. Avec du recul, les obstacles que j’ai vécus sur le terrain venaient principalement de ce
désillusionnement que je vivais et auquel je faisais face tous les jours.
Obstacles prévus
Je savais que l’obstacle principal de ce terrain serait la barrière de la langue. Auparavant, je n’avais
jamais fait appel à un interprète car bien que mon enquête de maîtrise se soit déroulée dans une
langue qui n’est pas ma langue maternelle, je la maîtrisais suffisamment pour tout faire seule. J’ai eu
l’intention au départ de rester à Pune pendant une période pour effectuer des cours intensifs de
langue marathi tout en profitant de la bibliothèque pour effectuer des recherches sur mon sujet.
Pour avoir déjà vécu dans cette ville, je savais à quel point il est facile de ne jamais prononcer un mot
de marathi et tout faire en anglais ou bien en hindi, d’où l’importance de motivation pour apprendre
la langue. Je pensais en vivant chez l’habitant, dans mon cas chez la directrice de l’association C., que
j’allais avoir plus de facilités à vite maîtriser la langue. Je savais que quelques mois ne suffiraient pas
pour pouvoir mener les enquêtes seule, mais je ne pensais pas que cela allait être si contraignant.
J’avais l’idée d’aller vivre directement dans le village que j’aurais choisi après un premier temps sur
place.
Mes lectures lors de mes premières années en ethnologie à propos de l’enquête
ethnographique m’ont appris qu’il existe plusieurs façons de mener une enquête. Pour avoir mené
mon enquête de maîtrise à partir d’entretiens presque exclusivement, je recherchais une manière plus
complète d’aborder mon sujet. L’enquête par excellence en ethnologie est l’enquête guidée par
l’immersion complète du chercheur, autrement dit, l’observation participante.
Cette méthodologie
promue depuis le début du siècle dernier en ethnologie, notamment par B. Manislowski, est bien
connue en Inde grâce au socio-anthropologue M. N. Srinivas, qui a promu cette méthode pour des
enquêtes des sociologues et anthropologues Indiens en Inde.
« The fieldwork done by a social anthropologist offers a sharp contrast to the approach,
methods, and techniques used in macro-surveys. In the first place, a crucial characteristic of
the anthropologist’s study is the absence of any separation between the fieldworker and the
analyst. (…)Under this method, the fieldworker spends a period of 18-24 months in a society
different from his own, the time being broken up in two visits, uses the local language in his
talks with the indigenes, participates in their daily, seasonal, and other activities, and as far as
possible, gathers his information in the course of such participation. Before setting out for
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
the field, the anthropologist is expected to be familiar with the literature available on the
region he has selected, and to have studied the language spoken there. » (Srinivas : 524)18
Outre cet obstacle linguistique, je n’envisageais pas de réels problèmes. Au contraire, je partais sur le
terrain à l’aise, me considérant plutôt privilégiée d’une part par la bourse que j’avais obtenue qui
m’offrait une généreuse aide financière ainsi qu’un statut de chercheur officiel approuvé par le
Gouvernement de l’Inde, et d’autre part par mon affiliation à ce centre de recherche/ONG (C.) qui
devait me fournir une aide quant à son réseau et donc me faciliter l’entrée dans les villages et parmi
d’autres institutions de recherche.
Contraintes du terrain et changement de méthode d’enquête
Young Anthropologist from French University seeks Translator !
Comme je l’avais pressenti, la contrainte première sur le terrain était celle de la langue. Malgré les
démarches que j’ai entreprises pour apprendre la langue (les cours de langue, la résidence chez une
marathiphone) mes progrès dans la langue locale n’avançaient pas à une allure favorable pour mener
des enquêtes seules. J’ai dû me résigner devant la de passer par un interprète.
Il était le souhait de mon hôtesse de m’accompagner dans les villages pour traduire les entretiens car
ce sujet l’intéresse personnellement depuis plusieurs années. Cela a été son rôle pour tant d’autres
chercheurs venant dans les villages avec l’aide de leur organisation. Cela aurait été une manière
également de surveiller les échanges entre moi et les villageois, les animateurs, et les suins. La santé
de cette directrice ne lui a jamais permis lors de mon terrain de m’accompagner dans les villages.
Toujours pensant qu’elle allait à la prochaine sortie se sentir mieux, les recherches pour un
traducteur/interprète pour la totalité de mon séjour n’ont jamais abouti. Ponctuellement et de
manière précipitée, elle faisait des recherches pour un interprète parmi ses connaissances et les
connaissances des animateurs surtout sur la base de leur situation économique et relationnelle, et non
pas de leurs compétence en traduction et surtout en communication. J’ai moi-même essayé de
chercher un interprète en mettant des annonces aux facultés de la ville. Les réponses à mon annonce
venaient principalement de jeunes hommes motivés de rencontrer une jeune femme européenne et
18
Traduction personnelle : « Le terrain effectué par un socio-anthropologue offre un contraste distinct avec
l’approche, les méthodes, et les techniques employées dans les sondages. En premier lieu, un caractéristique
essentiel de l’étude anthropologique est l’absence de toute séparation entre la personne qui effectue le terrain et
celui qui fait l’analyse. (…) Avec cette méthode, l’anthropologue reste pendant une longue période de 18-24
mois dans une société différente de la sienne, la période étant divisée en deux visites,il utilise la langue locale
dans ses conversations avec les indigènes, participe dans leurs activités quotidiennes, saisonnières et autres, et
autant que possible, recueille ses informations au cours de cette participation. Avant d’aller sur le terrain,
l’anthropologue doit se familiariser avec la litterature disponible sur la région qu’il a choisie, et doit apprendre la
langue qu’on y parle. »
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
de l’aider dans ses recherches sur l’Inde. Malheureusement, peu de ces « bénévoles » avaient une
connaissance approfondie de mon sujet de recherche. D’autres personnes que j’ai pu rencontrer,
plus compétentes, interprètes à temps plein, pratiquaient des tarifs trop élevés pour mon budget
d’étudiante. Trouver un bon interprète s’est ainsi montré un véritable parcours du combattant
relevant d’éléments auxquels je n’avais pas du tout initialement réfléchis. Qu’est-ce qu’un bon traducteur
pour un anthropologue ? S’agit-il seulement de bien maîtriser la langue de l’autre pour pouvoir bien traduire ? Quelles
sont les motivations pour l’interprète à venir sur le terrain ?
You speak 5 languages…so what ?!! Do you know how to communicate ??
Bien que je tâchais de mon mieux de suivre systématiquement les éléments figurant sur mon guide
d’entretien, le défilement de nombreux interprètes ne me satisfaisait pas car je voyais ceci comme un
élément clé qui pouvait cimenter la cohésion de mon enquête. Je ressentais un grand besoin d’avoir
un partenaire avec moi sur le terrain avec qui on pourrait discuter des différences et des thématiques
sur place. Je ne m’attendais pas à partager mon enquête mais je ressentais tout de même un besoin
d’avoir quelqu’un avec moi qui pouvait attester de la progression des informations et des entretiens.
Au premier regard, ce ressenti peut sembler aller à l’encontre de la solitude requise par une enquête
ethnologique ; une solitude qui sert au chercheur de renvoi vers soi, de mieux se comprendre et ainsi
mieux comprendre et analyser sa propre culture [cf. Srinivas, Copans]. En réalité, cette quête du bon
interprète m’a servi de leçon sur ma propre tolérance quant au travail et mon implication dans mon
travail. Pour avoir déjà fait de l’interprétation et de la traduction, et pour avoir travaillé dans des
sciences humaines, je trouvais tout à fait normal le fait de s’intéresser à l’autre, à son comportement, à
sa famille, etc. D’interprète en interprète, je voyais défiler devant moi des personnes qui ne se
montraient pas plus intéressées que cela et parfois qui ne maîtrisaient pas assez ma langue pour
pouvoir me comprendre lors des entretiens. En bon travailleur, mon traducteur acquiesçait en
hochant la tête mais des retranscriptions de cassettes une fois à Pune ont révélé que ce premier
n’avait pas compris mes remarques et questions. D’autres ne faisaient leur travail de traduction que
lorsqu’ils étaient assis en face d’une suin. Autrement, lors des visites du village, ou bien les repas du
soir, le thé au petit matin, ou des longues marches vers d’autres villages, je suis restée dans le silence à
m’imprégner de mes observations et à essayer de m’attacher au peu de mots que je pouvais
reconnaître. Ceci m’a laissé très frustrée. La directrice de l’association ne s’est pas montrée sensible
à mes angoisses. Ces angoisses qui me faisaient interroger mon terrain et son intégrité. Je suis alors
allée voir des anthropologues à l’université pour pouvoir avoir leurs avis sur les méthodes d’enquêtes
pour me réconforter dans mes démarches. Ce souci d’interprète a été bien sûr un des points
importants de discussion. C’est lorsque j’ai exprimé mon désespoir quant à ces jeunes hommes qui
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
j’avais l’impression de devoir former à la méthode d’enquête en anthropologie que moi-même je
trouvais naturel. Après tout, je leur expliquais qu’ils devaient me servir d’oreilles et je leur demandais
de me traduire absolument tout ce qu’ils pouvaient. A mes angoisses, ces chercheurs affirmaient la
frustration que l’on pouvait ressentir à ce propos mais que celle-ci était tout à fait normale. Ils
confirmaient que je devais en effet former mes traducteurs à travailler, que je devais consacrer une
bonne partie de mon temps à leur enseigner comment bien traduire pour une anthropologue.
Interprète devient research assistant …
Complètement insatisfaite du travail de mon premier interprète, par son attitude et par la somme
extravagante que je devais lui remettre, et malgré le fait sa relation avec l’association C., j’ai refusé
catégoriquement de retravailler avec lui. Mi-avril, une sortie de terrain était prévue et je demeurais
toujours sans interprète. Je parlais à mon meilleur ami depuis le début de mon séjour de ces
empêchements et obstacles qui devenaient de plus en plus farfelus à mon sens et à propos de mes
angoisses pour bien réussir mon terrain. Dans un moment de mon désespoir, il a cédé. « Dis-moi les
dates, Jess. Je te dépanne cette fois-ci. De toute façon cela me fera sortir de Pune. La ville commence à me peser. »
(K.B) Nous avions pris l’habitude de parler de mon travail et de son avancement. C’était lui qui
m’aidait avec la transcription de mes entretiens enregistrés. Il était donc au courant de la sorte
d’enquête que je menais. Nous nous retrouvâmes dans diverses situations et nous connaissions
chacun très bien et savions gérer les réactions de l’autre. Alors une fois sur le terrain, tout en
connaissant mon travail, et intéressé par la vie et le travail des femmes interviewées, il s’est montré
doux et compréhensif envers elles. Il savait comment je réfléchissais à propos de mon travail pour
avoir tant discuté. Sensible à cela, il a trouvé le moyen de poser des questions tout en me consultant
lors des entretiens. Il a su également s’effacer de façon adéquate pour me laisser paraître même si je
ne pouvais pas parler de ma propre bouche. Les interlocutrices, bien qu’elles devaient toutes passer
par lui pour qu’il me traduise leurs propos, savaient que l’enquête était la mienne. Pour la première
fois, je voyais l’importance de cet interprète, je voyais en quoi la complicité entre un chercheur et son
interprète peut être bénéfique.
La méthodologie envisagée avant mon départ s’est alors transformée, de part l’utilisation d’interprètes
sur le terrain et le déroulement même du temps sur le lieu de terrain mais aussi pour cause des
divergences avec l’association.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Outils méthodologiques employés
Le déroulement du terrain ou Du projet de recherche au terrain
Inspirée par des lectures et des précédentes visites en Inde, j’ai formulé un projet de recherche avant
de partir sur le terrain qui devait guider mon enquête. Parmi les hypothèses qui y figuraient était tout
d’abord le fait que les ‘dais’ traditionnelles du Maharashtra étaient groupées, motivées par les actions
de mouvements associatifs.
Deuxième hypothèse, tout de même liée à la première était la
supposition qu’il existait une coopération entre ces « tradi-praticiennes » et les praticiens de la
biomédecine souvent à travers ce milieu associatif (ONG). Derrière ces deux premières hypothèses
résident une troisième, c’est-à-dire l’existence d’au moins trois secteurs impliqués dans les soins
entourant la naissance, à savoir un secteur traditionnel (de spécialistes non-diplômés, ici les suins), un
secteur professionnel (le milieu biomédical), et un secteur populaire (où nous pouvons classer les
mouvements associatifs). Mon projet du départ était ainsi d’obtenir des informations pour éclairer
l’intersection de ces secteurs, inspiré par les travaux d’Arthur Kleinman, pour mieux comprendre le
rôle changeant et contemporain de la suin en milieu rural maharashtrien.
Mon premier souhait méthodologique était de choisir un ou plusieurs villages, y résider afin de suivre
et observer une ou plusieurs suins. Je souhaitais faire des entretiens mais surtout de réaliser une
observation participante car je savais, comme expliqué ci-dessus, que la langue allait présenter un
obstacle majeur. J’avais choisi au préalable une entrée par le biais de l’association C. que je savais en
lien avec des suins de la région. Rester dans le village aurait facilité un certain nombre d’obstacles de
terrain, notamment la traduction et la compréhension ou l’appréhension de la vie villageoise. Je
pense que le fait de rester au village aurait également facilité l’accès à l’observation des
accouchements car à mon sens ce n’est qu’après un relativement long moment au village que j’aurais
pu créer des liens de confiance me permettant d’être invitée pour voir l’événement.
Malheureusement mon terrain ne s’est pas déroulé dans les conditions susmentionnées. Je me suis
retrouvée dans une association en crise après le décès inattendu de son directeur. Les tensions au
sein celle-ci et la volonté de contrôle de la directrice à tous les niveaux ont fait que je ne pouvais pas
résider au village tout en maintenant les liens avec cette ONG qui me servait d’affiliation
institutionnelle dans le pays. J’ai donc résidé à la ville de Pune et me suis contentée de courts séjours
sur le terrain. Au lieu de choisir un nombre réduit de suins, j’ai effectué un nombre relativement
important d’entretiens auprès de différentes suins dans trois talukas de Pune district. Mes courts
séjours sur le terrain m’ont permis de créer certains liens. Les villageois et villageoises avaient
compris que je m’intéressais à l’accouchement et aux suins. Mais mon statut de jeune femme
occidentale sans enfants et d’étudiante dans une discipline que l’on ne connaissait pas n’a pas favorisé
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
des invitations pour voir des accouchements. A plusieurs reprises, il y a eu des accouchements au
village lorsque j’y séjournais, mais on ne venait m’en parler qu’après tout soit bien passé. On
m’invitait alors pour voir le nouveau né et la mère juste après la naissance.
Un terrain … des terrains
La bourse Fulbright m’a permis de rester neuf mois en Inde, du mois de février au mois de novembre
2005. Mon souhait initial était de rester à Pune seulement le temps nécessaire de retrouver mes
repères, de trouver un interprète, de faire quelques recherches bibliographiques et de suivre quelques
cours de marathi. Sur un calendrier prévisionnel que j’ai dû soumettre au financeur, j’avais prévu
donc à peu près trois mois pour ceci. Au delà de cette période je voulais être dans les villages. Même
si ce calendrier n’a pas été maintenu pour diverses raisons, je peux aujourd’hui considérer que malgré
diverses contraintes, mon véritable terrain s’est déroulé sur une période d’à peu près cinq mois ; du
mois de mi-mars à juin 2005 puis de mi-septembre à octobre 2005. J’ai sillonné les campagnes pour
trouver des suins qui exerçaient encore leur métier dans des villages du district19 de Pune.
L’association V20. s’est chargée de m’introduire dans ces villages avec un ou une de leurs animateurs
sociaux21.
Résignée au fait que mon terrain se déroulerait en court séjours dans les villages et principalement par
entretien, nous avons mis en place avec l’association C. un emploi du temps couvrant les trois mois et
demi, (mi-mars à juin 2005), où l’on me proposait de faire une huitaine de sorties d’environ cinq jours
chacune dans des endroits situés dans quatre talukas du Pune district. Ceci me permettrait de voir
des situations dans la région montagneuse à l’ouest du district et également dans la région de la plaine
à l’est du district. J’ai donc pu visiter un grand nombre de villages et hameaux (à peu près 24) allant
du plus reculé du district, coupé du monde six mois de l’année, sans eau courante ni électricité,
jusqu’au grand bourg aussi avancé technologiquement que la ville de Pune. Rentrer à Pune entre les
visites sur le terrain me permettrait de faire des transcriptions et préparer des questions pour les
prochaines sorties. Ayant cet emploi du temps mis en place, j’ai arrêté mes démarches auprès
d’autres organismes de Pune travaillant sur les questions de santé car j’estimais que je ne pouvais pas
avec un emploi du temps si chargé me consacrer à une étude sur leurs activités. De plus, rester avec
cette ONG en particulier me permettrait d’y garder un lien et de mieux voir leurs activités de façon
plus régulière et approfondie dans les villages. Selon cet emploi du temps, je devais pouvoir récolter
un maximum de données me permettant de ‘clôturer’ mon « terrain » avant l’arrivée de la mousson et
19 Lorsque l’on parle de district, il s’agit d’une subdivision administrative de l’état, ce qui correspondrait
relativement aux départements en France
20 Il s’agit d’une association liée à l’association C. Ceci sera élaboré dans la dernière partie de ce mémoire.
21 « Animator » de l’association, il s’agit d’un ‘travailleur social’ de l’organisation originaire et habitant du village
visité ou du village voisin. Ceci sera élaboré dans la dernière partie de ce mémoire.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
ainsi pendant cette période descendre à Pondichéry pour analyser mes données et rédiger. Chacun à
l’exception d’un seul de mes entretiens s’est déroulé en présence d’animateurs de cette organisation et
les suins ont été choisies selon leurs connaissances et préférences. J’étais hébergée par la directrice de
l’organisation dans la maison même où se déroulaient les réunions des animateurs principaux, et où
travaillaient quotidiennement pour l’organisation trois personnes dont l’animateur principal. J’avais
accepté cet arrangement car auparavant nous avions noué une amitié. Je pouvais disposer de la
maison et de la bibliothèque à mon aise. Dans un premier temps, cet arrangement m’a permis aussi
de rester dans un quartier de la ville de Pune, où prendre un appartement aurait été impossible dû à
l’augmentation des prix de location et les demandes de caution. Il faut rappeler que je n’avais pas
l’intention de rester pendant tout mon séjour à Pune, et donc dans un premier temps pouvoir être au
sein de cette maison me permettait de profiter un maximum des ressources qui y se trouvaient. Peu à
peu, j’ai réalisé que je n’habiterais pas au village pendant ce séjour. De plus la santé de la directrice de
l’association où je logeais déclinait de jour en jour. Seule avec elle, je me suis retrouvée à veiller sur
elle dans des moments difficiles car sa famille n’était pas tous les jours présente.
Malgré la mise en place de cet emploi du temps, les sorties sur le terrain s’annulaient au fur et à
mesure pour des raisons diverses. Ces raisons, allant des problèmes de santé de la directrice à des
élections locales dans les villages, devenaient à mon sens de plus en plus étranges et incongrues. On
m’affirmait que je ne pouvais pas comprendre certaines choses à propos de la vie au village ni de la
vie en Inde et que je devais me fier à leur jugement ; chose que j’ai dû faire. En dépit de cela et de ma
tolérance, ma frustration montait au fur et à mesure que le temps passait. En tout, trois des villages
initialement proposés sur les six ou sept ont été maintenus. Avant l’arrivée de la mousson, j’ai pu
visiter donc le village et les hameaux aux alentours de Dhamanahol deux fois, le village et alentours
de Nagathli une fois, et le village et alentours de Kolawade une fois. Ces trois villages se trouvent
dans les talukas de Mulshi et Mawal, donc dans la région ouest de Pune district. Une visite dans la
région de la plaine a été prévue dans la taluka d’Indapur, soit le taluka à l’extrême sud-est du district.
Mais ce terrain a été annulé le jour même. Un autre village de la plaine a pu être rajouté grâce au
contact que j’ai eu avec un de mes traducteurs lors de ma visite à Kolawade. Ce traducteur est
enseignant à Shirur et m’a affirmé qu’il connaissait des suins travaillant autour de sa ville. Sa
motivation pour ma venue était sans doute double car il voulait me montrer son école et surtout que
je fasse un don à la bibliothèque qui s’y construisait. Il n’a jamais accepté de paiement pour sa
traduction lors de la sortie à Kolawade. Je n’étais pas contre l’idée de faire un don pour cette
bibliothèque car j’estime beaucoup l’enseignement et reconnaît le besoin de matériel pour des
étudiants. Alors on s’est mis d’accord que lors de ma visite à Shirur je ferais un don du montant égal
à ce que j’aurais payé pour la rémunération de ses traductions. Je n’ai jamais mis la directrice de
l’association C. au courant de cet accord.
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Calendrier du séjour
Calendrier du séjour et visites de terrain
Arrivée (février 2005)
Recherches Bibliographiques, prise de contact, cours de
terrain à Pune (février-mars 2005)
Terrain I :
Dhamanahol (avril 2005)
Terrain II :
Nagathli (avril 2005)
Terrain III :
Kolawade (avril 2005)
Terrain I bis :
Dhamanahol (mai 2005)
Terrain IV :
Shirur (mai 2005)
--Séjour à Pondichérry (Juillet-Aout 2005)
--Satubai temple visit (septembre 2005)
Terrain III bis :
Kolawade (septembre 2005)
Terrain V :
Mangabatzamal (oct 2005)
Terrain IV bis :
Shirur (octobre 2005)
SheetalaDevi temple (octobre 2005)
Retour (Novembre 2005)
langue et mise en place du calendrier des visites de
(traducteur : M.S. & J.M.)
(traducteur : K.B.)
(traducteur : D.S.)
(traducteur : Y.M.)
(traducteur : K.B.)
(traducteur : K.B.)
(traducteur : K.B.)
(traducteur : K.B.)
(traducteur : K.B.)
(traducteur : K.B.)
Mon terrain s’est arrêté entre fin juin et mi-septembre pour des raisons climatiques. La mousson
dans les régions de Mulshi et Mawal frappe fort, et en 2005, le Maharashtra a connu les plus violentes
pluies depuis un siècle, inondant toute la région, ainsi que Mumbai. Après l’annulation du dernier
séjour de terrain pour le mois de juin, j’ai avancé mon billet pour partir à Pondichéry, pour y
séjourner et travailler à l’Institut Français de Pondichéry pendant un mois et demi avant de remonter
dans le Maharashtra. Cette pause m’a permis de prendre du recul par rapport à mon terrain et à la
situation avec l’institution d’affiliation. Pendant ce séjour à Pondichéry j’ai pu rencontrer d’autres
étudiants et chercheurs et leur aide à ce moment-là m’a été précieux.
C’est grâce à ces rencontres à Pondichéry que j’ai réalisé que cette association C. qui me servait
d’affiliation était en fait malgré moi, un lieu d’étude. Si j’ai dû modifier mon projet concernant les
suins et le déroulement de ce terrain, cette association, sa direction et son organisation, y était pour
beaucoup. L’indifférence que je ressentais de la part de l’association pour mon étude me faisait
interroger sur ma place au sein de celle-ci. A mon retour de Pondichéry au mois d’août, je voulais
retourner sur certains des terrains pour réinterviewer certaines suins. Mais ayant compris que cette
organisation jouait une rôle important dans ma propre étude, je voulais mieux comprendre leur
activités en matière de santé et leur intérêt pour les réunions des suins et ce que la présence d’une
jeune chercheure pouvait leur apporter.
Il a été prévu alors que l’on retourne à Kolawade et Shirur. Ce n’était pas possible de retourner à
Dhamanahol car la mousson a été particulièrement forte et le village est resté bloqué par les
inondations. Un autre village, celui de Mangabatzamal s’est rajouté. Celui-ci se trouve à l’est du Pune
district, faisant ainsi un équilibre entre le nombre de villages de l’est, région de la plaine, et les villages
de l’ouest, région montagneuse. Ce village avait un intérêt particulier car il est entièrement peuplé par
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
une communauté qui a été réhabilitée après la construction d’un barrage dans la taluka de Mulshi.
Toutes ces personnes étaient donc anciennement voisines de mon premier terrain, à Dhamanahol.
Aujourd’hui, ils se trouvent à l’est de Pune district à environ 150 km de leur terre natale. Ici, nous
sommes allés pour voir une suin en particulier qui avait travaillé également en tant qu’animatrice pour
G. 22
Mon temps de terrain s’est divisé finalement sur beaucoup de petits terrains. Chaque visite chez une
suin m’ouvrait sur un nouveau lieu, une nouvelle maison, une nouvelle communauté.
l’ensemble de ces visites constituait un seul terrain.
Mais
A Pune, le séjour au sein de
l’association/institution d’affiliation en représentait un autre terrain, plus subtil, plus intense… Les
thèmes qui surgissaient des entretiens avec les suins et les animateurs sociaux villageois ont inspiré
encore une autre piste de recherche : celle des rituels et déesses entourant la petite enfance. C’est en
fin de ce séjour que cette piste s’est révélée. Avant de repartir pour la France, j’ai pu observer des
cultes à différents temples concernant deux déesses, Satubai et Sheetala.
Entretiens semi-directifs
Pendant ce séjour, mon principal outil de terrain était l’entretien semi-directif car je n’ai pas pu faire
de l’observation participante comme j’aurais aimé. Cependant, il est à noter que lors de mon petit
séjour en février 2004, j’ai pu assister à des réunions de ‘suins’ organisée par l’association V. C’est
également en février 2004 que j’ai observé un accouchement en milieu rural maharashtrien. Lors de
ce séjour, dubitative quant à la possibilité de revenir en Inde, j’ai pris des notes minutieuses de ce que
j’ai pu voir. Dans ce mémoire, j’ajouterai donc à mes données du terrain de 2005 ces observations.
En 2005, je n’ai vu ni d’accouchement ni de réunions de suins organisées par V. En ce qui concerne
les réunions de suins, je pense qu’avec le bouleversement dû à la mort du directeur, on a eu du mal à
mettre certains programmes en place. Pour ce qui est des accouchements, je pense que c’est un
mélange de concours de circonstances. Je ne résidais pas dans un village donné pendant longtemps.
Ceci a fait que l’on se méfiait de moi. Un regard et une présence étranger, on n’avait peut-être pas
assez confiance de me laisser rentrer voir cet événement. Plusieurs fois quand je séjournais au village
pour mon terrain, une jeune femme du village a accouché. On savait que j’étais là et que je
m’intéressais à la naissance et aux suins. Par contre, on venait me chercher juste à la fin de
l’accouchement afin de me montrer l’enfant qui venait de naître. Mais on se dépêchait de nettoyer la
maison, de ramasser le placenta et de l’enterrer avant que je ne rentre dans la maison. Donc
l’accouchement que j’ai pu voir en 2004 s’ajoute dans ce mémoire aux discours des suins pour
raconter ce qu’est la naissance en milieu rural maharashtrien.
22
L’association G. est une association informelle sous la tutelle de l’association V. (cf. partie V de ce mémoire)
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Une quarantaine d’entretiens ont pu être effectués lors de ce séjour.
Tous les entretiens se
déroulaient dans la maison de la suin interviewée ou bien dans la maison de l’animateur associatif. Je
n’ai jamais fait venir ces suins à la ville pour les interviewer. Je tenais absolument à voir le village et le
terrain sur lequel elles exerçaient leur métier. Je n’ai jamais fait faire les entretiens par quelqu’un
d’autre, ce qui m’a été souvent proposé, surtout en milieu de terrain. « Je t’ai vu travailler, je sais comment
tu travailles. Tu peux me donner une liste de questions que tu veux leur poser et je récolterai l’information pour toi. »
[D.S. interprète]. J’étais toujours accompagnée d’une ou d’un animateur et de mon interprète. Il y
avait peu de fois où nous étions que tous les quatre (i.e.,suin, animateur, interprète, et moi.). Il n’y
avait qu’une fois où je me suis retrouvée seule pendant un quart d’heure avec une suin et d’autres
femmes de son entourage. Embarrassée par le fait qu’il y avait un homme interprète agressif dans sa
manière de questionner, une suin a fait sortir mon interprète, me laissant seule avec mon enregistreur.
Ne comprenant pas ces mots, l’entretien ne pouvait pas durer. Souvent différents membres de la
famille étaient présents, ou bien faisaient des allers-retours. Souvent des voisins étaient curieux de
savoir ce qui se passait dans la maison de la suin. Ou tout simplement, on était curieux de voir une
étrangère blanche au village.
Les suins rencontrées 23:
J’ai pu rencontré 41 ‘suins’ lors de mon séjour, dont un homme qui aidait lors des accouchements.
Les suins que j’ai pu rencontrer appartenaient à diverses castes, dont Maratha, Deshmuck, Mahadev
Kholi, Dhangar, Maher, Dalit, et Katkari. Il est intéressant à noter ici la diversité de ces castes. Selon
différentes lectures que j’ai pu faire, on dit que la matrone en Inde appartient soit à une très basse
caste, soit elle est intouchable. J’ai pu en effet rencontrer des suins avec ce profil, dont celles des
Maher et Dalit. Mais j’ai également pu discuter avec certaines appartenant à des groupes ‘tribaux’,
dont les Katkari, et d’autres de la caste des bergers, dont les Dhangar. Les Maratha et Deshmuck
sont des castes bénéficiant d’un certain prestige dans le monde villageois car ce sont les personnes de
ces castes qui traditionnellement gouvernent les terres.
Toutes les femmes interviewées étaient mariées ou veuves, ayant eu des enfants. Beaucoup d’entre
elles avaient des petits-enfants. Il est difficile de donner un âge à ces femmes car la vie reproductive
d’une femme en Inde rurale commence dès son mariage, qui peut être à la fin de son adolescence24.
Sans prétendre une exactitude, l’âge des femmes interviewées pour cette étude varient entre 40 et 80
ans.
23
Une liste des suins interviewées se trouve en annexe III.
Aujourd’hui, l’âge légal pour une femme de se marier est à 18 ans. Mais certaines des femmes que j’ai
interviewées ont dû être mariée plus tôt.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Les questions posées :
Avant d’aller sur le terrain, j’ai préparé un guide d’entretien sur lequel figuraient des questions qui
devaient guider mon enquête25. Celui-ci comprenait des questions générales sur la suin interviewée,
son village, sa vie familiale, ainsi que des questions ouvertes sur l’accouchement en général, et des
questions plus spécifiques à sa pratique personnelle en tant qu’assistante en couches. Toujours avec
l’intention de me renseigner sur l’intersection entre les secteurs professionnels et traditionnels de
soin, j’avais prévu d’interroger ces femmes sur les programmes de formation [dai training programmes]
fournis par des associations biomédicales et des hôpitaux. J’avais également prévu de poser des
questions sur l’alimentation requise pour une femme enceinte (sur les prescriptions alimentaires
pendant la grossesse et post-accouchement). Peu à peu, à la suite de mes entretiens, j’ai ajouté des
questions ayant un rapport avec des rituels entourant la naissance. Mon guide d’entretien était ainsi
très large, car je devais à mon sens recueillir un maximum d’informations pour bien comprendre la
situation de ces femmes et l’accouchement en milieu rural.
Le sujet de la suin, de l’accouchement et de la naissance au sens large a permis d’aborder beaucoup de
différents sujets liés ; notamment le déroulement d’un accouchement en milieu rural, le travail de la
suin, les prescriptions alimentaires pour la femme enceinte avant et après l’accouchement, les
indications pour l’allaitement (quand donner le sein, donner ou non le colostrum) et tant d’autres.
Malgré ma bonne initiative de partir sur le terrain avec un guide entretien complet et fourni, je me
suis vite rendue compte de l’inutilité de sa version papier sur le terrain. Lors de ma première sortie
de terrain, mon interprète faisait plus attention aux questions écrites sur la feuille qu’aux questions
que je voulais poser. Alors après cette expérience, j’ai laissé ce guide dans sa version papier à la
maison car même si je restais fidèle à certains éléments figurant sur la liste de questions, j’avais besoin
de mener l’enquête sans avoir l’impression de faire un sondage ne me laissant jamais divaguer des
questions écrites. Ce qui m’intéressait était ce que ces femmes se laissaient dire. Même si j’ai dû de
temps à autres réorienter la discussion pour qu’elles reviennent au sujet de leur travail et à la
naissance, je ne voulais pas interrompre le flux de leurs paroles, même si elles ne répondaient pas à
toutes mes questions.
