Nostos, ou le retour aventureux d`Ulysse.
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Nostos, ou le retour aventureux d`Ulysse.
L'Herne Les Cahiers de I'Herne paraissent sous la direction de CONSTANTIN TACOU James Joyce Ce cahier a ete dirige par Jacques Aubert et Fritz Senn Sommaire 11 13 15 Jacques Aubert Renterdements Reperes biographiques Avant-propos Fragments de vies 29 31 58 65 67 76 83 James Joyce Anne Machet Mando Aravantinou Lucia Joyce Dominique Maroger Dominique Maroger Helene Vanel Lettre ä Francis Skeffington Joyce auteur Italien Joyce et ses amis grecs Charlie et les gosses Lucia et la danse Derniere rencontre avec Lucia Souvenirs de Lucia Joyce Joyce ä Paris 1) Avec Adrienne Monnier 89 93 Jacques Aubert Joyce et Adrienne Monnier Adrienne Monnier 96 Adrienne Monnier 101 James Joyce 112 128 Valery Larbaud Paul Claudel L Ulysse de James Joyce et le public franqais Ulysse : Premieres traductions <( Ithaque » «Penelope » Lettre ά Μ. Buriot Lettres ά Adrienne Monnier Deux lettres ά Adrienne Mon nier 2) Autres rencontres 133 James Joyce 135 139 141 143 151 176 188 James Joyce Jacques Aubert Andre Suares Andre Suares Francine Lenne Louis Gillet Emile Delavenay Lettre ά Natalie Clifford Bar ney Trois lettres ä Edmond Jaloux James Joyce et Andre Suares Lettre ά Jacques Doucet Journal inedit (extraits) James Joyce et Louis Gillet Journal (fragments) Souvenirs de James Joyce Droits de suite 193 203 217 Helene Cixous Jacques Derrida Collectif Change Devant le pome Deux mots pour Joyce Joyce et le regard des langues, entretien odysseen D'Ulysse... 245 Hans Walter Gabler 258 270 297 309 318 Brook Thomas Marie-Danielle Vors Bernard Benstock Robert Adams Day Beryl Schlossmann 334 Eckhard Lobsien 8 Nostos, ou le retour aventureux d Ulysse Le chanteur du silence Les noms propres dans Ulysses La structure parallaxe Le diacre Dedalus L'ecriture joycienne : juive ou catholique ? La vie quotidienne comme texte 341 359 Daniel Ferrer Michael Beausang 384 400 Claude Jacquet Andre Topia « Circe », ou les regres eternels « Circe » : ecarts, style, communaute Metamorphoses de « Circa » « Ithaque » et Robbe-Grillet: une analogie trompeuse Α Finnegans Wake Documents 415 417 James Joyce James Joyce 423 425 Anonyme Heinrich Zimmer 433 Jacques Mercanton Tres curieuse epitre Anna Lyvia Pluratself (tra duction d'Alfred Peron et Samuel Beckett) Salade mythologique Finn MacCool, heros scandinave Une legon de James Joyce Lectures 441 Klaus Reichert 453 Jean-Michel Rabate 483 Jean Gillibert 492 Kathleen Bernard Des marges du texte au texte mage Finnegans Wake : La bisexualite, etat d'un vestiaire Reflexions venues apres avoir joue quelques extraits de Fin negans Wake. Une page de Finnegans Wake, traduction Perspectives irlandaises 497 503 508 512 528 Riana CTDwyer Alf MacLochlainn Peter Costello Mary Power Des rois et des conquerants Pyper? Un homme de pois Renan, Joyce et Virlande Femmes de Dubliners/Feraraes de Dublin Bibliographie 9 Nostos, ou le retour aventureux d'Ulysse Hans Walter Gabler E n avril 1921, Sylvia Beach, de Shakespeare & C° ä Paris, et Maurice Darantiere, maitre imprimeur ä Dijon, signerent un contrat pour la pro duction et la publication d \ m livre qui apparemment attendait de passer sous presse. I i ne restait qu'a ecrire quelques dizaines de pages et ä faire quelques additions ä la copie d'impression dejä existante. Personne, meme pas Pauteur, ne semble s'etre veritablement rendu compte alors que le livre etait en fait loin d'etre pret. L e fait que James Joyce ait ete loin, en ce printemps 1921 d'avoir acheve son Ulysse et de pouvoir Pabandonner ä Timpression est un sujet d'etonnement pour tous les historiens de la genese du roman . A vrai dire le contrat de publication füt, peut-etre, le catalyseur decisif capable de reunir toutes les energies necessaires pour lui donner une forme definitive durant cette phase, la plus intense du travail, qui a vu non seulement la revision et le developpement conside rables des seize episodes qui existaient a Pepoque de la signature (de « Telemaque » ä « Eumee »), mais aussi la redaction des deux autres qui n'existaient pas encore. II s'agissait d"« Ithaque » et de « Penelope », qui devaient couvrir cent treize pages ä eux deux, soit plus de quinze pour cent du livre imprime. l Fidele a sa methode, Joyce abordait les derniers sommets tfUlysse en forant la montagne par les deux cotes. L'image a ete inventee pour Finnegans Wake mais q u e l l e s'applique parfaitement ä Ulysse nous est atteste par les references repetees des lettres mentionnant des esquisses ecrites tres tot pour le commencement, le milieu et la fin . L'existence de tels materiaux pour « Eumee » et « Ithaque » donnait ä Joyce Passurance, 2 245 des la fin de 1920, que, « Circe » une fois depassee, i l serait plus facile de faire voile vers la fin . Mais sa correspondance de decembre 1920 ä octobre 1921 - meme sans les informations fournies par les manuscrits, dactylogrammes et epreuves a notre disposition - permet de mesurer combien ces derniers chapitres s'eloignent de toute forme ou direction indiquee dans les prototypes. Separant le dit du dire, nous trouvons que, tandis que le cours de Phistoire pour « Eumee » et « Ithaque » semblerait etre le noyau qui a ete invente au debut, le developpement meme de la narration, ä travers ses modes contrastes de ruptures dues aux styles et ses distanciations en perspective dues ä la langue - brouillee jusqu'a la distorsion ä force de litteralite dans Papplication des conventions de la communication dans « Eumee », frisant Pimpossibilite par Inexactitude exageree des definitions fragmentees dans « Ithaque », tournant en rond «like the huge earth ball slowly, surely and evenly round and round» (ι, 170) dans « Penelope » — c e developpement done, est une floraison tardive des artifices propres ä Ulysse. 