Mur du son - Clairs de Plumes

Transcription

Mur du son - Clairs de Plumes
 Mur du son
J’ai vécu ce moment étrange d’errer sur une plage aux confins
d’une terre qui s’évanouissait, happée par l’océan. Le ressac des
flots ramenait sur la grève des coquillages roses tout emperlés
d’écume, bords saillants, intérieurs de soie vidés de leur substance,
labyrinthes déserts que seul hantait le vent. Déchirés par le vif des
tempêtes, les nuages s’effilochaient en voiles de tulle blanc, et
leurs lambeaux flottaient avant d’être dissous comme les vieux
gréements de navires fantômes. Ciel et eau confondus, noir d’encre
et bleu profond, vent vert aux senteurs d’algues. L’hiver glissait sa
lame au plus près du visage; l’âpreté des embruns me griffait aux
joues et plissait mes paupières. Comme gravure dans le marbre, la
trace de mes pas s’imprimait sur le sable gelé.
La clameur mêlée du vent et des vagues colonisait l’espace et je
voulus parler, mais ne m’entendais pas. Je me mis à crier, ou à
chanter peut-être, enfin je ne sais plus, mais à articuler. Je ne
m’entendis pas. Aucun écho. Oreilles engourdies, cordes vocales
anesthésiées. Cette arène liquide et éthérée ne me renvoyait aucuns
sons mais les absorbait pour les annihiler comme particules
infinitésimales. Mes mots s’envolaient comme s’il appartenait au
vent de tourner au hasard de ses courants d’air les pages d’un livre
et de ne s’arrêter sur aucune, comme s’il appartenait à l’écume
d’effacer l’encre qui en avait fixé les mots, comme s’il appartenait
au sable de les enliser dans ses troubles méandres. J’avais touché,
contre toute apparence, un mur du son, une limite là où il ne
semblait y en avoir aucune, un mur qui n’admettait rien d’autre
que l’ordre - ou le désordre - de la nature et des forces qui
l’animent.
Pourtant, si je me retournais, il y avait la terre, et, si mon regard se
projetait au-delà de l’horizon, d’autres terres encore, des îles
même, et d’autres possibles, d’autre voies ouvertes aux paroles.
Cécile

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