Donc, les entretiens étaient menés de façon libre, aussi libre que l’on puisse être lorsqu’on est entouré
de traducteurs et de différentes personnes de la famille et la communauté. En général, les entretiens
ont duré en moyenne une bonne heure, la fin venant souvent de la part de la suin qui, soit, trouvait
une excuse pour ne plus parler ou bien avait d’autres occupations familiales qui la retenaient. Je n’ai
pas rencontré de difficultés particulières quant aux questions posées, en d’autres termes elles
répondaient souvent très franchement. Seules deux ou trois fois, les suins refusaient de parler, gênées
par la présence d’hommes ou bien par le fait que j’étais étrangère, ou par pudeur « obligatoire » pour
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
montrer leur « bonne éducation ». Il faut se rappeler que ces femmes sont d’un certain âge, d’une
génération où les femmes devaient se cacher à l’intérieur des maisons lorsque des étrangers du village
passaient.
Après les périples méthodologiques, le sujet se modifie et se transforme…
Issus de mes entretiens surgissaient divers thèmes. Certains thèmes directement liés à une
anthropologie de la naissance classique, décrivaient des techniques de l’accouchement. D’autres
d’une anthropologie plutôt de l’alimentation, décrivaient les prescriptions alimentaires suivant
différentes périodes (avant ou après l’accouchement pour la femme, et pour le nourrisson). En ce qui
concerne le travail de la suin, je me suis rendue compte d’après les réponses à mes questions que son
rôle allait au delà de l’assistante en couches. Il surgissait alors de mes entretiens un élément rituel ou
religieux entourant le travail de cette femme. La suin est la première à s’occuper de la « pollution ».
Mais son rôle « purificateur/rituel » va au delà de ce premier jour de la naissance. En fait le rôle de la
suin s’étend sur 40 jours après la naissance au cours desquels elle vient deux fois par jour pour faire
un massage et un bain pour la mère et l’enfant. Dans les douze premiers jours, elle participe à deux
rituels importants dans la vie du nouveau-né, avant les cérémonies plus connues de la vie de l’enfant
tel le « thread ceremony » ou le « naming ceremony ».
Ces thèmes qui ont surgi ainsi que le déroulement inattendu de mon terrain ont modifié mon regard
sur mon sujet et la manière dont je voulais le traiter. Le déroulement d’un accouchement en milieu
rural ainsi que le travail et le rôle de la suin étaient toujours essentiels pour mon sujet, mais l’élément
rituel m’intéressait davantage au cours de ce terrain. De plus, il existe peu de littérature sur le sujet.
C’est pour ces diverses raisons que je souhaite aborder ces thèmes dans ce mémoire.
25
Ce guide d’entretien se trouve en annexe IV.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Chapitre II : Approches conceptuelles
Ce mémoire, divisé en quatre parties, présente diverses pistes de recherche que je réunis sous la
problématique de la dynamique sociale autour de l’accouchement en Inde rurale. Pour développer
ces différentes pistes, il m’a été nécessaire de puiser dans diverses sources afin de les étayer de
manière théorique et conceptuelle. Je souhaiterais ici faire part de cette réflexion théorique à partir
des recherches en anthropologie et de ses sous-disciplines, anthropologie de la santé, et
anthropologie de la naissance, pour montrer différentes approches qui peuvent être utiles à l’étude de
la dynamique sociale autour de l’accouchement en Inde rurale.
La présente étude se situe à la suite d’un premier travail en anthropologie de la naissance que j’ai
effectué pour l’obtention d’une maîtrise en ethnologie. Je reprendrai ici des notions et concepts
qui m’ont servi pour cette précédente étude et qui sont également utiles pour la présente.
La naissance en anthropologie
La naissance est seulement un événement biologique et physique mais aussi une naissance sociale, le
fondement d’une identité d’un individu au sein de la famille et de sa communauté. Ce sujet est alors
traité en anthropologie de façon à englober ces deux facettes : le biologique et le social. Nicole Belmont,
ethnologue française, a souligné ce fait en disant que l’homme est deux fois né : biologiquement et
socialement (Belmont, 1989). Pour cette raison, la naissance occupe une place importante en
anthropologie car elle est terrain propice à étudier la production de représentations sociales et
culturelles déterminant la place des individus dans la société. Au cœur de sa société, la naissance,
événement socialement construit donne un accès, une fenêtre, vers des concepts fondateurs de cette
société.
Aux débuts de la discipline de l’anthropologie, on n’a guère étudié l’événement biologique de la
naissance. Certains l’expliquent par le fait que les débuts de la discipline ont été dominés par les
chercheurs masculins ayant peu d’accès à cet événement réservé aux femmes. Davis-Floyd & Sargent
ajoutent à ceci le fait que des anthropologues avaient également la volonté de s’éloigner des
phénomènes biologiques, préférant l’étude des domaines voisins et observables, des tabous
alimentaires, des croyances populaires, des rituels, et des praticiens. (Davis-Floyd & Sargent, 1997 :
3) Mais les anthropologues ont su déceler le fait que la naissance occupe une place importante dans
toute société, car comme le dit Nicole Belmont,
« Dans la plupart des sociétés, la naissance est considérée comme l’un des rites de passage les
plus importants de la vie humaine, puisque la venue au monde des enfants conditionne la
reproduction sociale et qu’elle requiert des actes et des rituels destinés à intégrer ceux-ci dans
la société » (Belmont in Bonte & Izard, 2000 : 503-4)
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Une approche transculturelle de l’étude de la naissance est née petit à petit à travers de nombreuses
études depuis le milieu du XXième siècle, inspirée par des auteurs tels Margaret Mead, Sheila
Kitzinger, et autres. C’est l’œuvre de Brigitte Jordan, Birth in Four Cultures, publié en 1978 qui retient
l’attention des chercheurs de cette discipline naissante. Son étude a marié un travail ethnographique
de terrain fouillé avec une comparaison transculturelle. Selon certains, son analyse a donné une
légitimité nouvelle à la discipline.
« Jordan’s ‘biosocial’ approach worked to rectify this imbalance in anthropology, as well as to
counterbalance the medical bias toward ‘the physiological, and often pathological, aspects of
childbearing’ (…)Her biosocial perspective, with its emphasis on the ‘mutual feedback’
between biology and culture, gave her a comparative framework for integrating ‘the local
view and meaning of the event, its associated biobehaviors, and its relevance to cross-system
issues regarding the conduct of birth’. (…) In other words, she anaylzed each culture’s
birthways as a system that made internal sense and could be compared with all other systems
– a holistic conceptualization that enabled her to avoid reifying any one system, including
American biomedicine » (Davis-Floyd & Sargent, 1997 :3)26
L’ouvrage de Jordan suscite ensuite d’autres études prenant cette approche biosociale-transculturelle.
Ces recherches se situent à une époque où des organismes internationaux, notamment l’OMS
(Organisation Mondiale de la Santé / WHO, World Health Organisation) s’intéressent à la question de la
gestion de la naissance afin de comprendre les risques de mortalité maternelle et infantile dans des
pays ‘pauvres’ pour les réduire. Ces recherches, celles de Jordan, et celles qui ont suivi, ont contribué
à la production d’études de cas qui pourraient servir quant la mise en place de programmes de santé
maternelle.
Carol MacCormack, éditeur de Ethnography of Fertility and Birth (1982) a expliqué également que son
livre avait pour but d’ouvrir un débat pour contribuer à la prévention au niveau de la santé publique à
un autre niveau que celui des situations d’urgence. Pour elle, la contribution de l’anthropologie peut
être « d’inclure des aspects culturels, sociaux, et économiques concernant les risques, la prévention, et
des services appropriés » (traduction personnelle, MacCormack, 1982 : 5) Depuis cette époque d’autres
livres et d’autres auteur(e)s engagés ont su définir une place pour la naissance et l’étude de la
naissance en anthropologie ; pour n’en citer que quelques-uns/unes, Carolyn Sargent, Robbie DavisFloyd, Carol Laderman, Patricia & Roger Jeffrey et plus récemment Cecilia Van Hollen. Ces auteurs
et d’autres ont su rester en phase avec l’actualité en offrant des perspectives d’étude mariant des
26 Traduction Personnelle : « L’approche ‘biosociale’ de Jordan a tâché de corriger le déséquilibre présent en
anthropologie, mais aussi de faire un contrepoids à la tendance médicale aux ‘aspects physiologiques, et souvent
pathologiques de la maternité et la naissance’ (…) Sa perspective biosociale, avec un accent sur un ‘feedback
mutuel’ entre la biologie et la culture, lui a donné un cadre comparatif afin d’intégrer ‘le point de vue et le sens
local de l’événement, les biocomportements associés, et sa pertinence aux sujets transculturels concernant la
naissance’ (…) En d’autres termes, elle a analysé des façons de gérer la naissance dans chaque culture étudiée
comme un système à part entière qui faisait sens au sein de ce système, dans ce sens, ce système pouvait être
comparé avec les autres – une conceptualisation holistique qui lui a permis d’éviter de mettre en avant un
système devant un autre, incluant la biomédecine américaine. »
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ethnographies ‘classiques’ à des observations de comportements émergents utilisant les nouvelles
technologies reproductives dans les pays ‘pauvres’ aussi bien que dans des pays ‘riches’.
Naissance & Authoritative Knowledge
Le concept d’Authoritative Knowledge est issu tout d’abord de recherches nord-américaines en
anthropologie de la naissance. C’est d’abord Brigitte Jordan qui développe ce concept dans un
contexte de médicalisation de la naissance pour comprendre la place légitimée de la biomédicine en
matière d’accouchement. Mais au delà des études sur la naissance, ce concept offre un moyen
d’analyser les processus et relations de pouvoir préalables qu’une pratique nécessite avant de trouver
une légitimation totale dans une communauté donnée.
« By Authoritative Knowledge, I mean, then, the knowledge that participants agree counts in
a particular situation, that they see as consequential, on the basis of which they make
decisions and provide justifications for courses of action. It is the knowledge that within a
community is considered legitimate, consequential, official, worthy of discussion, and
appropriate for justifying particular actions by people engaged in accomplishing the tasks at
hand. » (Jordan, in Davis-Floyd & Sargent, 1997 : 58)27
L’Authoritative Knowledge est construit et doit être appréhendé selon un moment et un contexte donné.
Ce concept nous permet d’appréhender la naissance, les comportements et pratiques qui lui sont
associées comme un système cohérent. Il permet également de se rendre compte que ce système
n’est pas figé : des comportements et des pratiques peuvent être modifiés. En effet, la mise en place
d’Authoritative Knowledge est issue d’un processus social continu. Dans ce sens, la dimension dialogique
impliquée dans ces processus sociaux, importants à retenir, peut être traitée par le biais de cet outil.
« The constitution of authoritative knowledge is an ongoing social process that both builds
and relfects power relationships within a community of practice (…) It does this in such a
way that all participants come to see the current social order as a natural order, that is, the
way things (obviously) are. » (Jordan in Davis-Floyd & Sargent, 1997 : 56)28
Dans le cadre de cette étude, ce concept est particulièrement utile afin d’appréhender les différents
niveaux d’autorité des pratiques des suins selon le cadre et le contexte.
Ceci trouvera un
éclaircissement dans la discussion de la dernière partie de ce mémoire.
27
Traduction personnelle : « Par ‘Authoritative Knowledge’, je veux dire, alors, qu’il s’agit d’un savoir autour
duquel les acteurs sont d’accord dans une situation particulière, qu’ils perçoivent comme conséquent, sur lequel
ils se basent lorsqu’ils prennent des décisions et justifient des actions. C’est un savoir qui est considéré au sein
d’une communauté comme légitime, conséquent, officiel, qui mérite la discussion, et qui est approprié pour
justifier des actions particulières par des personnes engagées dans l’accomplissement des tâches courantes. »
28 Traduction personnelle : « La constitution d’un ‘savoir d’autorité’ est un processus social continu qui à la fois
construit et renvoie aux relations de pouvoir au sein d’une communauté de pratique. (…) C’est fait en sorte
que tous les participants perçoivent l’ordre social comme étant l’ordre naturel, c’est-à-dire, comme évident. »
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Naissance & Soins
La femme est au centre de cette étude car c’est elle qui est au centre de l’événement de la naissance en
milieu rural maharashtrien. C’est également la femme qui est au premier rang en matière de soins et
de santé pour toute sa famille, que ce soit pour les soins primaires (à un niveau biologique et
matériel), mais également, comme nous allons pouvoir le constater, à un niveau spirituel au quotidien.
Ces soins qu’elle apporte au quotidien sont à prendre en compte. C’est pour cela que je souhaite
brièvement présenter ce concept tel que l’on peut le comprendre en anthropologie.
L’étude des soins occupe une place importante dans la recherche en anthropologie de la santé
aujourd’hui.
C’est surtout à partir des années 70 que des analyses et écrits insistent sur la
contribution importante de la part des femmes dans la production de la santé. « S’interroger sur la
question des soins en tant qu’espace de savoirs et de pratiques spécifiques aux femmes compte en fait
un piège qui s’apparente beaucoup au débat entourant la maternité. » (Saillant, 1991 : 12). Ce sujet,
marqué idéologiquement, est alors plutôt délicat à aborder à une époque où les femmes en Occident
sont en « conquête de l’autonomie reproductive et d’une distanciation […] à la maternité ou encore la
maternité-destin » (Saillant, 1991 : 12) Mais dans les années 80, dans un contexte médical de plus en
plus puissant en matière de technologies de la reproduction, les féministes, devant ce qui est ressenti
comme une menace, « considèrent [la maternité] comme une identité en péril qu’il faut à tout prix
préserver et protéger » (DeKoninck cité in Saillant,1991 : 12) Saillant pose alors la question « Les
soins, tout comme la maternité, sont-ils en péril ? » (Saillant, 1991 :24).
C’est dans la définition suivante que je me retrouve dans ce concept. Saillant et Gagnon définissent
les soins de la manière suivante :
« Les soins constituent (…) un ensemble de gestes et de paroles, répondant à des valeurs et
visant le soutien, l’aide, l’accompagnement de personnes fragilisées dans leurs corps et leur
esprit, donc limitées de manière temporaire ou permanente dans leur capacité de vivre de
manière ‘normale’ ou ‘autonome’ au sein de la collectivité » (Saillant et Gagnon, 1999 : 5)
La notion de soins soulève l’importance d’une interdépendance entre celui ou celle qui apporte les
soins et celui ou celle qui les reçoit. Le lien que veut restaurer la relation des soins entre le corps et
l’esprit se trouve en opposition avec la bio-médecine qui s’intéresse essentiellement à l’entretien ou la
guérison du corps.
L’étude des pratiques de soins montre le développement des pratiques
alternatives à la pratique médicale.
Les soins « se veulent une réponse à la fragmentation de
l’expérience […] séparation de l’individu de son environnement, de la collectivité, de son corps, de sa
psyché, du cosmos… » (Saillant et Gagnon 1999 : 8)
Analyser les soins offre une occasion de re-valoriser la femme par la reconnaissance de sa
contribution à partir de la sphère domestique dans la production de santé. L’étude des soins offre
également une opportunité de développer un regard sur différentes notions courantes en
anthropologie, le ‘privé/public’, le ‘genre’ (sphère masculin/féminin), ‘care/cure’, ‘non-savoir/savoir’,
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
‘soignant/soigné’, car la relation qui leur est fondamentale est inscrite dans un processus identitaire.
En ce qui concerne ce mémoire, le concept est particulièrement intéressant car il nous permet
d’appréhender non seulement les gestes de la praticienne, la suin, mais aussi la relation avec la
parturiente. Au delà, ce concept nous aide à examiner la place de la femme dans les relations de santé
dans la société villageoise maharashtienne.
Naissance & rite de passage.
De façon plus « classique » la naissance peut être envisagée en ethnologie comme rite de passage d’après
la conceptualisation de A. Van Gennep. Pour qu’un processus cérémonial soit qualifié de rite de
passage dans le sens que voulait Van Gennep, l’événement nécessite un parcours en trois étapes
distinctes : séparation, marge, et agrégation.
communauté et pour ce être répété.
Ce processus doit également avoir sa place dans la
Ce concept peut être utilisé afin de regarder d’autres
phénomènes sociaux, mais se prête particulièrement bien à l’analyse du traitement de la naissance. La
période de séparation peut concerner la section du cordon et l’enlèvement du placenta qui peut être
considéré dans certaines sociétés comme le jumeau ou le petit frère de l’enfant né. Le traitement
particulier que ceux-ci subissent est culturellement prescrit afin de protéger la mère et l’enfant. La
période de marge dans beaucoup de sociétés est visible par l’éloignement ou la réclusion de la mère
pendant une période donnée. En Inde traditionnelle, par exemple, la mère et l’enfant bénéficient
d’une période de réclusion après la naissance. Pendant cette période, la mère est déchargée de ses
tâches domestiques. Mais c’est également une période pendant laquelle elle, l’enfant, et souvent sa
famille proche, sont considérés comme impurs. Des rituels signent souvent la fin de cette période de
marge, et symbolisent ainsi l’agrégation. En Occident, nous pourrions citer l’exemple du baptême
chrétien d’un enfant qui illustre un exemple de rituel d’intégration accordant à l’enfant une place au
sein de sa famille mais également au sein de la communauté. En Inde, en ce qui concerne la mère,
des rites existent signant la fin de la période de réclusion à partir desquels la femme reprend son
travail. Les rites ont souvent pour but la protection de la mère et de l’enfant pendant ce moment
considéré comme liminal, mais aussi la protection de la communauté. Selon Aijmer, Van Gennep et
autres, les rituels et les cérémonies ont un rôle social car ils maintiennent l’ordre dans la société.
« New children disrupt the social order, as they are innovations, potential individuals hitherto
unheard of. Birth will therefore not take its place within the expressive order as something
natural or given, but as a problem. There must be an inquest, a way to find out about what
is new and to harmonize that novelty with what is already established inside the
community. » (Aijmer, 1992 : 16)29
29
Traduction Personnelle : « Des nouveaux-nés mettent en déséquilibre l’ordre social établi, car ils sont des
innovations, des individus potentiels jusque là inimaginables. La naissance ne se déroulera pas dans l’ordre
exprimé comme quelque chose de naturel ou de donné, mais plutôt comme un problème. Il doit y avoir
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Pris dans sa globalité, l’utilisation du concept de rite de passage pour étudier la naissance nous invite à
examiner la compréhension de l’événement par la société, en considérant non seulement
l’enchaînement des actes, mais aussi la place de ces actes et de leurs acteurs dans une société donnée.
Naissance & Folklore
En relation avec les rites de passage, on peut également étudier des croyances et représentations
populaires entourant l’événement de la naissance. Ceci aide à mieux comprendre la signification de
certains comportements et rituels.
Le recueil des superstitions, des histoires, et des mythes
populaires constitue le domaine du folklore. Le folklore est défini à partir de 1884 par A. Lang, d’après
les travaux de E. B. Tylor comme concernant les « débris de civilisations mortes enclavés dans une
civilisation vivante ». Aujourd’hui le terme et la discipline ‘folklore’ semblent être discrédités de par
son idéologie archaïsante. Mais « il n’en reste pas moins qu’il y a production de folklore dès que deux
cultures, l’une dominante, l’autre dominée, coexistent l’une avec l’autre. » (Belmont in Bonte & Izard,
2000 : 283-4). Je choisis de parler brièvement de cette approche car j’ai été amenée à prendre en
compte certains éléments que l’on pourrait qualifier de ‘superstitions’ ou ‘d’histoires’ concernant la
naissance en milieu maharashtrien. Il me semble important de les recueillir car il semble qu’il existe
peu d’écrits à ce sujet. Dans ce mémoire, il s’agit moins d’un travail comparatif quant à ces
différentes croyances, mais ces éléments me semble-t-il trouvernt leur intérêt pour de travaux futurs.
D’un autre côté, l’élément ‘folklore’ réapparaît dans la dernière partie de ce mémoire qui concerne une
étude de cas d’une association travaillant en milieu rural maharashtrien.
Les actions de cette
association semblent être menées à la fois pour et contre une culture dominante. Ainsi le folklore
semble être enchâssé dans leur démarche, tantôt élément à refouler, tantôt élément à promouvoir et à
revaloriser.
enquête, une façon pour déterminer ce qui est nouveau afin d’harmoniser cette nouveauté avec ce qui est déjà
établi au sein de la communauté. »
Mémoire de Masters 2
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
TROISIEME PARTIE
La naissance, une fenêtre sur la société et la culture villageoise
en milieu rural maharashtrien
Mémoire de Masters 2
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
La femme de Malekar, animateur de l’association V. prépare le repas pour les visiteurs.
(Photo de Jean-Charles Scottis)
Arrivée dans le village de Male, dans le Bhor district, relativement pauvre au sud-ouest de Pune city, nous
sommes accueillis par l’animateur principal du village. Fier, il nous montre sa maison, d’où il tient également
un magasin pour le village. Marié depuis tout juste un an, il nous présente une jeune femme qui parle très
peu. Elle est entourée de la belle-mère, et sa belle-sœur, donc nous avons du mal à la distinguer dans la
maison noire coupée du soleil. La jeune femme ne peut pas avoir plus de 18-19 ans, elle est enceinte presque
en fin de terme. En fait, elle va partir bientôt chez sa mère, car suivant la coutume, la femme rentre chez ses
parents pour le premier accouchement. Durant les quelques jours où nous avons séjourné chez eux, j’ai pu
voir cette femme, stoïque, silencieuse, faire tout doucement tout le travail de la maison. Deux pots d’eau30 sur
la tête, un à la taille. Accroupie devant le chula31 alors qu’il faisait très chaud pendant ces mois de
février/mars dans cette région. (Extrait de mon journal de terrain, Male, février 2004)
Chapitre I : Une ethnographie de la naissance en milieu rural
maharashtrien
D’après une quarantaine d’entretiens et l’observation d’un accouchement, j’ai pu dessiner la
trajectoire de la grossesse et de l’accouchement en milieu rural indien, ici maharashtrien. Mes
entretiens ont eu lieu en compagnie de nombreuses suins d’une région rurale d’un des plus grands
états de l’Inde, le Maharashtra. C’est donc à partir du discours de celles-ci que je propose de
30
Ces pots peuvent contenir peut-être chacun 15 à 20 litres d’eau (peut-être plus) Les jeunes filles commencent
à aller chercher de l’eau très tôt, anxieuse d’imiter les grandes femmes. Très vite, vers l’âge de 13-14 ans, elles
arrivent à porter deux sur la tête avec aise.
31 Chula : Il s’agit d’une sorte de poêle à bois artisanal que l’on utilise pour cuisiner. Il consiste en une structure
faite de terre cuite, laquelle est recouverte de bouse de vache (comme le reste de l’intérieur et l’extérieur de la
maison) laissant ouvert deux ou trois trous sur le dessus, sur lesquels on pose les plats, et une ouverture carrée
devant, dans laquelle on peut insérer du bois pour chauffer le tout.
Mémoire de Masters 2
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
reconstuire une ethnographie de la naissance en milieu rural tout en mettant l’accent sur le travail de
la suin.
C’est cette trajectoire qui va servir de fenêtre sur l’univers socio-culturel du village
maharashtrien et surtout celui des femmes.
La femme en milieu rural
Au village…le travail sans répit…
Le quotidien au village pour une femme est rempli de tâches domestiques laborieuses. Elles se lèvent
à l’aube pour préparer l’eau pour les bains des différents membres de la famille. Elles préparent
ensuite le thé pour la famille et pour les gens qui passent le matin. Elles doivent aller chercher de
l’eau parfois à une source assez loin, préparer le repas du matin, nettoyer la maison, chercher du bois,
laver les vêtements, etc.… Elles sont souvent les dernières couchées, après avoir lavé la vaisselle du
repas du soir et avoir nettoyé la cuisine.
G. Poitevin, dans son ouvrage Inde : Village au Féminin, classifie les travaux exclusivement réservés aux
femmes maharashtriennes villageoises en cinq catégories. La corvée d’eau, la préparation et le service
des nourritures domestiques, le maintien de l’ordre et le nettoyage de la maison, la responsabilité de
l’éducation des enfants, et la toilette des morts et les soins aux malades (Poitevin, 1985 : 189. « L’aide
aux accouchées est de leur seule compétence, même et surtout quand l’accouchement présente des
difficultés particulières. » (Poitevin, 1985 : 190)
En plus de ces travaux, les femmes doivent
accomplir des tâches agricoles. Comme nous avons pu voir avec l’extrait de mon journal de terrain
ci-dessus, pendant la grossesse dans le village marathi, la vie ne se déroule pas trop différemment.
Les femmes continuent à travailler.
Tulsi Patel, dans son écrit suite à un terrain au Rajasthan,
remarque quelque chose de similaire :
« Childbearing and rearing are not seen as hindrances to chores at home and on the field. It
is not uncommon for a woman to resume work a week after child delivery. She is a beast of
burden working on land throughout the day. She wakes up before all other early in the
morning to work at home and in the cattle-shed and to take care of children before leaving
for the fields. After returning from a days’s work alongside men, she resumes her work –
tending the home, cattle and children before going to bed. » (Patel, 1994 : 40)32
32
Traduction personnelle : « Le fait d’avoir à élever des enfants n’est pas aperçu comme un empêchement aux
tâches que l’on doit accomplir à la maison ou dans les champs. Ce n’est pas inhabituel pour une femme de
retourner travailler une semaine après l’accouchement de son enfant. Elle est une bête de somme travaillant la
terre toute la journée. Elle se réveille avant tous les autres très tôt le matin afin de travailler à la maison et dans
l’écurie et de s’occuper des enfants avant de partir au champ. Une fois de retour, après une longue journée à
côté des hommes (aux champs), elle reprend son travail domestique – s’occupant de la maison, du bétail, et des
enfants avant de se coucher. »
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Les suins que j’ai pu rencontrer me disaient que travailler rend une femme solide et garde son corps
‘ferme’. Cette ‘solidité’, reflet de la femme villageoise, est nécessaire pour affronter le dur travail de
l’accouchement.
Fécondité et changement de statut
Dès sa petite enfance, la femme marathi est préparée à une destinée de femme mariée et future mère.
Ceci est leur rôle. Etre mère en Inde est souvent synonyme de sacrifice de ses besoins et aspirations
en tant que femme à part entière. La pire des choses qui puisse arriver à une femme est qu’elle soit
stérile, inapte à remplir ce rôle. Une femme est envoyée dans la famille de son mari afin de produire
une progéniture. Une femme stérile n’a pas de place (Gupta, Anu, [et al.] 1997).33
Au Maharashtra, comme dans d’autres régions en Inde, lorsqu’une femme est mariée, elle quitte sa
maison natale/paternelle pour aller résider avec la famille de son mari. Les relations entre belle-mère
et belle-fille en Inde sont bien documentées autant dans la littérature populaire que dans des écrits
scientifiques. « The mother-in-law is the most effective agent in channelizing the institution of
patriarchy in the household. She teaches her sons to keep their dominance over their wives and
children. (…) » (Patel, 1994 : 75)34 En règle générale, la nouvelle mariée doit faire ses preuves dans
ce nouvel environnement et les premières années sont réputées être difficiles émotionnellement.
« As a new entrant in the conjugal home, she has to work under her mother-in-law’s strict
supervision. It is only by becoming a mother that she can establish her common interest in the
household. » (Patel, 1994 : 75)35 Cette relation, rappelant à la jeune mariée sa place dans la maison et
dans la société villageoise, est source de souffrance pour celle-ci.
-Oh ! Belle-mère, ātyābāi, pourquoi me grondez-vous, assise là ?
Je vous apporte un riz au sucre de canne, c’est moi qui l’ai trié
-Belle-mère, ātyābāi, combien en raconter de vos histoires ?
Je fais mon travail, mais je n’obtiens pas un verre d’eau.
(Vers d’un ‘ovi’)36
(Poitevin, 1985 : 95)
Même si cette femme, comme le rapporte Patel, est comme une « bête de somme », la grossesse et la
naissance d’un enfant, surtout d’un fils, lui accorde une chance de ‘changer de statut’ au sein de sa
33
Gupta, Anu; Choudhury, Bharati Roy; Balachandran, Indira. [et al]: Touch Me, Touch-me-not: Women, Plants and
Healing. Women's Beliefs about Disease and Health. Kali for Women. 1997. P. 66-91.
34 Traduction personnelle: « La belle-mère est l’agent principal pour la promotion de l’institution de la
patriarchie de la maisonnée. Elle apprend à ses fils à maintenir leur domination sur leurs femmes et enfants. »
35 Traduction personnelle: « En tant que nouvelle dans la maison conjugale, elle doit travailler sous la
surveillance stricte de sa belle-mère. Ce n’est seulement qu’en devenant mère à son tour qu’elle pourra établir
son intérêt dans les affaires de la maison »
36 Ovi : chant de la meule
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
nouvelle famille. Patel a observé ceci lors de son étude au Rajasthan, mais ce n’est pas différent de ce
que j’ai pu observer au Maharashtra.
« In order to get social and emotional acceptance in the conjugal family, the woman works
hard in as well as outside the house. However, motherhood is the final cementing factor,
especially the birth of a son. » (Patel, 1994 : 41)37
La naissance d’un enfant permet l’acquisition d’un nouveau statut mais, même s’il s’agit peut-être de
l’élément le plus important, ce n’est pas l’unique facteur. Une femme au village doit faire ses preuves.
Ce chemin se fait au travers de nombreuses années, après plusieurs grossesses et accouchements,
après beaucoup de travail, et une vie maritale respectable.
« Motherhood enables a woman to be more assertive in several household affairs, including
disputes. The sheer fact of having several children is indicative of a long residence in the
conjugal household. This in itself is status enhancing. But mere residence does not confer
status as much as motherhood does. Fertility achievements along with a long marital life,
hard work and seniority in age contribute to status enhancement. » (Patel, 1994 : 77)38
La grossesse est une étape importante dans la vie d’une femme car comme nous venons de voir, il
s’agit d’une étape essentielle dans sa vie. Mais au village, l’attitude envers la femme enceinte se révèle
plus qu’ambiguë. D’un côté, on ne prête pas d’attention particulière à la jeune femme enceinte. On
s’attend à ce qu’elle remplisse toutes ses tâches du quotidien comme tout le monde. La grossesse et
la naissance sont considérées normales, des choses pour lesquelles on ne s’inquiète pas. Pourtant,
des proverbes, chansons, et dictons locaux montrent à quel point la naissance peut représenter un
danger de vie pour la femme et l’enfant. Chez les Katkaris, (tribaux) on dit « La mort d’un homme à
la chasse, la mort d’une femme en couches». D’autres communautés de paysans ont transformé le
dicton pour dire « La mort d’un homme aux champs, la mort d’une femme en couches ». (Rairkar,
article à paraître) D’un autre côté, on attend cet événement avec impatience.
L’accouchement est pour bientôt, on rentre à la maison…
Marqueur de son nouveau statut à venir, la femme enceinte bénéficie d’un radoucissement de
rapports entre elle et sa belle-mère en fin de grossesse.
Pendant la première grossesse d’une femme au Maharashtra, la femme rentre souvent à sa maison
natale. Ceci lui permet d’alléger ses tâches ménagères et aussi de se faire choyer pendant cette
37
Traduction personnelle: « Afin d’obtenir une reconnaissance sociale et émotionnelle au sein de la famille
conjugale, la femme travaille dur dans la maison aussi bien qu’à l’extérieur. Cependant, le fait d’être mère est le
facteur final qui l’assure, surtout avec la naissance d’un fils »
38 Traduction personnelle: « La maternité permet à une femme d’être plus assurée dans plusieurs affaires de la
maisonnée, incluant des disputes. Le simple fait d’avoir plusieurs enfants indique une résidence longue dans la
maison conjugale. Ceci, à lui seul, permet de monter de statut. Mais la simple résidence ne confère pas le statut
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
première grossesse. C’est un lieu qu’elle connaît bien où elle se sait et se sent aimée. C’est un lieu où
elle peut se détendre. Le deux ovis qui suivent montrent bien ses sentiments concernant sa maison
maternelle et la maison des beaux parents.