3 4 L a note stylistique d'« Eumee » se fait entendre brievement, i l est vrai, dans u n paragraphe proche de la fin des « Bceufs du Soleil », le chapitre des styles, au moment ou Pattention se tourne vers Bloom qui contemple distraitement une bouteille de Bass numero un : He was simply and solely, as it subsequently transpired * for reasons best known to himself* which put quite an altogether different complexion on the proceedings, after the moment before's [remarks] observations * about boyhood days and the turf, recol lecting two or three private transactions of his own * [that the two others] ivhich the other two * were as mutually [ignorant] innocent * of as the babe unborn (417, 5). Rapproche de ce qui est dit ä F r a n k Budgen le 10 decembre 1920, « Eumeus you know », signifiant sans doute qu'on avait montre ä Budgen les premieres ebauches du chapitre a Z u r i c h , ce passage suggere que Joyce n'a pas invente le mode narratif d'« Eumee » tout d'une piece apres « Circe ». Ecrivant ä Claud Sykes au debut de Janvier 1921, i l oppose « Circe » et « Eumee » en ces termes : <( The first episode of the close of the book much shorter about 30pp and quite different, is also nearly finished)) (i, 158). Quand, cinq ou six semaines plus tard, cet episode fut completement termine, i l etait devenu presque deux fois plus long, cinquante-quatre pages dans le manuscrit Rosenbach . A u moins u n aspect du developpe ment entre les premieres ebauches et la mise au propre est indique ä Budgen : 6 « J'accumule dans la bouche de ce navigateur d'« Eumee » toute espece de mensonges qui vous feront rire » (i, 160). Faisant en apparence partie de la conception primitive comme per sonnage, ce navigateur cependant, comme la lettre nous en informe, a pris une importance significative dans la composition proprement dite de cet 246 episode entre la fin decembre 1920 et la fin fevrier 1921. Par contre, aussi bien « Ithaque » que « Penelope » representent des entreprises narratives absolument nouvelles apres « Circe ». II est clair que la fin a ete congue d'abord. «I am going to leave the last word with Molly — the final episode " Penelope " being written through her thoughts and body... there remains only to think out " Ithaca » (i, 125). Ii ressort clairement de toutes les lettres ecrites par Joyce ä Budgen en 1921 qu'ils n'avaient parle n i d'« Ithaque » n i de « Penelope » a Zurich. C'est ä Paris que les deux episodes semblent s'etre developpes ä partir des premieres idees d'execution sinon de contenu — encore que Joyce ne fut pas homme ä admettre qu'il en etait ainsi, ou qu'il faudrait du temps (une annee encore, comme ce fut le cas) quand i l ecrivait ä John Quinn le 7 Janvier exprimant Pespoir que Quinn verrait une premiere edition americaine imprimee (l,156). U n mois plus tard, « Eumee » termine, i l mentionnait encore ä Harriet Shaw Weaver « les deux episodes plus courts de la fin » (i, 156) et ce n'est qu'a la fin de fevrier, dans une lettre ä Budgen qu'il specifia : «I am writing " Ithaca " in the form of a mathematical cate chism. All events are resolved into their cosmic physical, psychal, etc equivalents, e.g. Bloom jumping down the area, drawing water from the tap, the micturation in the garden, the cone of incense, lighted candle and Statue so that not only will the reader know everything and know it in the baldest, coldest way, but Bloom and Stephen thereby become heavenly bodies, wanderers like the stars at which they gaze. The last word (human, all too human) is left to Penelope. This is the indispensable countersign to Bloom's passport to eternity. I mean the last episode "Penel ope"* (i, 159-160). Si le mode de narration pour « Ithaque » a ete rriaintenant elabore (son cote dissection representant apparemment pour Joyce Pequivalent du meurtre des pretendants par Ulysse (cf. I , 152; 160)), le cours de la nar ration ne sernble pas avoir ete mene plus loin que la separation de Bloom et de Stephen dans le j a r d i n sous les etoiles. « Penelope » η'est encore qu'une conception sans contour. Jusqu'au debut aoüt, i l semble que les deux episodes aient ete travailles plus ou moins concurremment. La-dessus, la premiere phrase de « 2500 mots environ » une fois ecrite (i, 168), Joyce se concentra pendant pres de six semaines sur « Penelope » exclusivement — tout en menant a bien la plus grande partie du travail de revision des premiers episodes sur les epreuves - avant de relier finalement Pensemble du livre a « Penelope » grace ä « Ithaque C'est sur le travail de redaction des mois allant d'aout 1921 a Janvier 1922 que nous sommes informes par les documents conserves. « Penelope », du moins sept de ses huit phrases — et ensuite « Ithaque », et dans cet ordre, remplissent essentiellement sous leur forme definitive, les pages de droite d \ m cahier bleu et d'un cahier vert (qui constituent ä 7 247 tous les deux la derniere partie du manuscrit Rosenbach). Bien que des notes etendues se rapportant aux deux chapitres se trouvent encore dans les notes pour Ulysse de la British L i b r a r y aussi bien que dans le carnet Buffalo V . A . 2 , les esquisses preliminaires et les premiers brouillons manquent. Cependant au moment ο ύ les copies definitives etaient remises ä la dactylographie, elles avaient ete virtuellement ramenees ä Petat de brouillons par les importantes corrections casees dans les marges et sur les pages de gauche des cahiers. 8 9 II est evident que la mise au propre de « Penelope » η'a pas commence avec Pachevement de sa premiere phrase. L'ecriture indique que Joyce a du ecrire d'un trait la premiere moitie du chapitre, formee de quatre phrases. I l les a ensuite revisees d'un bout a Pautre, la premiere phrase fort abondamment, au moyen d'insertions groupees de fagon tres dense, et leur a ajoute la cinquieme phrase, sur laquelle i l a encore travaille. Pour ces cinq segments de chapitre i l a trouve un dactylographe en Robert McAlmon. L a dactylographie a ete executee, semble-t-il, au cours des neuf jours allant du 16 aoüt au 25 aoüt. L a lettre a Budgen du 16 aoüt n'apporte de precision que sur la longueur de la premiere phrase, mais ebauche dans ses grandes lignes la structure du chapitre avec une conception du detail de la composition plus nette que dans les references anterieures (i, 169170). L a lettre du 27 aoüt ä McAlmon (ι, 170) implique que Joyce F a emmene le 25 ä la gare du Nord (en route pour PAngleterre). L e 3 septembre, il dit a McAlmon qu'« i l a fait suivre a Budgen cette Hasse de « Penelope » (in, 48), et i l ecrit a Budgen le 6 : « Je vous envoie la premiere partie de « Penelope ».. ce η'est que le brouillon i l y aura beaucoup d'ajouts ou de changements sur trois epreuves » (i, 171). Depuis la biographie de Richard E l l m a n n , Fimagination des critiques a ete hantee par la remarque rapportee de McAlmon selon laquelle Joyce aurait enterine quelques rearrangements du texte introduits par McAlmon lui-meme au cours de sa dactylographie . L'examen des documents revele tres vite que la pretention de McAlmon ä etre coauteur de « Penelope » est peu fondee. 10 Ii n'y a pas plus d'une demi-douzaine de cas en tout de renversements de construction; ils sont d'un caractere accidentel, auraient pu etre le fait de n'importe quel dactylographe, et d'ordinaire induisent la perte de quelque effet de sens. Quelquefois, des suppressions, indiquees dans le manuscrit par des parentheses, ne sont pas comprises, des additions ä des additions sont omises, ou de courtes phrases du manuscrit de base sont sautees entre deux signes d'insertion. I i arrive que McAlmon substitue ses expressions habituelles a Celles de Joyce (« anyway » pour a anyhow » et frequemment ((around* pour «round»). A part quelques corrections manifestement necessaires d'erreurs se trouvant dans la copie (mise au propre), i l ne reste dans la partie dactylographiee que deux exemples de changements qui meritent d'etre soumis ä u n examen critique plus serre. L a facon dont Molly evoque son flirt pousse avec Mulvey «I tormented the life out of him » devient «I tortured the life out of him » dans le dactylogramme, et a ete conservee a Fimpression. O n peut ecarter <r tortured» comme etant 248 un exemple de substitution lexicale naturelle ä u n anglophone; en outre, « torment» a, de facon repetee, la preference de Joyce. P a r contre quand le dactylogramme fait du jugement depreciatif que Molly porte sur Boylan (dans le manuscrit) « he hasn't such an amount of spunk in him » simultanement u n jugement comparatif ä l'avantage de Bloom dans l a forme et la phonetique irlandaises de « he hasn't such a tremendous amount of spunk in him » nous devons supposer que Joyce regardait par-dessus l'epaule du dactylographe pour retoucher le texte - que ce soit ou non McAlmon qui introduisit en fait cet autre exemple d'un adjectif emphatique favori de Molly. Faire passer ä la dactylographie des sections d'un chapitre dont l'ensemble etait encore inacheve, methode qui fut apparemment employee d'abord pour « Eumee » (cf. I , 156), devenait maintenant une proceure caracteristique appelee par la double pression du temps et de l'attention simultanee au texte du roman qu'exigeait le flot constant des epreuves qui revenaient a divers Stades de correction. II semblerait qu'au moment meme ou McAlmon tapait, Joyce continuait ä ecrire. Les phrases six et sept de « Penelope » ont ete recopiees au propre dans le cahier bleu quand Joyce le reprit. L a nettete decroissante de l'ecriture, qu'on peut remarquer specialement dans la sixieme phrase (manuscrit Rosenbach, pp. 15-20), peut etre l'effet visible de l'effondrement de Joyce a l'Alhambra le 26 aoüt, ä la suite duquel i l dut, pour u n temps, reduire son travail quotidien de seize a cinq ou six heures, et par contre faire des promenades de treize ou quatorze kilometres une ou deux fois par jour. (cf. I , 170-171). Pour les phrases six et sept i l y eut beaucoup moins d'ajouts et de revisions sur les pages blanches de gauche du cahier bleu que pour les precedentes. L a huitieme et derniere phrase n'etait apparemment pas encore composee. Elle n'est pas dans le cahier et, le 3 septembre, Joyce esquissa pour McAlmon sa täche immediate en ces termes : <( I shall give Molly another 2 000 words spin, correct a few more episodes... and then begin to put the spectral penultimate « Ithaca » into shape » (HI, 48). Joyce commengait, c'est clair, ä repenser ä « Ithaque », et la reference qu'il en fait ä cette date peut indiquer que c'est en mettant au propre les phrases six et sept de « Penelope », et avant de les passer ä la dactylographie