En moulant et en pilant, l’écoeurement m’envahit
Chez ma mère au village, je porte mon sari tombant. 39
Chez ma mère, je laisse le pan de mon sari
Tomber sur mes épaules
Mais chez mes beaux-parents, je sens que je suffoque.
(Poitevin, 1997 : 200)
Lorsque les femmes chantent ces chants de la meule, elles rappellent souvent leurs relations avec leur
mère.
« Il est évident que [La pratique courante de poser son bébé, fille ou garçon d’ailleurs, dans
son giron] lie la fille à sa mère à plusieurs titres et constitue un des fondements les plus
solides des attachements qui les unissent. Il est trop clair que la position de l’enfant ballotté
sur les genoux de sa mère pendant la mouture, dans la pénombre d’une maigre lampe à huile,
rappelle et répète trop, par plus d’un aspect, sa vie intra-utérine, pour que le bébé n’en soit
pas définitivement marqué. » (Poitevin, 1997 : 202)
Qui peut mieux alors que sa propre mère, qui lui a donné naissance et qui l’a bercée avec tant
d’affection, l’aider dans cette nouvelle épreuve ? KNS, une des suins interviewées de Dhamanahol
raconte :
KNS de Dhamanahol :
“Pour le premier accouchement, une femme rentre au village natale, son maher. Là, on la recouvre de
cadeaux: un nouveau sari, un berceau pour l’enfant, des vêtements, et des bijoux pour le bébé.
Les cadeaux donnés sont seulement pour la mère et l’enfant!! Si le gendre devrait venir, aucun de ces cadeaux
ne seraient pour lui! Il doit apporter avec lui des cadeaux pour sa belle-mère et des pâtisseries.
La femme peut rester chez sa mère entre 15 jours et un mois et quart. En règle générale, elle rentre pour le
premier accouchement, mais rien ne lui empêche de revenir pour les autres accouchements.”
Pourquoi une femme qui a été « donnée » à une autre famille devrait-elle revenir pour cet
accouchement, pour le premier enfant né au Maharashtra? Symboliquement, cet enfant cimente le
statut de la femme dans sa nouvelle maisonnée et assure la continuité du lignage de cette dernière,
alors pourquoi une femme peut-elle rentrer chez ses propres parents ? Généralement dans les
premières années suivant le mariage, on attend l’arrivée d’un enfant. S’agit-il simplement d’une
question de confort ? Cependant, cette pratique n’est pas répandue partout en Inde. Dans d’autres
régions en Inde du Nord, comme le rapporte Doranne Jacobson, c’est justement pour la raison
autant que la maternité. Les accomplissements par une fertilité avec une longue vie maritale, du travail et de
l’âge contribuent à l’accroissement de statut. »
39 La signification du sari tombant :
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
indiquée plus haut qu’une femme doit accoucher dans sa belle-famille, et surtout pour le premier
accouchement.
« Particularly for the first birth, the woman must be at her husband’s rather than her parents’
home for delivery. If a woman bears her first child in her parental home, it is strongly
believed that misfortune or tragedy will befall her relatives » (Jacobson & Wadley,
1977/1992: 144)40
Nous pourrions nous demander alors ici s’il s’agit d’une coutume particulière à l’Inde du Sud de
rentrer chez ses parents pour le premier accouchement montrant la place particulière du Maharashtra,
à cheval sur les traditions du Nord et celles du Sud. Cette interrogation sera à développer dans un
futur travail.
La maison : l’espace féminin
« Her husband had no longer any ‘real’ business inside the house, beyond occasional forays
to the kitchen. Village men sleep or entertain visitors on the cots in the veranda outside,
through all the seasons, leaving the inside of the house for women and children. The
veranda houses the male domain. Few visitors get past the veranda into the main house. »
(Bagwe, 1995 : 110)41
Anjila Bagwe tire cette conclusion d’après son terrain de thèse dans la région côtière du Maharashtra,
le Kokan, ce dont j’ai également pu témoigner dans la région du district de Pune. La véranda,
symbole du monde extérieur est le domaine masculin par excellence, alors que l’intérieur de la maison
demeure le domaine féminin. Guy Poitevin interprète cette division sociale de l’espace au pays
marathe en termes de contraintes sociales représentatives de la société patriarcale dans laquelle les
femmes vivent.
« Les nombreuses contraintes d’une société patriarcale qui donne aux hommes un droit de
possession et de domination absolu sur les femmes, interdisent à celles-ci toute autonomie
dans la société. Le but de ces contraintes est le maintien de la position de l’homme comme
le chef, le patron, le maître, le propriétaire, etc. de la femme. (…) une expression simple,
celle de l’interdiction de « sortir au-dehors », dit la nature et la principale raison de la plupart
des contraintes sociales. (…) Il faut considérer cette expression comme un véritable concept
« Une paysanne au travail porte le sari remonté entre les jambes et fixé à la taille afin de libérer les membres
pour travailler sans emcombres. Porter le sari tombant est signe de repos et de loisir. (…) » (Poitevin, 1997 :
200)
40 Traduction Personnelle: « Particulièrement pour le premier accouchement, la femme doit rester chez son
mari plutôt que de rentrer chez ses propres parents pour l’accouchement. Si une femme donne naissance à
l’enfant chez ses parents, on croit que tragédie frappera ses parents et proches »
41 « Son mari n’avait plus rien à faire à l’intérieur de la maison, en dehors des allers-venues occasionnelles dans
la cuisine. Les hommes villageois dorment ou accueillent des visiteurs sur des lits sur la veranda dehors,
pendant toutes les saisons, laissant l’intérieur de la maison pour les femmes et les enfants. La veranda est le
domaine des hommes. Peu de visiteurs vont au-delà de la veranda pour atteindre la maison principale. »
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
qui définit le motif central des répressions qui pèsent sur les femmes pour leur interdire tout
entrée dans la vie publique. » (Poitevin 1985, 100-101)
La maison est la propriété de l’homme, mais ce qui s’y déroule à l’intérieur est géré par la femme.
Lors de l’accouchement, ce sont les hommes qui sont « enfermés dehors ». En zone rurale en Inde,
même aujourd’hui, l’accouchement a lieu dans beaucoup de cas à la maison. Selon le sondage
NFHS-2, 46 pour cent des accouchements au Maharashtra on lieu à domicile.42 Cela s’explique pour
diverses raisons, et premièrement pour des raisons économiques. Accoucher en milieu hospitalier
coûte de l’argent que souvent les villageois ne possèdent pas. Deuxièmement, il existe des inégalités
quant à l’accès aux soins malgré un système élaboré de santé mis en place par le gouvernement du
Maharashtra. Même s’il existe des PHC (primary health centre) et des Rural Hospital dans des régions
rurales, souvent des routes sont de mauvaise qualité ou mal desservis. Les villages comme celui de
Dhamanahol et ses environs, n’ont pas encore d’électricité et la route n’est pas encore terminée. Il
n’y a pas de PHC et un médecin itinérant vient seulement une fois par mois (s’il vient). Pour prendre
le premier transport public, la route est à environ trois ou quatre heures de marche à travers une
montagne. C’est pour ces raisons que l’accouchement a encore lieu majoritairement à domicile dans
ces régions. Dans d’autres villages comme ceux du taluka de Shirur, dans la région de la plaine, la
route est très bien desservie et des cliniques et hôpitaux abondants. L’accès est donc facilité.
L’accouchement à domicile en maharashtra rural a lieu souvent dans la maison. Dans les régions
visitées, les maisons villageoises traditionnelles comportent une à quatre pièces. Ceci varie en
fonction de la situation économique et de la caste de la famille. Mais la répartition des pièces
principales reste fondamentalement la même à savoir le séjour, l’étable, et la cuisine. Pour Guy
Poitevin, « L’observation de ces modes permet de projeter dans l’espace architectural les dimensions
de la condition féminine » (1985 : 237) Le séjour est là où les visiteurs sont reçus et également là où
dorment les hommes. « Cet espace se trouve dans les mêmes limites que l’étable mais à un niveau
très nettement supérieur. Il n’existe pas cependant de mur ni de cloison de séparation entre l’étable
et le séjour : le plus souvent les piliers qui aident à supporter la couverture des espaces (…) marquent
la frontière (…). C’est la « partie extérieure de la maison ». » (Poitevin, 1985 : 237). En revanche, la
cuisine, la partie ‘intérieure’ de la maison, est là où résident les femmes. C’est également dans ce lieu
qu’elles dorment avec les enfants. « Elle est généralement séparée du séjour par une cloison ou un
mur, mais bien située au même niveau du sol que le séjour. » (Poitevin, 1985 : 238)
42
National Family Health Survey – 2. (Maharashtra) http://www.nfhsindia.org/data/mh/mhchap8.pdf
(Il s’agit d’un sondage effectué en 1999 dans l’état du Maharashtra. Les données pour le NFHS-3 ne sont pas
encore accessibles)
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Poitevin constate que le lieu habituel de l’accouchement en milieu rural dans le district de Pune est
dans la cuisine, dans un coin non loin du foyer domestique chez les membres de toutes castes (1985).
Dans cette pièce, on retrouve le chula, qui, par le fait que l’on cuisine au bois, réchauffe cet lieu et la
maison entière. La cuisine est également l’endroit où les femmes passent la plupart de leur temps.
C’est aussi une pièce que l’on peut fermer complètement. Lors de mon étude dans cette région, j’ai
pu constater ce même phénomène à une exception près. Chez les Dhangar (bergers), des talukas
Mulshi, Mawal et Shirur, ont exprimé avec véhémence que l’accouchement ne devrait pas avoir lieu
dans la cuisine, sans me fournir de précision supplémentaire.
Je ne peux que supposer que
l’accouchement pour ces personnes ait lieu dans la grange.
GSM de Dudhvan :
« Dans les maisons dhanghar (les bergers), la naissance n’a pas lieu dans la cuisine. Partout ailleurs, mais
pas dans la cuisine. »
Cependant le critère principal pour le choix de la pièce semble être qu’elle puisse fermer
complètement.
ADP de Kurunsgao :
[ Où est-ce que la naissance a lieu?]
- Dans n’importe quelle pièce pourvu que l’on puisse fermer les portes.
On ne peut que s’interroger sur la signification de ceci. Fermer les portes permet de garantir un
confort et une sécurité. « S’enfermer dedans », entourée d’autres femmes proches, permet de créer
un espace où l’on peut garantir l’intimité de la femme. Il y a une relation particulière entre la femme
et la maison au Maharashtra comme le souligne Hemalata Dandekar.
« Women here have differing aspirations, needs, constraints and opportunities relative to the
developments and change in the larger society to which they belong. Ghar (house) and daar
(door), particularly a door they can close or open to whom they choose, is an important
signifier in this respect. (…) The door (daar) to that house, which may be closed or opened
to various degrees, depending on the particulars of a woman’s family situation, represents
their ability to enjoy security, personal space and autonomy in that village community »
(Dandekar in Glushkova et Vora, 1999 : 61)43
Le fait de fermer les portes permet également de limiter l’espace pollué par la naissance.
La grossesse et l’assistance en couches – domaine féminin
43
Traduction personnelle : « Les femmes ici ont des aspirations, besoins, contraintes, et opportunités
divergeants relatifs aux développements et changements dans la société à laquelle elles appartiennent. Ghar
(maison) et daar (porte), tout particulièrement la porte qu’elle peuvent fermer ou ouvrir selon leur choix, est un
signifiant important à cet égard. (…) La porte (daar) de la maison, qui peut être fermée ou ouverte à des
degrés variables, selon des particuliarités de la situation familiale de la femme, représente leur capacité à
bénéficier d’une sécurité, un espace personnel, et une autonomie dans leur communauté villageoise »
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
A part une cérémonie en fin de grossesse, il ne semble pas y avoir beaucoup d’attentions particulières
portées à la femme enceinte pendant la grossesse ni en terme de prise en charge sociale, ni en termes
de prise en charge de soins. La praticienne qui est l’objet de cette étude n’intervient pas pendant la
grossesse pour donner des soins particuliers ni pour évaluer l’évolution de la grossesse. Mais il faut
prendre en compte le fait que ces femmes au village voient les femmes enceintes déambulant au
quotidien. Tout se sait au village. On sait quand une femme va bientôt accoucher.
Façons de diagnostiquer la grossesse…
La suin et les villageoises font tout de même attention aux signes du corps et au comportement de la
jeune femme afin de savoir quand le moment approche. Elles observent tout particulièrement le
corps de la femme. Elles disent que le visage de la femme « s’assèche ». Le verbe en marathi qui
voudrait traduire ceci est sukhane. On regarde également son corps, ses seins et son ventre pour y
repérer des changements de couleur, ou bien des changements de comportements.
Des suins interviewées rapportent ces différents signes.
SBhK de Mugao :
(Y a-t-il des signes qui indiquent qu’une femme va bientôt accoucher ?)
On peut savoir si une femme est enceinte. Après 5 mois de grossesse, les seins deviennent noirs. Comme ça
on sait quand elle est enceinte.
Après un ou deux mois, ça se voit au visage d’une femme. La femme ne mange rien, ne boit rien. La façon
dont elle marche change également quand elle est enceinte.
Quand elle est enceinte, ses joues deviennent ‘sèches’.
Si elle devient très grosse, elle porte sans doute une fille. Autrement, si elle est faible et mince, elle porte un
garçon.
KSS de Dhamanahol :
[Sukane (to dry, or to lose freshness) Ce verbe est employé : une femme va perdre de sa vitalité…]
Elle (la femme enceinte) va devenir frêle, et va peut-être s’évanouir. Elle ne mange plus alors qu’elle a faim
Elle a la nausée.
TDB de Mugao :
Le visage change, s’étend, et développe une couleur jaunâtre.
La femme a la sensation de vomir juste avant l’accouchement
KBM/KKM/RM de Kangurmal :
On fait bien attention à trois choses : son visage et son expression faciale ; son corps ; et sa respiration. En
observant ces trois choses, on peut savoir quand l’accouchement est imminent. Sa peau semble ramollir et son
ventre ‘descend’. Ses yeux grandissent. Elle ne veut plus manger.
YNW de Nagathli :
[y a-t-il des signes qu’une femme va bientôt accoucher ?] J’examine la femme pour voir si son ventre ‘est
descendu’. J’écoute le ventre pour écouter le battement du cœur. Parfois, la femme maigrit aux jambes, aux
bras et au visage (YNW utilise le terme sukhane). Quand ceci a lieu, on sait que la femme va accoucher très
bientôt, dans les 10-15 jours suivants.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Les suins que j’ai vues ne m’ont pas parlé de soins particuliers pendant la grossesse. Beaucoup
affirment ne rien faire de particulier pendant cette période. Elles interviennent seulement s’il y a
problème ou inquiétude. Mais il faut relativiser ces paroles. Au village tout se sait et on s’observe
les uns et les autres. Lorsqu’une jeune femme est enceinte, on observe ses mouvements, son
alimentation. Si la suin n’accorde pas de ‘consultation’. C’est à travers une observation attentive au
quotidien que la suin et les autres femmes du village surveillent le déroulement de la grossesse.
Précautions à respecter
Même si ces suins prétendent ne pas intervenir pendant la grossesse d’une femme, elles sont parmi
d’autres femmes au village vigilantes quant aux précautions alimentaires à respecter pendant la
grossesse. Si un malheur devait arriver, une fausse-couche ou autre complication, le non-respect de
certaines précautions et interdictions pourrait en être la cause.
Le comportement de la femme est observé scrupuleusement. La principale précaution à respecter
concerne l’excès ; tout particulièrement l’excès dans la consommation d’aliments. La gourmandise
d’une femme enceinte peut être la cause de malheur. Selon certaines suins, la femme a deux estomacs.
Un est réservé pour la nourriture et l’autre pour l’enfant. Si une femme mange trop pendant sa
grossesse, l’enfant n’aurait pas assez de place pour grandir. Geetabai de Uksan l’explique.
GHA de Uksan :
Selon GHA, la femme a deux estomacs, un pour l’enfant et l’autre pour la nourriture.
Lorsque ces estomacs se situent devant, on sait que l’accouchement est proche. Le fœtus descend doucement et
traverse une sorte de rideau séparant les estomacs.
Si une femme ne doit pas trop manger, elle doit également faire attention à la nature des aliments
qu’elle consomme. Les aliments proscrits sont classifiés sous le terme ‘wauda’. Ce concept de wauda
est directement lié aux représentations de ‘chaud’ et de ‘froid’. Il semble qu’un excès de ‘chaud’
puisse être dangereux pour la femme et le fœtus, car ceci causerait une fausse-couche. Mais un excès
de ‘froid’ après l’accouchement peut causer la diarrhée chez l’enfant. Gupta, Choudhury et al.
rapportent ceci du Karnataka, état voisin du Maharashtra.
« Another belief, prevalent in Chickmaglur, Karnataka, is that excessive heat in the woman's
body can cause abortion. Nanki of Saharanpur reasons similarly: If there is excessive oil in
the lamp, the lamp flickers. In the same way if there is excessive heat in the body, the womb
cannot hold the foetus, and abortion occurs. » (Gupta, Anu; Choudhury, Bharati Roy;
Balachandran, Indira. [et al]. 1997. Touch Me, Touch-me-not: Women, Plants and Healing. Women's
Beliefs about Disease and Health. (Kali for Women.). P. 66-91..)44
44 Traduction personnelle : « Une autre croyance, que l’on trouve à Chickmaglur, Karnataka, est que l’excès de
chaleur dans le corps d’une femme peut causer l’avortement. Nanki de Saharanpur l’explique avec une
métaphore. S’il y a trop d’huile dans une lampe, la lumière oscille. De même, s’il y a un excès de chaleur dans
le corps, l’utérus ne peut pas retenir le fœtus, et l’avortement (fausse-couche) a lieu »
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Lors de mes entretiens, on m’a indiqué ce que l’on considérait comme /waude/ ou interdits pendant
la grossesse. Ce que les femmes interviewées rapportent corrobore ce qu’écrit Gupta et al..
GGT de Thorangao : (nourriture /wauda/pendant la grossesse)
Certaines choses ne sont pas permises, tel que : le fruit du jaquier et la papaye. Ils sont considérés comme des
fruits « chaud »
[Qu’est-ce qui se passe si on mange ces choses ?] Le fœtus sort si on en mange trop. (en d’autres termes, ca
peut être la cause d’une fausse couche) ou bien ça peut causer un accouchement prématuré.
YNW de Nagathli :
[Y a-t-il des proscriptions alimentaires pendant la grossesse ?] ‘Jackfruit’, papaye, et bananes.
[Pourquoi ?] Parce que le fœtus s’en va.
Les proscriptions alimentaires continuent après la grossesse et l’accouchement. Leur durée peut
varier selon la région, la caste, et la situation économique de la famille. Quelques suins énumèrent ces
interdits qui sont liés à ces conceptions de ‘chaud/froid’.
KNS de Dhamanahol :
Pour l’accouchée, il y a un régime spécial à suivre pendant quelques mois, elle peut manger du riz bien
humide. Mais elle ne peut pas manger des pommes de terre, des petits pois, des aubergines, de la viande, des
œufs, pendant 5 mois. Si elle a un garçon, elle ne peut pas manger de piment pendant 5 mois, si c’est une
fille, la restriction tient pendant 2-3 mois.
GSM de Dudhvan :
Après l’accouchement, pendant une période d’environ 6 mois, la nourriture un peu épicée est prohibée pour
l’accouchée.
Pendant la grossesse, le poisson n’est pas admis. On dit que ça rend la femme trop « chaude ». On ne donne
pas d’arachide. Par contre, on donne volontiers des œufs, du ghee (beurre clarifié), du lait, du tak
(buttermilk) pendant la grossesse.
Après l’accouchement, on donne volontiers du tup (ghee), methi (fenugrec), bhat (riz), et dal (lentilles). Ce
qui est wauda (prohibé) c’est la patate et d’autres légumes (pois) pendant deux mois. (C’est « lourd » pour
l’estomac et la digestion).
ADP de Kurunsgao :
Ushna : (« chaud») : fruit du jaquier, bananes, mangues, aubergines. [Ces aliments devraient être évités,
surtout en grandes quantités.]. Mais les légumes verts sont bons. La femme peut manger de la viande, mais
seulement après le cinquième jour. Pendant ces 5 jours, elle doit prendre du riz sans sel. Pendant 5 jours
après l’accouchement, la femme doit prendre du Tup (beurre clarifié), Jaggery (sucre), ghul (sucre).
LGK de Mhase Budruk : (nourriture après la naissance)
Il faut lui donner des dattes et de la noix de coco à manger.
Il faut lui donner ses repas à des heures régulières.
Après 12 jours, elle peut manger du poisson, de la soupe au poulet… Mais avant, il faut lui donner du rava
et du blé. Elle doit manger ‘moins chaud’ car cela sort par le lait et le bébé peut souffrir de la diarrhée.
PNG de Kharavade :
La mère peut tout manger. Mais avant la naissance, il y a certaines choses qu’elle ne doit pas manger : des
haricots, de la papaye, du fruit du jaquier, des bananes.
La viande n’est pas ‘wauda’. Une femme doit avoir de la force, donc elle peut manger de la viande.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Certaines de ces proscriptions alimentaires sont remises en cause par des autorités médicales car elles
peuvent entraîner des carences importantes. Les suins ont parlé de ‘dai training courses’ où on leur
demande de préscrire la prise d’aliments tels la papaye alors que traditionnellement celle-ci est
interdite.
Fin de grossesse, récompense : Dohal Jewan
Je voudrais faire remarquer que la nourriture est un symbole de l’attention que l’on porte à la femme
enceinte. Dans le monde villageois, la femme est habituellement la dernière à savourer le repas
qu’elle prépare pour le reste de sa famille.
C’est également la femme qui doit se soumettre
régulièrement aux jeûnes qu’elle considère essentiels pour la protection de ses enfants et de sa famille.
Pendant la grossesse, le simple fait que l’on prête une telle attention à l’alimentation de la femme
enceinte révèle l’importance de la grossesse, de l’enfant qu’elle porte, et du rôle reproductif de la
femme. C’est par les aliments que l’on montre à celle-ci l’acceptation de son changement de statut et
qu’on lui accorde un relâchement et un radoucissement des tensions habituelles.
Il existe une cérémonie qui a lieu dans les derniers mois de la grossesse pour féliciter cette femme
enceinte. Au Maharashtra, cette cérémonie est appelée le ‘Dohal Jewan’. Généralement au 7ème mois,
on invite les relations féminines et amies du village pour rendre hommage à la femme enceinte et la
féliciter avec des cadeaux.
KBM/KKM/RM de Kangurmal :
[Y-a-t-il des cérémonies spéciales avant l’accouchement?]
Dohal Jewan. Au 7ème mois, ottipurne est fait devant la future mère. Des bracelets, noix de coco, tissus,
épices, et autres choses lui sont offertes. Seulement des femmes sont invitées. La suin vient également.
Cette cérémonie de Dohal Jewan dont les suins de Kangurmal parlent est importante. C’est lors de
cette cérémonie que la femme enceinte est habillée telle une déesse ; peut-être la première fois depuis
son mariage. On dit que les femmes enceintes ont des envies pendant la grossesse. Ces envies en
marathi se traduisent par le mot Dohal. Tout le long de celle-ci, elle doit faire attention à ce qu’elle
mange. La fête de dohal jewan littéralement traduite voudrait dire le « repas des envies ».
KNS de Dhamanahol :
La femme veut manger des drôle de choses (dohal). Dans le cas d’un enfant garçon cela peut durer 2 mois et
demi, pour une fille, 1mois et demi
KKP de Kulshi :
La femme a des envies de manger différentes choses, des choses amères, du tamarin, des cendres, de la terre.
GHA de Uksan :
/Dohal jewan/ se fête dans le 7ème mois. La femme a des envies. Elle veut manger du sable, des murs, ou
des sucreries.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Lors de cette fête, on présente la femme enceinte et on lui présente différents aliments.
Cette pratique a lieu partout en Inde, revêtant différents noms selon l’endroit.
« A widely prevalent practice all over India is shrimanta. In the seventh month of pregnancy
special rituals are performed and different types of sweets are prepared and given to the
parents-to-be. The purpose is to give moral support and encouragement to the pregnant
woman and celebrate her achievement of having reached near full-term. The sweets are
generally made of wheat flour, jaggery, ghee, fenugreek and dry fruits. In the final stages of
pregnancy, the pregnant woman is supposed to eat these foods custom every day. This is a
good custom because it provides the calories and protein needed for the rapidly growing
foetus in the last trimester of pregnancy. » (Gupta, Anu; Choudhury, Bharati Roy;
Balachandran, Indira. [et al]: Touch Me, Touch-me-not: Women, Plants and Healing.
Women's Beliefs about Disease and Health. Kali for Women. 1997. P. 66-91. ISBN: 8185107-85-8. Location: SNDT Churchgate.)
Cecilia Van Hollen, dans son ouvrage Birth on the Threshold, dédie un chapitre à une cérémonie
semblable au Dohal Jewan où elle remarque des pratiques contemporaines autour de ce rituel. Lors de
mon terrain, certaines suins et animatrices de Kolawade, à l’ouest de la ville de Pune, ont également
remarqué que cette cérémonie n’a pas toujours eu lieu dans leurs campagnes. Elles insistaient qu’il
s’agisse d’une cérémonie empruntée aux classes et aux castes élevées du milieu urbain. Cette question
d’intégration et de syncrétisme de pratiques sera à aborder dans une future recherche.
Les douleurs arrivent, appelons la suin…
La suin est appelée par un membre de la famille de la parturiente quand les douleurs fortes des
contractions commencent à apparaître chez la femme enceinte marquant le début de l’accouchement.
La suin part retrouver la femme enceinte chez elle, soit dans la maison de sa famille soit dans celle de
sa belle-famille selon où l’accouchement a lieu.
Une fois arrivée chez la parturiente, la suin rentre dans la maison pour trouver la femme entourée
d’autres femmes de la famille ou du voisinage. Elle va d’abord aller voir la femme en travail. Les
autres femmes qui peuvent assister à un accouchement sont toutes mariées avec des enfants. On ne
voit pas de jeunes enfants ni d’hommes dans la maison où elle va accoucher. Ces femmes font
diverses choses. De l’eau est mise à chauffer que l’on va ensuite verser sur le bas du dos et le ventre
pour soulager la femme de ses douleurs. On prépare également du thé pour elle.
On parle de
toutes sortes de choses, mais entre toutes les conversations, on rassure la parturiente en lui disant que
tout va aller bien, qu’elle serait bientôt libérée.
Pascale Hancart Petitet rapporte les plaisanteries faites au moment de l’accouchement.
« Ses parentes telles que ses tantes, ses belles-sœurs, ses sœurs, sa mère et sa belle-mère
resteront avec elle. Elles feront des farces et des moqueries pour qu’elle oublie la douleur de
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
l’accouchement. Elles diront : ‘Quand tu étais heureuse avec mon frère, tu ne disais rien,
mais tu avais mal, n’est-il pas vrai, alors tu ne peux pas supporter cette douleur ?’ Ou
encore : ‘Pourquoi as-tu si mal, si tu couches avec mon frère, tu n’as pas mal, hein !’ »
(Hancart-Petitet, à paraître)
Ces plaisanteries ont lieu pendant le travail, notamment en cas d’un accouchement difficile. Ce genre
de plaisanterie a lieu également lors des accouchements en Afrique.
Ce comportement des
accompagnatrices peut être compris comme une manière de divaguer l’attention des douleurs afin de
mieux les surmonter45.
Pendant ce temps, la suin masse le ventre en prenant la femme en face d’elle, une main de chaque
côté du ventre. A partir de la colonne vertébrale de la femme, la suin tire ses mains vers elle afin de
masser les côtés du ventre. Ce massage permet à la fois de soulager la femme mais également à la
suin d’évaluer la position du fœtus.
TC de Kurunsgao :
TC ne fait pas de toucher vaginal. Elle évalue le stade de l’accouchement de l’extérieur. TC dit qu’elle vérifie
l’extérieur de l’abdomen. Si elle sent que les pieds de l’enfant sont sur la gauche et en haut, l’enfant est dans
la bonne position….
Certaines suins mesurent le progrès en faisant un toucher vaginal, c’est-à-dire qu’elles introduisent un
doigt dans le vagin de la parturiente afin d’évaluer l’ouverture du col de l’utérus.
KNS de Dhamanahol le fait :
KNS utilise son doigt comme jauge. Elle introduit un seul doigt dans le vagin de la femme pour établir où en
est l’ouverture du col. Elle fait ceci avec un mouvement circulaire.
Il m’a été difficile de préciser si cette pratique est ‘traditionnelle’, ou bien sous l’influence des ‘dai
training course’ ou d’autre source biomédicale.
Si le travail n’est pas encore en stade final, la parturiente peut déambuler dans la pièce autant qu’elle
le voudrait. Une fois que les douleurs deviennent trop fortes, la suin conseille à la femme de s’asseoir.
Mais jusque là, on estime que le mouvement est bénéfique et peut contribuer à un accouchement
rapide et facile.
GHA de Uksan :
La parturiente devrait marcher avec l’aide des autres femmes jusqu’à ce que la douleur devienne trop forte et
alors, elle doit s’asseoir. Le mouvement de la femme pendant la phase de travail selon GHA aide le fœtus à
« descendre ». Si elle/la parturiente s’asseoit trop tôt, ça peut être une obstruction au processus, autrement dit
cela peut ralentir l’accouchement.
La position de l’accouchée
La suin demande alors à la parturiente de prendre la position de l’accouchement. Dans les régions
visitées du district de Pune, il est courant que la suin soit accompagnée d’une autre femme ou bien
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
qu’une autre femme sur le lieu d’accouchement l’aide. La suin demande à la parturiente de prendre
une position semi-allongée, semi-assise reposant sur une femme qui la soutient de derrière.
KNS de Dhamanahol :
La femme, dans une position assise/accroupie, est un peu inclinée avec les genoux pliés, les jambes séparées.
La suin se place devant elle. Il y a une femme qui soutient la femme de derrière. Parfois, elle lui retient ses
jambes avec ses propres pieds les plaçant à l’intérieur des cuisses.
Position d’accouchement décrite par la majorité des suins rencontrées. (Dessin par Kuldeep Barve)
Chez les bergers, la position est similaire mais les jambes ne sont pas repliées.
GSM de Dudhvan :
La position de l’accouchement : La parturiente est assise avec les jambes séparées mais genoux étirées.
((jambes droites et non pas repliées) Quelque chose est placé sous les fesses de la parturiente pour surélever un
peu le corps.
Cette position assise n’est pas toujours prise. TK de Lawarde, une suin katkari, dit que chez elle la
femme accouche allongée. D’autres suins katkaris ont rapporté que souvent, chez elles, la femme est
surprise par les contractions lorsqu’elle est seule dans la forêt. Il arrive alors qu’elle accouche debout.
Dans la plupart des cas, la femme sur qui la parturiente se repose appuie très fort avec ses deux
pouces en bas du dos de la parturiente à chaque côté de la colonne vertébrale pour la tenir et aussi
pour la soulager. La parturiente tient ses jambes légèrement écartées, genoux repliés. La suin se place
45
Communication personnelle d’Alice Desclaux.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
devant la parturiente. Parfois, la suin appuie avec ses propres jambes pour garder les jambes de la
parturiente ouverte.
Parfois il y a également des femmes qui s’assoient à ses côtés. On lui parle. Il y a toujours un
sentiment de peur avant d’accoucher, alors les femmes et la suin lui touchent le visage et le corps en
lui disant : « bientôt tu seras libérée. »
La suin guide la femme pour qu’elle fasse l’effort de pousser pour aider la descente de l’enfant. S’il
s’agit d’une présentation normale, c’est-à-dire tête en bas, la suin n’intervient que pour masser la vulve
et lubrifier l’ouverture du vagin d’huile végétale. Elle réceptionne la tête de l’enfant entre ses deux
mains et ensuite glisse une main devant pour soutenir son corps.
Le traitement du cordon ombilical et la délivrance
L’enfant est presque immédiatement placé par terre sur un morceau de tissu. On ne s’occupe pas de
l’enfant tant que le placenta n’est pas sorti et vérifié. On attend plus ou moins une demi-heure pour
que les contractions fassent expulser le placenta. Dans le cas contraire, la suin procède à différents
remèdes, tels que mettre des cheveux dans la bouche de la femme, lui donner du thé noir, ou du thé
où l’on a mis des cendres. Ceci crée une réaction de vomissement et les contractions musculaires
aident à faire décoller le placenta. Si ces remèdes n’aboutissent pas aux effets désirés, la suin
intervient et extrait manuellement le placenta. Mais avant de faire cela, la suin ou bien son
« assistante » appuie sur le ventre en le massant très fort pour que le placenta descende.
DU de Kolawade:
On attend le var (placenta) une demie heure. S’il ne sort pas, on essaie diverses choses. D’abord, on met les
cheveux de la parturiente dans sa bouche. Ca va lui donner envie de tousser ou même de vomir. Ca va
pousser sur le placenta et le faire sortir. Une autre technique est de pousser sur l’estomac, ou de le masser.
Il est important que le placenta sorte avant de couper le cordon ou bien de procéder à autre chose,
(i.e. le bain) car celui-ci présente un danger. Il existe une croyance selon laquelle le placenta peut
monter dans le corps, traversant la barrière de tous les organes pour recouvrant le coeur causant ainsi
la mort de la femme en couches. Pour cette raison, on ne sectionne pas le cordon tant que le
placenta reste dans le corps. Dans les rares cas où l’on doit couper le cordon dans ces cironstances,
le cordon sortant attaché au placenta est tenu, fixé à une pierre, un poids, pour empêcher que le
placenta disparaisse dans le corps. Les phrases qui suivent viennent de suins interviewées.
GDS de Pale Pattar :
Si le var (placenta) remonte, c’est dangereux pour la femme, ça peut aller jusqu’au cœur et cela peut tuer la
femme.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
GKM de Kangurmal:
Après la naissance, on n’attend pas le placenta.
[JH : Pourquoi ?]
Parce que c’est dangereux pour la femme ! Le var (placenta) remontera vers le cœur et cela tuera la femme !
(Var kaljala shidla tør bai marnyachi shkyta aste)
On ne fait que pousser, ou masser de l’extérieur, on n’intervient pas à l’intérieur du corps.
Ceci a déjà été documenté dans diverses régions du monde. Carla Makhlouf Obermeyer remarque
dans son article sur la naissance au Maroc une conception particulière du corps de la femme. Une
« ouverture » du corps favorise non seulement la conception, mais c’est cette même ouverture qui
permet à l’enfant de se tourner dans le ventre pendant la grossesse et également de « monter » dans
son corps causant des problèmes respiratoires pour la mère. Cette ouverture est essentielle afin de
faciliter l’accouchement. Mais cette ouverture peut également permettre au placenta de monter après
la naissance de l’enfant.
« But since the woman’s body is open, it is necessary to help it hold key parts in place to
prevent the placenta from going up. The expression til’ula lkhwatat refers to the placenta
going up inside the woman’s body, and the fact that there are several words in Moroccan
dialect to refer to the placenta testifies to its importance in the ethnophysiology of birth. To
prevent the placenta from moving up, the qalba cuts the umbilical cord and ties it to the
woman’s leg. She also holds the woman and massages her upper abdominal area, or she
holds her and shakes her so that the placenta comes down. » (Makhlouf Obermeyer, 2000:
188)46
Une fois le placenta sorti, la suin le place par terre près de l’enfant. Elle étire le cordon, et compte
une distance d’à peu près 3 à 6 largeurs de doigts du ventre de l’enfant. Elle sectionne le cordon avec
une lame de rasoir neuve ou avec l’aide d’un ustensile de cuisine (le vehli).
Les premiers soins et les suites de couches
Ensuite le bébé est amené à côté de la cuisine dans une pièce que l’on a préparée pour le bain.
PNG de Kharavade :
Le premier bain de l’enfant est fait par la suin. La farine est utilisée comme savon, et de l’eau chaude est
utilisée.
La suin le savonne avec de la farine de pois chiches ou avec du savon (plus rare), et ensuite le rince à
l’eau chaude. Ensuite la mère est lavée par la suin. Préalablement, elle lui masse le bas du dos, le
ventre, les cuisses, et la poitrine. Après le bain, un dhoori (une fumigation avec de l’encens) est
46
Traduction personnelle : « Parce que le corps de la femme est ouverte, il est nécessaire de l’aider en tenant
des parties essentielles du corps en place afin de prévenir que le placenta monte. L’expression til’ula lkhawatat
réfère au placenta montant dans le corps de la femme, et le fait qu’il existe plusieurs mots dans le dialecte
marocain pour parler du placenta témoigne de son importance dans l’ethnophysiologie de la naissance. Pour
empêcher la montée du placenta, la qalba coupe le cordon ombilical et l’attache à la jambe de la parturiente.
Elle tient également la femme et massage la partie supérieure de son abdomen, ou elle la tient et la secoue pour
que le placenta descende. »
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
préparé pour l’enfant et pour la mère. La suin, ou une autre femme, tient l’enfant dans ses mains et le
fait passer au dessus de la fumée de l’encens. Pour la femme, soit on prépare un dhoori-feu sous un
lit en métal sur lequel on demande à la femme de s’allonger et on la recouvre de couvertures ; soit on
demande à la femme, si un lit n’est pas disponible, de s’accroupir au dessus du feu et on la recouvre
de couvertures. La suin dit que le dhoori sert à assécher la vulve de la mère et pour rendre la peau
ferme.
GHA de Uksan :
Après le bain, il y a une séance de « fumigation » pour le bébé et pour la mère. Methi et waudungya sont
placé dans les braises. Si la fumigation n’est pas faite, la femme peut souffrir de grattements ou de problèmes
de peau.
(durée : 15 à 30 jours)
Après, la mère et l’enfant se retrouvent enfin. Généralement, on rhabille la femme et on enveloppe
l’enfant dans un tissu. On fait attention de couvrir la tête de l’enfant. Pour cela, on prend un
morceau de tissu en coton (souvent un vieux sari) que l’on plie en forme de triangle. On attache les
deux bouts du triangle à la nuque de l’enfant pour faire en sorte que la tête et les oreilles soient
couvertes par le tissu. On bande également le ventre de l’enfant pour protéger le nombril qui a été
préalablement enduit de cendres de bouse de vache ou de poudre antiseptique. On fait allonger la
femme tout en plaçant son enfant près de son corps.
On donne du thé à la mère si elle veut pour qu’elle reprenne un peu de force. L’enfant est mis au
sein, non pas pour téter mais pour sentir la chaleur et l’odeur de sa mère, et pour « prendre
l’habitude » du sein. Selon la suin, le lait prend environ trois jours pour monter. Pour favoriser ceci,
on donne à l’accouchée des laddhu (des patisseries très sucrées). Non seulement on dit que ceci
favorise la montée de lait, mais ceci démontre bien le statut privilégié de l’accouchée. En temps
normal, elle ne pourrait pas manger de tels délices. Après l’accouchement, sa mère et sa belle mère
en font uniquement pour elle.
GHA de Uksan :
« Aliv Laddhu » est fait. L’aliv a des graines et le laddhu n’est fait qu’à partir des graines qui une fois
mises dans l’eau gonflent…
Des laddhus de methi, aliv, karik, coconut, tup donnés à la femme. Pendant un mois, on donne divers
laddhus à la femme. On dit que cela favorise les montées de lait.
Mais les opinions divergent en ce qui concerne le colostrum. Certaines disent qu’il faut le donner à
l’enfant, d’autres disent que l’enfant n’est pas assez ‘fort’ pour le digérer.
ABB de Pale :
ABB dit que le /chik/ (colostrum) est important à donner à l’enfant. Cependant, pendant les 3 premiers
jours, on donne à l’enfant de l’eau et du sucre.
DGP de Samtanagar :
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Le lait monte le troisième jour. Dans cette communauté (Bhill près de Shirur) on ne donne pas le /chik/
car ça donnerait des « loose motions » au petit.
Cecilia Van Hollen, dans son étude au Tamil Nadu, a également rencontré ce problème. Des femmes
qu’elle a rencontrées ne promouvaient pas la prise du colostrum. Selon certaines, le colostrum
provoquerait la diarrhée et la nausée.
D’autres associent le colostrum au sang menstruel qui
s’accumulerait pendant la grossesse et donc d’une pollution extrême. Van Hollen a également
constaté que des femmes attendent trois jours pendant lesquels on donne de l’eau sucrée à l’enfant
avant de donner le sein. Cependant, Van Hollen relève que le discours des travailleurs sociaux
associés aux programmes de protection maternelle et infantile argumente en faveur de la prise du
colostrum disant que celui-ci fournit des anticorps essentiels pour le nouveau-né. (Van Hollen,
2003 : 180)
Après l’accouchement…
La suin nettoie la pièce où l’accouchement a eu lieu. Pour faire ceci, la suin refait le sol, en le
recouvrant de bouse de vache diluée à l’eau. Elle ramasse le placenta et le bout du cordon et les place
avec le sang dans un pot en terre cuite. Dans ce pot, il est important selon une suin dālit de
Kolawade, de placer le placenta avec le bout de cordon vers le ciel si l’on veut encore des enfants
dans le futur. Sinon, on met le placenta à l’envers dans le pot. Dans le pot, on met également du
halad (curcuma), kukum (poudre rouge), et du riz. Par dessus le tout, on recouvre avec la bouse de
vache et on enterre le pot près de l’endroit où l’on prend le bain. On peut planter une branche de
manguier au dessus de l’endroit. La pratique de l’enterrement du placenta n’est pas propre à l’Inde.
Bruno Saura rapporte que cette pratique est toujours vivante en Polynésie Française. Comme dans
d’autres pays, en Polynésie Française, on n’oublie pas que le placenta représente le double de l’enfant
né et doit ainsi doit subir un traitement spécifique. On l’enterre dans une terre familiale, souvent
dans la cours de la maison, et un membre de la famille y plante un arbre fruitier. « Ainsi (…) la
dangerosité traditionnelle du placenta, liée à l’impureté féminine, et au pouvoir de corruption ou de
contagion du sang, a laissé place à une vision plus positive de ce placenta, pouvant même donner lieu
à certaine exaltation identitaire. » (Saura, 2000, 6). Au Maharashtra comme dans d’autres régions en
Inde, le placenta est également sujet de traitement spécifique et pour certaines castes, il est l’objet
d’un rituel spécifique après la naissance.
Immédiatement suivant la naissance, quand la suin est libre de quitter la résidence de la parturiente,
elle rentre chez elle. Mais avant cela, elle doit procéder à certains rites pour purifier la mère, la
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
maison et la famille. Doranne Jacobson et Susan Wadley rapportent qu’en Inde du Nord, la dai47
casse les bracelets de l’accouchée qui sont pollués par la naissance. Elle l’enduit de curcuma, de
farine, d’huile, et d’eau afin de nettoyer sa peau. La dai masse l’enfant. C’est également la dai qui
pratique les bains purificateurs et qui nettoie la maison, recouvrant le sol et les murs de bouse de
vache. Cependant, elles rapportent qu’après Sor, la période d’extême impureté, la dai ne s’occupe plus
de l’accouchée, que c’est la femme barbier qui reprend le travail (1992 : 147).
Au Maharashtra, souvent, avant même de rentrer dans la maison, la suin doit faire des actes de
purification qui sont similaires à ce que Jacobson et Wadley ont pu observer. Mais la suin doit
également se purifier. Premièrement, elle casse ses bracelets. Elle boit ou bien elle dilue du gomutra
(l’urine de vache) dans son eau de bain, elle procède immédiatement au bain. Une fois lavée, elle
s’habille d’un nouveau sari. C’est seulement après avoir fait tout ceci qu’elle peut rentrer dans la
maison.
GKM de Kangurmal :
Qu’est-ce que la suin fait quand elle quitte le lieu d’accouchement ? Elle casse ses bracelets, prend du
gomutra, prend un bain, et change de vêtement.
TSK de Kolawade :
Pour enlever le « vital »
Il faut nettoyer le sang et le mettre à la rivière.
La suin rentre à la maison après l’accouchement. Tout d’abord, elle prend son bain, elle se lave les mains,
prend du /gomutra/ pour se laver de la pollution de la naissance.
Différent de ce que rapport Jacobson et Wadley, il semble que dans les campagnes du Maharashtra, la
suin est la seule responsable de ces rites de purifications. Bien que l’accouchement soit terminé, les
devoirs de la suin continuent. C’est peut-être dans cette période post-natale que sa présence est la
plus demandée.
PNG de Kharavade :
Le premier bain de l’enfant est effectué par la suin. On utilise de la farine comme savon et de l’eau chaude.
Les suites de couches consistent en massage et bain deux fois par jour pendant la période de
réclusion. La suin peut venir jusqu’à quarante jours pour faire les soins de suites de couches. Mais la
plupart des suins que j’ai rencontrées affirment que dans ces campagnes, les familles n’ont pas
les moyens de permettre à l’accouchée une période de réclusion si longue. Les femmes et les suins
interviewées parlent alors de deux dates importantes après l’accouchement qui peuvent marquer la fin
47
Le terme ‘dai’ est utilisé ici car il s’agit du terme employé par les auteurs.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
de l’intervention de la suin. Il s’agit du cinquième jour et du douzième jour, tous deux correspondant
à deux rituels importants dans la vie du nouveau-né.
GSM de Dudhvan :
pendant 5 jours, son devoir est de donner le massage et le bain au nouveau-né. Le massage et le bain peuvent
être donné jusqu’à 2 ou 3 mois, mais la suin assure les 5 premiers jours.
KNS de Dhamanahol :
La femme est donnée un bain pendant 12 jours. Massage est aussi donné à la
mère et à l’enfant pendant cette période. Pour l’enfant, le massage continue pendant 4 ou 5 mois.
TC de Kurunsgao : Massage est donné entre 5 et 12 jours par la suin. TC dit que c’est important pour
l’accouchée de recevoir ce massage. Le massage pour l’enfant a lieu pendant douze jours par la suin. Elle
utilise du goda tel (edible oil) chauffé.
DGP de Samtanagar : On fait un massage et on donne un bain (avec du goda tel et du savon
respectivement) le jour de l’accouchement et pareillement pendant 4 ou 5 jours suivant la naissance deux fois
par jour, matin et soir.
Il est à noter que la période semble différer selon la caste de la femme. GSM de Dudhvan est une
suin de la caste des bergers alors que KNS de Dhamanahol est maratha. Pour les bergers, la période
est plus courte que pour les marathas.
Geetabai de Uksan explique l’utilité du massage pour la nouvelle mère:
GHA de Uksan : La poitrine de la parturiente est massée car elle peut avoir des douleurs au sein dûes à la
montée de lait.
Drupadi Ubhe de Kolawade explique que la suin n’est pas obligée de faire ces massages. Souvent ce
travail revient à la grand-mère du nouveau-né.
DU Kolawade : Massage is given to the baby every day during this period. The massage is not done by the
suin, but by the grandmother.
A travers cette ethnographie, nous avons pu dresser le portrait de la naissance en milieu rural
maharashtrien, de la grossesse aux suites des couches. Nous avons pu voir que la suin joue un rôle
important à toutes les étapes. Néanmoins, nous avons pu également constater que la suin est parfois
remplacée dans ses fonctions par différentes femmes, notamment par la mère de l’accouchée ou bien
par sa belle-mère. Ceci nous amène à poser une question quant au véritable rôle de la suin.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Chapitre II : La suin, qui est-elle ?
Dans ce chapitre, je propose d’examiner tout d’abord le rôle de la suin dans l’assistance à
l’accouchement. Nous allons voir qu’elle détient un rôle double, un rôle technique en matière de
couches, mais aussi en matière de rituels entourant cet événement.
Comme j’ai pu expliquer au début de ce mémoire, la suin est l’assistante en couches en milieu rural
maharashtrien. Mais plus encore…qui est-ce la suin ? Il s’agit d’une femme bien respectée par sa
famille et par le reste de la communauté. Comme nous avons pu voir, l’espace féminin par excellence
au village est celui de la maison. Si une femme arrive à se faire respecter au sein de sa propre maison,
le respect envers elle du village entier lui sera accordé. Donc, une suin est un membre de la
communauté villageoise respectée par sa famille et par le reste de la communauté.
Les différents stades dans la vie d’une femme, comme nous avons pu constater sont régulés par son
mariage, sa fertilité, son comportement, son travail, etc. La dernière transition est la fin de la fertilité
à la ménopause. Une suin est une femme qui a connu ces différentes étapes de la vie. Elle a
accouché, souvent plusieurs fois. Mais lorsqu’elle devient suin, et qu’elle est reconnue en tant que
telle, elle a atteint la ménopause.
Si la grossesse et l’accouchement accordent à la jeune femme un nouveau statut, plus assuré dans la
maison conjugale, la ménopause accorde à une femme en milieu rural un changement définitif de
statut au sein de la maisonnée. A. Bagwe, dans sa monographie d’un village dans le Kokan (région
côtière du Maharashtra) relève ce fait en parlant de Akka, une femme du village :
« She was in her early thirties when she reached menopause, a fact that had caused quite a bit
of comment among her companions and female kin. Akka herself was greatly relieved, since
it meant a definite elevation in her household status.
Menopause was an important station that distinctly put her beyond her husband’s sexual
control. Not being subject to the hormonal surges that justified her biological, and hence, in
the eyes of the community, her total dependence on her man, was definitely perceived by
Akka as a liberating influence in her life. It brought her more on par with her husband
within the household authority structure (…) At last it enabled her to surmount the gender
division in a very immediate fashion in terms of exercising her control over domestic
matters, particularly since her mother-in-law was dead by then. » (Bagwe, 1995 : 109)
Je choisis cette citation pour faire un lien entre ce passage important dans la vie d’une femme et le
statut qu’elle acquière. Même si Akka, dans la monographie citée ci-dessus n’est pas une suin, je vois
tout de même certains parallèles avec les suins que j’ai pu rencontrer, toutes des femmes âgées.
Les suins vivent en milieu rural. Elles appartiennent souvent à une basse caste. Ceci correspondrait à
son travail touchant au corps, au sang, aux excréments. Mais celles que j’ai pu voir ne viennent pas
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
toutes de castes intouchables. Il s’agit souvent de femmes ayant appris ce métier par un membre de
leur famille ou belle-famille. Leur savoir est ainsi un savoir qui se transmet de femme en femme lors
des accouchements. Il s’agit souvent de femmes peu éduquées, et pour la plupart illettrées. Aucune
des suins que j’ai pu rencontrer n’a suivi une formation scolaire pour la devenir. On apprend à être
suin après avoir accouché soi-même et surtout en accompagnant et en observant d’autres suins
lorsqu’elles assistent d’autres femmes. Après avoir accompagné une suin plus expérimentée plusieurs
fois, certaines se sentent assez confiantes pour exercer sans les conseils de leur aînée. A ce moment
là cette femme, apprentie-suin, assiste à l’accouchement en tant que suin. Mais ce titre lui est accordé
seulement après avoir gagné un respect qui se construit petit à petit, après plusieurs accouchements,
lui donnant une réputation de réussites en couches. Cette réussite est mesurée selon ses prouesses en
matièrement d’accouchement, en sa capacité de gérer des situations difficiles, et son expérience. Elle
sait reconforter la femme en couches, la rassurant que tout se passera bien.
Pendant un
accouchement, d’autres femmes sont présentes, toutes ayant déjà accouché, mais c’est la suin qui
« commande », dictant à chacune ce qu’il faut faire.
Son rôle technique lors d’un accouchement chevauche un autre rôle. La suin est la seule à toucher le
corps et les parties génitales de la parturiente. Elle est également la seule, à part la parturiente, à
toucher les excréments du corps lié à l’accouchement, notamment le sang et le placenta. Ces
éléments relèvent de la pollution symbolique liée à l’événement. La suin est capable d’endosser cette
pollution qui touche néanmoins à tous les membres de la famille. C’est elle qui doit surveiller à ce
que tout soit bien fait dans l’ordre pour procéder aux premiers rites afin d’enlever cette pollution.
C’est pour ces raisons que c’est la suin qui, en plus du travail de l’assistance en couches, doit couper le
cordon ombilical, s’occuper de l’enlévement du placenta et du nettoyage immédiate après
l’accouchement. C’est aussi ce qu’ont observé Jacobson et Wadley dans leur étude en Inde du Nord.
Même si traditionnellement ce travail revient à la suin, toutes, la suin incluse, ont conscience de
l’extrême « impureté» de cet acte. J’ai pu assister à un accouchement où même la suin a refusé de
sectionner le cordon. Même s’il s’agit d’un cas exceptionnel, je souhaite ici relever ce qui peut
sembler anecdotique.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Voici un extrait tiré de mon cahier de terrain de février 2004.
Lors d’une réunion de suins à Male dans le district de Bhor, nous voyons revenir une des suins qui était partie en plein
milieu de la réunion. Elle nous dit qu’il y a une femme qui va accoucher dans le hameau à côté. Elle nous propose de
venir voir. Avec H. et M., nous sautons presque de joie, émerveillées par la chance que nous avons de voir un tel
événement. Nous nous précipitons vers nos sacs, carnets, appareils photos, prêtes à interrompre la réunion. Quelle
occasion !! La suin, calmement, nous dit que nous avons le temps de boire un thé avant d’y aller. Dix minutes après
nous insistons pour qu’on se mette en route.
Il s’agissait d’un cinquième accouchement pour une jeune femme près du village de Male dans le taluka de Bhor. La
suin venait de nous expliquer lors de la réunion à Male tout ce qu’elles font traditionnellement lors d’un accouchement.
Quand je leur avais demandé si elles attendaient l’arrivée du placenta pour sectionner le cordon, elles me l’ont toutes
affirmé. Elles m’ont également confirmé qu’elles ne provoquent pas la sortie du placenta. Elles attendent au moins une
demie heure, qu’il fallait parfois attendre plus longtemps, mais en aucun cas elles « forçaient » la nature.
Nous arrivons alors à la maison de l’accouchée. La maison est complètement fermée. On nous fait rentrer et on nous
demande de nous asseoir sur le lit en métal qui se situe juste devant la cuisine. La porte de la cuisine est fermée. On se
précipite pour nous servir un thé. H. et M. en boivent, j’attends ma tasse, impatiente tout de même à rentrer dans la
pièce. Nous entendons un grognement, c’est tout. H., la seule à parler marathi, insiste auprès de la vieille femme qui
nous sert le thé pour qu’elle nous laisse rentrer dans la pièce. Après un peu de négociation on nous permet de rentrer.
Nous rentrons. J’ai juste le temps de m’accroupir à côté de la porte derrière la suin. D’ici, je peux voir tout ce qui se
passe dans la pièce. Il y a des femmes à ma gauche près du chula où le feu chauffe une marmite d’eau. L’accouchée,
dans une position plus ou moins accroupie-assise, est soutenue par une femme. L’accouchée est habillée. Elle a juste le
sari défait, et quelques boutons de sa blouse en moins. Son jupon est à peine relevé. La suin est devant elle entre ses
jambes entre-ouvertes pour réceptionner l’enfant. Aussitôt que nous rentrons dans la pièce, l’accouchée fait une grimace
qui remplace un cri, et l’enfant sort. La suin réceptionne l’enfant. C’est une fille. Elle la place par terre aux pieds de
la mère. Autour de nous, les femmes et la belle-mère émettent des bruits de désappointement. Je ne comprends pas ce
qu’elles disent, mais H. me traduira plus tard qu’elles rouspètent car c’est encore une fille, la quatrième de ses cinq
enfants. La suin n’attend pas très longtemps, juste quelques instants, avant de commencer à masser très fort le ventre
de la mère pour faire descendre le placenta. La force de ses mains se lit sur le visage endolori de la mère. Personne ne
s’occupe de l’enfant. Quelques instants plus tard, la suin rentre sa main dans le vagin de l’accouchée pour « attraper »
le placenta afin de le faire sortir. Je reste accroupie et ébahie devant ce spectacle. Je vois que la suin porte toujours ses
bracelets et je remarque la force dans ses gestes. Très vite le placenta sort. La suin vérifie si l’organe est intact et la
place par terre. La suin parle à la belle-mère. Apparemment elle veut se débarrasser de la tâche du couper le cordon et
de nettoyer la pièce. Elle aurait un mariage de quelqu’un dans sa famille et ne voudrait pas être « salie » trop
longtemps. Les autres femmes comprennent et la déchargent de ces tâches. Je vois alors l’accouchée se remettre, toujours
accroupie, elle prend le cordon et une lame neuve qu’on lui passe. C’est elle-même qui sectionne le cordon. Ensuite, elle
(l’accouchée) prend le placenta et le place dans un pot en terre cuite. Elle reprend de la bouse de vache pour nettoyer le
sol de la pièce. Elle passe cette bouse partout pour ramasser le sang qui a été versé par terre. Elle met le mélange de
bouse et de sang dans le pot avec le placenta. Ensuite elle prend l’enfant et la place sur un bout de sari par terre et la
recouvre avec une couverture. C’est la première fois que l’on s’intéresse à l’enfant. La suin, qui ne s’est pas préoccupée
de toutes ces choses qui normalement lui reviennent, prend un bain. Elle ne s’occupe pas de l’accouchée. L’accouchée
prend l’enfant afin de la laver. Ensuite, quelqu’un d’autre (la belle-sœur, je crois) lave et masse l’accouchée. Après
nous devons partir. Mais le pot sera enterré là où la mère a pris son bain. (Journal de terrain, février 2004)
L’exemple de cet accouchement est révélateur de ce rôle de suin mais aussi de sa conscience de cette
impurêté.
La suin qui m’avait raconté une demie heure avant tout ce qu’elle fait lors d’un
accouchement n’avait fait que quelques gestes. Pourtant, la famille (féminine) entière présente pour
l’accouchement l’a reconnue comme suin et ce statut n’est pas remis en cause. Je me pose alors des
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
questions. Est-ce que ce relâchement de ‘devoirs’ de la suin est dû au fait qu’il s’agit d’un cinquième
accouchement ? Est-ce dû au fait qu’il s’agit de la naissance d’une petite fille dont on connaît le
fardeau que sa naissance et sa vie représentent ? Est-ce dû au fait que cette femme accouche chez sa
belle-famille ? Est-ce que cet événement se serait déroulé autrement si elle avait accouché dans sa
propre famille ? Si la suin n’a pas accompli la moitié des tâches dont elle m’a parlé, est-ce qu’elle est
revenue pour les suites de couches, les massages, les rituels, ou a-t-elle également laissé ceci pour la
belle-famille ? Malheureusement, je n’ai pas les réponses à ces interrogations. Mais la recontre avec
une autre suin, d’une autre région, m’a fait comprendre que la suin n’est pas forcément une praticienne
‘holiste’ qui s’occuperait de tout l’événement, de la grossesse aux suites de couches. Certaines
s’occupent seulement de l’accouchement.
D’autres s’occupent seulement de la suite des couches.
Pourtant, toutes sont appelées suin.
Suin, seulement assistante en couches ?
Zanabai de Shirur se spécialise en massage pour enfants.
Elle ne fait pratiquement plus
d’accouchements, mais s’identifie et se présente comme ‘suin’.
En l’entendant, on apprend que la
suin n’est pas seulement l’assistante lors d’un accouchement. Dans ce context plutôt urbain où
pratique Zanabai, la suin est également la femme qui vient pour les soins des suites de couches,
notamment pour des massages et bains pendant la période de réclusion de l’accouchée.
Zanabai Dattrai Gaikwad, Shirur.
Nous sommes arrivés à Shirur, une grande ville à l’est de Pune à une heure et demie de bus. C’est ici qu’habite la
famille de l’animateur principal de l’association V. Son frère tient un petit magasin et toute la famille s’en occupe. Ils
ont appelé Zanabai, une ‘suin’ de la ville qu’ils connaissent. Ce sera le seul entretien que j’ai avec une ‘suin’ « semiurbaine ». On fait l’entretien à l’étage chez eux. Il fait chaud, le ventilateur est bloqué sur nous. La télévison est
allumée derrière. La petite nièce fait des danses à la Bollywood pour nous distraire. La mère de l’animateur est aussi
bavarde que Zanabai et nous assistons donc à une conversation entre ces deux femmes. Peu à peu j’arrive à saisir
l’histoire de cette Zanabai…
Zanabai est une femme forte à un visage à la fois doux et dur. Elle ne me semble pas être très âgée comme d’autres
suins que j’ai pu rencontrer. Sans certitude, je lui donnerais 65 ans. Je ne suis pas sûre de sa caste, mais de son nom
de famille, Gaikwad, je suppose qu’elle n’est pas d’une caste élevée. J’avais rencontré auparavant une autre femme qui
s’appelait ainsi et elle était dalit. Ceci correspondrait au statut de son métier de ‘suin’ ; un métier touchant au corps et
aux excrétions de celui-ci.
Elle est connue ici à Shirur. Elle y est née et y est élevée. Elle travaille en tant que ‘suin’ depuis une trentaine
d’années. Sa grand-mère faisait ce travail et c’est une fois quand une des femmes de sa famille accouchait que sa grandmère a demandé qu’elle vienne l’aider, pour voir comment elle massait.
Elle commence à nous dire ce qui se faisait avant…
« Avant, on utilisait une pierre pour couper le cordon » (Elle démontre avec ses mains, un mouvement d’écrasement.
La maman de l’animateur principal acquiesce). « Il n’y avait jamais de soucis d’infection…personne ne s’inquiétait de
ces choses-là. » « Avant, on utilisait de l’huile végétale pour le massage. On commençait à la tête, puis aux membres
du corps. »
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Mais Zanabai n’a pas toujours travaillé en tant que ‘suin’. Elle nous explique qu’après la mort de son mari, elle a
mené un service de ‘dabba’, (catering à l’indienne) pendant un temps. Mais après, ce travail est devenu difficile et sa
situation économique demandait qu’elle fasse autre chose. C’est à ce moment là qu’elle a repris le travail de ‘suin’.
Elle nous explique qu’il y a une quinzaine d’années, il y avait un certain Dr. Mutha qui avait un hôpital en ville.
Elle a travaillé pour lui pendant un temps. Elle était ce que l’on appelle en Inde, ‘ayah’. Elle s’occupait de la mère et
de l’enfant et du nettoyage après l’accouchement. Elle n’assistait pas aux accouchements à cette clinique. Elle dit que
la logique des gens éduqués est différente et comme elle n’est pas éduquée, elle n’a jamais osé contredire le médecin à
propos de ses pratiques. Un jour, une femme dans la clinique de Dr. Mutha est morte en couches. Après cela, on a
battu ce médecin, et ensuite il s’est enfui. Zanabai nous raconte ceci avec un sourire aux lèvres. La mère de
l’animateur principal rigole un peu en se souvenant de l’histoire. Aujourd’hui, il y a selon ces femmes 70-80 cliniques
à Shirur. Le prix pour un accouchement par voie naturelle est d’environ 2500 Rps. mais pour une césarienne les prix
varient entre 5000 Rps. et 15000 Rps. Aujourd’hui, on utilise les ‘scizzors’ et on craint la tension élevée, donc
Zanabai dit ne même pas vouloir toucher la femme pour l’accouchement. Elle dit qu’avant les gens n’étaient pas au
courant de tous ces problèmes, mais aujourd’hui, ils se réfèrent tout de suite au médecin pour n’importe quel problème.
Pourtant, Zanabai me dit qu’elle est suin, qu’elle a repris ce travail après ses difficultés financières. Il y a deux choses
qui m’interpellent dans le discours de cette ‘suin urbaine’. Elle dit ne pas vouloir faire des accouchements alors qu’elle
s’appelle ‘suin’. De plus, elle est revenue à ce travail pour avoir de l’argent. Pour elle, ce travail se rémunère alors en
argent et non pas en offrandes et en objets ! Cette Zanabai et son discours m’amènent alors à me poser la question :
qu’est-ce qu’une suin si elle ne fait pas d’accouchements ?!!