qu'il retourna le cahier bleu pour y consigner par l'autre bout les huit premieres pages et sept lignes de l'avant-dernier episode. L a grande masse d'additions ecrites sur les pages de gauche qui, pour « Ithaque », caracterise cette premiere section du manuscrit, suggere u n Intervalle assez long entre la mise au propre et le remaniement, peut etre justement ces trois semaines de plus qui se sont ecoulees avant que le chapitre « spectral » puisse enfin retenir toute l'attention. L a phrase finale de « Penelope », composee durant u n Intervalle de vingt jours entre le 3 et le 23 septembre, etait manifestement prete ä etre mise au propre ä un moment ou Joyce n'avait pas le cahier bleu sous la main - c'est-a-dire, probablement pendant qu'on tapait les phrases six et sept. Il s'ensuit que la mise au net fut faite sur des feuilles volantes plus grandes, et calligraphiee avec u n soin qui depasse celui meme que Ton 249 trouve dans les cahiers; ces pages evoquent de fa<?on frappante Taddition « Messianique » de Circe et Faddition au Cyclope evoquant la Metropolitan Police. Cette derniere, que Ton peut dater, dans la copie d'impression, des premiers jours d'octobre , fut envoyee manuscrite aux imprimeurs. L a premiere, dont i l fut fait un dactylogramme, est mentionnee dans une lettre a Valery Larbaud que Ton peut dater avec vraisemblance de la seconde quinzaine d'aoüt (I, 168-169). II est significatif qu'elle developpe dans la copie d'impression la litanie finale « Kidney of Bloom pray for us », etc. II semble done que la mise au net du brouillon revise, puis sa dactylographie ont suivi durant ces trois semaines de septembre, probablement en meme temps que la redaction au brouillon, au moins, de la section « Police metropolitaine » du « Cyclope » (section contenue, dans le Buffalo V.A. 2), et certainement avec la redaction finale et la dactylographie de la phrase huit de « Penelope ». n A la suite de la section (pp. 1-27) de « Penelope » dactylographiee par McAlmon, on voit apparaitre pour la premiere fois deux machines a ecrire qui alternent pour la plus grande partie d'« Ithaque », comme elles le font pour les phrases six ä huit de « Penelope ». Une des machines a u n ruban bleu et le 1 en caractere arabe. L e ruban de Tautre est violet; eile a une ligne ondulee caracteristique pour le soulignement, et eile exige des subs titutions de caractere pour le chiffre 1. Certaines habitudes distinctes caracterisant la frappe aussi bien que le traitement des elements m i s entre parentheses dans les premieres sections manuscrites d'« Ithaque » (que Ton doit comprendre tantöt comme suppressions, tantöt comme des parties du texte mais qui, ä partir de la page un des dactylogrammes, sont tous supprimes) suggerent que les deux machines etaient employees par des copistes differents - qui devaient neanmoins travailler de concert - pendant tout le temps que les machines alternent. L a machine/copiste Β (pour « b l e u » ) commence a dactylographier 6 pages (i-6 : pp. 28-33 du dactylogramme) de la phrase six de « Penelope ». la machine/copiste Pj (pour « violet » substitution de I pour 1) prend la suite au milieu du texte qui continue sur la page 19 du manuscrit, sans que celui-ci porte de marque ä cet endroit. P, commence une nouvelle pagination, tape huit pages (i, 8 : pp. 34-41 du dactylogramme) et marque la fin atteinte ä la page 25 du manuscrit. I l (ou elle) recommence alors la pagination pour une page entiere et une seconde page de cinq lignes (l2 : pp. 42-43 du dactylogramme, la page 2/43 etant blanche presque en tota lste), ce qui Tamene ä la fin de la phrase sept et du texte contenu dans le cahier bleu. Finalement, la derniere phrase est dactylographiee, ä partir de la mise au propre separee, avec un nouveau jeu de pages numerotees de 1 ä 6 (pp. 44-47, 476iV49 du dactylogramme). Comme par la suite dans « Ithaque », le recommencement repete de la pagination dans le dactylogramme fait probleme, car une correspondance claire avec les segments du manuscrit tels que Joyce les a prepares et livres par tranches n'apparait pas toujours. Si les dactylographes, meme en relation entre eux, ne pouvaient travailler qu'a intervalles espaces et irreguliers, i l se peut que Joyce les ai presses de lui donner pour la correction et la revision tout lot de pages qui se trouvait pret ä u n moment donne. Quoi qu'il en soit, un seul regard sur Faddition « Messianic » de « Circe » confirme qu'elle a ete aussi dactylographiee par P , : on peut done 250 reconstruire un modele de ce qu'a pu etre le travail aux environs de, mettons, le 20 septembre. Joyce a contacte pour l'addition de Circe avant qu'il e ü t tout ä fait fini de dactylographier la phrase sept de Penelope ecrite sur le cahier bleu. Ne pouvant done recuperer son cahier, Joyce prit pour correction toutes les pages daetylographiees disponibles, ce qui a determine la nouvelle pagination 1-2 pour ce qui restait encore dans le cahier, et se mit ä recopier au propre la phrase huit sur des feuilles volantes, tandis que P, terminait ce qu'il avait de « Penelope », et dactylographiait la scene « Messianic », sur quoi i l rendit les deux jeux ä Joyce. C'est alors qu'il regut la conclusion de « Penelope ». Joyce n'attendit pas qu'elle füt achevee. Desirant que l'imprimeur commence tout de suite ä composer « Penelope » pour que Valery Larbaud puisse lire le chapitre final du livre aussi vite que possible et faire traduire des passages en vue de sa seance de lecture prevue pour