Zanabai ne semble pas du tout troublée par ce qui me semble être un paradoxe. Pour elle, la suin s’occupe de la mère
et de l’enfant pendant les quarante jours suivant la naissance. La suin est la spécialiste de ces soins post-natals
traditionnels. Zanabai s’occupe des massages et des bains post-accouchements pour la mère et pour l’enfant. Elle se
rend chez l’accouchée deux fois par jour, le matin et le soir. Le matin, la session peut durer entre une demie-heure et
deux heures. Le soir, entre une demie-heure et une heure. Elle utilise l’huile de graine de moutarde pour le massage.
Elle masse tout le corps, tous les jours. En cas où la femme a subi une césarienne, elle ne masse pas trop le bas ventre
où il y a la cicatrice de l’opération. Le matin, elle masse l’enfant et la mère, puis leur donne le bain, puis elle fait une
fumigation pour l’enfant et la mère. Ceci s’appelle dhoori. Elle dit qu’il faut un certain talent pour bien faire cette
dernière étape de fumigation. Il faut accorder une attention particulière à ce que les charbons soient bien chauds, mais
aussi à ce qu’on continue à déplacer cette chaleur partout sur le corps. Il faut rester juste assez, mais pas trop car on
peut brûler la peau. Ces séances quotidiennes durent 40 jours. Ceci correspond à la période d’enfermement de
l’accouchée.
Zanabai est fière de son travail et nous dit qu’elle arrive à gagner Rps 5000 par mois pour son travail. Sa clientèle
n’est pas restreinte à une caste en particulière. Elle dit qu’elle travaille beaucoup pour la communauté des Gujarati.
Elle dit que ces gens là peuvent payer et peuvent se permettre de prendre 40 jours sans travailler. Zanabai travaille
aussi dans les communautés des Maharashtriens, mais elle dit que c’est souvent pour moins longtemps (12 jours) car ils
ne peuvent pas se permettre d’arrêter le travail pendant plus longtemps. Les critères de choix dans sa clientèle sont à
premier égard financiers. Mais elle nous dit qu’elle sert les familles avec qui elle se sent tout d’abord à l’aise, qu’elle
connaît bien.
(Extrait du journal de terrain après les entretiens avec Zanabai Dattrai Gaikwad les 24 mai et 23 octobre 2005)
Zanabai se distingue des autres suins que j’ai pu interviewer. Non seulement par le fait qu’elle ne fait
pas d’accouchements, mais elle explique très clairement que son travail se rémunère financièrement.
Est-ce dû au fait qu’elle se trouve dans un milieu urbanisé ? Elle explique qu’à Shirur il y a beaucoup
de cliniques où les femmes vont accoucher. Y aurait-il alors peu de demandes pour les services d’une
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
suin pour un accouchement à domicile ? Ou alors est-ce que sa réticence envers des accouchements
est plutôt due au blâme qu’elle pourrait subir si l’accouchement à domicile se déroulerait mal ? En
tout cas, Zanabai et son entourage la reconnaissent en tant que suin car elle exerce un métier qui
satisfait un besoin de soins, au sens de ‘care’ développé par F. Saillant. Rappelons que les soins sont
apportés afin de répondre « à des valeurs et visant le soutien, l’aide, l’accompagnement de personnes
fragilisées dans leurs corps et leur esprit, donc limitées de manière temporaire ou permanente dans
leur capacité de vivre de manière ‘normale’ ou ‘autonome’ au sein de la collectivité » (Saillant et
Gagnon, 1999 : 5)
La femme indienne après son accouchement est justement dans cet état fragilisé temporairement non
seulement à cause de l’acte physique d’accoucher, mais également par la pollution liée à la naissance.
La suin intervient avec les massages afin de stimuler le corps phsyique afin qu’il reprenne ‘forme’,
pour la mère et pour l’enfant. Mais la suin intervient également sur un plan rituel afin de procéder à
l’enlèvement de la pollution.
Rituels autour de la naissance…Pacvi & Baravi
L’univers féminin au village comporte divers espaces d’expression malgré son apparence fermée. Au
Maharashtra, ces espaces s’intègrent dans la vie quotidienne et sont souvent sous la forme de chants,
de jeux, ou de rituels qu’elles pratiquent tout au long de leur vie.48
Inhérent à ces formes
d’expression est la conscience religieuse permettant, d’une part, par des paroles et des gestes de
préparer la femme à faire face à sa condition en milieu rural et, d’autre part, d’exprimer son
dévouement spirituel afin de maintenir la pureté et l’honneur pour elle-même et ainsi sa maisonnée.
Cette « religiosité » au quotidien des femmes au village a pour but la protection et la prévention des
malheurs et des maladies.
Les rituels liés à la naissance sont également du domaine féminin et permettent à l’accouchée de
ragagner la vie ‘normale’. Nous avons déjà vu que l’accouchée vit une période de réclusion après la
naissance, que l’on pourrait qualifier de période de ‘marge’ selon Van Gennep. Cette période permet
à l’accouchée de se reposer après l’effort de l’accouchement, mais elle est avant tout une période liée
à la pollution de la naissance qu’il faut absolument enlever avant que la femme puisse reprendre une
vie active et normale. Sa durée peut varier de cinq à quarante jours à la fin de laquelle un rituel est
effectué, souvent par l’accouchée elle-même ou par d’autres femmes de sa famille.
48
Jacobson et
Il s’agit de chants de la meule (ovis), des berceuses (palne), des chansons et jeux. Ces modes d’expressions
intéressantes ne sont pas développées en détail ici, mais le lecteur peut avoir plus d’informations en consultant
des ouvrages de Poitevin, qui a dédié une grande partie de sa recherche à l’étude des chants de la meule et à
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Wadley ont observé que la date exacte marquant la fin de cette période peut être annoncée par un
Brahmane (1992 :152) Personnellement, je n’ai pas rencontré ce même phénomène. Dans les
campagnes maharashtriennes, il y a aujourd’hui peu de Brahmanes. Je ne peux que me demander à
ce jour si l’absence de Brahmanes dans les rituels dont on m’a parlé est due à une spécificité de ces
campagnes et de l’histoire politique maharashtrienne. Cette question des rapports des castes et de la
politique liés au domaine des pratiques de la naissance sera abordée dans un travail futur.
Dans un article du livre de Jacobson & Wadley, Jacobson décrit la naissance et les rituels entourant
cet événement dans un village en milieu rural dans le nord de l’Inde. Il est intéressant à noter des
différences entre ce que j’ai pu observer à propos des rituels au Maharashtra et ce que je lis dans son
écrit. Par exemple, selon ses observations, pendant les trois premiers jours seule la dai49 peut
approcher la mère et l’enfant qui sont dans un état d’extrême impureté. Toute la lignée patrilinéaire
de l’enfant est touchée par cette pollution. Pendant trois jours, la dai lave la mère et l’enfant après les
avoir massés. Par contre, un rituel du troisième jour marque la fin de cet état d’extrême impureté et
également la fin de l’intervention de la dai. Ce troisième jour, la dai casse les bracelets de la mère,
pollués par la naissance. Le rituel le plus important dans la région d’étude de Jacobson est le Chauk.
Il n’y a pas de date précise, mais cette cérémonie peut avoir lieu entre une semaine et 10 jours après
l’accouchement. Ce n’est pas la dai qui guide cette cérémonie mais la femme barbier (the barber
woman)50.
Au Maharashtra, il existe plusieurs rituels liés à la grossesse, à l’accouchement, et à la vie du nouveauné. Certains ressemblent à ce que décrivent Wadley et Jacobson de leur terrain de l’Inde du Nord.
Au Maharashtra, la suin occupe une place importante pour les rituels que je souhaite décrire. Lors de
mon étude, aucune mention de la femme-barbier qui reprendrait un rôle rituel n’a été évoquée. Dans
le chapitre précedent, j’ai exposé brièvement la cérémonie du Dohal Jewan qui a lieu pendant la
grossesse en milieu marathi et qui trouve son parallèle également dans différentes régions de l’Inde.
Maintenant je voudrais exposer deux autres rituels qui ont lieu en milieu rural marahashtrien dans les
jours suivants la naissance d’un enfant. Il s’agit du cinquième et du douzième jour. La suin est très
impliquée dans ces rituels, mais ceux-ci peut, dans certains cas, marquer la fin de son aide.
KKP de Kulshi:
l’expression du mouvement religieux du Bhakti. Concernant les palne et autres jeux au Maharashtra, le lecteur
peut consulter les ouvrages et articles de Dandekar et Chitnis cités dans la bibliographie.
49 J’emploie le terme ‘dai’ ici car l’étude de Jacobson et Wadley s’est déroulée en Inde du Nord où le terme ‘dai’
est employé pour désigner l’homologue de la ‘suin’. C’est également le terme qu’emploient les auteurs.
50
« The chauk ceremony itself takes place at dusk …is a private ceremony, normally attended by women and
girls of the household and by the Barber woman, who physically guides the new mother through the ceremony.
Boys and men are usually excluded” (Jacobson, 1992: 148))
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Chaque matin et chaque soir, elle (la suin) vient laver l’enfant et la mère jusqu’à Pacvi. Le jour de Pacvi, la
suin prépare le patta.
Le soir du cinquième jour après la naissance, les portes sont laissées ouvertes. C’est l’occasion d’un
grand événement. Il s’agit du soir quand Satubai vient rendre visite à la mère et à l’enfant pour lui
inscrire sa fortune sur son front. On appelle cette cérémonie Pacvi.
SVP de Gadle :
La cinquième nuit, les portes sont laissées ouvertes pour que Satubai puisse rentrer et écrire le destin de
l’enfant sur son front. C’est une occasion heureuse. Tout le monde est heureux de savoir que la déesse vient.
La pierre plate (le patta) est gardée jusqu’au 7ème jour. Ce 7ème jour, les ornements sur la pierre sont jetés
là où coule l’eau. Le sixième jour, Brahmadev vient voir comment le patta a été orné.
Sarubai Kadu m’a parlé de Satubai en livrant une histoire expliquant le caractère de la déesse:
Personne ne sait quand elle vient pour écrire la fortune. Mais il faut garder les portes grandes ouvertes.
L’histoire veut qu’un petit garçon a attendu derrière la porte pour Satubai. Il l’a vue et en lui tenant la
main, il a demandé ce qu’allait être son destin. Satubai a été prise d’une grande colère après la question de
l’enfant et lui a retorqué : « Toi, le jour de ton mariage, tu trouveras la mort. ». Naturellement, ceci a suscité
beaucoup d’inquiétudes dans la famille de l’enfant. Le jour de son mariage, son père a veillé à ce que tout soit
en sécurité totale et qu’aucun danger ne pourrait toucher son fils. Mais juste quand ils échangeaient les vœux,
un serpent s’est glissé dans la salle et a mordu le garçon, causant sa mort.
Satubai écrit de bonnes et de mauvaises choses. On ne peut jamais demander, on ne peut jamais savoir ce
qu’elle écrit. On peut lui faire des navas (vœux), des pujas (offrandes), mais on ne peut pas forcer les choses.
En milieu rural maharashtrien, Satubai et Brahmadev rendent visite dans la cinquième nuit après la
naissance. Mais une amie de caste brahmane de Pune m’a raconté une version légérement différente
de ce que je trouvais au village. Voici un extrait de mon journal :
A l’occasion d’un repas pour Dasara (le nouvel an hindou), Beena et moi avons commencé à parler de mon
sujet d’étude. J’ai mentionné que Pacvi m’interessait de plus en plus et que cette déesse Satubai pour moi
était plus qu’intriguante. Beena m’a dit, « Satubai ? ah…tu veux dire ‘Satvi’ » Malgré mes lacunes en
marathi, je lui confirme en disant qu’au village on l’a appelée ainsi. Nous étions d’accord sur le fait que cette
Satvi/Satubai est celle qui vient pour écrire le destin de l’enfant. Beena a même affirmé qu’il existe en
marathi une expression « Satvi l’a écrit » que l’on utilise toujours au quotidien. Avec nous ce jour là était
une étudiante allemande. Beena a commencé alors à lui expliquer que Satvi vient pour écrire comment la
personne va mourir. Et puis Satvi continue à écrire les autres obstacles et difficultés que la personne
rencontrera au cours de sa vie. Je suis alors intervenue pour dire qu’on m’a dit que Satubai écrivait également
de bonnes choses. Beena m’a vite corrigée en disant que Satvi n’est pas celle qui écrit des choses positives.
Non, il y a une autre déesse qui l’accompagne qui s’appelle Jivti. Jivti protège l’enfant du mal de Satvi, et
empêche cette dernière d’écrire trop de mauvaises choses.
Pour l’expliquer, Beena s’est mise à nous raconter une histoire : Il y a avait une femme qui avait beaucoup
de mal à avoir des enfants. Elle avait fait année après année des puja, des offrandes aux dieux pour lui
accorder la naissance d’un enfant. Elle était gentille et pieuse. Un jour, elle est tombée enceinte. Après la
naissance de l’enfant, elle avait fait tout ce qu’il fallait pour remercier les divinités pour la naissance de celuici. Lors du Pacvi, elle avait décoré le patta de façon merveilleuse et avait laissé les portes grandes ouvertes
pour que Satvi puisse rentrer voir son fils. Le soir du Pacvi, Satvi est rentrée, et elle a commencé a écrire :
« Cet enfant va mourir. » Mais Jivti n’était pas loin et a vu ce qu’écrivait Satvi. Jivti a rappelé à Satvi les
qualités de cette femme, les pujas, les navas, les offrandes, et le fait qu’elle ait attendu si longtemps pour cet
enfant. Jivti a supplié à Satvi de ne pas écrire que l’enfant allait mourir. Les deux déesses ont querellés
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
pendant un moment. Ensuite Satvi a dit, « tu sais, une fois écrit, je ne peux plus enlever ces mots. » Alors
Jivti est intervenue et a rajouté quelques mots « à un âge très élevé» pour que le destin de l’enfant se lit « Cet
enfant va mourir à un âge très élevé» afin de garantir une longue vie à cet enfant.
Lorsque je suis retournée dans les villages, j’ai posé la question à savoir si Jivti agissait lors du Pacvi.
Mais dans les villages, on ne parle pas d’elle. La seule chose qu’on a pu me répondre c’était
qu’effectivement il y a une dimension positive et négative associée à Satubai qui peut inspirer une
peur et une crainte chez les femmes. Elle est puissante et peut écrire la mort d’un enfant malgré les
bonnes actions de la mère. Ces deux histoires différentes m’intriguent. Est-ce que leur différence
est due aux différences de castes ? De milieu urbain vs. milieu rural ? La dimension de crainte, de
dualité (bon/mauvais) associée à Satubai n’est pas propre à celle-ci mais se trouve chez beaucoup de
divinités en Inde. Cette dimension dichotomique est à approfondir dans un futur travail.
Le jour de pacvi dans les campagnes peut marquer la fin de la période d’aide de la suin en ce qui
concerne les bains et les massages. Après ce jour, la belle-mère ou une autre femme dans la maison
se chargera des massages pour la mère et pour l’enfant.
Mais ce jour, la suin tient toujours un rôle
important. C’est elle qui prépare le contenu du patta (la pierre à broyer). La suin et les femmes de la
maison participent avec beaucoup de joie à préparer l’endroit pour l’arrivée de la déesse.
KNS de Dhamanahol :
La suin a une grande importance dans cette cérémonie car c’est elle qui place les divers objets sur la pierre à
broyer (le patta).
La suin dresse le patta. C’est elle qui sait comment tout placer afin de plaire à la déesse. Le patta doit
être dirigé vers l’est. Neuf lamps devraient être allumées dont quatre sur le patta, deux à la tête du lit
de la femme, deux à ses pieds, et une à l’endroit où l’on a enterré le placenta. Une lampe en pierre est
également placée au milieu du patta. Une demie noix de coco est placée sur la pierre et contient des
grains de riz et du sucre non raffiné. De l’argent et des fleurs sont également disposés sur le patta. Il
existe une croyance selon laquelle l’enfant est le cadeau offert par la déesse Satubai. La cérémonie de
pacvi est donc faite en reconnaissance de cela. C’est une manière pour les femmes de rendre
hommage à la déesse et de la remercier.
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Pierre à broyer décorée pour pacvi. (Dessin tiré de mon journal de terrain, d’après l’entretien avec
KNS de Dhamanahol)
Le patta, la pierre à broyer, est paré de diverses choses et préparé de différentes manières selon
l’endroit et la caste.
KNS de Dhamanahol:
Des graines de fenugrec (methi), des graines de ‘wova’, neuf feuilles de ‘rui’, neuf lampes faites avec la farine
de riz, une lampe en pierre, des pois cuits (gugaria), de la ficelle pour fabriquer des mèches pour les lampes, du
curcuma, du ‘kukum’(poudre rouge), du sucre non raffiné (ghul), de la noix de bétel, de l’huile végétale, des
amandes (badam), des dattes (karik), de la noix de coco séchée en morceaux, une noix de coco entière, des
fleurs, de l’argent…
Kasabai, auteure de la citation ci-dessus, vient de Dhamanahol, une région dans une vallée à la
frontière de Pune district, au pied des montagnes Sahiyadri. Elle appartient à la caste des Marathas,
qui sont majoritaires dans le Pune district et dans le Maharashtra. Dans la même région chez les
Dhangars (bergers), on n’utilise pas la pierre à broyer mais le sup (un van, un panier plat utilisé pour
nettoyer le grain et le riz) pour exposer les offrandes pour Satubai. Le sup (le van) est important pour
diverses raisons. Non seulement cet instrument est utilisé pour séparer le grain de sa cosse, mais on
lui accrédite un pouvoir de prévenir le mal et banir les mauvais esprits. Ce pouvoir est associé à
Mariamma ou Sheetala, déesse liée à la rougeole. Abbott remarque l’importance de cet ustensile. On
remarquera également le lien entre ces rites et la protection contre des maladies.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
« When a child is attacked by smallpox a winnowing fan is used to create a wind and the
child is supposed to be relieved as it is fanned (...) A winnowing-fan is used by all
communities to avert evil and epidemics. The Katkari, when there is an epidemic of fever,
takes a winnowing fan and places in it a conconut, liquor, and a fowl with two or three
images of flour in human semblance and carries it to the village boundrary, where the
comestibles are eaten and the fan is left for the next village to pass on in turn to its
neighbour. (...) In the practice of Utara, in which things are waved round a sick person and
deposited at cross-roads in the hope that the sickness will be transmitted to others (...) If a
child be born at an inauspicious moment it is placed in a winnowing fan with grain and
placed before a cow which eats the grain and smells and breathes upon the child, thus
removing the anticipated evil. (...) On the sixth day after a birth when the goddess Sasthi51 is
worhipped along with the instrument with which the child’s navel cord was severed a
winnowing fan containing rice, coconut and a khan or bodice cloth is given to the officiating
priest or his wife. » (Abbott, 2000: 388-389)52
Bien qu’on fête aussi le pacvi chez les Dhangars (Bergers), la cérémonie est moins élaborée que chez les
Marathas. La liste des éléments à mettre dans le sup est plus limitée que celle apporté par KNS
(Maratha) de Dhamanahol. Tout est réduit en nombre. Au lieu de neuf lampes, les Dhangars n’en
mettent que deux ; une sur le sup et l’autre à la place du placenta enterré. Les autres éléments sont
présents mais en moindre quantité.
A Shirur, à l’est de la ville de Pune dans les plaines, on dessine une figure humaine avec le riz sur le
patta. Parfois on n’y met qu’une seule lampe. Chez certaines castes et notamment chez les Mahadev
Kholi de la région montagneuse à l’ouest de la ville de Pune, on met du poisson sur le patta et aussi du
sable en plus des autres éléments. Si un chat vient dans la nuit et mange le poisson, c’est bon signe ;
signe que Satubai est passée pour inscrire le destin sur le front du nouveau-né.
GGT de Thorangao :
Le 7ème jour après la naissance, le patta est nettoyé. Tout ce qui ne peut pas être utilisé est jeté là où l’eau
coule. 12 dessins sont fait dans la maison et les portes sont laissées ouvertes. Le passage d’un chien ou d’un
chat peut être auspicieux car ils symbolisent la présence de Satubai.
51
Sasthi est un autre nom pour la déesse Satubai. Le nom de Sasthi est utilisé surtout en Inde du Nord.
« Lorsqu’un enfant est atteint de la rougeole, un van est utilisé pour créer un petit vent et l’enfant y trouve
un soulagement (…) Un van est utilisé par toutes les communautés afin d’éloigner le mal et les épidémies.
Chez les Katkari, lors d’une épidémie de fièvre, on prend le van et on y place une noix de coco, de l’alcool, et
un volaille, ainsi que deux ou trois images d’humains fait en farine. On porte ce van à la limite du village où ce
qui est comestible est mangé et le van est laissé pour que le village voisin le reprenne et continue le rite. (…) La
pratique de l’Utara est de placer diverses choses dans le van et de le présenter devant et autour du malade et
ensuite le laisser au carrefour du village avec l’espoir que la maladie soit transmise à autrui ailleurs. (…) Si un
enfant est né à un moment inauspicieux, on le place dans un van avec un peu de grain. Le tout est placé devant
une vache qui mange le grain et renifle et souffle sur l’enfant, ainsi enlevant le mal anticipé. (…) Le sixième
jour après la naissance lorsque la déesse Sasthi est vénérée avec un van contenant du riz, une noix de coco et un
morceau de tissu sont présentés au prêtre ou à sa femme. » (Abbot, J. 2000. Indian Ritual and Belief: The Keys of
Power. New Delhi: Manohar. (First published in 1932)
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Les éléments mis sur le patta ou dans le sup sont gardés pendant plusieurs jours, généralement
pendant trois jours, du cinquième au septième jour.
Pacvi est non seulement une fête pour rendre hommage à Satubai. Les femmes de toutes les castes
ont parlé de l’attention particulière portée au placenta. Rappelons que lorsque l’on place des lampes
sur le patta ou sur le sup, une lampe est également placée là où l’on a enterré le placenta. Les suins
katkaris ont affirmé que le pacvi concerne, chez elles, avant tout le placenta.
Extrait d’entretien avec Tarabai Katkar de Lawarde :
Les katkaris font un puja spécial pour le placenta. C’est autour du placenta et non pas du patta que les
katkaris fêtent Pacvi. Pour cette célébration, on met 5 feuilles décorées de halad, kukum, et kajal sur une
pierre qui recouvre l’endroit où le placenta et tandul ont été enterrés. Un panier est placé à l’envers par
dessus. Tarabai insiste sur le fait que ce soit la suin qui prépare tout ceci. Les feuilles sont placées dans
différentes directions selon les divinités que l’on vénère. On danse et on fait la fête toute la nuit en attendant
l’arrivée de Satubai. Lorsque je demande à Tarabai pourquoi les katkaris font cette fête, elle répond tout
naturellement « Tradition ». Il a fallu que l’on insiste un peu pour qu’elle donne une raison plus élaborée:
« Pour que l’enfant n’aies pas de problèmes plus tard. »
Mais KNS, une suin maratha de Dhamanahol parle également de l’importance de rendre hommage au
placenta :
KNS de Dhamanahol:
Curcuma, kukum (poudre rouge), pois, et lampes sont placés sur une feuille et présenté devant le lieu où le
placenta est enterré. C’est comme ça qu’on lui rend hommage. Personne ne parle. On honore le placenta.
Pourquoi un tel traitement pour le placenta? Quelles sont les représentations de celui-ci ? Tarabai
parle de l’honorer en souci de protection pour l’enfant. Selon certaines suins, surtout de castes
intouchables, le placenta peut rendre la vie à un enfant mort-né. Ceci et les hommages à son égard,
ainsi que le traitement spécifique qui lui est dédié décrit dans d’autres cultures, me laissent croire qu’il
existe des croyances plus profondes vis-à-vis cet organe. Ce sujet reste à approfondir.
La suin ou une autre femme de la famille fait des dessins dans la maison que l’on appelle baliram.
Selon Geetabai, une suin de Uksan, en pays mawal, à l’ouest de la ville de Pune, douze dessins sont
fait de simples traits verticaux fait de halad et kukum à plusieurs endroits dans la maison ; trois là où
on fait le bain, trois à la tête du lit, trois au pied du lit, et trois près de la porte. Ces traits symbolisent
les douze protecteurs qui sauvegardent l’enfant.
GHA de Uksan :
12ème JOUR :
/barabøli/
12 pierres sont placées à la porte symbolisant des 12 protecteurs/guardiens. Halad et kukum sont placés sur
les pierres. L’enfant et la mère sont amenés à cet endroit pour qu’ils saluent les dieux (namaskar). De la
nourriture est présentée aux dieux.
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Ces dessins restent au mur jusqu’au douzième jour après la naissance de l’enfant, un autre jour
marqué de célébration rituelle : baravi.
Pour le douzième jour en pays marathi, on invite douze jeunes filles à déjeuner. On prépare toute la
nourriture le jour même, des restes ne devraient pas être servis ce jour-là. Mais avant de servir le
déjeuner aux jeunes invitées, celles-ci chantent une berceuse car le berceau est mis en place le jour de
baravi.
KNS de Dhamanahol :
Le douzième jour, il y a une chanson dédiée au nouveau-né. Ce douzième jour est le jour de la fête du
berceau où le berceau est suspendu et les jeunes filles sont invitées pour chanter des berceuses.
En milieu rural, le douzième jour marque la fin de la réclusion pour la mère.
GHA de Uksan:
Après les dessins qui ont été fait un peu partout dans la maison sont nettoyés des murs. C’est à ce moment
là que la femme peut aller dehors et recommencer son travail.
LGK de Mhase Budruk :
Jusqu’au douzième jour, la femme ne peut pas bouger (quitter la maison). Le douzième jour, elle fabrique un
dieu avec une pierre et elle la place avec du kukum (poudre rouge), de la noix de coco, du blé, du riz, de
l’argent à deux cent mètres de la maison. Elle amène l’enfant à cet endroit et salue les dieux. Après avoir
fait ceci, elle peut aller au village.
C’est donc après ces deux fêtes que la nouvelle mère commence à reprendre ses activités normales.
La période de repos pour la femme dure donc au moins 12 jours. Après, selon sa caste ou sa
situation économique, la femme restera plus ou moins longtemps en isolement.
La reconstruction d’une ethnographie de la naissance en milieu rural nous a permis de réunir un
grand nombre d’observations des pratiques liées à cet événement. Beaucoup de ces observations
laissent un champ ouvert de questionnements et de sujets à analyser plus en profondeur dans des
travaux futurs.
Une discussion autour de la suin, praticienne de la naissance en milieu rural
maharashtrien nous a éclairé quant à son rôle ‘double’ dans l’assistance en couches, nous amenant à
regarder des rituels importants dans la vie du nouveau-né dans cette région. Des pratiques de la suin
suscitent une réflexion quant à leur compétence et leur validité à un niveau biomédicale. C’est pour
cette raison que de nombreux organismes sanitaires viennent dans ces régions afin de promouvoir
une meilleure acceptation de pratiques de soins en santé primaire (de type biomédical). Mais il existe
également d’autres genres d’associations venant dans ces régions rurales qui militent pour
l’autonomie des villageois et des pratiques ‘traditionnelles’. Les suins sont objets des projets de ces
deux sortes d’organismes. Malheureusement lors de cette étude je n’ai pas pu analyser les pratiques
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des organismes de type biomédical. Par contre, je propose de regarder des activités d’un organisme
non gouvernemental travaillant en milieu rural qui figure dans cette deuxième catégorie.
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QUATRIÈME PARTIE
Observation d’une ONG
travaillant en milieu rural maharashtrien
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Chapitre I : L’Association de Poitevin
La structure existante : historique et actualité
L’association C., qui m’a servi d’institution d’affiliation, n’est qu’une partie de la structure existante à
Pune, qui était sous la direction de Guy Poitevin. Il est un peu difficile pour moi de discerner les
limites claires entre les différents éléments. L’exposé suivant soulève pour moi toujours plus de
questions que de réponses. Les données présentées sont issues de documents de l’association ainsi
que des observations et conversations informelles. Je propose de commencer en donnant quelques
détails d’ordre historique afin d’éclairer ensuite la situation de l’association lorsque j’y ai séjourné.
La structure existante aujourd’hui est composée de trois éléments. La force d’impulsion vient d’une
seule source : la vision d’un seul homme, M. Guy Poitevin. Ancien prêtre jésuite, professeur de
philosophie, M. Guy Poitevin vient en Inde pour la première fois vers 1967, faisant partie d’un
groupe de visiteurs français intéressés par la culture indienne. En 1969, il vient en Inde avec un
groupe d’étudiants et en 1972, il revient pour un séjour plus long. C’est lors de ce séjour qu’il noue
une véritable amitié avec M. A. Apte, un bienfaiteur de Pune qui avait lancé des foyers et des
programmes d’éducation pour des jeunes défavorisés des milieux ruraux. En 1975, Poitevin publie
un ouvrage consacré à l’expérience de ‘conscientisation’ en Inde du Sud.53 Sa thèse en socioanthropologie pour l’EHESS-Paris développe également cette notion de ‘conscientisation’ qui inspirera
un programme d’animation sociale auprès des étudiants résidants dans des foyers d’Apte, mais aussi
tous ses travaux futurs. Avec l’aide d’autrui, il décide de lancer une expérience similaire en 1978 dans
les régions rurales du district de Pune.
Dans une perspective inspirée par les écrits de Paulo Freire, Poitevin lance l’association V. après
1978. Il s’agit alors de soutenir des efforts de ‘conscientisation’ et d’organisation du peuple, et
d’explorer différentes manières d’intervention sociale. Tout en considérant les ‘sans-voix’, les ‘sanspouvoir’, les ‘marginalisés’, l’association a pour objectif de recruter des ‘animateurs’ locaux, de
motiver des acteurs locaux, de faciliter des initiatives collectives des villageois, de renforcer la
construction de l’engagement personnel des uns et des autres pour agir pour leur propre
communauté. La méthodologie employée dans la formation des animateurs a pour base la parole, la
discussion, le débat, et la prise de parole dans un but de réunir action et réflexion.
53 (J’ai pu consulter la version de la publication suivante : Von der Weid, Denis et Poitevin, Guy. 1981. Roots
of a Peasant Movement: Appraisal of the movement initiated by Rural Community Development Association (ShubhadaSarswat Publications: Pune) 233p. )
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Il s’agit d’une démarche lente où l’accent est mis sur le questionnement qui mène à une prise de
conscience, essentielle dans la méthode de Freire et de Poitevin.
« La lente démarche qui consiste à partir du marginal et de son expression autonome en
créant dans ce but les conditions de prise de parole libre de sa part est le premier principe qui
devrait guider tout effort de promotion d’un groupe humain jusque là exclu. » (Poitevin,
1985a :238)
En 1982, un centre de recherche (que je nommerais l’association C.) a été lancé avec un objectif
scientifique conséquent : « mettre en oeuvre des recherches en sciences sociales visant à éclairer les
processus de changement et de développement sociaux, en coopération avec des chercheurs
travaillant dans les mêmes perspectives » (Pacquement et Lachaier, 1996). Quelques questions
vectrices : « Qui a le droit de produire un savoir social ? Sous quelles conditions un savoir social peut
être considéré comme sincère ? Quels buts peuvent légitimer cette production ? » C’est dans le
cadre de ce centre que diverses recherches qualitatives seront produites, notamment sur les sujets des
migrants, de femmes travailleuses, des autobiographies et monographies de castes, et la valorisation
des chants de la meule. Même si pendant mon séjour, l’association semblait fermée à l’extérieur, je
sais que par le passé, cette association s’est montrée capable d’une collaboration importante avec
d’autres institutions.
Cette association de nature apparemment dualiste, assure donc deux facettes de la philosophie de
Poitevin ; de mener des recherches destinées au monde académique et intervenir sur un plan social et
politique. Si l’association V. assure l’action en monde paysan, villageois, défavorisé, sa jumelle C., fait
le lien avec un monde universitaire et académique.
Un troisième volet de cette association reste tout de même à dévoiler avant de développer des
objectifs principaux. Il s’agit de l’association informelle que je nommerai G. Cette association n’est
pas enregistrée auprès des instances administratives, mais jouit d’une notoriété dans le monde
villageois.
C’est dans les premières années de la création de l’association V. que l’association
informelle G. s’est constituée. Il est difficile d’estimer combien de personnes à travers les années ont
participé à ses actions. Toujours est-il que les membres de cette association informelle sont tous
paysans des campagnes du district de Pune. La plupart de ces militants villageois ont été peu ou pas
scolarisés. Les membres sont hommes et femmes issus de milieux défavorisés, soit en termes
économiques, soit en termes socioculturels (caste, femme). Ils sont majoritairement agriculteurs à
temps plein et mènent des actions pour l’association de façon ponctuelle. Sarubai Maruti Kadu, une
suin originaire du Mulshi taluka, m’a expliqué ses débuts avec l’association G.
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Sarubai est née à Wadawoli, (qui se trouve près de Dhamanahol, Mulshi taluka). Aujourd’hui elle fait
partie de ceux qui ont été réhabilités et elle vit maintenant dans la région des plaines (dans le taluka de
Shirur). Quand elle habitait encore dans le taluka de Mulshi, elle a travaillé pour l’association G. en plus
de son travail agricole et de son travail de suin. Elle dit qu’au début de sa participation avec l’association les
gens parlaient mal autour d’elle. Ils doutaient de l’intérêt de travailler avec un tel groupe. Ils se demandaient
à quoi cela pouvait bien servir. Même son frère était contre l’idée de son implication. Mais elle a décidé de ne
pas les écouter et a continué à s’y investir. Elle dit que l’association G. a tenu des réunions pour mener des
programmes de sensibilisation généraux pour les gens. Les gens pauvres des montagnes ont soutenu
l’organisation. Après un temps, l’organisation a « quitté » les montagnes. Et les Marathas, qui l’avaient
opposé au départ, l’ont petit à petit accepté et soutenu.
Le cas de Sarubai n’est pas unique. Sensible aux campagnes qu’a menées un petit groupe s’appelant
G., elle a vu une opportunité d’essayer de changer la situation dans son village. D’autant plus, ce
petit groupe était consitué de personnes issus des mêmes villages et campagnes qu’elle. Il ne
s’agissait pas à premier égard d’un organisme venant de la ville imposant pratiques et idéologies
étrangères.
Comme l’a remarqué Sarubai, les débuts de l’association informelle ont été périlleux mais la pérennité
de celle-ci dans les villages lui a accordé une certaine notoriété et une légitimité dont bénéficient
aujourd’hui les animateurs qui s’y associent. Ce groupe G. travaille en fort lien avec l’association V.
En effet, des animateurs les plus impliqués dans les actions de G. font partie d’un conseil qui se
réunit sous la tutelle de l’association V. de façon régulière afin de faire le point sur les actions menées
dans les diverses campagnes du district. Ces animateurs ont bénéficié donc d’un lien direct avec le
directeur défunt des associations V. et C. qui a été l’instigateur des trois associations. « Face à ceux qui
nous méprisent, nous traitent d’ignorants, Guy Baba nous apprenait que nous sommes nous aussi Docteurs dans notre
domaine. Nous avons la connaissance et nous pouvons la faire valoir. » (parole d’animateurs cité dans mémoire de
N’Doki,2006) Ils ont appris et se sont approprié la vision et la philosophie de Poitevin après des
années de réflexion avec ce dernier et tentent de les mettre en action dans les régions défavorisées de
Maharashtra.
Les associations V. et de G. partagent les mêmes objectifs. Ces animateurs principaux perçoivent un
salaire modeste de la part de l’association V. pour leurs actions et leur implication. Mais c’est surtout
au nom de l’association G. que les animateurs travaillent, et c’est le nom de celle-ci qu’ils prononcent
lorsqu’ils se retrouvent en mission dans les régions rurales. Au sein de V. et G., on appelle ces
personnes « animateurs » et non pas « travailleurs sociaux » pour faire une distinction entre des
personnes employées, cadres ou salariées d’une institution de développement. Ce sont avant tout des
« volontaires engagés dans une action civique. » Aujourd’hui, ils sont une trentaine et sont rémunérés
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entre 500 Rps. et 3000 Rps. par mois pour leurs actions selon leur engagement dans l’association.54
S’ils ne gagnent pas financièrement pour leur contribution à l’association, ces animateurs bénéficient
d’une notoriété dans le monde villageois. Le travail de ces animateurs contribue également aux
travaux de recherche produits par C..
L’association V. quant à elle est aujourd’hui organisée autour d’une secrétaire qui travaille avec un
comité de huit animateurs principaux.55 C’est une association formelle enregistrée en tant que
« Charitible Trust », qui doit, selon la loi, comporter un comité de gestion (« Managing Committee »).
Parmi les sept personnes occupant des places dans ce comité il y a un ancien fonctionnaire du
gouvernement du Maharashtra, un ancien ministre de ce gouvernement, un professeur d’économie,
un professeur de physique qui est le neveu de la secrétaire, un ancien comptable d’un institut de
renom à Pune, et un ancien professeur de statistiques.
Financements…
L’association V. bénéficie depuis ses débuts jusqu’à mon arrivée du soutien et/ou de la collaboration
de plusieurs ONG et fondations internationaux, notamment du Bread for the World (Stuttgart), de Terre
des Hommes (Allemagne), de la Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement (CCFD), de La
Fondation pour le Progrès de l’Homme (FPH), du Secours Catholique, et de Partage. Je n’ai pas pu préciser si
cette association a bénéficié de financements locaux ou nationaux. Les associations C. et V. ont
collaboré avec des organismes et centres de recherches locaux, nationaux, et internationaux au fil des
années, dont notamment le CSH à New Delhi. L’association C. a accueilli et montré son soutien
pendant des années à de nombreux chercheurs travaillant sur l’Inde. Les associations V. et G. ont
participé à de nombreuses rencontres locales et internationales, dont le Forum Social Mondial qui a
eu lieu à Mumbai en 2004.
Ces collaborations et financements ont certainement été obtenu grâce au travail de l’association mais
surtout au ‘capital social’ de l’ancien directeur. Après son décès, l’interruption du soutien de Terre
des Hommes a conduit à réduire le budget et des programmes et à chercher de nouveaux
financements. Une nouvelle association a été créée en France par les amis et membres de la famille
du directeur défunt avec pour but principal dans ce premier temps est de trouver des fonds en
Europe pour promouvoir des actions déjà menées par l’association V., mais également d’établir des
54
Information tirée du projet et du budget de l’association consultable en ligne à http://vcda.ws
« Un comité regroupant les huit principaux animateurs a été mis sur pied. Celui-ci comprend trois femmes,
parmi lesquelles on notera Tarabai Ubhe et Kusum Sonawane, deux figures importantes de l'organisation dans
la région du Mawal, à l'ouest de Poona, qui participent également activement aux activités de recherche du
C.C.R.S.S. Parmi les autres personnalités du mouvement, on notera Prabhakar Gare du Mawal et surtout Pandit
Padalghare, du Mawal également, qui est sans doute celui qui a le mieux intégré dans sa réflexion et sa pratique
les notions de démocratie et d'égalité -- en particulier d'égalité des sexes. » (Pacquement et Lachaier )
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55:
Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
échanges Nord-Sud et Sud-Sud entre l’association V. et des personnes de France et d’autres pays.
C’est à ce moment-ci que je suis arrivée faire mon terrain avec l’aide de l’association.
Les objectifs et les principaux projets
L’objectif principal de l’association56 est de laisser les ‘marginaux’ s’exprimer pour eux-mêmes. Ceci
est évident dans la phrase suivante de Poitevin :
“The subjugated and marginalized individual is powerless. This does not mean that he is
inactive or incapable of action. But when he acts, he is a tool in the hands of another. He
finds liberation only by unilaterally authorizing himself to act according to his own will.”
(Poitevin, 2002a : 231)
Les objectifs tels qu’ils sont abordés par l’association, dans la documentation et dans le discours se
définissent tout d’abord par la négation, par le refus…
Le leitmotiv des animateurs sociaux est de ne plus dépendre passivement (1) du patronage
de notables traditionnels, (2) de la faveur d’élites/cadres politiques voire de la force musclée
de partis populistes, (3) de la bienfaisance de travailleurs sociaux et de leurs ONG
paternalistes de moyennes classes urbaines, (4) de la direction d’intermédiaires ‘éduqués’ de
culture urbaine et ‘moderne’ étrangers aux milieux ruraux, (5) d’agences de développement
externes et de leurs cadres servant consciemment ou inconsciemment des stratégies définies
par des instances idéologiques hégémoniques (néolibérales et nationalistes aujourd’hui), (6)
ni surtout d’abord du ‘bon plaisir apathique de fonctionnaires irresponsables voire méprisant
le peuple, et obéissant des instances politiques aux intérêts partisans. (citation tirée du « résumé et
cadre d’action » consultable en ligne, http://vcda.ws)(gras, rajout personnel)
Les objectifs de l’intervention sont définis selon « quatre références fondamentales : « besoins
primaires et droits fondamentaux de l’être humain, respect des héritages de savoirs éprouvés, priorité
aux catégories et communautés marginalisées, fonction centrale de la participation féminine. »
Derrière ces vastes intitulés, l’objectif premier est la ‘conscientisation’ ou la ‘responsabilisation’.
« Il s’agit pour les ‘animateurs’ de responsabiliser d’autres villageois pour résoudre les
problèmes de divers ordres qui se posent quotidiennement dans leur village, et leur région,
en s’organisant collectivement à ces fins soit dans des groupes d’action ad hoc soit surtout
dans le cadre des comités locaux et autres institutions locales statutaires. » (citation tirée du
« Resume et Cadre d’Action » consultable en ligne à http://vcda.ws)
Les problèmes traités par l’association peuvent varier de région en région et d’animateur en
animateur selon les besoins et demandes des villageois mais aussi selon les perceptions et
compétences des animateurs. Les différents cadres d’action peuvent être dans divers secteurs dont :
les services publics (eau, santé, école, distribution/rationnement, transport) ; techniques et projets de
développement agricole ; construction de barrages et réhabilitation des populations déplacées ;
56 Je ne ferai plus la différence entre l’association V. et C. par souci de clarté de lecture. De toute façon dans la
réalité du fonctionnement de l’association, il est également difficile de les discerner. Il s’agit pour ces
Mémoire de Masters 2
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
emploi et travaux publics en zones rurales (plan de garanti de l’emploi) ; administration foncière et
droits à la terre ; participation civique ; en particulier des femmes et des catégories marginalisées, dans
les conseils élus, les réunions de village et les commissions statutairement définies ; contrôle du
fonctionnement de l’administration, et des actes et paroles des élus locaux ; critique réfléchie des
valeurs établies et des formes de rapports sociaux ; statut de la femme ; intervention au niveau de
l’opinion publique par des programmes d’information, d’action culturelle, d’éducation civique et
d’organisation d’une quinzaine de groupes d’action appropriés autour de tâches particulières. (citation
tiré du « Resumé et Cadre d’Action » consultable en ligne sur http://vcda.ws)
Aujourd’hui, malgré ce vaste inventaire de champs d’intervention, quelques grands programmes
retiennent l’attention.
Le premier est le Self Education Workshop (SEW : Ateliers d’auto-
apprentissage pour les jeunes travailleurs de Maharashtra). Ces ateliers ont lieu dans plusieurs
districts de Maharashtra depuis 1990 et ont pour but de promouvoir la capacité de réflexion
personnelle et libre, des qualités d’autonomie de pensée et conviction personnelle.57 Ils insistent sur
l’égalité des participants. « We insist on the transparency of the communication processes which
should take place on equal level. Nobody is big or small, more learned than another. Every
participant is on equal footing. The group as a milieu of communication stands as the source of
knowledge. »58
Le deuxième projet principal est un programme de foyers mis en place pour des fillettes pauvres
scolarisées. Ces foyers existent dans quatre villages se situant dans trois talukas, (Mulshi, Mawal, et
Shirur) du district de Pune. Ce programme est pris en charge financièrement par une organisation
européenne.
Le troisième projet concerne la promotion et la participation féminine à travers une éducation
informelle.
« L’enjeu stratégique de ce programme est que le ‘pouvoir féminin’ – la prise de conscience
par les femmes de leurs droits fondamentaux et leur volonté d’exercer une responsabilité
collective – constitue l’un des principaux tremplins du progrès social dans son ensemble »
(citation tiré du projet consultable en ligne http://vcda.ws)
C’est dans ce cadre, selon ma compréhension, que se situent les programmes qu’a mené l’association
depuis ses débuts concernant la santé.
C’est pour cela que je souhaiterais m’y attarder plus
longuement.
paragraphes concernant les objectifs et les programmes de ceux de l’association V. et son homologue
informelle G. car c’est celles-ci qui mènent les ‘actions’.
57 Traduction libre de: « This methodology is meant to boost the capacity of free and personal thinking, and
qualities of mental autonomy, personal conviction. »
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Chapitre II :
La santé : Le programme des ‘Health Workers’ et le programme
des ‘suins’
What about health care?
A meeting of the village council
« Et si on parlait de la santé ? Une réunion du conseil de village» (Dessin figurant dans documents de
l'association V.)
Depuis le début de l’association, un programme de santé est mis en place. Pendant les années 80 et
90, Poitevin a travaillé en collaboration avec un médecin afin de mettre en place ce programme. Le
programme est basé sur l’éducation sanitaire et non pas sur la distribution de médicaments ni des
consultations médicales. Ces actions en milieu rural prennent pour cible la santé des femmes en
partant du constat qu’elles sont particulièrement négligées pour des raisons socio-culturelles. En
pratique, ces actions se déroulent dans un village choisi où pendant une semaine des animatrices
rassemblent
des villageois leur montrant des diapositives, tableaux et affiches afin d’expliquer
différents problèmes de santé, comportements à risque, et maladies. L’extrait de mon cahier après
l’entretien avec le médecin ayant travaillé avec l’association retrace l’évolution de ce programme de
santé.
58 Traduction personnelle : « Nous insistons sur la transparence des processus de communication qui devraient
avoir lieu sur un niveau d’égalité. Personne n’est ‘grand’ ni ‘petit’, ou plus érudit qu’un autre. Chaque
participant est égal. Le groupe, comme milieu de communication, demeure la source de savoir. »
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
« Dr. Ph dit que le travail en matière de santé avec V. a commencé il y a longtemps, autour de 1980 avec
une sorte d’objectif double. Un de ces objectifs de départ était de faire que les villageois prennent conscience de
l’usage souvent inutile des injections. L’autre objectif était de travailler contre les superstitions trouvées en
milieu rural véhiculé par des ‘god men’.
Dr. Ph a dit qu’il s’agissait de trouver un espace entre ces deux extrêmes afin de favoriser l’acceptation de la
biomédecine dans ces campagnes.
Il devait avoir alors une collaboration avec les PHC (Primary Health Centers) en quelque sorte. Mais un
des buts principaux des actions était de mettre la pression sur ces institutions gouvernementales afin qu’ils
livrent des soins. Dans les dernières cinq-six années de ce travail de santé, il y a eu un dialogue entre les
PHC et les animateurs de santé. Un des buts était alors de pousser les gens à accepter la biomédecine.
Des groupes de 10 villageois par session étaient formés par Dr. Ph. pour qu’ils reprennent le travail des
animateurs de santé. Au fil des années, beaucoup de personnes ont été formées. Au départ, l’objectif était de
former des villageois illettrés. Selon Dr. Ph., ceci devait changer après un temps. Alors, il a formé des
garçons éduqués jusqu’au 10th standard (équivalent de la seconde dans le système scolaire français) à faire ce
travail. Dr. Ph. a dit que ceci n’a pas eu le même impact que les sessions d’auparavant. La persévérance des
garçons était moindre et le soutien du village n’était pas le même.
Au fil des années, l’association a tenu des campagnes annuelles de santé où au mois de février, ils voyageaient
de village en village dans le taluka de Mawal avec une exposition comprenant des organes humains, des
affiches, de l’information sur la santé reproductive. Ceci a aidé à dissiper des superstitions et à transmettre
des messages de bonnes pratiques de santé (par exemple, contre le tabac en montrant des poumons
malades…)
Des sujets tabous ont été soulevés par des femmes pour parler de la santé féminine (la menstruation, etc.)
Après un temps, l’intérêt a diminué peu à peu. Quand je l’ai interrogé à propos de ceci, Dr.Ph. a dit d’un
ton léger, en riant, que des mouvements comme celui-ci ne peuvent pas durer à l’infini. Quelques uns des
animateurs sont venus, d’autres partis selon leurs divergences avec l’association.
Les plus expérimentés se sont bien débrouillés et au fur et à mesure, l’association V. a exprimé plus d’intérêt
pour des aspects « anthropologiques » et a démontré un souhait clair pour diminuer les aspects biomédicaux.
Les animateurs ont pu continuer seuls.
Les campagnes de santé ont continué régulièrement, selon Dr. Ph jusqu’en 2003. Il était censé être le
‘consultant médical’ pour ces programmes.
Dr. Ph. dit qu’il y a eu beaucoup de documentation de cette expérience. Même un film a été tourné.
Dr. Ph. dit avoir travaillé de très près avec Poitevin pendant de nombreuses années. Tout au long des
campagnes de santé, une grande autonomie a été accordée aux animateurs. C’était ce que Poitevin avait
souhaité.
En fin d’entretien, Dr. Ph. admet qu’il a eu de divergences avec l’association même avant la mort de Poitevin.
C’est pour ces raisons qu’il a pris ses distances.
(Extrait de notes d’un entretien avec Dr. Ph., ancien consultant médical pour l’association V.)
Après le départ de ce médecin, mais également au fur et à mesure des années, l’objectif de ces
campagnes change peu à peu. Comme cela se comprend dans l’extrait, le souhait de l’association
était de se concentrer davantage sur des aspects socio-culturels. L’objectif tourne ainsi vers un rejet
plus radical de la biomédecine et ses méfaits afin de « mettre en garde » des villageois. On revalorise
de plus en plus des pratiques locales de santé.
« Dans le domaine de la santé, notamment, les équipes travaillent à la revalorisation de
pratiques traditionnelles, comme celles des sages-femmes rurales, et plus généralement à une
meilleure prise en charge par les communautés locales des soins élémentaires du domaine de
la périnatalité » (Citation tirée du projet 2005-2008 de l’association consultable en ligne à http://vcda.ws)
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Le programme des ‘suins’ a été adopté par l’association V. et G. en 1998 après la rencontre avec une
française qui était venue faire une étude sur les pratiques d’accouchements en milieu rural. Elle avait
déjà mené des enquêtes auparavant dans les régions de Delhi et du Bihar. En 1997, elle est venue
vérifier des éléments de son questionnaire et a demandé l’aide de l’association V.
Une des
animatrices venant de Kolawade a organisé une réunion. Puis au fur et à mesure d’autres occasions
de rencontres se sont présentées et l’association a pu organiser des entretiens dans quatre talukas de
Pune district. Ces rencontres ont non seulement servi à la française mais ont également amené les
animateurs à prendre conscience de son approche et de l’importance des ‘suins’. C’est ensuite à
travers des rencontres des ‘Self-Education Workshops’ que le sujet des suins a été soulevé de nouveau.
L’extrait de l’article de Hema Rairkar explique ce processus de réflexion qui a mené à la prise en
charge de ce programme pour promouvoir les suins.
« The theme was : « Though we may not occupy formal positions of power, ultimately power
lies with the people, who can to some extent control a government machinery. » It was
similarly stated that modern medical power tries to convince that doctors’ knowledge is
superior to indigenous knowledge. In reality, the people’s indigenous knowledge is
autonomous, and does not need institutional recognition or official certificate to prove its
credentials. The need of the time is in particular for the traditional midwife to get back her
lost position in society so that her experience be again beneficial to society. Giving priority
to indigenous knowledge is a point of alternative development policy centered on man. The
challenge facing social workers is therefore : « How will traditional midwives get recognition
and maintain a due position in the rural society ? » »59 (Rairkar)
Nous pouvons voir alors que le programme des suins quitte les objectifs de départ qui ont inspiré le
programme de santé ; à savoir une reconnaissance de la biomédicine en milieu rural et une
reconnaissance des villageoises auprès des autorités biomédicales. Il faut se rappeler qu’à cette
époque l’association V. comme l’a expliqué le Dr. Ph. met plus l’accent sur des aspects socio-culturels
des pratiques de soins que sur la biomédecine. Le programme des suins vient alors à un moment où
la réflexion tourne autour du rejet de la biomédecine et prône une revalorisation des pratiques des
59
Traduction personnelle : « Le thème a été : ‘Bien que nous n’occupons pas de positions de pouvoir,
finalement le pouvoir réside chez le peuple, qui peut d’une certaine manière contrôler la machine
gouvernementale.’ Il a été également soulevé que le pouvoir de la médecine moderne essaie de nous
convaincre que le savoir des docteurs est supérieur à celui des autochtones. En réalité, le savoir des indigènes
est autonome et n’a point besoin d’une reconnaissance ni de certificat officiel pour prouver son efficacité. Le
besoin du moment est en particulier que les matrones traditionnelles regagnent leur position perdue dans la
société pour que leur savoir et leur expérience puissent redevenir bénéfiques pour la société. Accorder une
priorité au savoir indigène est une manière d’établir un développement alternatif centré sur l’homme. La
difficulté à laquelle les travailleurs sociaux doivent faire face est alors : ‘Comment les matrones traditionnelles
obtiendront-elles la reconnaissance et pourront-elles maintenir la position dans la société rurale qui leur sont
dues ?’ »
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
« matrones traditionnelles » en tant que savoir et expériences autonomes. Il s’agit d’une lutte pour la
revalorisation de pouvoir et de savoirs.
Certaines lignes directrices sont alors mises en place après les discussions lors des réunions des
animateurs et des ‘Self-Education Workshops’ et se basent sur des points suivants60 :
1) la tradition des suins est une tradition autonome qui appartient à une manière de vie
alternative.
2) Si l’on compare les pratiques de la médecine moderne, celles des indigènes sont dans une
position désavantagée. On ne leur accorde pas de respect et ces traditions se retrouvent
dans un statut subalterne. Délaissées par la biomédecine, ces pratiques indigènes sont
également d’une certaine manière délaissées par la population locale. Si nous ne
réagissons pas, si nous ne les soutenons pas afin de les aider à regagner la confiance, ces
traditions indigènes vont tomber en désuétude à jamais.
3) Des efforts devraient être menés afin de
- encourager le potentiel des suins
- obtenir une reconnaissance de la validité des pratiques des matrones auprès de
la population locale mais aussi auprès des professionnels biomédicaux
- créer une atmosphère de confiance en soi qui permet une continuité des la
transmission de ce savoir
- renforcer la tradition sur la base de ces propres références en créant des
occasions pour que les suins puissent partager leur savoir
- initier un mouvement de soutien pour ces matrones à une échelle plus large
parmi la population.
4) Un dialogue et si nécessaire une confrontation entre suins expérimentées et
professionnels biomédicaux ouverts devraient être facilités afin de mettre à jour
l’expertise des suins au sein de leur cadre de référence et l’éthique de leur tradition mais
aussi de vérifier la légitimité des pratiques modernes contre le savoir des suins.
Il s’agit d’un travail d’animation sociale réunissant réflexion et action visant à une revalorisation de
l’accompagnement traditionnel de la naissance. « Le savoir populaire indigène étant autonome ne
nécessite aucune validation ni reconnaissance officielle par des experts étrangers à la culture rurale.
Cette priorité donnée à un savoir indigène menacé par la culture technocratique dominante est la
pierre d’achoppement d’une politique de développement alternatif centré sur l’humain. La question
que se posent les travailleurs sociaux est donc : « comment les sages-femmes traditionnelles peuventelles reconquérir la reconnaissance et le statut dont elles bénéficiaient dans la société rurale ? » (Bel,
Bel, Poitevin & Rairkar) Leur appel a été bien entendu par les suins de la région.
« Cent vingt-huit suins ont participé volontairement à 23 rencontres destinées à revaloriser
leur statut grâce à un partage des expériences et des savoirs. » (Bel, Bel, Poitevin & Rairkar)
Pour certains animateurs que j’ai pu interviewer en 2005, ce programme n’allait pas à l’encontre du
travail qu’ils faisaient auparavant dans les campagnes de santé et autres. Pour eux, il existe un lien
logique, une évolution, entre les programmes qui ont été entrepris à travers les années dans les
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
villages. Un animateur explique les débuts de sa participation, son implication dans l’association et
les programmes:
« J’ai commencé au début des années 80. Il y avait des réunions de Santé dans les villages. Cela a attiré pas
mal de jeunes. A ce moment là, il y avait également des réunions de villages et des réunions d’étude. Au
village, les gens n’avaient pas de raisons de protester contre ce genre de réunion, donc toutes sortes de personnes
venaient voir. Dr. Ph, GuyBaba, et sa femme sont venus. Ils dressaient des plans du village, pour voir la
structure du village. Ils nous incitaient à demander ‘Quel est l’impact de notre santé dans notre village ?’. A
partir de ces premières réunions, on a créé des groupes d’études pour ceux qui étaient les plus intéressés. Qu’il
fasse beau ou qu’il pleuve, il y avait toujours 40 ou 50 personnes. Des animateurs spécifiques étaient
désignés pour les programmes de santé et ceux-ci se réunissaient une fois par mois. Avant ces réunions, au
village on croyait que les problèmes de santé venaient de la colère de la déesse.
Petit à petit, différents sujets ont été soulevés et l’organisation les a pris en compte. Par exemple, des
problèmes d’emploi, de réhabilitation (à l’époque, des barrages construits ont amené la réhabilitation de
villages entiers), d’éducation, d’agriculture, de politique, etc. C’est à partir de là qu’il y a eu quelques conflits.
[avec les autorités locales]
Dans ma région, les sujets les plus importants étaient l’éducation et la santé. En matière d’éducation, on a
mené une action pour promouvoir des enseignants sans diplômes d’état pour enseigner dans les hameaux très
reculés car ces régions ne bénéficiaient pas d’écoles et des enseignants d’état ne venaient pas s’y installer. Pour
des petites classes, c’étaient selon nous une alternative faisable. Peu à peu nous avons pu convaincre le
gouvernement de notre initiative.
En matière de santé, ce n’était pas bien différent. On formait des animateurs et des animatrices, souvent
ayant fait peu ou pas d’études, pour apprendre aux autres villageois des éléments de soins et de santé
primaire. La santé est au sein du système social villageois. Nous avons donc continué des programmes de
santé, réunissant les villageois pour leur apprendre leurs droits en matière de ceci. La santé est entre nos
mains. Pourquoi devrait-on accepter qu’une personne [le doctor = la biomédecine] contrôle ceci ? Le pouvoir
médical est également entre nos mains. C’est alors à nous de voir quelles pratiques et quels savoirs nous sont
utiles. C’est alors dans les années 90 que le sujet de ces différents praticiens villageois a été soulevé…des
‘vaidya’, des ‘suin’.
Finalement la comité de G. a pris la décision de se concentrer sur la ‘suin’ après maintes discussions à propos
de frais médicaux qu’engendrent des familles en amenant leurs femmes accoucher chez le médecin. Après A.
et B. [chercheurs français] sont venus [fin des années 90] pour étudier les suins et l’accouchement en milieu
rural » (propos recueillis auprès de Pandit P., animateur de l’association G/V. depuis 1980-81)
Je suis arrivée au sein de l’association à un moment où les programmes sur les suins fonctionnaient
depuis un peu plus de six ans. Mon objet n’était pas au départ d’étudier cette association et ses
actions. Mais petit à petit, j’ai été amenée à m’interroger sur ces programmes. Si l’accent n’était plus
mis sur la biomédecine, et si le médecin-consultant ne participait plus depuis un moment, que se
passait-il lors de ces réunions ? Il ne s’agissait pas pour cette association d’apprendre aux suins des
nouvelles pratiques, mais plutôt de valoriser les leurs. Mais, me semblait-il, leurs pratiques, elles le
disaient elles-mêmes, sont de moins en moins demandées. Comment et pourquoi procède-t-on alors
à une revalorisation d’une pratique qui est de moins en moins favorisée pour la population? Au long
de mon séjour de terrain, j’approchais doucement les activités de cette association. Je menais mes
60
Ces points sont traduits d’après ce que l’on peut lire dans l’article à paraître de H. Rairkar (référence citée
dans la bibliographie de ce mémoire).
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
enquêtes auprès des suins pour lesquelles j’étais toujours accompagnée d’une ou d’un animateur de
l’association. Ce n’est qu’en fin de séjour que j’ai interrogé ouvertement les uns et les autres à propos
des activités associatives. En octobre 2005, j’ai pu rencontrer Sarubai Maruti Kadu. Elle est suin,
donc l’entretien que j’ai mené était basé essentiellement sur mon sujet principal. Mais Sarubai a
également travaillé longtemps pour l’association G. L’extrait de mon cahier qui suit retrace la
conversation que j’ai eue avec elle.
Sarubai a travaillé avec l’association G, qui est l’association informelle de V., pendant 18 ans. Elle vit ici à
Mangabatzamal car un barrage construit dans le taluka de Mulshi a inondé son village de Wadaouali. Toutes les
personnes vivant dans son hameau de Mangabatzamal sont dans le même cas. Le panneau à l’entrée du hameau
l’indique ; il s’agit d’une communauté entièrement réhabilitée. Ils habitaient auparavant dans la région montagneuse où
l’eau est abondante. Maintenant ils sont dans les plaines. Il y a peu de travail ici. Beaucoup n’ont rien et travaillent
comme laboureurs sur des fermes qui ne leur appartiennent pas. La maison de Sarubai se trouve à l’entrée du hameau.
A droite et en face se trouvent des maisons en « dur ». Mais la sienne est faite de branches et de plâtre. Le toit est en
feuilles séchées. Elle a une chambre qui sert de cuisine où elle nous reçoit. Il y a un vieil homme avec des lunettes assis
par terre. C’est son mari. Elle a beaucoup de travail et nous demande de patienter un petit peu. Son mari reste assis
à côté du chula qui chauffe doucement. De temps à autre, il lui dit de s’asseoir, souffler un peu. Elle ne l’écoute pas et
continue à travailler. Nous avons le temps de faire le tour du village. Il y a deux écoles pour les petits, un temple et un
balwadi (crèche) en construction.
Sarubai m’a raconté le premier accouchement qu’elle a fait seule. Elle omet certains détails, mais voici ce qu’elle a pu
me dire :
« Après avoir accouché moi-même, j’ai commencé à observer des accouchements, recueillant de l’information par
l’observation. Une fois j’étais dans la montagne et je descendais vers la route. J’ai rencontré une famille. Il y avait une
femme enceinte avec eux. Cette femme s’arrêtait sans cesse car elle ne pouvait pas endurer les douleurs. Je ne faisais
que passer mais j’ai commencé à parler avec eux. La femme enceinte m’a dit qu’elle avait commencé ses contractions.
Je lui ai répondu que je pouvais regarder, l’aider si elle le voulait. Alors j’ai trouvé un endroit calme. J’ai attaché des
saris autour pour cacher la femme. J’ai demandé à une autre femme de soutenir la femme enceinte de derrière. Je
n’avais rien avec moi. J’ai vérifié le col avec deux doigts. J’ai pincé la bulle sur la tête de l’enfant. Après que celle-ci
soit ouverte, les douleurs sont arrivées avec plus de force et la femme a pu accoucher d’un petit garçon. J’ai coupé le
cordon. La famille m’a offert deux cent roupies car mes vêtements étaient tous salis. Ils ont dit « nous venons
d’économiser 1000 Rps. ! » Près du barrage, j’ai lavé la femme. C’était la première fois que j’assistais une femme
seule. »
Sarubai est née à Wadawoli, près de Sacri (qui se trouve près de Dhamanahol). Quand ils habitaient encore au
taluka de Mulshi, elle a travaillé pour l’association G. en plus de son travail agricole et son travail de suin. Elle dit
qu’au début de sa participation avec l’association les gens parlaient mal autour d’elle. Ils doutaient de l’intérêt de
travailler avec un tel groupe. Ils se demandaient à quoi cela pouvait bien servir. Même son frère était contre l’idée de
son implication. Mais elle a décidé de ne pas les écouter et a continué à s’y investir. Au sein de l’association son rôle
était d’aider à dissiper les superstitions que l’on peut trouver au village surtout en matière de santé ; d’aider les femmes ;
d’expliquer aux femmes ce qui se passe après le mariage ; de lutter contre l’abandon des femmes.