le 7 decembre, i l envoya a Dijon, le 22 septembre, un lot de trente et u n dactylogrammes, dont i l regut l'accuse de reception le 23. L e 24 i l ecrivit ä Darantiere pour lui expliquer que ce qu'il avait regu etait une addition pour « Circe », destinee ä rentrer dans l a partie « dramatique » du manuscrit ou se trouvait la marque rouge, et aussi le commencement de 1'episode final dont le restant suivrait le lendemain. Dans les pages du second envoi, Joyce expliquait au haut de la page 44 (le commencement de la phrase huit) que e'etait la conclusion du dernier chapitre et qu'on devait le joindre directement au texte de la page precedente (presque blanche). L e 26 septembre, Darantiere fit savoir qu'il avait regu le second lot de pages daetylographiees et avait bien compris les instructions . Enfin on avait presque le champ libre pour travailler pendant u n mois ä reunir les morceaux d'« Ithaque ». Joyce commenga par reviser considerablement et developper le debut (ä l'autre bout du cahier bleu). Toutefois, pendant encore une semaine au moins, la lecture des epreuves, ä laquelle s'ajoutaient probablement le dernier brouillon et la mise au propre de l'addition de «Metropolitan Police » du « Cyclope » requerait encore toute son attention. Alors que Joyce etait impatient de recevoir les premieres epreuves de « Penelope », Daran tiere persistait a demander le « bon a tirer » pour les premiers cahiers du livre. II n'expliquait pas son probleme technique mais le fait est que son stock de caracteres etait limite, et i l devait les distribuer (apres avoir pris des matrices) avant de pouvoir composer un texte nouveau. Quand Sylvia Beach transmit ä Joyce le texte de sa requete circonstanciee, elle regut cette seche reponse: «I have given the bon ä tirer for [gatherings] 6-10, 11-15 must be returned again ask him to set the last episode and talk less. » Une lettre ä McAlmon du 10 octobre resume la situation: 12 «Darantiere is damn slow setting " Penelope ". / wanted to send it to you before but can't get it out of him. Larbaud wants it too. In a few days I hope. Have sent the first part of " Ithaca " to the typist and am working like a lunatic, trying to revise and improve and connect and continue and create all at the one time J>(I, 173). C'est a ce moment que füt introduit le cahier vert d'lthaque. Pendant que P! dactylographiait de nouveau, assez curieusement, en deux sections separement paginees 1-10 et 1-5 le debut de 1'episode compose dans le 251 cahier bleu, Joyce mettait au propre sur le cahier vert une suite de huit pages manuscrites. Ce texte fut transmis ä la dactylographie apres que Joyce, en recuperant le cahier bleu et le dactylogramme correspondant, eut indique « 1 6 » dans le coin superieur gauche de la premiere page du manuscrit pour indiquer la pagination ä suivre. U n nouveau dactylographe (un troisieme) se servant de la machine au ruban violet, mais substituant I a 1, tapa les pages 16-24, sur quoi encore une autre machine (une troisieme) fit une breve et unique apparition pour les pages 25-27. Pendant ce temps, Joyce mettait au propre une autre section du manuscrit, neuf pages (ms pp. 917), dans le cahier bleu et de nouveau echangeait les cahiers avec les dactylographes. Pj se remit au travail et recommenga une nouvelle sequence de pagination 1-2 (pp. 28-29 du dactylogramme) puis Β prit la suite pour 3-11 (pp. 30-38 du dactylogramme). L e dactylogramme d'« Ithaque » allait maintenant jusqu'a la separa tion de Bloom et de Stephen dans le j a r d i n soit exactement la partie du brouillon que Γ ο η peut inferer ä partir de la lettre de Joyce ä Budgen de fin fevrier. C'est la que le chapitre peut etre le plus nettement coupe et, comme on l'a deja note, le passage du j a r d i n ä la maison est marque a l'origine de fagon abrupte; i l a ete aplani seulement dans les revisions qui suivirent dans le dactylogramme et les epreuves. C'est le passage du second cahier bleu ä la deuxieme partie manuscrite du cahier vert, et, comme nous pouvons le penser a la lumiere des observations reunies ici, i l peut representer une transition entre une partie de chapitre ecrite au brouillon assez tot (ayant des racines peut-etre aussi anciennes que les esquisses et les brouillons originaux du « Nostos ») et des elements plus tardifs congus et developpes beaucoup plus recemment. II est facile de voir exactement comment Joyce s'efforgait de gagner du temps pour finir le chapitre. L a progression physique et mentale de Bloom du j a r d i n vers le lit se subdivise en deux sections manuscrites, chacune d'elles dans un des cahiers; le passage de l'une ä l'autre est de nouveau sensiblement abrupt (et l'est reste, 14). I i semblerait que, la fin octobre approchant, Joyce n'avait commence ä mettre au propre que la premiere de ces sections. Comme la date fixee pour la seance de lecture de Larbaud se rapprochait eile aussi et que Joyce etait vivement desireux qu'il prenne finalement connaissance d'« Ithaque », i l lui vint l'idee d'un stratageme : choisir une serie de questions et de reponses constituant une version abregee du chapitre. Prenant les pages dejä daetylographiees, Joyce y marqua d'asterisques au crayon vert un choix de questions. Les daetylographes regurent la consigne de copier tout ce qui etait marque d'un asterisque, consacrant une feuille separee ä chaque fragment forme d'une question et de sa reponse. Quelques observations d'ordre bibliographique font apparaitre de fagon assez precise le schema d'organisation du travail a ce moment-la. Les asterisques au crayon vert se poursuivent dans la seconde section manus crite du cahier vert. Ii semblerait done que celui-ci ait ete donne aux dactylographes en meme temps que les daetylogrammes marques d'aste risques. Β preparait la selection ä partir du dactylogramme. Ii se peut que Ρ! ait en meme temps commence le dactylogramme complet du cahier vert; les pages 30-40 du dactylogramme sont de nouveau de lui (comme 12). S'il en est ainsi, i l regut bientot l'ordre de s'interrompre et de copier 252 (Tabord la selection indiquee par les asterisques. Cela se produisit peutetre quand, apres u n bref Intervalle, Joyce fit parvenir la derniere partie manuscrite du cahier bleu. L e retard pris pour Tachever (bien que ne depassant peut-etre pas u n jour ou deux) est suggere par le fait que la serie des asterisques qui se poursuit est executee ici au crayon rouge. L a contribution de Ρ! ä la selection de la serie rouge s'est etendue ä trois ou quatre fragments. Sou role pour la dactylographie d'« Ithaque » s'acheve ici. L e reste de la selection indiquee par les asterisques dans le cahier bleu, ainsi que les pages 41-47 (numerotees 3-9) du dactylogramme complet de la seconde section manuscrite du cahier vert, ont ete continues sur la machine ä ruban violet, avec le trait de soulignement ondule qui en est Tindice, mais avec la substitution de I pour 1. Pour les pages 4953 (paginees a neuf 1-6) qui concluent le cahier vert, c'est la machine a ruban bleu qui fut employee une fois de plus. Par la suite eile fut abandonnee - excepte pour recopier une premiere fois les pages 2, 7, 8 et 10 du dactylogramme revise - et on n \ i t i l i s a plus que la machine au ruban violet, fonctionnant avec la substitution de I pour 1. A moins qu'un tout nouveau dactylographe soit entre en scene, car le copiste qui se manifeste a partir du premier tiers de la selection aux asterisques rouges, tout au long du dernier tiers du dactylogramme d'lthaque au complet, et virtuellement pour tous les dactylogrammes recopies sur les premiers, semble, ä en juger par des habitudes de frappe, ne pas etre identique a la personne qui a dactylographie auparavant les pages 16-24 sur la machine ä ruban violet. Ce qui apparait le plus vraisemblable c'est que le dactylographe Β a continue a travailler seul pour Joyce bien qu'il employat maintenant principalement, non la machine au ruban bleu, mais la machine au ruban violet. Chose assez remarquable, tout ce j e u fort complexe d'evenements enchevetres, si on en fait Tanalyse bibliographique peut aussi etre date avec une certaine precision. Avec tous les signes d \ m soulagement intense, Joyce annonga dans plusieurs lettres qu'il avait fini d'ecrire « I t h a q u e », terminant ainsi la composition tfUlysse, le 29 octobre 1921 (cf. I, 175; in, 51). Que Ton puisse considerer cela comme se referant ä Pachevement de la derniere section mise au propre dans le cahier bleu, est bien indique par la lettre ä Larbaud du 30 octobre : My typist has sent you extracts (of course uncorrected) from the beginning and middle of " Ithaca In a few days she will send you extracts from the end (ill, 51). Les extraits du manuscrit n'etaient done pas encore prets. Comme on F a suggere plus haut, Ρ, et Β (qui, ayant dactylographie les elements marques d \ i n asterisque vert sur le fragment de dactylogramme disponible, doit etre la personne designee par « she » et peut, pour cette raison aussi, etre consideree comme ayant substitue I pour 1 sur la machine ä ruban violet) y travaillaient encore. De plus, le dactylogramme marque d'asterisques et le cahier vert n'ont pu, dans ces conditions parvenir aux dactylographes que peu de jours avant le 29 octobre. Cependant, une fois sa mise au propre achevee, « Ithaque » n'etait nullement prej ä aller chez Timprimeur. II est evident que sa dactylogra phie n'a ete terminee qu'apres qu'on eut fait les extraits pour Larbaud. 253 Pendant ce temps Joyce commengait sa copieuse revision qui - en passant par la dactylographie puis les epreuves — devait augmenter le texte du manuscrit et du premier dactylogramme d'un remarquable trente-quatre pour c e n t . Presque la moitie de l'accroissement (seize pour cent) consistait en additions au dactylogramme. Joyce se concentra la-dessus quand il eut complete la mise au propre de 1'episode. A l'exception de trois ou quatre cas seulement, toutes les revisions de dactylogramme sont posterieures ä la suite d'extraits prepares par Larbaud. Beaucoup de pages daetylographiees furent bientot tellement surchargees d'additions qu'il fut decide de les dactylographier individuellement ä nouveau, chacune r e m placee par deux, ou quelquefois trois, feuilles inserees dans la suite des dactylogrammes. Pour mainte paire de pages retapees, une nouvelle revi sion necessitait une nouvelle dactylographie. L e temps, δ merveille, ou bien l'intervention energique de quelque personne en situation d'autorite — empecha une nouvelle revision de la seconde re-dactylographie. L e 29 novembre, les imprimeurs confirmerent qu'ils avaient bien 1'episode sous la m a i n pour en commencer la composition. 