Il y a 12-15 ans, lorsqu’elle travaillait pour l’association V., la femme du directeur qu’elle appelle respectueusement
‘tai’ lui a demandé si elle voulait « s’éduquer » et participer à un « dai training programme » qui avait lieu à Paud.
Sarubai y est allée volontairement. Lorsque je lui ai demandé ce qu’elle en avait pensé, elle a répondu « Nous avons
de l’expérience et les Médecins ont de l’expérience ». Sarubai est allée voir afin de comprendre un peu la différence entre
ces deux systèmes de savoir.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Lors du stage, une femme était en travail d’accouchement. Le médecin responsable a demandé à Sarubai de lui montrer
ce qu’elle aurait fait au village. Elle a fait remonter la femme de la position allongée vers une position assise/accroupie.
Elle a vérifié le col avec un doigt. Assistée des douleurs, elle a incité la femme à pousser et elle a accompagné la sortie de
l’enfant. Le placenta n’est pas venu pas tout de suite. Alors elle a massé le ventre. Puis le médecin lui a demandé ce
qu’elle allait faire avec le cordon. Sarubai a arrêté sa narration pour m’expliquer l’importance de cette étape. Elle a dit
que les médecins clampent le cordon ; ce qui l’empêche de remonter dans le corps ; mais au village, la suin masse le
ventre car elle n’a pas de pince. Elle m’a expliqué alors que la femme peut mourir si le placenta remonte. Quand elle
prend sa respiration, cela peut faire remonter le placenta et puis bloquer son souffle. Après il faut attendre que le
cordon arrête de « battre » avant de le couper. Sarubai a expliqué l’importance de ceci en disant que si l’on coupe trop
tôt le sang sort du nombril et celui-ci gonfle. Sur le nombril, on applique de l’huile et des cendres de bouse de vache.
Elle a expliqué que les médecins sont contre cette pratique. Mais elle a dit qu’autrefois cette pratique était courante et
elle n’a connu aucun problème. Elle est revenue à l’histoire de son expérience à l’hôpital en disant qu’elle n’a pas voulu
nettoyer après la naissance à l’hôpital. Mais au village, de l’eau chaude est toujours prête et là elle nettoie la mère,
l’enfant, puis elle-même. Après la naissance au village, c’est elle qui enterre le placenta là où coule l’eau. Elle l’enterre
assez profondément pour que les chiens et les chats ne puissent pas le manger. Si ceci devait se produire, la santé de
l’enfant serait en danger.
Elle a essayé de se rappeler d’une chanson pour me dire comment on peut diagnostiquer la grossesse chez une femme.
Elle ne s’est rappellé que de bribes. Elle a dit qu’après 2 mois et demi, la femme a envie de vomir. Dans les troisième
et quatrième mois la peau de la femme tourne au rouge. Après cinq mois, il n’y a plus de problème. A partir du
cinquième mois, on peut commencer à voir le ventre de la femme grossir.
Elle a dit que la femme enceinte ne devrait pas trop manger pendant sa grossesse mais qu’aujourd’hui il n’y a plus
vraiment de proscriptions alimentaires. Par contre, auparavant il y en avait car on croyait que certains aliments
pouvaient causer des fausses couches.
Sarubai a ensuite parlé des activités de l’association G. Ils ont commencé à tenir des réunions de suins afin d’expliquer
à d’autres femmes le travail de la suin et de rappeller que celles-ci ont des compétences. « Quand les familles pauvres ont
des grossesses et des accouchements difficiles, nous pouvons les convaincre que la femme peut recevoir de l’aide à bas prix.
Quand il faut avoir recours à une césarienne cela coûte entre 10 000 Rps. et 15 000 Rps. Ceci est très cher pour des
familles pauvres. Il faut faire savoir que d’autres systèmes de savoirs existent et peuvent et doivent être utilisés. »
Pendant ces réunions, les suins ont échangé sur leur façon d’aider des femmes en couches.
Sarubai a expliqué que l’association G. a également mis une pression sur les PHC afin d’obtenir des formations pour
des femmes non éduquées pour qu’elles puissent distribuer des médicaments dans les villages lointains et difficiles d’accès.
Sarubai a dit que cette action a été menée environ treize ans auparavant.
(Propos recueillis lors d’un entretien le 18 octobre 2005 avec Sarubai Maruti Kadu, de caste Maratha, vivant à
Mangabatzamal)
Une célébration des ‘suins’
En février 2004, j’ai pu assister à une réunion des ‘suins’ organisée par l’association V./G. à Ajiwali,
un petit village du taluka de Mawal à l’ouest de la ville de Pune. L’association ne l’a pas intitulé ‘suin
training’ mais ‘suinmela’. Le terme ‘suin’ a été déjà abordé plus haut. Le terme ‘mela’ a une origine
sanscrite qui voudrait dire ‘fête’. Ceci me semble tout particulièrement intéressant car cette journée de
réunion des suins a été une occasion pour les animatrices et les suins présentes de ‘célébrer’ ces
femmes et leur métier.
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Au village d’Ajiwali vit une animatrice de l’association V./G.. Derrière sa maison se trouve une
petite école. Il a été prévu que la réunion s’y déroulerait. Avoir une pièce fermée permettrait aux
femmes de parler ouvertement sans se soucier des regards et commentaires des passants et surtout
des hommes. Cependant, ceci n’a pas empêché des regards curieux des passants jetant un coup d’œil
par les fenêtres. Une des animatrices de l’association a ouvert la discussion appelant les ‘suins’
présentes à répondre à une question large : « Qu’est-ce que la tradition des suins ? Il faut qu’on en
parle !! ».
La question a soulevé beaucoup de commentaires. On s’est plaint « Personne ne respecte la suin ». « Les
parents préfèrent amener leurs filles à l’hôpital. Seuls ceux qui n’ont pas assez d’argent vont voir des ‘suins’ ». On a
parlé également beaucoup des différences entre les pratiques du ‘docteur’ et celles de la suin. « Le
docteur veut de l’argent pour ses services…mais nous [suins], nous avons une autre attitude ». « Ce sont nos filles et
belles-filles qui accouchent, on doit les traiter différemment ! » « A la saison des pluies, si une vache reste coincée dans la
boue, on doit l’aider à s’en sortir…c’est notre devoir d’aider nos filles ! »
Les femmes réunies étaient de différentes castes, mais toutes semblaient d’accord sur ces points et
surtout sur ce ‘devoir’. Cette question de ‘devoir’ est intéressante. Lors des réunions de cette
association, les suins et les animatrices expriment le ‘devoir’ d’aider les filles. En faisant un parallèle
avec la vache que l’on doit libérer de la boue, on se retrouve dans le registre du travail domestique, du
travail du quotidien de la femme. On ‘doit’ faire ce que l’on a toujours fait. Pour ceci, il ne faut pas
non plus demander une rémunération, on ‘doit’ rester dans un registre ‘traditionnel’. Cette question
de rémunération a été également soulevée en début de réunion. Les suins peuvent être rémunérées
lorsqu’elles participent à des réunions organisées par l’hôpital. Il s’agit alors de programmes de
formation où on leur enseigne différentes pratiques issues de la biomédecine61. Mais les réunions de
l’association V/G. ne se déroulent pas dans ce même cadre. Les animatrices insistent sur ce ‘devoir’
de la suin, sur leur façon ‘traditionnelle’ de pratiquer qui n’est pas basée sur une rémunération
monétaire, mais sur une rémunération symbolique en biens ou en gain de prestige. « C’est important
que notre savoir et nos compétences soient reconnus ! Nous considérons le travail de la suin comme le travail de Dieu.
Dans notre culture, les suins sont honorées. On ne compte pas sa valeur avec de l’argent » En plus de transmettre
une idéologie propre à l’association, ce discours valide le fait que l’association ne rémunère personne
61
« En 1997, le gouvernement de l’Inde a lancé un programme de Community Health Volunteers inspiré par
celui des « médecins aux pieds nus » en Chine. Dans ce cadre, les centres de soins primaires proposent aux
sages-femmes traditionnelles un stage de formation médicale rémunéré d’un mois, suite à quoi elles sont
officiellement enregistrées et perçoivent une indemnité, variable selon les régions, mais toujours d’un montant
dérisoire – quelques roupies pour chaque accouchement qu’elles assistent. Le premier effet pervers de cette
reconnaissance officielle est que la plupart des familles cessent de leur faire des dons sous le prétexte qu’elles
sont devenues des « salariées » du système… Par ailleurs, la plupart des animatrices de VCDA qui ont reçu cette
formation en dénoncent l’inutilité. » (Bel, Bel, et al.)
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pour leur participation et qu’aucun échange d’argent ne s’effectue. Si les animatrices sont payées, ce
n’est pas lors de cette sortie. Même l’animatrice qui nous héberge pour ces trois jours et deux nuits
passés chez elle n’obtient pas de rémunération financière complémentaire. On apporte des cadeaux,
des légumes et des fruits pour elle et ses filles.
On a ensuite demandé aux femmes de raconter leurs expériences de leurs pratiques d’accouchement.
Ceci a suscité des questions de la part de certaines suins. Les animatrices ont demandé alors qu’elles
nous montrent pour que l’on comprenne comment on pratique. Une suin nous a montré comment
on fait déambuler l’accouchée. Une des animatrices a joué le rôle de l’accouchée, montrant sa
souffrance et sa peine, mais elle n’a pas crié. Une autre suin l’a aidée à s’asseoir et a demandé à une
autre de se mettre derrière elle. D’autres ont défait sa natte relâchant ses longs cheveux noirs. Une
suin katkari (tribale) s’est présentée pour représenter le travail de la suin pendant l’accouchement. Elle
a commencé par lui masser le ventre pendant qu’une autre femme a soutenu son dos. On lui a mis
des cheveux dans la bouche pour montrer comment on provoque une toux pour mieux aider la
descente du placenta.
La suin katkari a montré la manière de couper le cordon, etc.
Ces
démonstrations se sont déroulées dans une atmosphère légère et ont provoqué des fous rires chez
certaines. Mais hormis ces sourires et rires, l’animatrice principale a essayé de ramener le groupe
bruyant à l’ordre du jour. Elle a posé la question : « Qu’est ce que vous avez pensé de ce que nous venons de
voir ? » Les femmes ont partagé leurs points de vue. Certaines ont parlé des différences qu’elles ont
pu constater chez les femmes de diverses castes. Les suins « tribales » disaient que les marathas ont
plus de mal à accoucher. Elles attribuaient ceci à leur façon de porter leur sari trop serré et également
à leur alimentation. Elles disaient aussi que les marathas sont moins « en forme » que les tribales.
La réunion a duré toute la journée. Nous avons donc eu le temps d’aborder une quantité de
différents sujets touchant à leur métier. Elles ont pu s’exprimer sur leurs inquiétudes, leurs traditions,
leurs pratiques. Tout s’est fait dans une atmosphère décontractée. Les animatrices posaient des
questions de temps à autre afin de réorienter et de faciliter la discussion mais jamais de façon trop
directive. Il n’y avait aucune affiche, aucune pancarte. Aucune des suins n’a été rémunérée pour sa
participation comme elles auraient pu l’être pour des ‘dai training course’ offerts par les hôpitaux.
Pourtant, vingt-huit suins de Ajiwali et les hameaux environnants se sont présentées.
Qu’est-ce qu’elles ont tiré de cette réunion ? Quel était son but ?
Les animatrices et directeur de l’association ne se sont pas présentés comme experts de la tradition
des suins. Leur but était de faire parler les suins entre elles afin qu’elles réalisent d’elles-mêmes qu’elles
détiennent un savoir.
Elles sont bien conscientes des pratiques biomédicales de plus en plus
présentes dans les campagnes. Elles en ont parlé lors de la réunion. La biomédecine prend une place
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légitime dans ces campagnes et bénéficie d’un Authoritative Knowledge. De plus, il semble aujourd’hui
qu’elle soit arrivée tout naturellement dans cette région. Comme le décrit Brigitte Jordan :
« Authoritative knowledge is persuasive because it seems natural, reasonable, and
consensually constructed. For the same reasons it also carries the possibility of powerful
sanctions, ranging from exclusions from the social group to physical coerciveness (…).
Generally, however, people not only accept authoritative knowledge (which is thereby
validated and reinforced) but also are actively and unselfconsciously engaged in its routine
production and reproduction. » (Jordan in Davis-Floyd & Sargent, 1997 : 57-58)62
Mais ce propos ne signifie pas que le savoir que détiennent ces suins doit être considéré comme
désuet. L’association et ses animatrices veulent faire passer le message que la suin détient un réel
savoir, et qu’il ne faut pas que les suins se sentent inférieures à cette biomédecine, mais qu’elles soient
autonomes, qu’elles établissent un ‘authoritative knowledge’ ‘alternatif’. L’association propose d’être
juste un vecteur dans un premier temps pour mettre en place un réseau de discussion. J’ai pu
observer l’impact que peut avoir un réseau de discussion lors d’une précédente étude63.
Les
discussions peuvent servir de mode de validation et de circulation d’informations aussi bien que de
connaissances des techniques des soignants et de la stabilisation des notoriétés. Leur caractère
informel permet un partage entre participants. Mais ce processus prend du temps. En ce qui
concerne les actions de l’association V., il faudra beaucoup d’heures de paroles et d’échanges.
Rappelons que la construction d’un savoir d’autorité (Authoritative Knowledge) est un processus social
continu, une notion qui se base sur l’interaction des participants d’une communauté. 64 L’espoir de
l’association V. est de continuer ce genre de suinmelas ainsi que d’autres activités afin que la prise de
conscience qu’elles suscitent puisse bénéficier aux communautés.
Il semble que leur but est, à
travers ces discussions ouvertes, de faire échanger des informations à propos des pratiques, de
rappeler la place que détenait la suin auparavant. Il s’agit d’une revalorisation de cette praticienne afin
qu’elle retrouve une place légitime ; une place légitime qui garantit à cette praticienne dans un
pluralisme médical présent dans ces campagnes une valeur égale à d’autres praticiens, notamment
biomédiaux. Leur but n’est pas de faire arrêter la pratique de la biomédecine dans ces campagnes,
mais de faire en sorte qu’une alternative puisse co-exister avec son autorité propre.
62
Traduction personnelle : « Le savoir d’autorité est persuasif car il semble naturel, raisonnable, et construit par
avis de consensus. Pour les mêmes raisons, il porte aussi la possibilité de sanctions fortes, allant de l’exclusion
du groupe social aux contraintes phsyiques. Généralement, on accepte l’authoritative knowledge mais on
s’implique activement et sans gêne à sa production et reproduction »
63 Il s’agit de mon travail de maîtrise. Hackett, Jessica L. 2004. L’accouchement à domicile en France aujourd’hui :
Vers une réhumanisation de la naissance. (mémoire de maîtrise dirigé par Laurence Hérault, soutenu en Septembre
2004 à l’Université de Provence.)
64 « Authoritative Knowledge is an interactionally grounded notion » (Jordan in Davis-Floyd et Sargent, 1997:
56)
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Il est difficile à ce jour d’évaluer le travail de cette association car seulement un accès supérficiel des
activités ne m’a été ouvert.
La méthode de l’association observée me semble-t-il n’est qu’une
manière de procéder à une revalorisation de techniques et de pratiques. Cette méthode relève d’une
expérience socio-culturelle et politique menée d’après la vision d’un seul homme.
Cette méthode,
nous l’avons remarqué, nécessite un travail de longue haleine. Comment faut-il aborder ces questions
de ‘tradition’ et de ‘modernité’ qu’engendre une telle expérience dans une société complexe tel ce
monde villageois qui y est confronté jour après jour ? Comme raconte l’histoire de Khandbhor dans
l’introduction de ce mémoire à propos de la désuétude du port du navari sari symbole du village et de
la tradition vaincu par le savari sari, symbole de la ville et de la modernité, est-ce que l’on arrivera à
un point où la suin ne sera plus qu’un relique du passé villageois? Est-ce que cette ‘expérience’ de
revalorisation des pratiques traditionnelles menée par l’association et ses animateurs conduira à des
fins souhaitées ? Mais surtout est-ce qu’ils arriveront à maintenir cette expérience afin de parvenir à
des conclusions positives voulues?
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CONCLUSION
Au fil des pages de ce mémoire, j’ai voulu traduire ce que je percevais être des dynamiques autour de
l’accouchement en milieu rural maharashtrien. Une dynamique suppose un mouvement et une force
ou un ensemble de forces sous-jacentes créant celui-ci. Une dynamique est par définition alors nonstatique. L’étude de l’accouchement permet de rendre compte de ces forces et mécanismes sociaux
qui forment l’événement de la naissance et de ses acteurs. Ici nous avons pu à travers l’ethnographie
en milieu rural observer et analyser des rapports entre femmes, entre les femmes et leur
environnement socio-culturel à partir des rapports à et des représentations du corps, des rapports à
l’alimentation liés à cette conception du corps, des représentations des étapes de la naissance et de
l’accouchement. Nous avons pu également nous rendre compte de la place et du rôle de la suin en
milieu rural qui est non seulement une assistante en couches mais qui détient également une fonction
majeure dans les rituels de début de vie. Cette ethnographie riche n’est qu’un début d’étude et
beaucoup d’éléments y figurant offrent d’excellentes pistes de recherche pour un futur travail ; parmi
ceux-ci les dimensions de ‘chaud et froid’, le traitement spécifique du placenta, les notions de
pollution et de son enlèvement. Tout ceci, à mon sens peut et doit également être abordé par la
notion de caste car malgré sa complexité elle représente un biais important dans les représentations et
pratiques. Enfin, un travail sur les rituels entourant la naissance et les déesses vénérées est également
prévu dans la suite de ce travail. C’est par ce biais que la question des castes peut être développée
mais aussi celles d’intégration et de syncrétisme de pratiques.
Celles-ci peuvent relever
d’informations pertinentes quant à des questions de ‘modernisation’ ou de ‘développement’.
Le deuxième niveau de dynamique dont j’ai parlé dans l’introduction de ce mémoire concernait le
contexte de l’association qui a pu être observée. Ici, par dynamique, j’inclus le fait que cet ensemble
d’acteurs, ‘d’animateurs’, travaille afin d’améliorer à leur sens le monde villageois. Il s’agit alors d’une
force orientée vers un progrès. Au début de mon terrain d’étude je savais que l’association V. ne
menait pas des actions semblables à celles des ‘dai trainings’ des organismes sanitaires et hospitaliers,
mais je m’attendais tout de même à trouver des programmes plus axés sur des questions sanitaires. Si
l’on parlait de techniques d’accouchements lors des réunions, on ne parlait que très peu (voire pas du
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tout) de la mortalité maternelle et infantile ou de la manière de la réduire. Les suins échangeaient
devant les animatrices et la directrice de l’association sur leurs prouesses en situation
d’accouchements difficiles ; les cas de jumeaux, d’enfants morts-nés, de bébé en siège, etc. D’autres
suins racontaient fièrement comment elles ont pratiqué et réussi un accouchement ‘naturellement’ là
où le médecin allait faire une césarienne. Presque toutes affirmaient ne jamais avoir perdu une
femme lors d’un accouchement alors que le taux de mortalité maternelle pour l’état du Maharashtra
est d’environ 360/100 000 et on ne peut que supposer que le taux est plus élevé en milieu rural. Les
associations V. et G. à leurs débuts luttaient contre la dissémination de superstitions concernant la
santé en milieu rural. Il n’y aurait pas eu un rejet systématique des pratiques biomédicales et donc il
aurait pu y avoir échange avec des PHC (Primary Health Centre - Centre de Soins Primaires). Par
contre, lors de ces suinmelas, il me semble qu’il n’y avait pas de volonté d’échange avec des praticiens
biomédicaux.
En réduisant l’importance accordée à une compréhension de la biomédecine, et en
s’éloignant des objectifs de départ, les associations V. et G. ne renforcent-elles pas ces pratiques
‘traditionnelles’ qui peuvent être dans certains cas dangereuses ? Cette association et leurs activités
mériteraient une évaluation considérable.
Il serait également intéressant de compléter cette
observation avec une étude sur des organismes ‘médicaux’ réputés pour vouloir changer les pratiques
des suins ou pour les revaloriser en les comparant à des pratiques dites ‘traditionnelles’ de la médecine
ayurvédique.
Une telle étude serait nécessaire afin d’éclaircir l’intersection entre les différents
secteurs et leurs pratiques agissant en milieu rural maharashtrien aujourd’hui.
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Glossaire…
[Mot marathi = mot français [mot anglais]]
A
- Aadhaar=soutien [support]
B
- bagad = tradipraticien homme [traditional healer (man)]
- bøvøra = le col de l’utérus [cervix] (entretien avec KSS de Dhamanahol)
- bhokør = 1. [a tree, Cordia Myxa.] 2. [the fruit of this tree.] 3. [A pendant of an earring or a
nosering.]
(NB : ce mot est utilisé par GGT lorsqu’elle parle de remède pour arrêter l’écoulement du sang après la naissance.
Apparament c’est aussi utilisé pour les accouchements chez les animaux)
- « Elle dit bhvra. (J’ai compris que ce mot voulait dire le « col » mais c’est peut-être un mot spécifique pour
l’accouchement qui veut dire que le col s’ouvre, ou bien le fait d’examiner le col. ?) » (Entretien avec KSS de
Dhamanahol)
- bringal = aubergine [eggplant] (NB : bringal est un mot hindi, en marathi on dit wangi)
C
- /chik/ = colostrum
D
- dhoori = fumigation
- [district]= mot anglais utilisé en Inde pour décrire une division administrative de l’état qui
correspond au ‘département’ français
- dora = fils [thread, string]
- drushtø lagne= jeter un mauvais sort par le mauvais œil [to cast the evil eye]
- dudh = lait [milk]
E
F
G
- gawari = un haricot similaire au haricot vert [a bean similar to string beans)]
- /ghødi/ = compresse [pad]
- ghul = jaggery = sucre non raffiné [unrefined cake sugar]
- /gomutra/ = urine de vache [cow urine]
[It is used for purifying purposes. The suin will drink gomutra and/or use it in her bath water and/or
sprinkle it about the home to purify herself and the house after the polluting act of birth]
H
- halad = curcuma (fr) ; tumeric (eng.)
I
J
- /jor dete/ = forcer, pousser [give force :push ; The woman strains and pushes/ applies force
(entretien avec KSS de Dhamanahol)]
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
- /jagrut/ = lié au /navas/, ceci est en lien avec l’efficacité d’une divinité à répondre à une demande.
[linked to navas, in that it has to do with the efficiency of a god/goddess to reply to a request. (heard
this word in context of Satubai temple. Satubai is said to be a goddess who is quick to hear and
respond to devotees wishes)]
K
- kheli= bananes [bananas]
L
- laddhu = sorte de patisserie [a sweet]
- lāj = modestie, honte [modesty, shame]
M
- mahakal = la douleur principale de l’accouchement [the main pain of delivery (maha = grand [great] ;
kal = douleur [pain]]
- maher = La maison maternelle d’une femme, là où elle est née et élevée. [woman’s maternal home.
The place where she grew up.]
-mālak = le mari d’une femme. Littéralement, son propriétaire [husband, literally, owner]
- mudh = miel [honey]
N
- nal = cordon ombilical [umbilical cord]
- namaskar = une salutation comme bonjour [a greeting like hello]
- navas bola/ navas pedla = demander quelque chose aux dieux/ rendre ou repayer la divinité pour ce
l’accomplissement de ce que l’on a demandé [requesting something from the gods/repaying the god
for having done what you requested. (this is there in every layer of society for anything as well)
(generally for big occasions/ wedding/ jobs/ children/property…)]
O
- /ova/ = un élément mis dans le feu du dhoori (fumigation) [herb that is put in the dhoori]
- otti = la partie du sari que l’on tend afin de recevoir l’ottiburne [the portion of the sari held out for
the ottibarne]
- ottibarne/ottiburne = geste que l’on fait pour faire des offerandes dans une partie du sari. [to put
offerings in the padar of the sari] [ce terme refère à un geste que l’on effectue lors de la cérémonie
du 7ème mois de grossesse /this term also refers to the ceremony that is done in the 7th month before delivery]
- ovi (parfois écrit owi) = chant de la meule [grindmill song]
P
-Pacvi = cérémonie ayant lieu le cinquième jour après la naissance d’un enfant. [ceremony on the 5th
day after the birth of a child]
- palna = 1. berceau [cradle] 2. berceuse [lullaby]
(ce mot refère au berceau mais également aux chansons, des berceuses que l’on chante pour la
célébration du 12 jour après la naissance / this word refers to the cradle itself but also to the songs
that are sung on the 12th day after birth)
- pap = péché [« sin »/sinful deeds] [punya (n like infinitives) : opposite of sin, what one receives for
having done good deeds…].
- pativrata = « the concept of the chaste, obedient, duty- fulfilling wife » (see article : Gupta, A. et
al. « Women’s beliefs about disease and Health. » saved in computer under SNDT articles)
- patta = pierre à broyer sur laquelle on prépare des masalas et chutnis. Le patta est utilisé pour le
puja de Pacvi, le cinquième jour après la naissance.[grinding stone one which masalas and chutneys
are prepared. In the context of birth, the patta is used for the puja on Pacvi (the fifth day after
birth)]
- phanas = jackfruit
- pishvii (ceci veut dire ‘sac’) (entretien avec KSS de Dhamanahol) “ The baby is in the bag.
…When the « bag » comes to the cervix, it stretches.”
-puja = offrande [offering done in worship]
Q
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
R
- røkta= sang [blood]
- røksha = cendres [ashes]
ramrøksha= Ramaraksha (ashes are put at the door of the house) is done and the ashes are
kept for seven days, from pacvi to baravi.
- rui = un arbuste particulier à la région… (la racine de cette plante est utilisée quand les douleurs de
l’accouchement commencent et s’arrêtent. Généralement on prend la racine de l’arbre contre
quelque chose en métal, en argent, ou en or (bref quelque chose qui a de la valeur) et on place cette
racine dans les cheveux de la parturiente. Ceci est sensé faire redemarrer les contractions et donc
faciliter la naissance. On redépose la racine à l’arbre et on reprend l’élément de valeur immédiatement
après l’accouchement car si on ne fait pas ceci, le sang coule abondamment et peut causer des
problèmes)
S
- sasu = belle-mère [husband’s mother]
- shakti= energie [energy]
- Shepa = [shep] = anis [(Woolsworth definition)= Anise-seed, Pimpinella anisum or Anethum sowa.]
(ceci est un des éléments à mettre dans le dhoori (fumigation) qui a lieu après le bain)
- Shendur = un melange de curcuma et vermillion créant une sorte de peinture que l’on utilise pour
recouvrir des lieux saints. [halad and kukum together making a sort of paint which is commonly used
to cover holy places.]
- sher = unité de mesure [unit of measure]
- stridharma = « a construct which has had the willing acquiescence of women in its practise »
(see pativrata ; see also Guha, A. et al. « Women’s beliefs about disease and health »)
- /sup/ = outil domestique en vannerie utilisé pour nettoyer le grain, notamment pour séparer le riz
[a scuttle shaped basket for cleaning grain ; cet outil est utilisé à la place du patta par la communauté
des bergers pour la cérémonie de Pacvi (bersten & nimbkar dictionary) ; (Used by the Dhangar
community for the Pacvi ceremony)]
T
- /taluka/ = sous-division administrative des districts. Correspond relativement aux ‘cantons’ en
français [administrative subdivision of the districts. Roughly equivalent to communes or burroughs]
- /talu/ = fontanelle, le haut du crane[the top of the head]
- tapasne = vérifier [ to check]
- tūp = comme le ghee (beurre clarifié) [marathi word for ghee, clarified butter]
U
- ushnø = chaud, en termes de chaleur conceptuel [« hot » (not in terms of temperature but of
conceptual warmth. ) ]
V
- var = placenta (près de Shirur on a trouvé une différence subtile de prononciation : /vør/)
- vehli = outil de cuisine utilisé pour coupé. Une lame inversée sur planche de bois. [kitchen utensil
used for cutting with inverted blade attached to wooden cutting board]
- vrata = vœu religieux observé par une femme [religious vow made by a woman]
W
- wygola= l’aire ou les gases dans l’estomac [air or gases in the stomach… (see interview with TK de
Lawarde)]
X
Y
Z
- zholi = un sac en coton [a cloth bag]
- zumble/tsumble = le morceau de tissus enroulé que les femmes mettent sur la tête pour pouvoir
porter les conteneurs d’eau [the piece of cloth wound into a circle used for carrying water]
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Annexe I
Données Démographiques de l’Inde et du Maharasthra
L’Inde : Quelques données démographiques
Inde : quelques chiffres
Surface totale : 3,287,590 km2
Population : 1,095,351,995 (estimation du juillet 2006)
[L’Inde est le deuxième pays le plus peuplé du monde]
Climat : variant d’un climat tropical dominé par des moosons dans le sud à un climat tempéré dans le
nord.
Elevations extrêmes :
à l’Océan Indien 0 m
À Kanchenjunga (dans Himalaya) : 8,598m
Espérence de vie :
64.71 ans
Hommes : 63.9 ans
Femmes : 65.57 ans
Taux de fertilité :
2,73 enfants/femme (estimation du juillet 2006)
HIV/AIDS prevalence : 0,9 % (estimation 2001)
PLWHA :
5.1 million (estimation 2001)
HIV/AIDS deaths :
310,000 (estimation 2001)
Risque de maladie : haute
Maladies :
diarrhée bactérienne, Hepatite A & E, Typhoide
Fièvre Dengue, Paludisme, Japanese Encephalitis
Gouvernement : République Fédérale
Nombre d’états : 28
Nombre de territoires : 7
Président : A. Kalam
Premier Ministre : Mohanman Singh
Suffrage : 18 ans
Langues : Anglais & Hindi. Plus 14 + autres langues officielles
Religions :
Hinduisme : 80.5 %
Islam : 13.4 %
Christianisme : 2.3%
Sikh : 1.9%
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Autre : 1.8%
Agricultural Products : riz, blé, oilseed, coton, toile de jute, thé, sucre de canne, pommes de terre ;
bétail (vaches, buffles, moutons, chèvres, volailles, poisson)
Industries : textiles, chimie, alimentation, acier, equipement de transport, ciment, mines, petroleum,
Informatique
Quelques données démographiques du Maharashtra
Maharashtra : quelques chiffres
Capital : Mumbai
Langue : Marathi
Population : 96 752 247
Mumbai : + 10 million
Pune : 4,485,000 (estimation de 2005)
Taux d’alphabétisation : 77.27 % (estimation de 2001)
Appartenances religieuses :
hindous 81,9%
Jainas 1,4%
Musulmans 8,5%
Chrétiens 1,4%
Bouddhistes 6,5%
Zoroastriens 0,1%
Agriculture :
214.000km2 de terre cultivées (estimation de 1994-95)
produits cultivés: riz, blé, sorgho, petit mil, légumineuses, canne à
sucre, coton et arachide
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Annexe II
Les Interprètes…
M.S.
M.S. est le neveu d’un des animateurs de l’association C. M.S. vit aujourd’hui à Pune. Il est marié
depuis peu, suite à un « love marriage » qu’il a contracté avec une fille de son choix personnel. Il est
né dans la région de Mulshi, un des lieux de terrains. M.S., au moment de mon enquête terminait son
Master en russe. Il parle alors quatre langues couramment, le marathi, le hindi, l’anglais, et le russe.
Lors de son embauche, il affirmait avoir effectué des travaux de traduction.
D.S.
D.S est professeur de hindi dans un lycée à Shirur. Issu de très basse caste, il a connu Guy Poitevin
quand il faisait ses études à la faculté. Il a aidé Guy lors d’enquêtes sur les mythes villageois. Il dit lui
même que sans l’aide de Guy, il n’aurait jamais pu devenir professeur. Il doit beaucoup à Guy et à
l’association C. qui lui a ouvert ses yeux au monde universitaire et académique. Il est marié et père
d’un petit garçon. Il n’avait pas d’expérience au préalable de traduction mais avait tout de même eu
occasion de faire des enquêtes auprès de villageois.