15 C'etait un mois entier apres que la fin de la redaction d?Ulysse ait ete annoncee. L e soulagement exprime ä cette occasion reflete sans aucun doute peu ou prou le sentiment que « achevement du m a n u s c r i t » avait le meme sens que pour les episodes precedents. Mais cela ne doit pas nous empecher de voir u n changement important, quoique subtil, dans l a facon de composer de Joyce. De « Telemaque » ä « Eumee » le moment ou se terminait le travail qui allait du brouillon ä la mise au propre marquait generalement un point d'articulation dans le developpement textuel d'un episode. U n travail preparatoire de degre et d'intensite divers - auquel etaient relies des notes, des esquisses et des brouillons - pour la plupart ulterieurement ecartes - se stabilisait dans u n brouillon de travail definitif et une mise au propre. U n episode atteignait u n equilibre temporaire et etait, en verite, donne pour la publication. Les dactylogrammes du chapitre etaient prepares ä cette fin et les revisions ne les touchaient que legerement. Quoique la prepublication s'interrompit au cours de 1'episode des « Boeufs du S o l e i l » - circonstance qui semble avoir contribue a Tetendue et a la complexite de composition sans precedent de « Circe » - le Statut du manus crit final de « Circe » et sa relation avec le dactylogramme du chapitre restent essentiellement de meme nature que pour les episodes precedents. E t le schema ne change pas pour « Eumeaeus », puisque apparemment, comme nous l'avons vu, ce chapitre pour une large part remonte a la periode qui a precede « Circe ». I i est vrai des les seize episodes precedant « Ithaque » et « Penelope » — e'est-a-dire ceux dont les manuscrits et les dactylogrammes etaient prets quand le contrat fut signe entre Sylvia Beach et Darantiere - qu'ils furent produits puis remanies par une revision fun damentale mettant en ceuvre des changements et quelquefois de longues additions pour prendre la forme de la premiere edition en volume de 1922. Cependant i l est important de noter que la revision n'a pas modifie la structure de 1'episode telle qu'elle avait ete arretee au niveau de la mise au propre et du premier dactylogramme. Meme « Eole » n'est ici qu'apparem ment une exception. Quoique le decoupage que lui font subir les titres inseres introduise, bei et bien en u n effet conscient, une nouvelle instance narrative, elle η'altere pas neanmoins le cours du recit en lui-meme. 254 Pour « Penelope » et « Ithaque », par contre - les chapitres ecrits pen dant que le livre dans son ensemble passait dejä sous les presses - le schema de composition changea. Ces episodes n'atteignirent pas u n etat intermediaire de stabilite. L e passage du manuscrit au dactylogramme ne constitue pas un point de division significatif dans le developpement du texte. L a composition s'est etendue de fagon continue du manuscrit aux epreuves successives en passant par les dactylogrammes. D \ i n bout ä Fautre, le travail de Joyce a ete u n travail de composition, non seulement en ce qu'il developpe le detail d'un texte toujours plus riche, mais encore en ce qu'il etablit la ligne directrice du recit stabilisant ainsi la structure et la tonalite. Tandis qu'en retouchant « Eole », la revision n'apportait qu'une modification de surface a un corps de texte qui - malgre Taugmentation simultanee des details - demeurait inchange, c'etait la structure meme d'« Ithaque » qui se transformait avec Taddition de chacun des quatrevingt-trois (c'est-a-dire plus d \ i n quart du total de trois cent n e u f ) , segments de reponses dont Tepisode s'accrut entre la mise au propre et la publication. E t tandis que meme pour « Eumee » acheve tardivement, u n element aussi important pour sa tonalite que le flot de mensonges du m a r i n etait donne anterieur au Stade de la mise au propre, la mise en place du ton de « Penelope » passant par la nature et la qualite des pensees de Molly a ete de nouveau le resultat d'un travail continu de composition posterieur au manuscrit. L'exemple le plus frappant en est peut-etre la fin qui se presente ainsi dans la mise au propre : 16 / was thinking of so many things he did not know of Mulvey and Mr. Stanhope and Hester and father and old captain Groves and the Alameda gardens and Gibraltar as a girl where I was a fiower of the mountain and how he kissed me under the Moorish wall and I thought well as well him as another and then I asked him with my eyes to ask again and then he asked me would I to say yes my mountain flower and first I put my arms around him and drew him down to me so he could feel my breasts all perfume and I said I will yes. L e personnage de Molly-Penelope que nous connaissons, se refugiant au terme de sa reverie dans les souvenirs sensuels de sa jeunesse faits d'atmosphere parfumee et d'intimite fragile, ne s'edifie que graduellement, sous nos yeux, au fil des etapes d'une virtuelle recriture de la fin du roman dans le dactylogramme et les epreuves. Dans la fievre de la phase terminale, pendant les derniers mois de redaction, Joyce semble s'etre embarque de gaiete de coeur ou par necessite, dans ces aventures qui consistaient a appliquer des couches toujours nouvelles de materiaux et de signification sur le palimpseste d^Ulysse . II est clair que ce processus doit etre vu comme jouant u n role fonctionnel ä des degres nettement differents. Selon Richard Madtes, une des principales raisons de la plenitude d'« Ithaque » est que Joyce tout simplement en voulait toujours plus . Mais « Penelope », etant le premier et seul chapitre ecrit du point de vue d \ m personnage entierement neuf, offre a Joyce une justification intrinseque — et peut lui avoir offert par cela meme un sti mulant particulierement fort — pour donner au « cosmos » du livre u n nouvel eclairage en introduisant de nouveaux aspects, points de vue, faits 11 18 255 ou evaluations, tout en revelant des facettes surprenantes par leur nouveaute ou des rapports entre celles qui avaient ete precedemment intro duces. Si c'etait bien ce que Joyce eprouvait lui-meme en ecrivant cet episode, « Penelope » a pu exercer sur son imagination creatrice une action similaire, ä « Circe ». Mais, contrairement a « Circe », « Penelope » n'aurait pas pu absorber tout ce qui lui venait a l'esprit pour la premiere fois ou emergeait de ses piles de vieilles notes, a cette phase de la composition du roman pendant laquelle, comme nous le savons, le poids enorme continuait ä s'accumuler en concurrence avec la composition de « Penelope » precedant « Ithaque ». I l va sans dire que, au cours de l'intense relecture en vue de la revision, la reflexion sur la complexite de ((Bloom's day » creait de la matiere ä la fois pour une expansion qui la modifierait dans les sections dejä existantes et pour ses permutations finales dans la perspective du catechisme et celle de la reverie. I l est probablement important de considerer « Penelope » et « Ithaque » comme ecrits tous les deux dans une telle situation de dialogue avec le reste du livre. Les modifications introduites dans les episodes precedents specifiquement ä la lumiere de la composition en cours de « Penelope » et d'« Ithaque », ne peuvent i l est vrai etre toujours distinguees en detail, ou etre toujours differenciees de celles qui derivent des amples collections de notes rassemblees pendant les annees anterieures de redaction. Mais i l est s ü r e m e n t remarquable que les additions sans precedent, de fragments entiers de textes partiels ä des chapitres existants, telles que l'addition de « Metropolitan Police » au « Cyclope » ou de la scene ((Messianic» ä « Circe », soient si etroitement associees, comme on F a demontre, avec la redaction de la fin. Ces parties sont, semble-t-il, de la derniere phase de composition creatrice. Si, en outre, nous observons le fonctionnement du contexte en portant notre attention sur les manifestations reelles d'activite creatrice - ces notations qui montrent que Joyce essayait « to revise and improve and connect and continue and create all at the one time » — nous n'avons, dans cette perspective, aucune difficulte ä mettre en relation de tels exemples d'extension imaginative croissante du monde ulysseen avec les gestes mul tiples de recapitulation et de clarification qui caracterisent « Ithaque » et « Penelope ». Si « Ithaque » en particulier dresse, de tant de facons, le bilan de « Bloom's day », alors l'inclusion litterale d\ine feuille ou se trouve le bilan de Bloom en debits et credits est symptomatique, et au niveau du texte designe cet aspect de la fonction que joue 1'episode dans le contexte du roman. De plus, le fait que toute la partie relative ä ce bilan represente une addition posterieure au manuscrit illustre ce qu'on a demontre ici concernant les procedes de redaction des derniers chapitres. D'autres sections aussi importantes que la recapitulation mentale par Bloom des evenements de la journee (728-729), ou sa classification des types de publicite acceptables ou inacceptables (638/684), ou ses plans d'avenir (718-720), suivent ce paradigme entierement ou en partie: on peut considerer que toutes sont entrees ou se sont developpees de facon significative, au cours de la composition a travers le dactylogramme et les epreuves. Cependant, en meme temps, on peut reconnaitre en ces derniers exemples des repetitions de motifs qui entrent dans la construction de Bloom au fil de la journee. On peut s'arreter pour se demander un peu 256 pourquoi ceux-ci devaient etre tellement developpes seulement ä ce Stade tardif du texte. De plus, on ne peut s'empecher de noter que dans « Ithaque s e u l e m e n t » - et de nouveau principalement par une expansion de la composition ä partir du texte mis au propre — nous apprenons les details essentiels du suicide de Rudolph Bloom ou la date des funerailles de Mary Goulding. II n'y a pas toujours, semble-t-il, une raison contraignante pour que ces sujets trouvent leur exposition tardive dans « Ithaque » plutot que d'etre repartis, a la fagon d'elements comparables, sur les chapitres du debut et ceux du milieu. C-'est ici par-dessus tout, qu'on peut voir des explorations bibliographiques de dates et de sequences d'evenements atteindre une importance critique. Car le fait qu'elles revelent est qu'au moment ou le dactylogramme d'« Ithaque » et ses epreuves etaient revises et developpes - de novembre 1921 a la fin de Janvier 1922 - et ou une grande partie de la matiere en question fut introduite, Pimpression des feuilles pour les episodes du debut et du milieu avait ete terminee. A la fin, i l ne restait, tout simplement, pas d'autre endroit qu'« Ithaque » pour accueillir Tabondance de details dont Tesprit de Joyce foisonnait encore. Dans cet ouvrage qui rompt si fondamentalement avec les conventions narratives, ce n'est cependant pas uniquement une visee artistique — « the reader will know everything and know it in the baldest coldest way» - mais aussi les exigences de la composition qui assignent traditionnellement des functions essentielles d'exposition a la fin du roman. Mettre en lumiere de telles circonstances n'enleve rien ä la perfection artistique. Comme si souvent sous les plus pressantes contraintes, venues de lui-meme ou du dehors, la virtuosite de Joyce triomphe. Hans W a l t e r Gabler Traduit par M. Wencelius