Y.M.
Y.M. a environ 30 ans. Né à Shirur, il est le frère cadet de J.M., animateur principal de l’association
C. Y.M. est professeur d’école dans un village à l’est de Pune. Il ne parle pas parfaitement l’anglais.
Il a accepté de venir en tant qu’interprète car la directrice de l’association le lui a demandé et il
affirme reconnaître tout ce que ces directeurs de l’association C. ont pu faire pour leur famille et
notamment J.M. quant à leurs études. Y.M. est marié. Sa femme est également professeur d’école.
J.M.
J.M. a environ 30-34 ans. Il est né à Shirur, à l’est de Pune. Il vit à Pune depuis de nombreuses
années. Il détient un B. Comm. (Licence en journalisme et communication) de l’Université de Pune.
Il travaille pour l’association C. depuis une douzaine d’années. Avant cela il était un membre actif de
l’organisation et participait au Self-Education Workshops développés par l’association. Il a pris
contact avec l’association C. en même temps que D.S. J.M. est marié et père de deux enfants.
L’animateur principal de l’organisation, J.M., m’a accompagné à plusieurs reprises et a aidé
l’interprète à traduire. Souvent, J.M., malgré des petites lacunes en grammaire et en langue anglaise, a
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montré un sens fin de la communication. Ceci s’explique par de nombreuses années dans les villages
à faire des enquêtes pour les recherches de Poitevin sur les chansons de la meule et d’autres
recherches sur la vie villageoise. Il connaissait parfaitement le terrain et savait qu’il ne fallait surtout
pas brusquer l’interviewée pour obtenir des informations. Il avait un sens pour mettre à l’aise tout le
monde. Il me connaissait également depuis quelques années et était au courant de mes objectifs de
recherche. Il ne parlait pas parfaitement ma langue, mais avait un don pour traduire les idées et savait
obtenir des informations tout en gardant le sourire.
Cet animateur principal avait un rôle important au sein de l’association. C’était le seul à travailler à
temps plein pour l’association à Pune. Il s’occupait de rédiger des rapports, de mener des réunions
des animateurs et de s’occuper de tout ce dont la directrice avait besoin. Il avait l’habitude
d’accompagner des étrangers au village pour des actions de l’association
K.B.
K.B. a 28 ans et vit à Pune, ville où il est né. Détenteur d’un Bachelor of Arts en Economie et
Statistique avec une mineure en français, il poursuit actuellement ses études. Aujourd’hui il continue
des études de langue française, un master en économie, et des diplômes en informatique. Il est issu
d’une famille Brahmine, caste la plus élevée de l’Inde. Malgré quelques expériences de traduction en
ville, c’était la première fois qu’il assistait en tant que traducteur pour des enquêtes en milieu rural.
Annexe III : Les suins rencontrées
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Annexe III
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Annexe IV
Guide d’entretien
Remarques générales de l’entretien:
Lieu (où se passe l’entretien) :
Village (si différent de celui de l’interviewée) :
Personnes présentes (outre l’interviewée) :
Interprète :
Remarques :
Questions générales pour la suin:
Nom :
Age :
Lieu de naissance (maher):
Nom de son village:
Situation familiale (mariée, divorcée, veuve):
Caste :
Occupation autre que son travail de matrone:
Combien d’enfants avez-vous ?:
Où sont vos enfants aujourd’hui ?:
Comment avez-vous accouché ? Avez-vous accouché ici dans ce village ? Qui vous a assisté ?
Qui habite avec vous maintenant ?:
Depuis quand pratiquez vous ?:
Comment avez-vous appris ? Qui vous a appris ?
Où allez-vous pour venir en aide aux femmes en couches? Dans quels villages ? :
Est-ce que vous vous déplacez loin ? Si oui, comment (à pied, en bus, en moto ?):
Combien d’accouchements pratiquez-vous en moyenne ( par mois, par an) ?:
Est-ce que vous vous faites rémunérer pour vos services ?
D’où viennent la plupart des femmes que vous aidez ?
A propos des accouchées :
Quel âge ont les femmes que vous aidez ?
D’où viennent-elles ? Sont elles éduquées ?
Quel genre de travail font-elles ?
De quelle caste viennent-elles ? Sont-elles de différentes castes que vous ?
Est-ce que les femmes de cette région préfèrent accoucher au village (à la maison) ou à l’hôpital ? Pourquoi ?
L’accouchement en général:
Selon vous, y-a-t-il des dangers quant à l’accouchement à la maison, ici au village ?
S’il y a des risques, comment pouvez-vous les gérer ?
Selon vous, y-a-t-il des dangers quant à l’accouchement à l’hôpital ?
Quels sont les changements dans la façon dont l’accouchement se passe aujourd’hui par rapport à dans le
passé ? Y-a-t-il des changements que vous souhaitez pour le futur ?
Est-ce qu’il y a des femmes intéressées par l’apprentissage de votre travail ? Y-a-t-il des femmes qui apprennent
avec vous en ce moment ?
Pendant la grossesse :
Est-ce que les femmes enceintes viennent vous voir pendant leur grossesse ?
Si oui, dans quel mois, à quel stade de leur grossesse viennent-elles ?
Est-ce qu’elles viennent seules ou accompagnées, si oui, avec qui ?
Si vous faites ce genre de consultation, qu’est-ce que vous faites ? Que regardez-vous ?
Est-ce que vous arrivez à déterminer la date de l’accouchement ? Si oui, comment ?
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Y-a-t-il des signes qui indiquent que l’accouchement est imminent ?
Est-ce que les femmes vous consultent pour des conseils concernant leur alimentation pendant leur grossesse,
ou bien à propos d’autres choses ?
Quel genre de conseils donnez-vous ?
Y-a-t-il des aliments spécifiques que doivent manger des femmes enceintes ? Ou bien des aliments qu’elles
doivent éviter ?
Est-ce que vous raconter aux femmes comment l’enfant est conçu et comment le corps va changer ?
Ici, est-ce que les femmes vont à l’hôpital pour des consultations prénatales (pour des echographies) ? Si oui,
pourquoi, et à quelle fréquence ?
Est-ce que les femmes se préparent à l’accouchement en faisant des exercises (physique ou respiratoire), ou en
prenant du repos supplémentaire ?
Est-ce que les femmes s’inquiètent à propos des douleurs de l’accouchement ? est-ce que vous leur offrez des
conseils à ce propos ?
Quelles sont les complications les plus fréquentes liées à un accouchement ? Comment les gérez-vous ?
Est-ce que vous conseillez aux femmes d’aller à l’hôpital de temps en temps ? Si oui, dans quels cas ?
Y a-t-il des cérémonies (religieuses ou populaires) spécifiques ayant lieu pendant la grossesse ?
Participez-vous à ces cérémonies ?
L’accouchement :
Si vous avez estimez la date de l’accouchement et que cette date est dépassée, que faites-vous ?
Y a-t-il des remèdes pour provoquer les contractions et le travail de l’accouchement ?
Que faites-vous ?
Qui vient vous appeler quand la femme commence à sentir des douleurs de l’accouchement ?
Quand allez-vous à la maison de la femme ? Au début des douleurs ? ou bien, attendez-vous ?
Qui est avec vous et l’accouchée dans la pièce où se déroule l’accouchement ? Y a-t-il des personnes qui sont
interdites lors de l’accouchement ?
Que se passe-t-il dans les premiers temps de l’accouchement ?
Que peut faire la femme ? Est-ce qu’elle peut se déplacer ? Ou, est-ce qu’elle doit rester couchée ?
Peut-elle boire ou manger ?
Peut-elle crier si elle a mal ?
Parfois des femmes crient ou bien paniquent lors d’un accouchement, est-ce que vous avez connu cela, si oui,
que faites-vous ?
Est-ce que vous conseillez à la femme de prendre une position particulière à ce moment ?
Comment vous pouvez savoir quand la femme peut pousser ?
Si la femme a des difficultés à pousser pour faire sortir l’enfant, que faites-vous ?
Est-ce que vous faites des gestes pour prévenir des déchirures ? (massages ou soutien)
Que faites-vous immédiatement après que l’enfant soit né ?
Coupez-vous le cordon immédiatement ou attendez-vous le placenta ?
Combien de temps faut-il au placenta de descendre ? Si celui-ci prend du temps, intervenez-vous ?
Si oui, comment ?
Quand est-ce qu’on donne l’enfant à la mère ?
Est-ce que la femme allaite tout de suite ?
Faut-il donner le sein de suite ? Faut-il donner le colostrum ?
En ce qui concerne le placenta, qu’en faites-vous ?
Si vous l’enterrez, où est-ce que ceci se fait ? Y a-t-il des cérémonies spéciales qui accompagne cet
enterrement ?
Y a-t-il des circonstances dans lesquelles où vous n’assistez pas à l’accouchement et que vous envoyez la femme
à l’hôpital ou à la clinique ?
Si vous l’envoyez à l’hôpital, est-ce que vous l’accompagnez ?
À quelle distance est l’hôpital ?
Connaissez-vous le personnel soignant ?
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Après l’accouchement
Après l’accouchement, combien de temps la mère, restera-t-elle dans cette même pièce ?
Peut-elle manger ou boire immédiatement après la naissance ?
Qui l’aide à se nettoyer et à nettoyer la pièce de l’accouchement ?
Qui peut rentrer dans la pièce immédiatement après la naissance ? Qui vient la voir ?
Est-ce qu’on lui apporte des cadeaux ? Si oui, quoi ?
Y a-t-il des cérémonies à ce moment ?
Que peut faire la mère pendant cette période suivant l’accouchement ?
Y a-t-il des prescriptions alimentaires à suivre pendant cette période ?
Que donne-t-on à l’enfant autre que le lait de la mère ?
Est-ce qu’on donne quelque chose à la mère pour soulager des douleurs et des saignements après la naissance ?
Qui donne le bain à la mère ? A quelle fréquence ?
Qui donne le bain à l’enfant ? A quelle fréquence ?
Y a-t-il une pollution associée à la naissance ? Après la naissance ? Si oui, combien de temps dure-t-elle ?
Qui est concerné par cette pollution ? (seulement la mère, ou bien aussi l’entourage ?)
Comment enlever cette pollution ?
Est-ce que vous êtes touchée par cette pollution ? Que faites-vous ?
Comment la femme va accomplir ces devoirs de travail domestique ?
Y a-t-il des dangers dans la période suivant la naissance ? Que faut-il faire pour prévenir ces dangers ?
Que faut-il faire pour protéger la mère et l’enfant ?
Après la naissance, continuez-vous à venir voir la femme pour surveiller sa santé ? Si oui, à quelle fréquence
venez-vous ?
Rituels:
Y a-t-il des rituels avant, pendant, ou après la grossesse d’une femme ?
On m’a parlé de quelque chose qui se passe ici lors du cinquième jour ? Pouvez-vous m’en parler ? Que faiton ce jour-là ? Qui assiste à cet événement ? où se déroule-t-il ce rituel ? A quoi sert-il ? Qui est Satubai ?
Est-elle gentille ou méchante ? Que fait-elle ?
On m’a également parlé des rituels qui se déroulent près de l’eau ? Pourquoi ?
Y a-t-il des rituels concernant le placenta ?
Y a-t-il des moments auspicieux pour un enfant de naître ?
DAI training course :
Avez-vous suivi une formation pour sages-femmes offerte par l’hôpital ou autres associations ?
Quand et où est-ce que vous avez suivi la formation?
Comment avez-vous eu accès à cette formation?
Est-ce que vous avez reçu une remuneration pour cette formation, si oui, combien?
Est-ce qu’ils ont fourni un ‘kit’? Qu’est-ce qu’il y avait dedans?
Est-ce que cette formation a changé la façon dont vous travaillez aujourd’hui ?
Est-ce que cette formation a changé la façon dont les gens vous regardent ?
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Une dynamique sociale autour de l’accouchement en milieu rural indien
Annexe V
Quelques extraits d’entretiens avec des suins
Voici quatre extraits tirés de mon journal de terrain après des entretiens avec des suins.
Tarabai Katkar, Lawarde, Mulshi taluka
Nous sommes allés voir Tarabai Katkar après être allés voir Tulsabai Kamble à Kolawade. Chez Tulsabai, nous
étions dans le hameau des intouchables, mais ici, nous sommes chez les Katkaris, les ‘tribals’.
Nous ne sommes plus au village de Kolawade, mais au village de Lawarde. Comme Kolawade, ce village est divisé en
différents « vastis » ou hameaux. Ici, nous sommes dans le ‘katkari wasti’, le hameau des tribaux.
Ce katkari wasti est spécial, je n’ai pas d’autres mots pour le décrire. Les maisons qui ressemblent à des taudis
tiennent debout comme par un fil. Les petits enfants qui courent partout sont à peine couverts de vêtements, sans
culottes ni chaussures. Leurs cheveux sont tout en désordre et survolés de mouches. Leurs visages sales et le nez en
train de couler. Les petites allées entre ces maisons sont pleines de déchets. Au premier regard, on dirait que ces gens
sont horriblement pauvres. Nous rentrons dans une maison. Je pense que les animatrices qui m’accompagnent veulent
faire un peu de travail tout en m’accompagnant. Elles se renseignent sur certaines choses. Finalement, elles demandent
si Tarai est chez elle. Pendant qu’elles parlent, l’hôtesse de maison nous offre à boire. Je dois décliner car il s’agit de
l’eau et je viens de finir un traitement car j’ai eu des problèmes intestinaux. Une des animatrices a également des
problèmes digestifs donc on arrive à faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’une mauvaise volonté de ma part. Lorsque
tous se parlent et se rafraîchissent, je regarde autour de moi. Dans ce quartier qui me semblait proche d’un taudis, je
vois dans cette petite maison, deux grandes pièces. Cette pièce principale sert de chambre. Il y a un vrai lit, à côté
duquel une vraie commode et une énorme télévision. Il y a même un lecteur de DVD. Le sol sous mes pieds est
carrelé, et non pas recouvert de bouse de vache. Les murs sont également en « dur ». Ce contraste est un peu
déboussolant.
Tout d’un coup, on se lève et on part. Tarabai est au village, donc on part à sa recherche. On remonte par la route.
Des gens sont vautrés dehors sur les lits, il fait très chaud. Nous arrivons devant une maison avec la terrasse balayée.
Elle ne ressemble pas aux maisons avoisinantes. Une petite femme sort, son sari remonté comme la mode des katkaris,
je vois ses petites jambes maigres. C’est Tarabai. Tout de suite, elle nous fait rentrer dans la pièce principale. Elle
nous fait nous asseoir sur des couvertures par terre. Elle est en face de nous assise sur un haut lit en métal. De là où je
suis assise, je ne peux pas voir la cuisine ; mais je vois au pied de son lit, un téléviseur et un lecteur VHS et
VCD/DVD. Sa maison n’est pas comme la première, c’est un mélange de traditionnel, (le sol et murs recouverts de
cette bouse de vache qui fait un plâtre marron-claire) et de moderne (un grand lit surélevé avec ces objets électroniques).
Je m’interroge sur tous ces objets. Quelque part ces gens ne sont pas pauvres du tout…mais leur souci, leur
préoccupation ne semble pas être d’améliorer leur situation de vie…
Tarabai Katkar est bien connue de l’association V. C’est une femme très forte de caractère malgré sa petite taille
menue.
Lors de l’entretien avec Tarabai, elle ne me parle pas énormément d’elle-même. Elle ne me parle pas de ses activités
avec l’association V. alors que je la sais assez active. Cette région, incluant les villages des animatrices qui sont avec
moi, est une des régions principales de l’activité de l’association V. et d’autres. Je sais que Tarabai a été également
Sarpunch (comme maire), occupant donc un poste à responsabilité politique de sa communauté. Je sais qu’elle a deux
fils. Mais ce n’est pas elle qui me raconterait tout ceci. D’autres animateurs me racontent petit à petit des éléments de
la vie de Tarabai. Après mes observations de ces objets que je considérais comme un luxe, on m’a dit que les Katkaris
sont connus pour leur production, vente et consommation d’alcool. C’est comme cela qu’ils gagnent de l’argent et peuvent
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avoir de tels objets. A propos des objets de Tarabai, on ne me raconte pas la même histoire. On me dit qu’un de ses
fils travaille à Pirungut, un gros bourg du coin. C’est là-bas qu’il gagne sa vie et peut acheter ces objets à sa mère.
Je sais, de par ces paroles d’autrui, que Tarabai a une certaine réputation en tant que suin. Elle n’a pas peur d’aller
contre l’avis du médecin. Presque tous les animateurs et animatrices, même la directrice de l’association m’ont parlé de
ses exploits, son habilité dans des situations d’accouchements difficiles, ses confrontations avec des médecins, sa force de
caractère…
Non, Tarabai ne me raconte rien de tout ceci. Elle me parle de son travail de suin. Elle est suin depuis plus de 15
ans. Je sais que je ne suis pas la première étrangère à venir la voir pour lui poser des questions à propos de
l’accouchement. Elle pratique toujours des accouchements et a gagné une certaine réputation pour son assistance en
couches.
Elle m’a dit qu’elle a appris quand elle était encore très jeune. Quand elle était petite, elle a pu voir une vingtaine
d’accouchements même avant d’accoucher à son tour. La belle-mère de sa sœur était suin. Tarabai a pu observer des
accouchements en sa présence. Après avoir observé quatre fois, Tarabai se sentait confiante et elle a pratiqué des
accouchements seule par la suite.
Elle enseigne la pratique de suin à d’autres femmes. Elle dit avoir appris déjà à huit femmes, toutes katkaris. Mais
elle affirme qu’elle assiste d’autres femmes de différentes castes. Elle va chez les Dhangar, des Dalits, des Marathas, et
des Katkaris. Ces différentes castes correspondent aux habitants des villages environnants. Des Dalits se trouvent
dans le vasti que nous venons de voir, chez l’animatrice Kamblebai. Des Marathas, dans le village de Kolawade et le
vasti d’Ubhebai. Ces villages sont sur la route en amont du barrage derrière lequel se situe Lawarde. Des Katkaris
sont ici à Lawarde. Et les Dhangars sont sur la colline après le village de Lawarde. A environ trois-quarts d’heure
de marche de chaque côté, on peut atteindre chacune de ces communautés.
La conversation lors de l’entretien est difficile à suivre. Mon interprète a du mal non seulement à comprendre mon
anglais, mais à trouver des mots pour traduire le foisonnement de paroles qui nous survolent. Tarabai insiste sur le
fait que sa pratique d’accouchement est « naturelle ». « On ne coupe jamais le vagin d’une femme. L’accouchement est
toujours naturel. Nous essayons de ne pas faire mal à la femme enceinte ! » Elle passe de sujet en sujet très vite. Elle
s’arrête sur le sujet du placenta. Les katkaris y accordent une importance particulière. Tarabai me parle du souci si le
placenta remonte dans le corps. Elle n’est pas la première à m’en parler. Mais elle continue. Elle dit que les katkaris
font un puja spécial pour le placenta. C’est autour du placenta et non pas du patta que les katkaris fêtent Pacvi.
Pour cette célébration, on met 5 feuilles décorées de halad, kukum, et kajal sur la pierre qui recouvre l’endroit où le
placenta et tandul ont été enterrés. Un panier est placé par dessus. Tarabai insiste sur le fait que ce soit la suin qui
prépare tout ceci. Les feuilles sont placées dans différentes directions selon les divinités que l’on prie. On danse et on
fait la fête toute la nuit en attendant l’arrivée de Satubai. Lorsqu’on lui demande pourquoi les katkaris font cette fête,
elle répond tout naturellement « Tradition ». Il a fallu que l’on insiste un peu pour qu’elle donne une raison plus
élaborée: « Pour que l’enfant n’aie pas de problèmes plus tard. »
(Extrait du cahier de terrain après un entretien avec Tarabai Katkar à Lawarde le 6 mai 2005)
Kisabai Sonu Shedge, Dhamanahol, Mulshi taluka
Kisabai travaille en tant que suin à Dhamanahol depuis à peu près 25 ans. Elle a appris en observant sa propre mère
dans son village natal d’Admal (au sud-est de Dhamanahol). Elle même est mère de trois enfants, deux garçons et une
fille, grand-mère de sept, et arrière grand-mère pour cinq. Ses enfants n’habitent pas tous ici. Seul un fils et sa famille
sont restés au village. L’autre fils est au Gujarat et sa fille habite à Mumbai.
Elle pratique toujours les accouchements, peut-être 10 ou 12 par an et malgré son âge avancé (65-70) se déplace dans
les villages et hameaux environnants à pied ; ce qui me semble-t-il représente parfois quelques heures de marche.
Je l’ai rencontrée à Dhamanahol en avril 2005. En sachant que j’étais au village et que je m’intéressais au suins, elle
est venue me parler accompagnée d’une autre femme qui s’est avérée être son apprentie. Elle s’est assise à côté de moi
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par terre devant la maison de mon hôte, un animateur de l’association V. Elle a parlé très ouvertement de son travail
et l’a expliqué avec le plus grand soin tout en faisant des gestes afin de s’assurer que je comprenne.
Tout d’abord, elle m’a dit qu’elle est suin depuis 25 ans mais qu’elle a suivi un ‘dai training course’ à Paud il y a une
vingtaine d’années. Les cours auraient dû durer pendant un mois, mais le docteur responsable lui a dit qu’elle était très
douée et plus intelligente que les autres et elle a pu partir après seulement huit jours.
Elle bénéficie de beaucoup de soutien de la part de sa famille. En fait, dit-elle, c’est eux qui la poussent à continuer ce
travail. Elle me parle d’une fois où l’accouchement avait lieu dans un village lointain et elle ne sentait pas la force de
marcher si loin. Mais sa famille lui a dit que c’était son devoir d’aller aider la fille en couches. Elle même a enseigné à
de nombreuses femmes. Ces femmes l’accompagnent quand elle assiste une femme. C’est comme ça qu’elle leur apprend.
Mais lorsqu’elle est présente les autres femmes ne font qu’observer par respect pour son travail.
En ce moment, elle apprend à sa belle-sœur (la femme de son frère).
Kisabai dit qu’il suffit d’observer deux ou trois fois avant de pratiquer des accouchements. Mais une femme qui n’a
pas eu d’enfants elle-même ne peut pas y assister. Kisabai dit que les jeunes femmes sont trop timides.
Elle dit que pendant la grossesse, la suin n’apporte pas de soins particuliers. Elle-même se déplace pour voir la femme
enceinte seulement s’il y a des soucis, des douleurs. Elle sait quand l’accouchement va bientôt avoir lieu car elle dit que
la femme « perd de sa fraîcheur » ; on sent qu’elle va s’évanouir ; d’autres signes de faiblesse apparaissent ; elle ne
mange pas malgré sa faim et elle peut avoir la nausée.
Lorsque la famille de la femme enceinte appelle Kisabai, elle part tout de suite voir la femme. En utilisant le majeur de
sa main gauche, elle sent délicatement dans le vagin pour faire un « check » comme elle dit ; pour évaluer l’ouverture.
Lorsque la tête de l’enfant apparaît, elle l’encercle doucement d’un doigt pour ouvrir et faciliter son passage. Après elle
réceptionne l’enfant avec les deux mains. Au préalable, elle met de l’huile autour de la vulve afin d’assouplir la peau.
Elle soutien l’ouverture avec une main pour éviter des déchirures.
Pour un premier accouchement, Kisabai rassure l’accouchée dès son arrivée. Elle m’explique ceci en se servant de moi
comme exemple. Elle a placé ses mains sur mon front et mon visage ; puis sur mon ventre. Elle m’a caressé comme si
j’étais l’accouchée tout en disant en marathi « Tu n’en as plus pour longtemps, ça va aller…ça va plus durer longtemps
à présent ». Une deuxième femme présente pour l’accouchement s’assied derrière l’accouchée et lui masse le bas du dos.
Kisabai me montre ceci également. Dans un bond, elle se retrouve derrière moi, et avec ses petites mains pleines de force,
elle me masse le bas du dos plaçant un pouce de chaque côté de ma colonne vertébrale.
Après que l’enfant sort, le placenta suit rapidement selon Kisabai. Après la sortie de celui-ci, elle coupe le cordon avec
une lame neuve. Elle dit qu’auparavant elle utilisait une faucille mais depuis le training course, elle a arrêté cette
pratique.
Après l’accouchement et le bain, une compresse en tissu propre est recouverte de haldi (curcuma) et de meet (sel) et est
placée sur la vulve de l’accouchée. Selon Kisabai, ceci aide à arrêter le saignement et à « refermer ». Pour les douze
jours suivants, une compresse recouverte de l’huile végétale y est placée.
(Propos recueillis lors d’un entretien à Dhamanahol avec Kisabai Sonu Shedge le 11 avril 2005)
Radhabai Sapkal, Kolawade, Mulshi taluka
Radhabai a environ 65 ans quand je l’ai rencontrée à Kolawade gau en Septembre 2005. J’étais accompagnée de mon
traducteur K. B. et deux animatrices de l’association V. Radhabai et veuve. Elle a trois filles mais elles n’habitent
pas ici. Une est à Andegao (pas trop loin) et les deux autres sont à Pune. Parce qu’elle n’arrivait pas à avoir de
garçon, son mari a pris une deuxième épouse qui lui a donné un fils. Ce garçon a été élevé par sa mère et par
Radhabai. Aujourd’hui cette co-épouse est morte. Ce garçon, aujourd’hui homme habite entre Pune et Kolawade. Il
est chauffeur de rickshaw. Lorsqu’il n’est pas au village, Radhabai habite seule. Sa très grande maison est en plein
centre du village. Elle disparaît à la cuisine afin de nous faire du thé. Après le thé, elle nous parle de son travail.
Radhabai a appris à être suin avec sa belle-mère ici à Kolawade. Elle l’a suivie et observée. Après la mort de sa bellemère, c’est elle qui a repris le travail. Cela fait 10-12 ans.
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Elle dit qu’aujourd’hui elle ne travaille pas autant qu’avant. Les jeunes gens vont à la clinique ou à l’hôpital. Mais
tout de même, elle continue à travailler. Il y a un mois environ, elle a été appelée pour assister une femme en couches.
Radhabai dit qu’elle ne veut pas empêcher ces jeunes d’aller à l’hôpital. Selon elle, si quelque chose se passe mal à la
maison, on blâme la suin pour tout. Dans le cas de l’accouchement à l’hôpital, il est rare que l’on blâme qui que ce
soit.
Quand j’interroge Radhabai sur le déroulement de l’accouchement elle me fait part de sa méthode pour savoir quand
l’accouchement va avoir lieu. Elle demande à la femme comment elle a mal et où se trouve le mal sur le corps. « Si le
mal est devant, on a encore du temps, mais si le mal est derrière, le processus a déjà démarré » Elle vérifie avec un doigt
l’ouverture du col. En fonction de ceux-ci, elle conseille à la femme de marcher une peu, qu’on lui mette de l’eau chaude
sur le bas du corps, ou de lui faire boire du thé noir.
Radhabai m’explique qu’il y a un sac sur la tête de l’enfant ; et que ce sac doit ‘exploser’. Après cela, l’enfant peut
sortir. La suin tient le cordon et parfois y attache une pierre car le cordon ne doit pas remonter de peur que le placenta
remonte dans le corps ; cela pourrait tuer la femme.
Le placenta est amené à la rivière après la naissance. A cette remarque, une des animatrices proteste en disant que
chez elle on l’enterre. Radhabai continue calmement en affirmant que selon ses traditions, on le met à la rivière. On y
met du halad et du kukum et on le laisse s’en aller en flottant. Les poissons et les crabes le mangeront.
(Extrait du journal de terrain après l’entretien avec Radhabai Sapkal à Kolawade le 26 septembre 2005)
Manabai Tukaram Khenghe
C’est le soir après l’entretien avec TC que nous arrivâmes chez Manabai. Je vois une toute petite femme très âgée nous
accueillir. Elle doit avoir environ 75 ans. Nous avons marché depuis Uksan en faisant le tour des villages et
hameaux de la vallée, Thorongao et autres avant d’arriver à Karansgao. Karansgao est un gros hameau divisé en
plusieurs wadis, 5 si j’ai bien compris. Celui où l’on se trouve s’appelle Brahmanwadi, mais je doute qu’il y a des gens
de cette caste ici aujourd’hui.
On fait le tour de la grande maison pour avant de s’asseoir au veranda avec elle. Tout est très propre et elle se précipite
pour mettre une couverture en patchwork qu’elle a cousu de saris usés par terre pour moi et mon interprète. Il fait doux
après une journée de grosse chaleur d’été. Nous sommes le 19 avril 2005.
Manabai nous dicte doucement mais clairement son nom complet : Manabai Tukaram Khenghe. Je transcris dans
mon cahier comme je peux ces sons aspirés et non aspirés que je n’arrive pas toujours à distinguer. Je répète ce que j’ai
pu écrire et elle me reprend doucement en répétant le nom encore plus doucement et clairement. Elle m’affirme qu’elle est
‘suin’ depuis longtemps (environ 40 ans) et qu’elle pratique toujours aujourd’hui. Elle confirme fièrement qu’elle est
allée assister une femme en couches il y a une vingtaine de jours seulement. Elle se déplace dans les différents wadis de
Karansgao et va jusqu’à une distance d’à peu près 10 km. Elle a appris l’art de la ‘suin’ en observant sa mère qui
était ‘suin’ à Uksan, le village où Manabai est née. Toutes ses sœurs sont ou ont été également ‘suins.’
Elle nous parle de ses prouesses en matière d’accouchement, mais ce qui me retient le plus d’attention c’est qu’elle ne
tient pas un discours tout à fait similaire aux autres suins que j’ai pu rencontrer vis à vis l’hôpital. Manabai a fait un
« dai training course », et apparemment suivrait régulièrement des cours donnés par ces différents organismes et
hôpitaux. Elle nous parle d’un en particulier qui s’est déroulé à Telegaon et un autre à Kamshet. Elle nous dit que
l’hôpital l’appelle souvent. Elle serait comme une ‘suin’ modèle, mariant l’assistance en couches à domicile et pratiques
biomédicales enseignées à travers les formations. Lorsque je lui demande s’il y a eu des changements dans ses pratiques
depuis ses formations, elle me parle du ‘delivery pack’ où l’on peut trouver du fils, une poudre antiseptique, une lame
neuve, du coton, et un stéthoscope. Elle nous affirme qu’elle aimerait mieux que l’on l’appelle ‘doctor’, présumant
qu’elle fait mieux son travail que d’autres suins qui ne suivent pas les conseils biomédicaux.
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Mais avant de nous affirmer ceci, elle m’a tout de même décrit des pratiques qui ne sont pas du tout des pratiques
‘biomédicales’. Elle nous conseille, ‘si les douleurs commencent et puis s’arrêtent, il faut donner du thé poivré à la
femme pour redémarrer les contractions’. Dans les mêmes conditions, elle nous dit également que la suin va aller
prendre une racine de ‘rui’ tout en laissant de l’or à la place. Cette racine est placée dans les cheveux de la femme. Ceci
va faire démarrer les contractions et ainsi l’accouchement. Une fois l’accouchement terminé, il faut vite récupérer l’or qui
a été laissé au pied de l’arbre car dans le cas contraire, une hémorragie peut s’en suivre.
Manabai nous parle également des pratiques de bain utilisant de la farine en guise de savon, des « dhoori » pour
l’enfant et la mère et aussi les massages. Elle nous affirme qu’il faut masser d’abord à partir de la tête de l’enfant puis
vers le reste du corps en utilisant de l’huile. Je ne soulève pas la question, mais un homme d’un organisme de santé local
qui vient dans la région nous avait parlé de cette « mauvaise pratique » qui causerait des problèmes de tetanus…Si
c’est le message des organismes et autorités de santé dans la région et Manabai une telle modèle, pourquoi le fait-elle ?
Toujours est-il, Manabai ne voit pas d’incompatibilité entre ses pratiques ‘traditionnelles’ et son statut souhaité de
‘doctor’.
(Extrait du journal de terrain après l’entretien avec Manabai Tukaram Khenge à Kurunsgao, le 19 avril 2005)
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